Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Octobre 2013

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

 

L'appel de la race et ses détracteurs

      

                                              Antonio Perrault

 

 

 

Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race

 

M. Antonio Perrault nous communique les réflexions suivantes, en marge de deux articles de critique récents, sur le livre de M. l'abbé Groulx :

 

Aucun livre canadien n'a autant que ce roman éveillé l'attention du public. On le lit et le discute ; l'on défend ou l'on combat ses idées ; on se passionne pour ou contre ses théories. A ces enthousiasmes, et à ces colères, on reconnaît qu'Alonie de Lestres a frappé juste. Seuls les ouvrages des maîtres ont cette fortune.

 

Quelques critiques qui le voulaient anéantir aidèrent même à sa diffusion. Les chroniques de M. René du Roure et de M. Louvigny de Montigny firent ressortir par leur malveillance et leur méchanceté, la haute portée nationale de ce roman. La valeur d'une idée se reconnaît aux gens qui l'attaquent. Si M. du Roure et M. de Montigny n'avaient pas dénoncé l'Appel de la race, il eut manqué quelque chose à son succès. Ils appartiennent à des coteries qui ne pouvaient pas s'empêcher d'attaquer ce roman et son auteur.

 

Avant les chroniques du Roure et de Montigny, on étudia le livre sans lever le voile de l'anonymat où se cachait Alonie des Lestres. M. du Roure insinue et M. de Montigny écrit que l'auteur est M. l'abbé Lionel Groulx. Cela est bien. Le public comprend maintenant le motif de leur irritation, la cause de leur haine. C'est moins le livre que son auteur qu'ils veulent atteindre.

 

M. l'abbé Groulx est présentement  l'un de nos maîtres spirituels. Peu d'hommes servent mieux que lui notre nationalité ; il représente avec grand talent quelques-unes des idées essentielles à la survivance. Par son ardent patriotisme, par son enseignement et son œuvre littéraire, par la lumière qu'il projeta sur les annales de notre histoire, il conquit la sympathie de la nouvelle génération.

 

Tous ceux qui se sentent repris par le sens de notre race et ne s'intéressent plus qu'à ses destinées, écoutent ce professeur de fierté et l'applaudissent. Il donne nécessairement sur les nerfs des gens type du Roure et de Montigny.

 

*   *   *

 

M. du Roure fut importé en notre province par l'Université Laval de Montréal. Il vint ici travailler à l’œuvre de notre université catholique et française. Peu de temps après, il passe, pour plus riche prébende à l'université McGill. Vivant dans l’atmosphère d'une université  anglaise et protestante, il craint de se compromettre en montrant trop grande sympathie aux plus actifs  serviteurs  de notre nationalité. Ses prosternements d'aujourd'hui veulent faire oublier ses génuflexions d'hier. Il flagorne ses nouveaux maîtres en attaquant les Canadiens français qui ont le sens trop vif des exigences de notre race. Il est de ces Français qui vivant parmi nous demeurent étrangers à nos meilleurs sentiments nationaux et ne s'y intéressent que pour en rire ou les combattre.

 

Dire que ce monsieur vient d'être attaché au consulat français. Le consulat français de Montréal devint vacant il y a vingt ans, au départ de M. Kleczkowski. On espérait que ce parfait gentilhomme serait enfin remplacé. M. Naggiarapporta à ce poste une distinction, une entente, un respect de tous les sentiments canadiens qui lui valurent bon accueil. Son oeuvre sera-t-elle compromise par ses subordonnés ? On raconte que M. Naggiar prévenu de la publication de l'article de M. du Roure, s'y opposa;  sur  les instances du pamphlétaire il aurait cédé après avoir du moins obtenu la rature de certaines épithètes où se cachait mal la malice de M. du Roure pour M. l'abbé Groulx. C'est tout ce malicieux article qu'il eut fallu jeter au panier. Que M. Naggiar se méfie des marmitons genre du Roure; peu entraînés à la cuisine diplomatique, ils gâteront la sauce.

