Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2013

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

 

Sur un article de M. du Roure

 

 

Leo-Paul Desrosiers

 

Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race

 

 

Que vaut le jugement du professeur de McGill sur le livre d’Alonié des Lestres ?

 

 

M. R. du Roure fut autrefois professeur de littérature française à l’Université de Montréal, en ce temps là l’Université Laval. Aujourd’hui, il est à l’Université McGill, professeur de français. Il a fait de fortes études littéraires et il a certainement de bons et solides diplômes. Venu de loin, étranger chez nous, formé à la discipline des meilleurs maîtres, il paraissait doué des qualités voulues pour prononcer sur les œuvres canadiennes un jugement impartial et serein, dépouillé de préjugés, de préventions, inspiré d’un esprit de justice calme et élevé.

 

M. du Roure vient de parler d’un roman canadien, l’Appel de la race. Relevons-y trois passages, d’abord. Citons-les au long  pour la meilleure intelligence de ce qui va suivre. Voici la première citation : « Je n’ai jamais fait de roman, nous dit l‘auteur, en tout et pour tout, dans sa préface les lecteurs de la Revue Moderne, qui se souviennent d’un certain article de Gustave Lanctôt, paru en décembre 1920, savent que l’auteur en question s’est déjà permis quelques romans historiques. » Voici la deuxième citation :   « Il est évidemment regrettable que les bourgeois de Montréal aient le mauvais goût de préférer les conférences de M. Lanson ou de M. Chamard de la Sorbonne, à celles de M. l’abbé Groulx ; mais qu’y peut-on faire ?  Est-ce une raison pour se mettre en colère ? »  Enfin, la dernière citation :  « On m’affirme que l’auteur aurait dit qu’il avait écrit ce roman pour contrebalancer l’effet produit par Maria Chapedelaine. Il y a heureusement tout lieu de croire qu’il n’y a pas réussi. »

 

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La première citation surprendra un peu les lecteurs assidus des travaux historiques auxquels M. du Roure fait allusion. M. du Roure, d’un mot qu’on peut prononcer dans un salon pour cultiver sa popularité personnelle, fait un jugement qu’il prononce avec gravité. A tête reposée, il n’avait pas le droit de l’inscrire dans un article sérieux ; car c’est trop méchant et c'est trop faux. M. du Roure s’abaisse volontairement dans l’estime  de tous les Canadiens français cultivés en l’écrivant. S’il n’a pas lu les travaux d’histoire de l’abbé Groulx, il devra en parcourir les préfaces. Il verra que l’auteur y dit en toutes lettres qu’il n’a pas la prétention de rédiger un ouvrage définitif. Il fait des recherches, il en fera encore, il corrigera volontiers les erreurs qu’on voudra lui signaler, car il est consciencieux. Il se corrigera  lui-même à mesure qu’il prendra  connaissance de plus de documents, de plus de faits. Cependant, de certaines erreurs de détail on ne peut conclure à la nullité, à la fausseté  de son œuvre historique. Elle renferme trop d’aperçus originaux, trop de points de vue nouveaux,  trop d’explications exactes, elle offre une reconstruction si précise de notre passé, que le professeur de français à McGill s’y cassera les dents, s’il tente de mordre à l’aveugle, comme un roquet.

 

S’il y a des erreurs de détails, il faut tenir compte que, dans notre jeune société, les historiens et littérateurs n’ont pas toute la  formation qu’ils voudraient avoir et ne peuvent encore l’avoir, malgré leur désir. Et deuxièmement, les hommes qui se distinguent un peu par leur talent ont trop à faire, trop de devoirs à remplir, pour pouvoir toujours exceller dans le domaine qu’ils ont choisi. Est-ce qu’ils ne devraient rien faire, s’ils savent d’avance qu’ils ne peuvent rien faire parfaitement ? Dans la pratique, ils font de leur mieux ; ils compromettent même leur santé pour l’avancement intellectuel de notre nationalité. Aussi, pour notre part, nous n’entendons pas qu’un étranger qui n’a pas réfléchi sur toutes ces conditions vienne diffamer ainsi nos hommes de lettres  sans prendre le temps de réfléchir. Nous ne demandons pas à nos compatriotes de faire plus qu’ils ne peuvent, nous sommes contents d’eux, s’ils le font avec bonne foi, avec ouverture d’esprit, sans parti pris, sans entêtement.

 

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La deuxième citation de l’article de M. du Roure contient une insinuation basse et méchante. Elle laisse entendre qu’Alonié de Lestres  s’élève contre le snobisme qu’il y a, à Montréal, d’aller écouter des orateurs étrangers, parce que M. l’abbé Groulx a peu de monde à ses conférences. M. du Roure, évidemment, ne connaît pas l’auteur pour supposer un motif  aussi méprisable à ses pensées, aux idées qu’il exprime et aux directives qu’il donne.

