Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Monsieur Napoléon Bourassa

(1827-1916)

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Napoléon Bourassa, artiste et écrivain, de descendance acadienne, qui a fait honneur à sa génération et devança peut être son époque, était né à L'Acadie, sur la rive sud, pas très loin de Montréal, le 21 octobre 1827. Il est mort, à Lachenaie, où il se trouvait en séjour d'été, le 27 août 1916, à l'âge avancé de 89 ans.

Ceux qui, comme moi, l'ont connu, aux dernières années de sa vie, se rappellent sans doute ce beau vieillard, tout blanc, pas très grand, à la figure intelligente et fine, un peu mélancolique peut être, qui se tenait toujours droit et paraissait si digne. A le voir passer, assister à quelque office religieux ou à quelque conférence, on s'imaginait être en présence de l'un de ces gentilshommes d'autrefois, affables, courtois et bienveillants toujours, qui savaient garder pour eux leurs chagrins et leurs peines, qui semblaient moins pressés que les gens affairés que nous sommes et qui prenaient, eux, le temps de vivre. En nos jours, où tout se fait à la vapeur et à l'électricité et où l'on court partout en automobile sinon en avion, ce beau et digne vieillard, comme certains vieux curés de ma connaissance, personnifiait un autre âge. Cela reposait rien que de le voir, et cela édifiait aussi.

Napoléon Bourassa a été, chez nous, un pionnier des lettres et des arts, et, en même temps, un maître qui a compté peu de disciples à sa hauteur. Littérateur, conférencier, musicien, peintre, sculpteur, architecte, il fut tour à tour l'un ou l'autre ou tout ensemble l'un et l'autre avec une supériorité peu commune.

Sa vocation artistique se révéla de bonne heure, alors qu'il était encore jeune écolier au collège de Montréal, où il étudia de 1840 à 1848. L'un de ses maîtres, le sulpicien Barbarin, musicien des mieux doués et grand ami des lettres et des arts, fut pour lui comme un inspirateur et un initiateur. Au sortir du collège cependant, comme tant d'autres cela semblait alors une nécessité -- il dut s'acheminer vers une profession libérale et choisit l'étude du droit, mais sans beaucoup d'enthousiasme. Il n'y avait pas de cours universitaire à Montréal en ce temps là. Il entra comme "clerc" au bureau légal de Normand Dumas, un excellent avocat et un homme d'esprit. Mais ça ne prenait guère et le maître en basoche et son "clerc" convinrent bientôt l'un et l'autre que l'étudiant n'était pas dans sa voie. Un jour, a t on raconté, étant chez lui, dans sa famille à L'Acadie, le jeune homme rêvait à son idéal. Assis devant le foyer, il couvrait de figures fantaisistes, avec son crayon, le costume de toile blanche dont il était vêtu. Sortant soudain de sa rêverie, il dit à sa mère en lui montrant ses "dessins" . "Ma vocation, la voilà ! Je serai artiste-peintre." Quelques mois plus tard, il était à Québec, le pinceau à la main, dans l'atelier de Théophile Hamel, le meilleur portraitiste de son temps. Celui ci ne tarda pas à trouver chez son élève des dispositions remarquables. Il s'intéressa à son avenir. Bientôt, grâce à l'appui du curé Charles LaRocque, de L'Acadie, le futur évêque de Saint Hyacinthe, il décida son père à l'envoyer étudier en Europe. En 1856, Napoléon Bourassa revenait d'Italie. Sa carrière d'artiste commençait. Elle devait se poursuivre plus de cinquante ans. Un an après son retour d'Europe, en 1857, le jeune artiste épousait à Montebello, où l'un de ses frères était curé, Azélie Papineau, la fille de Louis Joseph Papineau, le célèbre tribun et homme politique bien connu. Plusieurs enfants sont nés de ce mariage, entre autres, pour ne nommer que les garçons, le regretté abbé Gustave Bourassa, ancien secrétaire de l'Université, et M. Henri Bourassa, le député de Labelle.

Tout le monde sait que Napoléon Bourassa est l'auteur de Jacques et Marie, ce touchant roman historique, digne frère de l'Evangéline de Longfellow, qui s'esquisse dans le cadre si émouvant du "grand dérangement" de l'Acadie de 1755, et qui est, je pense, avec les Anciens Canadiens de Philippe Aubert de Gaspé et le Jean Rivard de Gérin Lajoie, ce que nous avons de mieux dans notre très modeste production de romans d'avant 1870. Mais l'on sait moins peut être que Bourassa a publié quantité d'autres nouvelles, conférences et articles, écrits toujours d'une plume alerte et élégante, dans divers journaux et revues, notamment dans la Revue canadienne, dont il fut le premier directeur en 1864 et à laquelle il a collaboré longtemps.