 

Cette fois encore M. du Roure a desservi une bonne cause. Pas un paragraphe de son article où n'apparaissent malice et haine pour M. l'abbé Groulx. Une telle étude n'est pas de la critique. L'historien ou le romancier émet des théories, des idées qu'on est libre d'accepter ou de réfuter. M l'abbé Groulx est soumis à cette loi commune. Mais il a droit de réclamer pour son œuvre une appréciation loyale. Nous reprochons à M. du Roure de s'être montré incapable de cette hauteur de vue et de cette droiture d'esprit. D'autres critiques analysèrent ce livre ; leur sévérité même excessive laissait place aux éloges, voire à l'admiration pour le talent de l'auteur et certaines parties de ce roman.  Rien de cela pour M. du Roure. Relisez sa chronique. Les trois cents pages de ce livre ne lui fournissent que motifs de blâme ; pas une idée, pas une phrase qui méritent le moindre éloge. Comparez l’article du M. du Roure à ceux que publia M.Henri Dombrowski dans l'Action française sur les livres de Jean Bruchési et Paul Morin. Bien qu'il ne fut pas en présence de deux chefs-d’œuvre, le professeur de l'Université de Montréal a fait courtoise et féconde critique. Il a lu avec sérénité ces deux livres ; il en a souligné les beautés et les lacunes ; Bruchési et Morin tiendront compte de ses remarques et feront mieux à l'avenir. Voilà la mission d'un critique. C'est ainsi que des Français, moins riches de particules que de distinction, peuvent nous comprendre et nous aider. Des Français comme Henri Dombrowski, L.-J. Dalbis et quelques autres, soucieux d'apprendre notre histoire, apercevant nos difficultés, apportent à leurs conseils et leur collaboration la droiture, la générosité des vrais amis. Leurs avis nous sont précieux. Ce sont les types genre du Roure qui sont en train d'élargir le fossé entre Français et Canadiens français. Connaissant mal notre situation, penchant toujours du côté du plus fort et du plus riche, ils prennent parti pour les défaitistes de notre sens national. Ils ne peuvent intervenir dans nos débats sans blesser la majorité des Canadiens français. Si M. du Roure se sentait incapable de faire une critique loyale du livre de M. Groulx et de rendre justice à cet écrivain, que ne gardait-il le silence.

 

La seule place où il y a trace de critique littéraire est celle où il étudie le style du roman. Quel parti pris. C'est un échenillage. Pas une des meilleures œuvres françaises qui ne puisse donner lieu à pareil travail de pédant. La librairie Hachette vient d'éditer un livre où l'on a réuni les bévues, les singularités de style des grands écrivains de la France. Tous s'y trouvent : Corneille et Racine, Lafontaine et Madame de Sévigné, Balzac et Anatole France. Que de fautes n'a-t-on pas relevées dans le style de Flaubert. Que prouve cet épluchage ?  M. du Roure croit-il les lecteurs de la revue où il écrit stupides au point de juger un auteur sur quelques phrases obscures ou mal tournées ? Ce sont erreurs, mais erreurs de détail. Seuls les esprits médiocres s'y arrêtent, impuissants à  regarder l'ensemble.

 

Mais il y a plus. M. du Roure, pour mieux servir sa haine contre M. l'abbé Groulx, a tronqué les textes. Jugez.

 

M. du Roure écrit : « Mais les Anglais auraient tort de s'offenser de pareilles attaques : La France n'est pas mieux traitée, la France pays de quêteurs qui viennent « demander la charité pour les œuvres que panachent les cercles et les gazettes ! »

 

L'abbé Groulx a écrit pp. 268 et 269 : « Entre temps ces bourgeois et ces bourgeoises, braves gens d'ailleurs, tiennent leur bourse ouverte à tous les quêteurs qui leur viennent de l'étranger et qui leur demandent la charité pour les œuvres que panachent dûment les cercles et les gazettes bon tient ». Ainsi l'auteur emploie le mot étranger, M du Roure écrit la France et il accole à ce nom le mot quêteurs. Comment qualifiez-vous le procédé ? Je l'appelle improbité littéraire. En vérité, ce n'est pas la peine de venir vivre ici pour tenir pareille attitude de professeur et de critique.

