Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Sir Lomer Gouin
(1861-1929)

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Lomer Gouin, premier ministre à Québec pendant quinze ans, ministre de la justice à Ottawa dans la suite, puis lieutenant-gouverneur de la province, est né, aux Grondines, comté de Portneuf, le 19 mars 1861. Il est mort subitement, à Québec, au Parlement, dans l'exercice même de ses fonctions de gouverneur, le 28 mars 1929, à 68 ans.

Le premier ancêtre de la famille Gouin au Canada, originaire de Saint Jean d'Angély (Charente Inférieure actuelle), Mathurin Gouin, avait épousé, à Trois Rivières, en novembre 1663, Marie Madeleine Vien, dont il eut trois fils, Joseph, Pierre et Louis, qui ont fondé des familles et dont la postérité, très nombreuse, habite dans la région de Batiscan. Le docteur Nérée Gouin, le père du futur homme d'Etat, marié à Séraphine Fugère, et descendant de Mathurin à la sixième ou septième génération, pratiquait sa profession aux Grondines. D'une famille de huit enfants, Lomer était le sixième. Deux de ses frères aînés, des jumeaux, sont devenus prêtres et ont exercé le ministère dans le diocèse de Québec.

Lomer fit ses études au collège de Sorel, où se donnait alors un cours classique, et à celui de Lévis. Il suivit ses cours de droit à l'Université Laval de Montréal, et, en 1884, il était admis au barreau. Il fit tour à tour partie des études légales Pagnuelo et Taillon, Préfontaine et Saint Jean, Mercier et Lemieux, se classant très vite au nombre des avocats les plus distingués de la métropole.

Le ler mai 1888, l'avocat Lomer Gouin épousait Elisa Mercier, fille du premier ministre Honoré Mercier, de Québec. Plus tard, étant devenu veuf, il épousa en secondes noces, en 1911, Alice Amos, fille d'un riche industriel de Montréal. Cinq enfants sont nés de son premier mariage, dont deux ont vécu jusqu'à l'âge adulte et font largement honneur à son nom : les avocats Léon Mercier Gouin et Paul Gouin.

Dès 1891, Gouin fut échevin de Montréal, et, de 1897 à 1920, il représenta le comté de Portneuf à la Chambre de Québec. Ministre des Travaux Publics dans l'administration Parent en 1900, il devint lui même chef de l'administration et premier ministre à Québec en mars 1905. Il fut à la tête de la province pendant quinze ans, de 1905 à 1920. Démissionnaire à l'été de 1920, il fut nommé conseiller législatif. En 1921, il était élu, dans Laurier Outremont, pour la Chambre des Communes. Entré dans le cabinet de McKenzie King [sic], comme ministre de la justice, il le demeura jusqu'en 1923. Il s'occupa alors, ayant démissionné à Ottawa, de l'Université de Montréal, dont il était le président depuis 1920. Ses longs services, rendus à la chose publique, lui valurent, en janvier 1929, d'être promu au poste de lieutenant gouverneur de sa province. Le 28 mars suivant, alors qu'il se rendait au Parlement pour proroger la session, il fut foudroyé par une attaque d'angine et mourut, soudainement, après avoir reçu les secours de la religion.

Créé chevalier de l'ordre de Saint Michel et de Saint Georges en 1908, sir Lomer Gouin était aussi chevalier de la Légion d'honneur de France et commandeur de l'ordre de Léopold en Belgique. Il était, de même, docteur en droit des Universités de Montréal, de McGill, de Toronto et de Lennoxville.

De stature moyenne, pas très gros, mais d'épaules solides, avec une tête à lui tout seul et des traits rudements accentués, sir Lomer, même sexagénaire, respirait encore, par tout son aspect, l'énergie et la force. Il fallait le bien connaître pour savoir que, sous son extérieur plutôt froid et distant, il cachait une nature sensible, un cœur vibrant et tendre à ses heures. Maître de lui comme il en est peu, sachant avant tout vouloir, l'habitude du commandement en eut bientôt fait l'un de ces hommes dont on se dit en les voyant qu'ils sont des dominateurs. Il était évidemment né pour être un chef de peuple. Il en avait par nature ou par tempérament toutes les aptitudes et les goûts. Il s'était en plus constamment cultivé en ce sens, et, on peut l'ajouter sans diminuer son talent et sa valeur, les circonstances l'avaient bien servi.

