Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Octobre 2013

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Document

 

 

L’appel de la Race et la haute critique

 

 

 

                                                   Albert Levesque

 

 

 

Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race

 

[Note de l'éditeur : Ce texte a été particulièrement difficile à reproduire à cause de la pauvre qualité de la copie originale. De plus, l'auteur ouvre des guillemets sans les fermer, ou ferme des guillemets quand ils n'ont jamais été ouverts ... Certaines erreurs typographiques évidentes ont été corrigées.]

 

M. l'abbé Camille Roy a apprécié dans le Canada français, le roman d'Alonie de Lestres : il en est mécontent, et l'exprime avec la rigueur et la hardiesse auxquelles lui donnent droit, sans doute, sa juste renommée et réelle compétence en critique littéraire.

 

Nous avons lu, avec intérêt et profit, tout ce qu'a produit [la] plume de M. Roy : hélas ! pourquoi faut-il lui dévoiler tout le courage et la générosité que nous avons dû apporter pour reconnaître, dans sa récente critique, le juge serein, élégant et pondéré d'autrefois.

 

Nous permettra-t-on de confesser sincèrement toute notre pensée ?

 

L'article de M. Roy nous a étonné par la dose d'exagération qu'il contient, et par les contradictions regrettables qu'il recèle, et par la thèse trop exclusive qu'il développe.

 

*   *   *

 

Deux Romans

 

 

M. Roy affectionne une méthode de critique littéraire très périlleuse à suivre ; et pour une fois au moins, elle a mal servi son maître.

 

Au lieu de scruter uniquement la pensée, l'intention,  les sentiments du romancier qu'il étudie ; au lieu de s'attacher exclusivement aux cadres du roman, de distinguer clairement entre les fictions et les réalités historiques, M. Roy éloigne trop peu scrupuleusement l'auteur, le perd trop facilement de vue, substitue trop souvent sa propre personne à celle du romancier ; ce qui l’entraîne à faire dire au roman ce que lui-même voudrait dire, à démantibuler l’œuvre pour la reconstituer à sa manière, à torturer les personnages, à changer leurs caractères primitifs, à détruire des scènes complètes, et même, à en créer tout simplement de nouvelles.

 

Ce procédé entraîne  un résultat étonnant : la composition de deux romans  sur l’Appel de la Race : celui d'Alonié et celui de M. Roy.

 

 

- Parallèle -

 

 

D'après M. Roy, Lantagnac « s'est laissé prendre  par l'anglomanie ; lui seul, ou lui surtout, en est responsable ; car, on ne voit pas clairement que l'éducation des collèges classiques entre 1870 et 1890 conduisit nécessairement aux trahisons nationales. Lantagnac, anglomane et lâcheur le fut donc bien volontairement ».

 

D'après Alonié, Lantagnac a été entraîné par le courant de l'époque, vers l'anglomanie ; ce n'est pas lui qui en est responsable : c'est l'éducation qu'il a reçue, l'ambiance néfaste « l'atmosphère empoisonnée », « la période de léthargie » dans laquelle il grandit : tout cela le désarme d'abord, devant la tentation et le mirage, et le pousse ensuite comme naturellement », vers l'anglomanie.

 

« Une seule chose lui manqua affreusement : (Au Séminaire de X….) l’éducation du patriotisme. Ainsi le voulait, hélas ! l'atmosphère alors régnante dans la province française du Québec ». (Lire page 11 à 18). Lantagnac « anglomane et lâcheur », d'après Alonié, le fut donc bien involontairement.

 

C'est ici que M. Roy a fait sa première erreur. Au lieu de s'en tenir uniquement au cadre du roman, de s'appuyer sur la situation de Lantagnac telle que posée par Alonié, il est sorti du livre, et oubliant  « l'affreuse éducation patriotique du Séminaire de X », il déclare sans ambages « qu'on ne voit pas clairement que l'éducation des collèges classiques entre 1870  et 1890 conduisit nécessairement  aux trahisons nationales ».