 

M. Louvigny de Montigny vient à la rescousse de M. du Roure. Les deux font la paire. Son intervention étonne tout d'abord. Servant depuis longtemps les sénateurs, on pensait qu'il avait atteint à leur sagesse : fumer la pipe et ne rien dire. Mais l'on est heureux de sa descente dans l'arène. Il représente lui aussi une école. On la reconnaît à certains mots dont M. de Montigny alourdit sa prose. Il dénonce « l'unanime béotisme québécois », « l’absolutisme plutôt moyenâgeux » du Père Fabien ; il supporte  mal des « distinctions scolastiques »  et, comme il l'écrit élégamment, le « lantiponnage casuistique »,  « l'arrêt de psychopompe ». Le lecteur  est vite fixé. Quand les plus dévoués serviteurs de notre race entendent dire à leur adresse : Cagot, crétins, béotiens, ils savent d'où  partent les coups.

 

Comme entrée en matière, M. de Montigny donne un coup de pied à l'Action française. Elle n'attendait pas autre chose de sa part. N'ayant jamais lu cette revue, ignorant les activités du groupe qui la dirige, M. de Montigny est à l'aise  pour la déclarer antifrançaise et n'y apercevoir qu'opiniâtreté  à détruire l'esprit français.

 

Entendons-nous sur cet esprit français. L’émancipation, d'orientale mémoire, se proposa elle aussi de propager chez nous l'esprit français. Est-ce à celui-là que M. de Montigny nous reproche d'être infidèles ? D'accord ; nous le lui abandonnons.

 

Certains Canadiens français parlent volontiers d'esprit français, de préférence dans les dîners ? prétexte  pour eux de faire des mamours aux Français. Mais regardez-les agir. Ils élèvent leurs enfants à l'anglaise ; leurs garçons et filles ne peuvent, à 15 ou 20 ans, que baragouiner quelques mots français. Ils ne prisent que les façons de penser et d'agir des Anglo-Saxons ; ils les veulent rendre dominantes en Amérique et pour cela combattent sans cesse tous ces mouvements d'idées, tous les hommes d'action qui se font ici les soutiens déclarés de l'âme française.

 

L'Action française n'entend pas de la sorte l'esprit français. Elle veut pour tous nos compatriotes l'intégrité française, et que leurs pensées et leurs actions en soient marquées. S'inspirer des idées et des sentiments de l'âme française ; emprunter à la France ses méthodes de culture intellectuelle ; puiser dans ses trésors de la vie spirituelle ; porter nos jeunes hommes à se laisser former par les maîtres de la pensée française ; par tous ces moyens acclimater pour toujours en Amérique le véritable esprit français, ce fut le dessein que poursuivit, avec d'autres groupes, l'Action française. Ceux qui la jugent avec impartialité reconnaissent qu'elle consacre à cette tâche, depuis dix ans, tous ses modes  divers d'activité. Mais pour avoir cet objectif et cette foi dans la pensée française, nous n'abdiquons pas le droit d'exercer quelque discernement  dans notre admiration pour les Français.  Ce n'est pas combattre  l'esprit français  que de se refuser à mettre dans son estime Caillaux et Malvy à côté  de Raymond Poincaré ou Charles Maurras, Zola à côté de Bourget, René du Roure à côté de Louis Gillet.

 

Après le coup de pied à l’Action française, M. de Montigny lance un pavé à M. du Roure. M. de Montigny insinue que M. du Roure n'écrivait sa chronique  que pour empêcher  Alonie des Lestres de s’élever « jusqu'au grand prix David ».  Ainsi donc, au dire de M. de Montigny, M. du Roure, membre du jury chargé d'attribuer ce prix, aurait pris les devants. Il aurait « cru opportun d'éclairer l'opinion des lecteurs » et, en même temps, celle de ses collègues du jury. Comment, après pareille observation, M. de Montigny peut-il parler de « l'intégrité littéraire » de M. du Roure ?

