Quebec History Marianopolis College


Date Published:
juillet 2014

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Esclavage

 

[Article signé par le père Lejeune dans son Dictionnaire. Pour la source exacte, voir la fin de l'article.]

 

ESCLAVAGE, état d'une personne qui n'est point de condition libre ou qui est soumise à une autorité tyrannique.

 

L'on a distingué deux formes bien nettes de cet état de vie : l'une absolue et brutale, qui anéantit la personnalité de l'esclave au profit du maître; l'autre, qui lui reconnaît certains droits inaliénables, mais le tient privé d'une grande part de sa liberté naturelle et sociale.

 

La Nouvelle-France adopta la traite des esclaves, selon la teneur incontestable des documents les plus authentiques. En 1688, M. de Denonville et M. de Champigny demandent au ministre de la Marine de suppléer « les gens de travail et les rares domestiques par des nègres importés de la Guinée ». En 1689, M. de Seignelay répond que « Sa Majesté trouve bon qu'on les fasse venir pour la culture des habitants ». Le 13 avril 1709, l'intendant Raudot rappelle que l'esclavage règne, sinon en France, du moins, dans les colonies et il décrète « que tous les Panis et Nègres, qui ont été achetés ou qui le seront dans la suite, appartiendront en pleine propriété à ceux qui les ont achetés, comme étant leurs esclaves ». Le 1er  septembre 1736, M. Hocquart publiait une ordonnance relative à leur affranchissement, prescrivant certaines formalités requises pour la validité de cet acte.

 

Toutefois ces esclaves existaient dans une minime proportion auprès du nombre bien supérieur dans les colonies britanniques, qui en faisaient un véritable commerce. Les Panis [en anglais Pawnees] formaient une tribu indigène établie à l'ouest du Mississipi, presque toujours en guerre avec les Sakis et les Renards, qui habitaient les rives du Wisconsin : ceux-ci, les ayant faits prisonniers en nombre, les vendaient parfois aux Français comme troc de marchandises, soit dans les postes de l'Ouest, soit au Canada. Le Dictionnaire généalogique de Tanguay en énumère près d'une centaine, appartenant la plupart à la région de Montréal. Quant aux Nègres, les documents montrent que si, sous le régime français, leur nombre ne fut pas bien élevé [Il y aurait eu environ 1,400 esclaves noirs au Canada jusqu'au début du XIXe siècle; notons, toutefois, qu'en Louisiane leur nombre aurait atteint 5,000 au milieu du XVIIIe siècle], il y en eut cependant quelques-uns d'importés ou des côtes d'Afrique soumises à la Couronne, ou plutôt des Antilles relevant de cette puissance de Versailles.

 

L'article 47 de la capitulation de Montréal en 1760 est ainsi conçu : « Les Nègres et Panis des deux sexes resteront en leur qualité d'esclaves en la possession des Français et Canadiens à qui ils appartiennent; il leur sera libre de les garder à leur service dans la colonie ou de les vendre; ils pourront aussi les faire élever dans la religion catholique.» En effet, leur conversion était le bénéfice que ces déshérités retiraient de leurs services : en 1694, Jacques Le Ber en faisait baptiser et confirmer un par Mgr de Saint-Vallier; en 1763, un nègre de M. Ignace Gamelin et une négresse de la baronne de Longueuil furent mariés et libérés. « Nous n'avons jamais, écrit M. Sulte, voulu vendre ni Panis, ni Nègres, jamais nous ne les avons employés aux travaux des bêtes de somme, mais comme des domestiques formant partie de la famille de leur maître. »

 