 

M. Roy confond le fait historique du roman, avec les réalités historiques ; et au lieu d'accepter le fait comme l'indique Alonié, il lui substitue son fait, sa manière de voir. Ce procédé  change du tout au tout le cas de conscience sur lequel devra se prononcer, dans un instant, le Père Fabien.

 

*   *   *

 

Qu'on ne l'oublie pas.

 

 

- Exagération -

 

 

D'après M. Roy, « Jules est aussi violemment patriote, qu'il fût violemment anglomane ». - Or, rien n'indique dans le livre, que Lantagnac « fût violemment anglomane ».

 

- Donc, il « n'est pas violemment patriote ». D'après M. Roy, Lantagnac, « mène à fond de train ses entreprises. Il culbute tout dans sa maison, contrarie et froisse sa femme, divise ses enfants… suscite des désaccords pénibles, … des oppositions irréductibles,... il exaspère sa femme... avec un implacable prosélytisme...  il fait la chasse aux images... défonce les vieux cadres… etc., etc. » Mon Dieu, mon Dieu quel guerrier, quel fou enragé!

 

Or, nous avons lu et relu lentement les passages du roman qui nous fait voir Lantagnac essayant de donner un aspect français à son foyer et une éducation française à ses enfants. Et vraiment, je défie M. Roy de m'indiquer un seul acte de violence, un seul acte, même, qui dévoile un soupçon de violence dans la conduite de Jules envers son épouse et ses enfants.

 

En vain, mille fois en vain, nous y avons cherché des « culbutes » des menées « à fond de train »,  des parties de « chasse aux images » ; et, peine perdue, nous n'avons pu encore retrouver les vieux cadres « défoncés ».

 

Certes, nous apercevons un Lantagnac qui, au retour de Saint-Michel, rappelle à sa famille qu'au foyer natal « on se  moque du Parisian french » (p. 5) qui « fait la description de la terre paternelle », (p. 46) parle « de leurs cousins dont le diplôme  de bacheliers de l'école d'Oka s'étalait dans le salon de famille » (p. 46). Enfin « ce fut un enthousiasme. Sur-le-champ, tous voulaient partir pour Saint-Michel ».

 

Lantagnac « propose donc à son petit monde une heure au moins de conversation française par jour, durant toutes les vacances » (p. 47).

 

 Un « oui » unanime manifesta au futur professeur les bonnes dispositions de ses élèves.

 

Le même soir, la petite Virginia saute au cou de son père et lui dit à l’oreille : « Si vous saviez comme je vais les aimer vos leçons de français ! Il y a si longtemps que je les désire, que je songeais même à vous les demander » (p. 47).

 

 (Est-ce cela, de la violence, de la division ?)

 

Je vois encore (p. 49) Madame de Lantagnac qui écoute chanter les sautillants refrains : « A Saint- Malo, beau port de Mer... En roulant ma boule » etc., et qui s'écrie « ravie » : Quelles jolies choses que ces airs-là ? » 

 

Je vois un Lantagnac qui donne une « leçon de français » à sa famille, au cours d'une promenade en canot sur le lac Mac Gregor, et aux sons de la fanfare.

 

« Et la conversation française reprit de plus belle. Commencée par une telle soirée, elle se continua, les autres soirs, quelquefois sur le lac, le plus souvent dans le salon, ou sur la galerie de la villa. On s'y mettait chaque fois avec un entrain extraordinaire. Tout le monde voulait en être. Madame de Lantagnac, venait s'asseoir elle-même près du groupe, avec son panier à broderie, et tout en jouant du crochet, se mêlait à la conversation, risquant de temps à autre des bouts de phrase timides. Si bien que, de jour en jour, il semblait à de Lantagnac que l'âme des siens se mettait en accord plus harmonieux avec l'âme de la terre » (p. 52). Où donc, les « culbutes , l'implacable prosélytisme », « l’exagération ? »-

 

Je constate que Maud (Mme de Lantagnac) décide de garder ses filles « auprès d'elle pour les confier à une institutrice privée. Cette décision de Maud, tout à fait inattendue, intrigua beaucoup Lantagnac qui n'osa pourtant s'y opposer » (p. 53) - Est-ce  cela « les oppositions irréductibles ? »