Conférencier disert et agréable, plutôt qu'orateur entraînant, il a pris souvent la parole devant nos auditoires les mieux choisis et dans nos milieux les plus distingués, depuis par exemple cette conférence sur Naples et ses environs, qu'il fit en 1860 au Cabinet de lecture de Notre Dame, jusqu'à cette délicieuse causerie sur Nos grand'mères, qu'il donna, cinquante ans plus tard, chez les Sourdes-Muettes, à Montréal, à un groupe de dames de charité. Toujours on accourait l'entendre de partout et jamais il ne lassait ses auditeurs. Il avait le charme !

Architecte et peintre, on lui doit, à Montréal, la décoration de Nazareth, la construction et la décoration de Notre Dame de Lourdes, un vrai bijou chapelle, à SaintHyacinthe, le couvent des Dominicaines, à Fall River, l'église Sainte Anne, à Montebello la jolie petite église qui est, a t on dit, l'une de ses plus charmantes créations. On mentionne, parmi ses meilleurs tableaux, une Apothéose de Christophe Colomb, grisaille de grande allure, une Mort de saint Joseph, une Méditation, une Peinture mystique . . . Et que d'autres oeuvres, son pinceau, son ciseau ou ses crayons ont produites, qui mériteraient mieux qu'une mention au fil de la plume !

Bourassa, je tiens à le souligner, et il le fait bien voir dans toutes ses oeuvres, était un croyant sincère et convaincu. "Les jouissances des sens, écrivait il un jour, s'en vont en poussière, il n'y a d'éternel que la vie de l'âme, la vie laborieusement employée au perfectionnement de soi même et de ses semblables, à l'assimilation du beau humain au beau divin . . ." Elever son âme et celles des autres pour les faire vivre davantage d'une vie plus haute, tel a été le noble but, en effet, auquel le maître a constamment tendu.

"La physionomie de l'artiste que fut Napoléon Bourassa, disait un anonyme dans la Revue canadienne d'octobre 1916, séduit, plus encore que la durée de sa carrière, par tout ce qu'elle révèle d'exquise valeur morale et intellectuelle. La religion, la patrie, la famille, les amitiés, les lettres et les arts, tout a été embrassé par cet esprit large et délié, quoique contenu toujours dans une forme discrète . . . Dans l'histoire de tous les pays, il y a l'époque d'obscure et généreuse souffrance de tous ceux qui en sont les pionniers. Bourassa fut ainsi un homme de désir et de souffrance dans ses laborieux efforts à produire l'acclimatation du grand art au Canada. Mais il aimait son art et son pays. S'il eut dans sa vie des heures de profonde tristesse, il ne connut jamais l'aigreur. Pour alimenter son art, il avait plus encore que son dévouement au sol natal . . . En toutes choses, il recherchait l'idée générale, la concordance des hommes, des idées et des faits. Son art fut la profession et l'enseignement de ce qu'il a appelé lui même les principes universels d'existence et d'harmonie dans l’œuvre du créateur." Et M. Thomas Chapais écrivait de même, au lendemain de sa mort : "L'écrivain et l'artiste éminent que fut Napoléon Bourassa était en même temps le meilleur, le plus distingué et le plus charmant des hommes. Chez lui, les dons du cœur égalaient ceux de l'esprit. L'on voyait briller en sa personne les qualités et les vertus qui font l'honnête homme et le gentilhomme."

Napoléon Bourassa a été, chez nous, un précurseur trop souvent incompris. Son tort ou son malheur, à l'encontre d'Alfred de Musset, qui était venu trop tard dans un monde trop vieux, fut de venir trop tôt dans un monde trop jeune.

Le 23 septembre 1928, on célébrait par de jolies fêtes, à Montebello, le centenaire de naissance de Napoléon Bourassa, comme on l'avait fait, en septembre 1924, à Yamachiche, pour Gérin Lajoie. M. le juge Fabre-Surveyer, M. le professeur Lagacé, M. le docteur Prince et quelques autres prononcèrent des discours. Au nom de la famille, M. Henri Bourassa, le fils du grand artiste, remercia. Il avait une tâche délicate à remplir. Mais il est un virtuose de la parole et un homme au grand cœur. Il sut trouver, en des réminiscences touchantes, les accents qui convenaient. Librement, fièrement et modestement quand même, il rendit à l'artiste, à l'homme d'honneur et au chrétien sincère qu'avait été son père, le plus discret et en même temps le plus vibrant des hommages. Je pensais, en l'écoutant, à son regretté frère, l'abbé Gustave, qui eut, lui aussi, avec son esprit fin et son cœur délicat, trouvé sans peine les mots voulus, s'il eut été avec nous en ce jour d'apothéose. Et je me disais que, vraiment, si Napoléon Bourassa fut un grand artiste, il aura été tout autant un heureux père. Ce n'est pas souvent qu'un pareil père peut être justement loué par de tels fils !

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 78-85.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College