Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Monsieur Arthur Dansereau

(1844-1918)

 

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Arthur Dansereau, journaliste à Montréal, longtemps rédacteur en chef de La Minerve et plus tard directeur politique de La Presse, publiciste éminent qui exerça pendant cinquante ans une large et profonde influence sur les hommes de sa génération, est né à Contrecoeur, dans le comté de Verchères, le 5 juillet 1844. Il est mort à Montréal, où s'est écoulée presque toute sa carrière, en avril 1918, à 74 ans.

Son père, Clément Dansereau, et sa mère, Louise Fiset, de bons et solides chrétiens à la manière des anciens, habitaient, à Contrecoeur, la paroisse voisine de Saint Antoine sur-Richelieu, où était né Cartier en 1814, et M. Dansereau père était un grand ami en même temps qu'un électeur de l'homme d'Etat qui fit la Confédération. Après ses années d'école à Verchères, Arthur entra au collège de l'Assomption et y suivit son cours classique de 1855 à 1862 (23ème cours). Il s'y distingua par de brillants succès. Les cahiers d'honneur de l'institution en témoignent copieusement et l'on sait aussi, ce qui veut dire beaucoup, que c'est le jeune Dansereau qui, étant en philosophie, rédigea, sous la direction du "redoutable" M. Norbert Barret, supérieur de 1860 à 1866, les première Annales du collège, lesquelles ont été publiées, en une plaquette d'une cinquantaine de pages, chez Sénécal à Montréal, en 1864.

Son cours terminé, à 18 ans, en 1862, le jeune Arthur se décida pour l'étude du droit. Le père Dansereau, a t on raconté, conduisit son fils à Montréal, chez son ami Georges, comme on disait familièrement, dans Verchères, de Cartier, le grand homme dont on était si fier. "Clément, dit aussitôt Cartier à son vieil ami, ton garçon n'entrera pas dans mon bureau. Il se fait trop de politique ici." Et il lui conseilla de le placer au bureau de Désiré Girouard, dans la suite juge de la cour suprême. C'est donc à l'étude légale de Girouard qu'Arthur Dansereau manipula son code, tout en s'inscrivant aux cours de droit du McGill. En 1865, à 21 ans, il était bachelier en loi, et, la même année, on l'admettait au barreau. Mais le nouvel avocat écrivait déjà dans La Minerve depuis 1862. Ses goûts et ses aptitudes le portaient irrésistiblement, il le sentait et on s'en rendait compte autour de lui -- même Cartier qui avait d'abord voulu l'en détourner -- vers le labeur, pénible et ingrat souvent, supérieurement attrayant toujours, pour ceux qui ont le don, du journalisme militant. Je ne sache pas qu'il ait jamais plaidé. Il ne tarda pas, d'autre part, à se tailler une belle place dans les rangs des publicistes en vue.

C'est à La Minerve, où il écrivait n'étant qu'étudiant, qu'il fit la première partie de sa carrière. C'était, à l'époque, le principal organe conservateur, qui bataillait pour les idées de Cartier et de MacDonald. En 1866, Dansereau y remplaçait Provencher à la direction. En 1872, il en devint même l'éditeur-propriétaire, tout en continuant d'en être le rédacteur en chef, et cela pendant une dizaine d'années. En 1882, quand La Presse eut été fondée à Montréal par Alphonse Nantel et Blumhart, Dansereau en devint presque aussitôt le directeur. L'année suivante, il était chargé par le gouvernement Mousseau de mettre sur pied la bibliothèque du Parlement provincial, et il faisait, dans ce but, un voyage d’études et de recherches en Europe, s'acquittant de sa mission avec un plein succès. Revenu au pays, il reprit sa plume de rédacteur et directeur à La Presse. En février 1892, le gouvernement d'Ottawa nommait Dansereau maître des postes à Montréal. Quelques années plus tard, en 1899, il démissionnait de cette fonction, où il s'ennuyait sans doute, pour retourner au journalisme actif et à La Presse, dont il redevint le directeur politique. C'est lui, a raconté L. O. David, qui décida Trefflé Berthiaume à faire l'acquisition du journal, bientôt si puissamment organisé. Dansereau garda son fauteuil de directeur à La Presse, en dépit de plusieurs fluctuations, avec une maîtrise reconnue de tous, jusqu'à la fin de sa carrière. En octobre 1907, ses amis, et il en avait dans tous les partis, fêtèrent avec éclat, par un banquet au Canadian Club, ses quarante cinq ans d'entrée dans le journalisme. Seule la maladie, qui devait l'emporter en 1918, put le contraindre, peu auparavant, à une retraite complète. "Le plus vieux et l'un des plus instruits et des plus forts journalistes de son temps, écrivit David sur sa tombe, Dansereau, pendant près d'un demi-siècle, a brillé au premier rang dans l'état-major du journalisme."