 

 « Wolfred, au lieu de prendre la route de Toronto, partit pour l'Université française de Montréal, à la grande et joyeuse surprise de son père ». - par conséquent, s'il en est surpris, il ne l'a certes pas « violemment » forcé d'y aller.-

 

« Quant à William, il avait accepté, d'assez mauvaise grâce, sur les vives instances de son père, de s'acheminer vers l'Université française d'Ottawa. Mais au bout de trois semaines, le collègien [sic] têtu déclarait si opiniâtrement la grève de l'étude et du thème, qu'il fallait le renvoyer au Loyola Collège [sic] ».

 

Et que fit son père si « violent ? » Il en fut tout simplement « fort attristé » (p. 54). Jules de Lantagnac, « avant le départ de ses deux fils s'était promis d'apporter à sa tâche (de professeur) plus d'amour persuasif, plus d'âme que jamais, pour que l'élan pris en vacances se continuât ».

 

Tout à coup Maud qui se trouvait dans le cercle, affecta de se lever avec vivacité ; à la hâte elle ramassa son tricot, et s'en fut au plus profond du salon, travailler seule. Au cœur de tous ce fut un choc douloureux ». (p. 54)

 

C'est après cet épisode, que Lantagnac, [sic] fait son examen de conscience. « Peut-être, s'accusait-il, ai-je manqué de diplomatie ? Il eut fallu, sans doute, patienter, aller plus lentement, ne pas tant compter sur l'enthousiasme du début »... C'est-à-dire cet enthousiasme de ses enfants et de son épouse elle-même.

 

Il se fait des reproches. « Et alors il continuait de battre sa coulpe ».

 

-Est-ce là, le caractère d'un homme « violemment patriote - »

 

Jusqu'ici il a travaillé à donner un aspect français à son foyer, et à enseigner sa langue maternelle à ses enfants. Tous étaient contents, même son épouse.

 

Soudain, il s’aperçoit, pour la première fois, que Maud est triste, « souffrante ». Aussitôt, il fait son « mea culpa », tellement sa conscience est délicate.

 

-Est-ce là la conduite d'un homme qui « exaspère sa femme », « suscite des oppositions irréductibles ? » Et pourquoi et « depuis quand » Maud est-elle triste et « souffrante ? »

 

« Depuis que nous faisons le Français »  répond Virginie (p. 62) .

 

Est-ce là, toute la « violence patriotique », dont Maud Fletcher peut accuser son mari ? A vrai dire ce n'est pas malin. Allons ! L'enseignement du français, même dans un foyer qui pendant 20 ans n'a pas entendu d'autre langue que l'anglaise, peut-il être qualifié de « violence », de « chambardement patriotique » ?

 

Et pourtant n'est-ce pas ce qu'affirme M. Roy, en accusant Lantagnac d'être « violemment patriote », d’exaspérer sa femme parce qu'il enseigne  le français dans son foyer ? C'est une légère exagération!

 

*   *   *  

 

 

Mais poussons plus avant nos recherches.

                                                    

Poursuivons donc en examinant le caractère des actes posés par Lantagnac.

 

Il apprend d'abord la « détermination suprême » de Landry. Cet acte héroïque du sénateur le faisant rougir de ses tiédeurs et de ses lâchetés.

 

En voici un, réfléchissait-il, qui n'a pas dû trouver que des approbations autour de lui parmi les membres de sa famille, parmi ses amis politiques. Mais voilà, il n'a pris conseil que de sa conscience et des intérêts de sa cause ».  (p. 75)

 

 Il  se rend ensuite chez le Père Fabien où il apprend que Landry a dit « en appuyant fortement : il nous faut Lantagnac » (p. 76) et que « c'est l'heure des grands moyens. Coûte que coûte, il nous faut sauver l'école française et catholique de l’Ontario ». (p. 78) Pour cela « nous avons besoin de chefs, et un de ces chefs, c'est Lantagnac…. Lantagnac revient chez lui en retournant « dans son esprit le même problème obsédant ». (p. 83)

 