Le nombre des esclaves noirs s'accrut au Canada à la suite de la Guerre de l'Indépen­dance : ils étaient amenés par les Loyalistes; mais ils désertaient fréquemment leurs foyers. En 1784, leur nombre était de 304 : 212 au district de Montréal, 4 aux Trois-Ri­vières, 98 dans celui de Québec. Il s'en rencontrait, sans doute autant ou plus dans le Haut-Canada et dans les Provinces mariti­mes. Mais le 9 juillet 1793, la Chambre de l'Ontario votait une loi prohibant toute nou­velle importation d'esclaves et réglant les conditions d'affranchissement des enfants nés dans la servitude. En janvier précédent, M. P.-L. Panet formula en Chambre une pro­position de loi « tendant à l'abolition de l'es­clavage en la Province du Bas-Canada » : sa tentative échoua; en 1799, M. Papineau père, remit la question en discussion, sans obtenir l'effet désiré; en 1800, on présenta une au­tre requête, ainsi qu'en 1801 et en 1803, tou­jours sans succès. L'esclavage reçut son coup de grâce en 1833 par un vote du Parlement britannique. A cette date, il n'était plus guère parmi nous qu'un usage désuet ou simple souvenir.

 

[Si l’on se fie à la tendance historiographique de la période de 1880 à 1960, il est étonnant de trouver, sous la plume du père Le Jeune, une discussion de l’esclavage au Canada jusqu’en 1833, et surtout sous le Régime français. En effet, bien que l’existence de l’esclavage ait été connue, que des études en aient délimité les contours – Jacques VIGER et Louis-Hyppolite LAFONTAINE avaient déjà soumis en 1859 un travail substantiel sur l’esclavage au Canada dans les Mémoires de la Société historique de Montréal; Mgr TANGUAY en avait fait un inventaire, bien qu’incomplet, dans son Dictionnaire généalogique (voir les volumes III et VI); Hubert NEILSON, dont le grand-père, Robert, aurait eu un esclave, avait publié en 1906 une excellente analyse de la question dans les Transactions of the Literary and Historical Association of Quebec; finalement Benjamin SULTE, qui avait presque complètement négligé cette question dans son Histoire des Canadiens-Français en huit volumes, la discutait de façon bien informée dans la Revue canadienne en 1911 – la question de l’esclavage était complètement ignorée dans presque toutes les synthèses historiques de la période jusqu’en 1960, au moment où Marcel TRUDEL publia son retentissant L’esclavage au Canada français. Histoire et conditions de l’esclavage (Québec, Presses de l’Université Laval, 1960, 432p.- voir le compte-rendu par Jean Hamelin dans la Revue d’histoire de l’Amérique française) qui se mérita le Prix Casgrain en 1961. Pour les historiens Ferland, Casgrain, Sulte, Bruchési, Groulx et Lanctot (ce dernier en 1964) qui avaient tous publiés de substantielles synthèses de l’histoire de la Nouvelle-France, le sujet de l’esclavage n’existait pas. Pire encore, l’abbé Casgrain avait été jusqu’à écrire – comparant les colonisations britannique et française : « Nous ne parlons pas de cette détestable colonisation africaine qui a jeté la dépravation avec l’esclavage sur une si large part des Etats-Unis, et dont ils subissent aujourd’hui le châtiment. Quel contraste avec la pureté de nos origines historiques ! ». 

 

Sur la question de l’esclavage dans le passé canadien, on consultera, outre l’étude de TRUDEL mentionnée plus haut, les textes suivants :

 

CARPIN, Gervais, « Que savons-nous de Mathieu de Coste, le premier « naigre » venu au Canada? », dans Cap-aux-Diamants, No 79, 2004, pp. 13-14.

 

Documents sur l'esclavage en Nouvelle-France ; au site Nouvelle-France. Horizons nouveaux. [en français]

 

DONOVAN, Kenneth, « Slaves and their Owners in Ile-Royale, 1713-1760 », dans Acadiensis, Vol. 25, No 1, 1995, pp. 3-32.

 

« Esclavage », au Musée virtuel de la Nouvelle-France; page créée par le Musée canadien des civilisations. [en français] [in English]

 

GILLES, David, « La norme esclavagiste, entre pratique coutumière et norme étatique : les esclaves panis et leur condition juridique au Canada (XVIIe-XVIIIe s.) », dans Ottawa Law Review / Revue de droit d'Ottawa, Vol. 40, No 1, 2008-2009, pp. 73-114.

