Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

L'Honorable Pierre-Joseph-Olivier Chauveau

(1820-1890)

 

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

PIERRE Joseph Olivier Chauveau, ancien premier ministre à Québec et ancien président du sénat, qui fut longtemps surintendant de l'Instruction publique de notre province, puis shérif à Montréal, naquit à Québec, le 30 mai 1820. IL mourut à Montréal, le 4 avril 1890, à 70 ans.

La famille Chauveau était d'origine bordelaise en France. Le premier ancêtre venu au Canada s'était établi à Charlesbourg en 1707. Pierre Charles Chauveau et Marie Louise Roy, les père et mère de Pierre Joseph Olivier, demeuraient à Québec, et ils moururent jeunes. L'enfant, orphelin dès son bas âge, fut adopté par son oncle maternel, le juge Hamel. Il fit ses études classiques au séminaire de Québec avec de grands succès. Il les termina très jeune, à l'âge de 16 ans. A 21 ans, il était admis au barreau de l'ancienne capitale. N'étant encore qu'étudiant, dès 1837, il collaborait déjà au Canadien de Québec et au Courrier des Etats Unis. En novembre 1844, il brigua les suffrages des électeurs de Québec et l'emporta sur John Neilson à une forte majorité. Il devait être réélu jusqu'en 1855.

Chauveau fit partie du ministère Hincks Morin en 1851, puis du ministère McNab Morin en 1854. On lui confia, en 1855, la charge de surintendant de l'Instruction publique, où il succédait à Meilleur, et qu'il occupa jusqu'en 1867. En 1866, il fit le voyage d'Europe, pour étudier les divers systèmes d'éducation en vigueur en Angleterre, en France, en Belgique, en Allemagne et en Italie. A la Confédération de 1867, Chauveau quitta la surintendance de l'Instruction publique et devint premier ministre à Québec. Il dirigea le premier gouvernement de la province, pendant six ans, de 1867 à 1873. Nommé sénateur à Ottawa en 1873 et porté tout de suite à la présidence de la Chambre haute, il s'y distingua par sa pondération et son impartialité. En janvier 1874, il démissionnait comme sénateur pour se présenter, candidat à la Chambre des Communes, dans le comté de Charlevoix. Mais il fut défait par le tribun Pierre Tremblay. Il fut alors nommé à la Commission du hâvre [sic] de Québec, dont il devint en même temps le président. En 1877, le cabinet de M. de Boucherville lui offrait les fonctions de shérif à Montréal. Il accepta et occupa cette situation jusqu'à sa mort en 1890.

Quand, en 1878, l'Université Laval établit sa succursale à Montréal, Chauveau fut choisi comme titulaire de la chaire de droit romain, et, 1885, il succédait à Cherrier en qualité de doyen de la faculté de droit. Chevalier de Saint Grégoire et Commandeur de l'ordre de Pie IX, M. Chauveau, à sa mort, était aussi officier de l'Instruction publique de France et membre correspondant de plusieurs sociétés savantes. L'Université Laval l'avait également honoré du doctorat en droit et du doctorat en lettres. Membre de la Société Royale du Canada, à sa fondation en 1882, il en devint le premier président de langue française pour l'exercice de 1883 1884.

M. Chauveau avait épousé à Québec, en 1838, Flore Massé, une pieuse et digne femme, dont il eut plusieurs enfants. L'une de ses filles s'est faite religieuse de la Congrégation de Notre Dame et l'un de ses fils, Alexandre, professeur à Laval, est devenu juge des sessions à Québec, après avoir fait partie du cabinet provincial de M. Joly de Lotbinière.

Au milieu de ses soucis politiques et tout en remplissant avec exactitude ses diverses fonctions publiques, Chauveau, qui avait le goût inné des lettres et un beau tempérament d'orateur, a su trouver le temps d'écrire de bonnes pages et plusieurs de ses discours sont restés mémorables. Dans sa jeunesse, il tournait fort gentiment des vers. Sans être bien extraordinaires, ses Joies naïves, son Donacona et ses Oiseaux de neige, d'autres pièces encore, ont de l'allant et de la tenue. Ses articles et ses chroniques, publiés dans divers journaux et revues, le Journal de l'Instruction publique, par exemple, et l'Opinion publique, sont d'une bonne prose, correcte et ferme, notamment sa remarquable étude sur Carneau, qui date de 1883. Son roman de mœurs canadiennes, Charles Guérin, qu'il écrivit, je crois au temps où il était surintendant, que la Revue canadienne en tout cas a publié en 1898 et 1899, n'est pas sans doute un chef-d’œuvre. On a dit que, dans sa pensée, ce n'était qu'une ébauche. Mais il y a, dans ce récit de choses et de faits canadiens, des traits et des observations qui sont bien du terroir et se goûtent encore après cinquante ans. A cette époque où, les classiques terminés, l'on se formait à peu près tout seul, l'ancien surintendant a le mérite de s'être vraiment distingué.