 Jusqu'ici, il avait eu peur de provoquer entre  elle (Maud) et lui des paroles irréparables » (p . 83) et au moment où il a « promis de donner une réponse à Landry », il hésite à cette pensée : « Si elle me défend la candidature ! Si elle profère des menaces ? »

 

- Est-ce là l'hésitation caractéristique … d'un homme «  violemment patriotique » qui cherche à « exaspérer sa femme ? » -

 

À son foyer, Lantagnac rencontra William Duffin, son beau-frère, et devant la famille on discute de la question ontarienne. Jules prouve à William que « les persécuteurs ontariens manquent étrangement de la plus élémentaire clairvoyance, « qu'ils violent la loi naturelle, et préparent la ruine de la Confédération, pacte qui établit le bilinguisme parfait au Canada. »

 

Devant cette argumentation, William profère cette menace : « Eh bien non ! Il ne sera pas dit que les Frenchies de l'Ontario ou du Québec mèneront  tout à leur guise en ce pays. Qu'ils y prennent garde ! S'ils continuent, moi qui vous parle, je vous en avertis : je me jetterai dans la lutte et je ne serai pas seul ». (p. 94)

 

« Devant cette riposte imprévue, Lantagnac sentit tout son sang lui monter à la face. - Il n'est certes pas nécessaire d'être « violemment patriote » pour cela.

 

« Son cœur battit plus fort. Une résolution subite raidit sa volonté. Relevant son défi, il jeta ces courtes phrases à l'Irlandais : « à votre aise Monsieur. Si vous y allez dans la lutte, vous m'y trouverez. On attend un candidat dans Russel ; ce candidat, j'ai bien l'honneur de vous l'annoncer ; ce  sera Jules de Lantagnac ». (p. 94)

 

-Où est encore, ici dans ce geste, l'indice d'un violent patriote ? Prendre la défense des persécuteurs [sic. L'auteur a probablement voulu écrire : des persécutés de l'Ontario] de l'Ontario, lutter contre des persécuteurs aussi entêtés et malveillants, serait-ce la « violence patriotique ? » Et depuis quand -?

 

Maud Fletcher elle-même comprend la légitimité  du geste de son mari, puisque devant les « anathèmes », les « blâmes violents » de son père contre Lantagnac, elle « risqua d'abord, une timide défense de son mari ». « Puis, elle ne dit plus mot, quand on lui eut représenté la conduite de Jules, comme un défi à la famille Fletcher, à son loyalisme, comme un mépris des sentiments les plus intimes, les plus délicats de sa femme. Le vieux Fletcher ne gardait plus même de mesure, il en était aux outrages ; et tous les vieux clichés du fanatisme francophobe y passaient ».

 

Il va même jusqu'à ordonner à sa famille « de recourir aux suprêmes menaces »  pour « faire retirer la candidature de Russell. »

 

Et « maintenant, après les colères, les objurgations de son père, et sous l'action de ses propres chagrins trop longtemps nourris, elle (Maud) sent qu'une âpre passion, raidit sa volonté, exalte ses sentiments ». (p. 104).

 

Si Maud s'oppose au patriotisme de son mari, ce n'est pas parce que celui-ci est brutal, trop brusque, « violemment patriote » , mais parce que son beau-frère et son père, et tout le clan des Fletcher irrités dans leur orgueil dominateur, « exaltent ses sentiments » et la pressent de « recourir aux menaces ».

 

Et quand viendra la rupture du foyer, ce sera tout simplement la mise en exercice de ce « recours aux menaces » préconisé par le Fletcher, pour « faire retirer la candidature de Russell » et empêcher Lantagnac de défendre la cause de ses compatriotes opprimés et « persécutés ».

 

-Pour la dixième fois, nous le demandons où donc sont les culbutes, le « chambardement patriotique » les « violences » de Lantagnac ?

