Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juillet 2005

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Histoire de la Louisiane française

Chapitre IX

La Compagnie des Indes

(1723-1731)

 

Le 24 mars 1723, un arrêt du Conseil d'Etat lui rendait, avec le monopole des tabacs, la jouissance de ses anciens privilèges. Le gouvernement s'intéressait quand même à la Louisiane : comme président de son administration, dit Conseil des Indes, il plaça le contrôleur général du royaume, M. Dodun, à qui les directeurs et syndics devaient, tous les quinze jours, rendre compte de leur gestion. Mais les directeurs ne tardèrent pas à chercher, ailleurs qu'en Louisiane, un gain plus rapide, en consacrant les ressources disponibles au commerce des Indes orientales et à la traite de Guinée. Aussi ils ramenaient sans tarder (21 octobre) à 12 compagnies l'effectif des troupes; et, l'année suivante (août 1724), ils supprimaient deux autres abandonnant l'île Dauphine et Biloxi, les Yazous et l'Arkansas. Le Conseil des Indes les voulait remplacer, à peu de frais, par l'installation des missionnaires Jésuites. Pour appliquer cette politique, le comité de la Louisiane choisit un directeur ecclésiastique, M. l'abbé Raguet, à qui on remit plus tard le soin de toute la colonie (30 mai 1724).

 

Le 12 décembre 1725, on en vint à ne laisser que huit compagnies de 50 hommes pour tout le pays. C'était aplanir les voies aux Caroliniens et à leurs alliés indiens. Par souci de l'épargne, on se mit à lui supprimer les vivres, les munitions, les marchandises, le livrant à une disette universelle qui dégoûtait les colons. On y voyait les enfants dépérir à vue d'oeil. Le commissaire, M. du Sauvoy, et l'ingénieur en chef M. de La Tour mouraient victimes du manque de secours et de remèdes. En août 1724, le Chameau remmenait 54 colons en France; y pouvaient-ils taire leurs doléances?

 

De nouveau les commis, auxquels la faiblesse ou la complicité des directeurs laissait libre champ, « ne cherchaient qu'à se tirer de la misère aux dépens de la Compagnie et du public » (Lett. de Bienville, 20 oct. 1725). Les appels désespérés décidèrent la Compagnie à envoyer des secours, à la fin de 1723 et dans le courant de 1724, les navires déchargeant des vivres plus ou moins avariés. Point de nègres pour les plantations : en quatre ans, il n'en vint que 180 (20 mai 1726).

 

Négligée par ses maîtres, la colonie vit ses intérêts trahis par ses administrateurs immédiats. M. de La Chaise ne se trouvait pas de taille à morigéner ses subalternes : en accusant de tout le mal M. de Bienville, il se privait d'un appui et brisa le crédit de sa propre autorité. Il ne réussit guère mieux avec le commandant intérimaire, M. de Boisbriand, qui fut aussi rappelé, ainsi que M. de Châteauguay, remplacé par M. d'Artaguette. En mai 1726, la Baleine rapatriait 40 colons « contraints à revenir par suite de la mésintelligence régnant entre les principaux du pays ». M. de Pauger, « vieux serviteur du roi », eut des démêlés avec les membres du Conseil : il réclama son rappel, non sans tristesse. Aussi bien, les travaux de la Nouvelle-Orléans et de la Balise restaient en suspens. L'ingénieur Devin ne fut pas plus heureux à Mobile. La stagnation et le malaise régnaient aux Natchez et aux Illinois.

 

Toutefois, les bons laboureurs faisaient preuve d'énergie. Aux Capitoulas, le propriétaire Du Breuil récoltait par centaines de barils le riz et les patates et avait deux indigoteries en activité. Les trois frères Chauvin, Canadiens, rivalisaient à ses côtés pour la production des mêmes denrées et l'élevage du bétail. Aux Cannes-Brûlées, mêmes efforts et mêmes encouragements. Autour de Mobile, on prépare avec succès le brai et le goudron. Au début de 1725, la Bellone, chargée de tabacs, de pelleteries, de lingots d'argent, d'indigo et de brai, allait mettre à la voile, quand elle coula bas avec sa cargaison évaluée à 60,000 écus. M. de La Chaise exhorta les colons à réparer ce dommage par une culture plus intense.