On cite volontiers, dans nos modestes anthologies, entre autres de ses discours, celui qu'il prononça lors de l'inauguration du monument des héros de Sainte Foy, en 1855, et celui qu'il fit sur la tombe de Garneau, en 1867. Lisez, dans ce dernier, et vous en serez édifié, l'éloquente profession de foi du premier ministre qu'il était à ce moment : "Nous ne pouvons, Messieurs, il est vrai, pénétrer les mystères de l'autre vie ! Mais nos croyances nous enseignent que nous y pouvons encore quelque chose, que ce n'est pas en vain que la sainte prière se répand, avec l'encens et les larmes, sur la tombe de nos amis, et que, enfin, la grande solidarité humaine ne finit pas avec la mort. Cette admirable trilogie de l'Eglise militante, de l'Eglise souffrante et de l'Eglise triomphante, si elle n'était pas un dogme, serait encore la plus belle des conceptions philosophiques. Reliant notre monde à l'autre, elle bannit les sombres terreurs et fait briller sur le redoutable passage du temps à l'éternité la douce lumière de l'espérance qu'allume la foi et que nourrit la charité.".

Quelques unes des chroniques de Chauveau, celles notamment qu'il a données (de Québec), en 1875 1876, à l'Opinion publique de Montréal, sont signées P.C. (Pierre Chauveau). Le plus souvent, il signait ses articles en faisant précéder son nom des trois initiales de ses prénoms, à la mode anglaise, P. J. O. Chauveau.

J'ai connu M. Chauveau en 1884, au congrès national de la Saint Jean Baptiste, qui se tint, cette année là, en juin, dans la salle du Gésu, rue Bleury, à Montréal. C'est lui qui présidait le congrès, lequel dura trois jours, et il assista à toutes les séances. Il était alors shérif de la grande ville et professeur à l'Université. Bien qu'il n'eut encore que 64 ans, il m'apparut comme un petit vieillard, plutôt malingre et chétif et de santé débile, mais de figure intelligente et distinguée, qu'encadraient de beaux favoris blancs et que couronnaient des cheveux pareillement enneigés, avec une belle tête, au front vaste, à l’œil clair et pénétrant, et dont la voix cassée et chevrotante portait naturellement dans les notes aiguës. J'étais jeune écolier à ce temps-là, et M. le président me fit une vive impression. Je me rendis compte qu'il était l'un de nos grands Canadiens de l'heure, ce que, d'ailleurs, tout le monde affirmait autour de moi.

En sa qualité de président, M. Chauveau présentait tour à tour les orateurs du congrès, et il y en eut beaucoup durant ces trois jours ; Mgr Fabre, Mgr Laflèche, le curé Labelle, Chapleau, Mercier, Laurier, Routhier, Ferdinand Gagnon, Charles Thibault, Joseph Royal et plusieurs autres. Le digne président s'acquittait de sa tâche avec une belle aisance et infiniment d'à propos. En voici un exemple. M. Joseph Royal, plus tard lieutenant gouverneur des Territoires du Nord Ouest, qui, encore jeune (un peu plus de 40 ans)., s'était fait un beau nom, au barreau, dans le journalisme et dans la vie politique, allait prononcer son discours comme représentant des Canadiens de l'Ouest. "Messieurs, dit en substance M. Chauveau, l'orateur que j'ai l'honneur de vous présenter n'est pas un inconnu pour vous ni pour moi non plus. Dans cette même salle du Gésu, je présidais un jour, il n'y a pas loin de trente ans, en ma qualité de surintendant de l'Instruction publique, une distribution solennelle des prix. Un jeune élève d'alors vint si souvent recevoir des prix et des couronnes que, lui mettant la main sur la tête, je me laissai aller à lui dire : "Continuez, mon jeune ami, et vous irez loin." Je ne croyais pas, Messieurs, être si bon prophète ! L'orateur que je vous présente, en effet, est allé loin en plus d'un sens. C'est l'honorable M. Royal, avocat, écrivain, journaliste, ancien député et ancien ministre, qui nous arrive de notre immense Ouest canadien. "

Chauveau, qui a débuté jeune dans la vie publique et occupé très tôt des situations élevées, n'a pas été, je pense, comme Lafontaine, Morin ou Cartier, et, après lui, Chapleau Mercier ou Laurier, un homme politique de première grandeur. C'est peut être comme orateur et comme écrivain qu'il a surtout marqué dans notre histoire. Il a laissé, en tout cas, "le souvenir d'un citoyen intègre, d'un homme d'honneur et d'un chrétien convaincu", ainsi qu'a écrit Routhier, qui fut généreusement dévoué aux choses de l'éducation et dont les activités variées ont rendu, à son pays et à ses compatriotes, d'importants et précieux services.

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 60-67.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College