Echevin de Montréal à 30 ans, député à Québec à 37 ans, ministre à 39 ans, Gouin s'affirma jeune. Chef pendant quinze ans d'une administration dont il fut, peut on dire, l'unique maître, il gouverna avec autorité et grande fermeté. Sa direction des affaires, je crois qu'on le reconnait en dehors de toute attache politique, fut constructive et progressive. Il fortifia les finances provinciales par le réajustement des subsides fédéraux, qu'il obtint du gouvernement Laurier; il favorisa l'instruction en fondant des Ecoles techniques, l'une à Montréal, l'autre à Québec, en établissant l'Ecole des Hautes Etudes commerciales à Montréal, en multipliant les Ecoles normales; il préconisa puissamment et rendit effective l'amélioration des chemins ou des routes par toute la province, mesure qui assura le succès du tourisme. Et tout cela, il le fit, dans l'intérêt de son parti sans doute, mais aussi avec une vue très nette des intérêts publics. Devenu ministre à Ottawa, son action personnelle se trouva un peu diminuée. et il ne put faire, je pense, tout ce qu'il aurait voulu. Il resta quand même l'un de nos hommes d'Etat les plus en vue et il jouit encore d'un grand prestige. Gouverneur à Québec, s'il eut vécu plus longtemps, il aurait certainement fait belle figure et continué dignement la forte lignée de nos représentants du roi dans l'ancienne capitale.

"Sir Lomer Gouin, disait le Canada Français de Québec -- une revue qui ne fait pas de politique -- quand il devint lieutenant-gouverneur en 1929, était tout désigné pour remplir ce haut poste de confiance. Ses éminentes qualités de l'esprit et du cœur, ses exceptionnels talents, merveilleusement servis par un travail soutenu, méthodique et opiniâtre, tous les admettent, tous les admirent. Mais ce qu'on aime plus particulièrement chez lui, c'est ce bel équilibre, résultante nécessaire d'un jugement sûr et pondéré, qui fait éviter les soubresauts de l'emballement et les incartades de l'inconstance . . ." Il aurait été difficile vraiment de mieux caractériser, en deux lignes, la manière de sir Lomer Gouin.

Lors du congrès eucharistique de Montréal, en septembre 1910, au dîner d'Etat offert, à l'hôtel Windsor, par la province, au cardinal Vannutelli, le légat de Pie X, sir Lomer Gouin, en ce temps premier ministre, en proposant le toast au pape, prononça une émouvante allocution, dans laquelle il affirma sa foi catholique avec une belle fierté. Il la terminait ainsi : "Ce titre de Père -- Notre Saint Père -- que nous aimons à donner au chef de la catholicité, nous sentons, en le prononçant, ce que l'affection a de plus tendre s'unir en nous à ce que le respect a de plus profond. On nous accuse parfois d'obéir, en la personne du pape, à un chef étranger. Etranger? Peut il l'être pour quelqu'un, celui qui est un bienfaiteur universel, celui qui a relevé la dignité humaine, celui qui a donné au monde, après les avoir reçues et comprises au calvaire, la vraie liberté, la vraie égalité et la vraie fraternité ? Nous reconnaissons l'Etat libre et indépendant dans les choses temporelles. Mais, dans les choses spirituelles, nous tenons que le pape a le monde pour royaume, qu'il est le père de la catholicité tout entière. Et, comme nous sommes ses enfants, c'est notre droit autant que notre devoir de tresser autour de sa tête une couronne faite de confiance, d'amour et de prière."

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 201-207.

 
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