 

Avec l'année 1726, une ère nouvelle paraissait s'ouvrir pour la Louisiane. La population blanche était de 2,228 âmes. Un brave officier de marine, M. Périer, succéda à M. de Bienville : on l'accueillit avec enthousiasme : il apportait une ordonnance frappant de destitution les conseillers rebelles, la dégradation des frères de Noyan, neveux de M. de Bienville, le pouvoir de casser, au besoin, le chevalier de Louboey et le major de La Tour. Ainsi le gouverneur et l'ordonnateur avaient les mains libres et la Compagnie semblait se décider à mettre en valeur son domaine. Mais, par une étrange contradiction, directeurs et syndics manifestèrent le dessein d'économiser leur capital. La politique de suppression ou de réduction de postes allait recommencer, sans souci des Anglais et de leurs intrigues. Dans ce dessein, ils obtinrent le départ de sept Jésuites pour la Louisiane ou les missions indigènes (1er déc. 1726). Au mois de juillet suivant, les premières Ursulines de Rouen arrivaient aussi à la Nouvelle-Orléans. En quelques mois, une jetée de 900 toises mit la ville à l'abri des crues du fleuve et, sur une longueur de six lieues en amont et en aval, une digue l'enfermait pour toujours (15 nov. 1727). L'année suivante, M. Périer entreprit le creusement du canal qui mettait la capitale en communication directe avec la mer par le lac Pontchartrain : il fit draguer aussi la passe principale des bouches du Mis­sissipi (1729). Chacun ne songeait plus qu'à son propre succès. Les officiers eux-mêmes se mirent à cultiver des lots qu'on leur avait accordés. On avait eu soin de fixer à chaque concessionnaire ses limites. Les bourgeois aussi s'occupèrent de plantations. Et M. Périer demandait sans cesse l'importation des noirs.

 

En effet, à l'automne de 1727, le Prince-de-Conti en débarqua 266; en 1728, le Duc-de-Noailles 262, et la Vénus 341; en 1729, la Galathée 260, et la Vénus 363. Mais ces malheureux Africains de couleur arrivaient atteints d'ophtalmies et du scorbut, décimés par la dysenterie, forcés de se rendre à l'hôpital; beaucoup mouraient ou sur place ou chez leurs maîtres, en quelques jours.

 

Au cours de 1729, l'on pouvait expédier trois cents milliers de tabac. A Saint-Domingue, les vaisseaux portaient des cargaisons de bois de construction et du merain, et en importaient des épices. Aussi la Compagnie songea-t-elle enfin à faire construire des vaisseaux sur place. Les administrateurs, en société avec les Jésuites, établirent une briqueterie, servant de lest aux navires à destination des îles. Chacun, au rapport de M. Périer (15 août 1729), e ne songeait plus qu'à son travail ».

 

Quand soudain éclata la révolte des Natchez, qui arrêtait net l'essor obtenu et compromettait l'oeuvre de la colonisation pour de longues années. Ni le Conseil des Indes, ni l'abbé Raguet, n'avaient fourni au gouverneur des marchandises destinées aux indispensables présents pour les tribus. Les Caroliniens les pouvaient manoeuvrer à leur guise : ils avaient gagné les Chicachas et débauché les Chactas, nos alliés : la conjuration générale des Indiens était habilement tramée. Le massacre des colons français aux Natchez eut lieu par surprise, le 28 novembre 1729 : il fallut organiser contre eux des expéditions, la seconde ne donnant que de médiocres résultats. Cette rébellion fut suivie (1730) d'une extraordinaire sécheresse et on ne récolta que peu de grains. L'agiotage sur les vivres et marchandises reprit naturellement son cours. Pour restaurer la colonie, la Compagnie se montrait impuissante, parce qu'elle gérait trop d'entreprises à la fois : Indes, Barbarie, Sénégal, Antilles, Louisiane. Celle-ci, à elle seule, en l'espace de 13 ans, avait englouti plus de 20 millions sans compter les arrérages. Le 22 janvier 1731, le Conseil des Indes résolut de supplier le roi de reprendre le domaine : l'offre fut acceptée, le lendemain, mais à dater du 1er juillet suivant. Par mesure gracieuse, le roi ramena l'indemnité de la Compagnie de 3 millions à 1,450,000 livres; puis à 1 million, après liquidation des effets cédés à la marine royale (27 mars et 2 septembre 1731).

Chapitre [précédent] [suivant]

Retour à la page de l'Histoire de la Louisiane française

Source  : Louis LE JEUNE, "Histoire de la Louisiane française : La Compagnie des Indes", dans Dictionnaire Général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mours, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. 2, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, 829p., pp. 186-187.

 

 

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College