 

C'est raison nouvelle pour M. de Montigny de se réjouir de l'article de M. du Roure, de cette « fusée ravageuse dans l’aérostat, gonflé par l'unanime béotisme québécois ». Du bout de sa plume M. de Montigny veut piquer lui aussi ce ballon. L'opération manifeste surtout sa haine à l'adresse de M. l'abbé Groulx. Ils ressasse [sic] les rengaines de M. du Roure. M. de Montigny avait-il besoin de nous avertir qu'il n'aime ni Lantagnac ni ses idées ? On savait depuis longtemps qu'il ne partagerait jamais les inquiétudes d'ordre national d'un Lantagnac et qu'une telle attitude spirituelle le révolterait. Au jugement de M. de Montigny rien ne compte dans ce roman. Pour le démontrer M. de Montigny se contredit : Ce roman est à la fois une histoire et une légende ; on y retrouve trop de réel et trop de fiction ; Lanatgnac ressemble au physique à M. X. « modèle populaire », mais au moral en est l'opposé. L'auteur est coupable d'avoir calqué la coupe des vêtements de Lantagnac sur ceux de M. X., et  coupable de n'avoir pas reproduit exactement l'attitude que ce même monsieur X a tenu [sic] sur la question des écoles franco-ontariennes.

 

L'amusant c'est que M. de Montigny se constitue le défenseur de la morale. Pour être plus sûr de son affaire, il s'appuie sur un texte sacré. Il cite : « Quod Deus conjunxit, homo non separet". Fort de cette règle théologique, M. de Montigny classe le roman de M. Groulx « parmi les livres mauvais, et voire parmi les mauvais livres ». Il le voudrait mettre à l'index des ouvrages qui dégradent une littérature, l'y inscrire tout à côté des romans dont les pages exposent un adultère ou maltraitent un dogme.

 

 Mais comme M. de Montigny est nouveau dans ce rôle de censeur théologique, il s'embrouille tout aussitôt. Il trouve dans ce livre trop de morale; Lantagnac se laisse trop facilement diriger par le Père Fabien. « Car cette étude de mœurs, écrit-il, de par la personnalité de son auteur, justifiera à loisir les accusations que l'on adresse volontiers à nos représentants politiques de se laisser conduire aveuglément par leurs prêtres, de suivre un programme de vie publique dicté par eux, de subordonner les intérêts  de l’État aux exigences de leur église, de subir l'influence cléricale jusque dans la destruction de la famille. Rarement les orangistes  seront tombés sur un repaillage d'aveux aussi prononcés pour appuyer leur campagne anti-catholique et anti-française ».

 

M. de Montigny rejoint ici M. du Roure dans sa haine contre M. l'abbé Groulx. M. du Roure dénonce le roman d'Alonié des Lestres de peur qu'il ne contriste ses nouveaux maîtres. M. de Montigny songe, lui, aux organistes. La belle affaire ! Depuis quand devons-nous prendre mesure sur ces gens ? Priest- ridden ! Et ces deux modérés s'effarent.  Pourquoi avoir peur de cette influence de notre clergé ? Pourquoi M. de Montigny rougit-il de cette alliance ouverte  de quelques-uns de nos hommes publics avec nos prêtres ? Quand il  s'agit d'importantes questions nationales, n'est-il pas naturel qu'écrivains et politiques tiennent compte de l'opinion de nos chefs spirituels, que Lantagnac consulte le Père Fabien ? Pourquoi nous reprocherait-on cette harmonie entre nos guides ? Et qu'importent ]sic] que les orangistes s'en scandalisent. Mais l'on comprend que M. du Roure et M. de Montigny se rejoignent dans cette peur. C'est le sens national trop averti de M. l'abbé Groulx, c'est son attitude spirituelle qui les ont fait sortir tous les deux de leur sérénité. C'est bon signe. Leurs attaques  complètent le succès d'Alonié de Lestres ; elles prouvent que son livre se rattache au fil invisible qui relie nos meilleures traditions.

 

 

Source : Antonio Perrault  « L’appel de la race et ses détracteurs », dans Le Devoir,  27 janvier 1923, pp. 1-2. Article transcrit par Amanda Bennett. Révision par Claude Bélanger. Les erreurs orthographiques évidentes ont été corrigées.

Retour à la page de la controverse sur l'Appel de la Race

 

 

 
© 2013 Claude Bélanger, Marianopolis College