Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juillet 2005

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Histoire de la Louisiane française

Chapitre VIII

La Régie des Commissaires du Conseil

(1721-23)

 

Le 15 avril 1721, les quatre « Commissaires du Conseil, députés par le roi pour la régie des affaires de la Compagnie des Indes », les sieurs Fagon, de Machault, Ferrand, Trudaine - remplacé par Dodun après sa mort (août 1721) - entraient en fonctions. Ils déterminèrent aussitôt la composition du Conseil colonial : M. de Bienville, M. Leblond de La Tour, les deux lieutenants de roi de Boisbriand et de Châteauguay, M. Duvergier, directeur-ordonnateur, M. Delorme, second directeur, les directeurs et sous-directeurs des comptoirs, tenus à se réunir tous les matins au Biloxi, leur lieu de résidence, sauf le gouverneur, autorisé sur sa demande à se fixer à la Nouvelle-Orléans; Biloxi, Mobile, Alibamons, Natchez, Yazous, Natchitoches, Arkansas, Illinois, répartis en 4 commandements généraux, sous les ordres des officiers supérieurs. Mais pour protéger les colons contre les exactions passées et les accapareurs, l'on interdit aux commis tout commerce, achat de propriétés, etc.

 

Comme représentants de la Compagnie des Indes, mise sous leur tutelle, les Commissaires se croyaient forcés de tarifer toutes les denrées, de manière à lui procurer le gain le plus élevé possible. Suivant la situation des postes, le taux montait de 50 à 100 % des bénéfices sur le prix de France. Que l'on juge du revient en détail. Puis ils fixèrent les prix du tabac, du riz, du blé sur le marché. Les troupes coloniales seraient portées à 17 compagnies - 16 françaises et une suisse - et l'effectif ainsi distribué : 2 à Mobile, aux Alibamons, aux Illinois, 1 sur l'Ouabache et 1 au Missouri, ainsi que dans les 5 autres postes principaux. La somme annuelle de 75,000 liv. était fournie par le Trésor et affectée aux fortifications. Pourquoi n'envoyait-on pas aussi des ouvriers, des artisans, des matériaux, des métiers et des outils? La volonté de réparer les erreurs du passé était visible et sincère, mais elle se brisa devant une situation anormale. En France, on chansonnait le Mississipi. La Louisiane était tombée dans « un décri général ».

 

Aussi, dès 1721, nulle émigration. Au pays, les billets discrédités, seule monnaie d'échange, perdaient 80 % de leur valeur : le Conseil expédia des sommes importantes en espèces de cuivre. Bientôt les revendeurs méprisèrent toutes les ordonnances officielles. Mal nourris, les soldats réclamaient et désertaient : à l'automne de 1721, la garnison des Alibamons prit, avec armes et bagages, le chemin de la Caroline; un peu plus tard, la compagnie suisse passait à Charleston (Lett. de Nicholson, 18 et 29 août 1722). A la Nouvelle-Orléans, à Mobile, au Biloxi, des bandes conjurées enlevaient les bateaux pour fuir aux Espagnols et aux Anglais. Cependant au 1er juillet 1722, la Régie avait fait passer pour un million et demi de vivres et de marchandises. Seuls les commis et directeurs en profitaient : ils laissaient les habitants et les soldats manquer de tout. M. de La Chaise s'en prit à l'indifférence du gouverneur, qui, par son mandat, passait pour responsable des agissements néfastes de ses subalternes. Aux Arkansas, il ne restait des Allemands de Law (janvier 1723) que 43 hommes, 8 femmes, 2 enfants, 45 nègres et 3 esclaves indigènes; mais d'autres, disséminés aux alentours, ont réussi dans leur culture du blé européen : ces familles ont servi de noyau aux nombreuses familles du siècle suivant. Aux Natchez, la concession de Sainte-Catherine « fait merveille ». Il en est ainsi, en aval, pour la plupart des terrains cultivés. Mais un ouragan de septembre 1722 vint presque tout ravager, ainsi que des pluies torrentielles. Par un acte des plus heureux, la Régie des Commissaires transféra à la Nouvelle-Orléans les services installés au Biloxi: c'est que M. de Pauger, ingénieur de la Balise, avait réussi à faire franchir les passes aux vaisseaux à décharger.