Au cours de sa longue carrière, Dansereau a pris part, dans La Minerve et dans La Presse, à bien des luttes et bien des combats. Il avait l'art de tourner l'article du jour avec un souci constant de l'actualité, une souple habileté et un accent de conviction au moins apparent qui entraînait. Confident de tous les chefs politiques, les uns après les autres, il connaissait le dessous des cartes et il évoluait, avec une aisance sans pareille, dans les exposés à faire, pour l'affirmative ou pour la négative, sans même redouter les contradictions. A l'occasion, il traitait de théologie ou de sociologie, d'histoire ou de sciences, avec une assurance imperturbable, laquelle pourtant ne se justifiait pas toujours. S'il se trompait, ce qui est très humain, il avait une manière à lui de s'expliquer sans en avoir l'air, et il réussissait à se tirer d'affaire sans qu'il y parût beaucoup. Les initiés seuls comprenaient, la masse n'y voyait que du feu. Tout en n'étant pas d'une correction impeccable, sa plume était alerte et facile, et sa vaste érudition lui permettait de l'alimenter chaque jour abondamment.

Les grandes questions, pour lesquelles il se passionnait, celle de la Confédération en 1866 et 1867, celle du Pacifique Canadien en 1870, 1872 et 1880, celle du Chemin de fer du Nord en 1881 ou 1882, celle du Grand Tronc Pacifigue en 1903, le tinrent des semaines et des mois sur la brèche, jamais déconcerté, toujours prêt à l'attaque ou à la riposte. Il batailla ferme et allègrement pour toutes les mesures qu'il jugeait progressives. Confident de Cartier en sa jeunesse, grand ami de Chapleau plus tard, soutien de Laurier sur la fin, il ne s'embarrassait guère de ce qu'il avait pu écrire précédemment. Il eut, je pense, souscrit très volontiers à ce qu'écrivait récemment, dans une revue de France, M. Louis Barthou, l'homme d'Etat bien connu: "Mauvais éloge d'un homme que de dire de lui: « Son opinion politique n'a pas varié depuis quarante ans. » C'est dire que pour lui il n'y a eu ni expérience de chaque jour, ni réflexion, ni repli de la pensée sur les faits. C'est louer une eau d'être stagnante, un arbre d'être mort, c'est préférer l'huître à l'aigle. Tout est variable au contraire dans l'opinion. Rien n'est absolu dans les choses politiques, excepté la moralité intérieure de ces choses . . ." ; C'est là une doctrine un peu élastique peut être, mais combien de gens la pratiquent ! En tout cas, Dansereau, conseiller des uns, défenseur des autres, pourvoyeur d'idées et d'arguments pour beaucoup, fut longtemps, derrière la scène, embusqué dans son journal, une sorte d'Eminence grise, comme le Père Joseph au temps de Richelieu. Ainsi que l'écrivait DeCelles, au lendemain de sa mort : "Toutes les grandes polémiques du temps le virent sans cesse, au plus fort de la mêlée, avec sa plume redoutable comme une épée."

J'ai connu M. Dansereau, paroissien fidèle de la cathédrale, en ses dernières années. Je l'ai même assisté à l'heure suprême. Je puis lui rendre le témoignage qu'il aimait ardemment son pays, les gens de sa race et leurs fortes traditions, et aussi qu'il avait gardé bien ancrée au fond de l'âme la foi des aïeux. Ses conversations, nourries de souvenirs de toutes sortes, étaient instructives et intéressantes au plus haut point. Tant qu'il le put, avec beaucoup de difficultés sur la fin, se soutenant à peine sur ses béquilles, assisté de sa dévouée fille, Mlle Jeannine, il se rendait à l'église pour recevoir la sainte communion. "C'est à moi d'aller au bon Dieu, me disait il, ce n'est pas au bon Dieu de venir à moi." On sentait que sa foi était solide comme un roc.

Son agonie fut longue, mais paisible. Il s'endormit dans la mort, conscient "d'avoir fini son tour", ainsi qu'il disait lui même, et plein de confiance en la miséricorde divine.

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 181-187.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College