 

HARBISON, Jane, « The black executioner: the intercolonial interactions of a Martinican slave in Québec, 1733-1743 », Mémoire de maîtrise (histoire et classique), McGill University, 2001

 

LACHANCE, André, « Mathieu Léveillé », dans Dictionnaire biographique du Canada. Il s'agit de la biographie d'un esclave noir qui agissait comme bourreau en Nouvelle-France. [en français] [in English]

 

« La délicate question de l'esclavage en Nouvelle-France »

 

MACKEY, Frank, Done with Slavery. The Black Fact in Montreal, 1760-1840, McGill-Queen's University Press, 2010. Compte-rendu dans Recherches sociographiques, Vol. 53, No 2, mai-août 2012, pp. 498-499. Cet ouvrage a été traduit en français sous le titre L'esclavage et les Noirs à Montréal, 1760-1840, Hurtubise, 2013, 672p.

 

OUELLET, Réal et Caroline BOUCHARD, « Nègres, Caraïbes et Sauvages du Canada dans les relations de voyage du XVIIe siècle », dans Culture française d’Amérique, 1997, pp. 211-231.

 

PIGEON, Danielle, « Entretien avec Marcel Trudel, pionnier de l’histoire de l’esclavage au Québec », dans Cap-aux-Diamants, No 79, 2004, pp. 15-19.

 

TRUDEL, Marcel, L’esclavage au Canada français, Montréal, Horizon, 1960,126p. Il s’agit d’une édition abrégée du livre de Trudel publié au Presses de l’Université Laval plus tôt en 1960.

 

TRUDEL, Marcel, « L’attitude de l’Église catholique vis-à-vis l’esclavage au Canada français », dans Canadian Historical Association Report, Vol. 40, No 1, 1961, pp. 28-34.

 

TRUDEL, Marcel, Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français, Lasalle, Hurtubise HMH, 1990, 490p. (Voir la recension de Daniel GAY dans Recherches sociographiques, Vol. 46, No 3, 2005, pp. 562-565)

 

TRUDEL, Marcel, « Quand les Québécois pratiquaient l'esclavage », dans Mythes et réalités dans l'histoire du Québec, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2006, pp. 189-2008.

 

TRUDEL, Marcel, « Olivier Le Jeune », dans Dictionnaire biographique du Canada ; il s'agit de la biographie du premier esclave noir de la Nouvelle-France. [en français] [in English]

 

L’incendie de Montréal en 1734 et le procès de Marie-Josèphe Angélique : trois oeuvres, deux interprétations. BEAUGRAND-CHAMPAGNE, Denyse, Le Procès de Marie-Josèphe Angélique (Outremont, Libre Expression, 2004), 296 p. La torture et la vérité : Angélique et l’incendie de Montréal.  http://www.canadianmysteries.ca/sites/angelique/accueil/indexfr.html. COOPER, Afua, The Hanging of Angélique : The Untold Story of Canadian Slavery and the Burning of Old Montreal (Toronto, HarperCollins, 2006), 349 p. Traduction française : La pendaison d’Angélique : l’histoire de l’esclavage au Canada et l’incendie de Montréal (Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2007), 309 p.

(Voir la recension d’Evelyn KOLISH dans la Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 61, No 1, 2007, pp. 85-92.)

 

VACHON, André, « Marie-Angélique », dans Dictionnaire biographique du Canada. Il s'agit d'une esclave noire, pendue pour avoir mis le feu à la résidence de sa maîtresse. [en français] [in English]

 

WHITFIELD, Harvey Amani, « The Struggle over Slavery in the Maritime Colonies », dans Acadiensis, Vol 41, No 2, 2012, pp. 17-44.]

 

Bibl. — Mgr L.-A. Paquet, Mém. Soc. Roy. Can., 1913; Bull. des Rech. hist., tabl. gén., année 1925.

 

SOURCE: Louis LEJEUNE, Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mœurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. I, Ottawa, Université d’Ottawa, 1931, 862p., pp. 599-600. 

 

Le lecteur est invité à lire le texte d’introduction et la mise-en-garde de l’éditeur de l’encyclopédie de l’histoire du Québec.

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College