 

En juin 1722, le déménagement commença, grâce à l'énergie de M. de Bienville et de M. de La Tour; et, quelques mois après, on abandonnait le Biloxi. La capitale se réduisait à une centaine de baraques et ne comptait que 470 âmes, en novembre : 145 hommes dont 16 officiers et commis, 44 ouvriers ou matelots au service de la Régie, 42 forçats, 65 femmes, 38 enfants, 29 domestiques, 172 nègres, 21 esclaves sauvages. L'ouragan du 12 septembre renversa les deux tiers des maisons et le croupissement des inondations enleva quantité d'habitants et la plupart des ouvriers : selon M. d'Artaguette, on enterrait 5 à 9 personnes par jour, mortes des fièvres malignes. Une digue puissante vint plus tard en garantir la salubrité. La Balise soutint le double rôle visé par l'indomptable fondateur: entrepôt général et comptoir d'échange avec les bâtiments espagnols de passage.

 

Le Conseil des Quatre porta aussi sa sollicitude vers le poste des Illinois; il y créa un Conseil provincial, composé de M. de Boisbriand président, de M. de La Loire commis principal, M. de Chassin garde-magasin et d'un greffier (19 -mai 1722). Les directeurs malheureusement ravitaillaient à peine le district lointain : un convoi prenait six mois parfois pour s'y rendre et pas à moins de 7 à 8,000 liv. Faute de ressources, Philippe Renault était réduit à l'inaction, bien qu'il eût découvert des mines de charbon, des gisements de plomb pour les usages locaux. Et les hardis Renards poussaient sans cesse leurs incursions jusqu'au fort de Chartres, coupant les communications avec le Canada. L'active culture du blé y mettait l'aisance et la joie.

 

M. Renault fondait (1723) le village de Saint-Philippe. Le Conseil (8 déc. 1722) fit nommer deux commissaires extraordinaires pour apurer les comptes des marchandises et effets envoyés depuis 1717, entendre les plaintes des habitants. Et il supprima les postes de Duvergier et de Delorme, directeurs, et il organisa ainsi le nouveau Conseil colonial (19 décembre) : à M. de Bienville président, les présents aux Sauvages et les affaires indiennes; à M. de La Tour, les fortifications et l'artillerie; à M. Brulé premier conseiller, la caisse générale et le magasin des produits coloniaux, la correspondance avec les commis de l'intérieur, les concessions, les revues des troupes; à M. Fazende second conseiller, le déchargement des vaisseaux, le magasin des marchandises de France, la marine, le commerce avec les Espagnols; à M. Perry troisième conseiller, l'inspection des livres et comptes de tous les postes, la plantation des mûriers et la soie, la fabrication du goudron et du brai, la culture de l'indigo et du tabac, l'envoi des pièces de charpentes et de mâts; à M. Guilhet conseiller, les affaires religieuses et d'assistance, des ouvriers et des esclaves de la Compagnie, des engagés, fraudeurs et vagabonds; à M. Masclary conseiller, la justice de paix et la police de la capitale, la tenue des actes de l'état civil et la poste; à M. Fleuriau conseiller, la charge de procureur général, la poursuite des débiteurs de la Compagnie, l'exécution des ordonnances et les règlements de la régie. Le Conseil dressa même un état des employés par poste et par bureau. Mais il ne serait pas sur place pour surveiller l'application de ses réformes.

 

Il faut aussi mentionner les explorations de l'Ouest accomplies par d'infatigables pionniers, au nom du roi (1718-24) : celle de Bénard de La Harpe sur la Rivière-Rouge, celle de M. de Tisné sur l'Arkansas, celle de M. de La Harpe à la baie Saint-Bernard, celle de Vényard de Bourmont sur le Missouri, où il fit ériger le fort d'Orléans.

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Source  : Louis LE JEUNE, "Histoire de la Louisiane française : La Régie des Commissaires du Conseil", dans Dictionnaire Général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mours, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. 2, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, 829p., pp. 184-186.

 

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College