 

D’ailleurs, en fait,  M. Groulx a ordinairement un bon nombre d’auditeurs à ses conférences historiques ; et, d’autre part, la population française de Montréal a réellement trop souvent le goût, jusqu’au snobisme, du conférencier étranger. Et, s’il faut parler de l’Alliance française, nous en parlerons. Pour un Chamard et un Lanson qu’elle nous fait entendre, il y a des Jules Bois et d’autres conférenciers sans talent. Si M. du Roure ne le reconnaît pas, c’est qu’il est préjugé. D’ailleurs, toutes les associations, où que ce soit, qui invitent périodiquement des conférenciers, sont dans le même cas que l’Alliance française. Elles n’ont ni un Lanson, ni un Chamard à présenter aux auditeurs tous les mois. Ce qu’Alonié de Lestres a voulu dire, - et nous espérons que M. du Roure est assez intelligent pour le comprendre, - c’est qu’à valeur égale, un conférencier canadien aura dix fois moins d’auditeurs qu’un conférencier français ; et cette affirmation est parfaitement fondée.

 

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Enfin, la dernière citation, M. du Roure affirme qu’il a entendu dire que l’auteur a voulu contrebalancer Maria Chapedelaine et que c’est heureux qu’il n’ait pas réussi.

 

Nous ne savons si l’auteur a eu réellement cette pensée. Il ne reste qu’à s’expliquer. D’abord nous ne contestons aucunement  la valeur artistique et littéraire de Maria Chapedelaine. C’est un livre qui touche près au livre de génie et nous le relirons souvent, avec émotion et enchantement. Voilà un point sur lequel M. du Roure peut se rassurer.

 

Cependant , ce livre est de nature à donner une fausse idée de la nationalité canadienne-francaise, en France, et partout où on le lira sans la connaître d’une autre manière que par ce roman. Nous y passerons  pour une race de bûcherons, composée entièrement de bûcherons ; et c’est un autre point que l’on ne peut contester. J’ai beaucoup pratiqué Maria Chapedelaine et si M. du Roure veut l’étudier aussi, il ne pourra s’empêcher d’en venir à la même conclusion. Nous ne tenons pas Louis Hémon pour coupable : il faisait œuvre d’art, il n’a pas pensé, probablement, à cette conséquence de son volume. Mais l’effet produit reste et tout Canadien français qui se respecte un peu a l’ambition de le détruire, de montrer que nous ne sommes pas tous des bûcherons. Si Alonié de Lestres avait eu cette ambition, s’il l'a eu, nous en aurons pour cela plus d’estime pour lui. S’il n’y réussissait pas, nous jugerions  l’échec malheureux.

 

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Enfin il est une quatrième phrase que nous voulons relever parmi beaucoup d’autres.  « Mieux composé et mieux écrit, l’Appel de la race, inspiré par la passion et par la haine, aurait pu être un œuvre dangereuse. Tel qu’il est, je le crois inoffensif », dit M. du Roure. Nous disons, nous : Tel qu’il est le roman d’Alonié de Lestres, malgré ses imperfections, est susceptible de faire beaucoup de bien. Il en fera certainement, il en a déjà fait. Tous les hommes d’œuvres canadiens-français l’ont aussitôt compris ; et ce qui est aller encore plus loin, il est probable que ses défauts mêmes, à part de légères fautes, serviront à son influence. Il y a là un dernier point que nous n’exposons  pas à un étranger, de crainte qu’il aille le répéter aux ennemis de notre race, au Canada. Il est certain, cependant, que M. du Roure ne peut être juge en matière ; car loin de comprendre ou de chercher à comprendre notre nationalité, il paraît plutôt décidé à s’opposer à ses idées et à ses tendances sans réfléchir, sans observer.

 

Enfin, en conclusion à ses remarques, qui prouvent que M. du Roure a des préjugés contre l’Appel de la race, et surtout des préventions contre son auteur, nous ajouterons que les idées de M. du Roure sur le nationalisme canadien importent peu. Nous pouvons simplement lui répondre que ce n’est pas de ses affaires. Il n’a pas voulu comprendre quelles raisons profondes ont animé les Canadiens français, lorsqu’ils s’opposaient à la conscription ou à une participation exagérée au dernier conflit européen ; il est malheureux, selon lui, que de Lantagnac, au milieu du conflit ontarien, ne pense pas au combat sanglant qui se livrait alors en France. Voudra-t-il comprendre que de Lantagnac, en livrant son combat dans la capitale canadienne, défendait de la meilleure façon possible l’influence et la civilisation française et qu’Alonié de Lestres vient de forger un instrument qui, malgré ses imperfections, servira avec excellence la même fin? Nous ne l’espérons pas, après avoir rencontré chez M du Roure certaines idées, certaines manières de voir qui ont attristé même des gens qui eurent autrefois de la sympathie à son endroit.

 

Source : Leo-Paul DESROSIERS,  « Sur un article de M. du Roure», dans Le Devoir, 21 décembre 1922, pp.1-2. Article transcrit par Amanda Bennett. Révision par Claude Bélanger. Les erreurs typographiques évidentes ont été corrigées.

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