 

  Serait-ce quand il dit (p. 106) : « Respectez mon sentiment, Maud, comme je respecte le vôtre. » Serait-ce quand il répond à son épouse (qui l’accuse de vouloir reprendre ses enfants) avec « une indible souffrance » : « Vous les prendre ! Est-ce donc vous les prendre que me réserver en eux la part qui me revient ? Encore une fois, Maud, ma bonne amie, je vous en conjure, laissons là ce ton qui est nouveau pour nous. Vous savez bien que je n’ai pas commis la chose grave que vous me reprochez. Vous êtes toujours la mère bien-aimée de mes enfants. Mais enfin ces enfants sont, par leur père, de descendance  française - Maud, je ne vous le cacherai point : je veux qu’aucun de mes fils, aucune de mes filles ne me reproche plus tard le crime le plus grand qu’un père puisse commettre contre ses enfants, après le vol de leur foi : celui de les dénationaliser. »  (p. 107)

 

-En fin de compte, peut-on taxer de « violemment patriote », de « chambardement », le geste d’un père de famille qui refuse de commettre « un crime » envers ses enfants ?

 

Serait-ce quand il répond « du ton le plus contenu et le plus attristé » à son épouse : « Maud, vous vous reprocherez un jour la dureté de vos paroles et l’injustice qu’involontairement je veux le croire, vous commettez contre moi. Qui donc parmi mes enfants ai-je violenté ? Qui a été contraint par moi d’apprendre  le français ? William a voulu retourner au Loyola : il y est. Wolfred est allé à l’Université française de Montréal. Dieu m’est témoin qu’il y est allé de son propre mouvement. Nellie veut en rester à son éducation anglaise ; est-elle moins mon enfant et l’en ai-je moins aimée ? Virginia, enfin, se conforme librement, elle aussi à mes désirs. Non, Maud, on ne se diminue pas en redevenant soi-même, en reconstruisant en soi sa veille âme naturelle, héréditaire. Ce que j’ai fait, j’avais espéré le pouvoir faire sans vous causer un seul chagrin - »  (p. 109)

 

-Quand un père, un chef de famille peut se rendre un tel témoignage devant son épouse et ses enfants, quand un mari peut faire de tels aveux de loyauté, sans manquer à la vérité, vraiment on serait bien injuste de le qualifier de « violent » et de « chabardeur »  patriotique.

 

Mais que veut donc, Maud Fletcher ?

 

Nous l’avons vu, il y a un instant, son premier chagrin fut causé par « l’enseignement du français dans son foyer ». Et pourquoi s’oppose-t-elle si opiniâtrement, jusqu’à menacer son mari de la rupture du foyer ?

 

Pour ce motif « Dites-moi que vous renoncez à cette candidature ».

 

Donc, Maud, poussée par les siens, veut, sans autre motif que l’égoïsme de race, et l’habitude de domination que lui a donnée pendant vingt ans l’erreur et le sommeil patriotique de son époux, veut, dis-je le « déshonneur » de Jules, l’accomplissement « du crime le plus grand qu’un père puisse commettre contre ses enfants, après le vol de leur foi : celui de les dénationaliser » ; elle veut qu’il manque « à tous ses devoirs de gentilhomme » et qu’il « se retire de la lutte » contre les persécuteurs  de sa race et sa foi, alors que  ses compatriotes ont le plus besoin de ses secours, et que sa conscience lui crie de les aider, parce qu’il est « le chef » sur lequel on compte.

 

Une dernière fois, un homme, pour ne pas obéir à de telles exigences de son épouse et pour obéir à de telles exigences de sa conscience, mérite-t-il les épithètes de « violemment patriotique », de « chambardement patriotique ? »      

 

D’ailleurs M. Roy, lui-même après avoir remarqué que Lantagnac, « va vite, très vite en besogne, extrêmement vite », affirme, quelques pages plus loin, que « la décision de Lantagnac, séance tenante, de faire le discours du 11 mai, décision qui paraît assez bizarre, venant après tant de décisions contraires, et surtout après une série d’hésitations fastidieuses à force d’être interminables. Vraiment je me demande comment cette affirmation peut logiquement  venir après qu’on a accusé Lantgnac d’avoir agi « extrêmement vite »  au point de créer « un chambardement patriotique ». « Hésitations interminables » … « extrêmement vite en besogne » : A vrai dire, c’est une légère contradiction.

 

Et puis nous sommes forts surpris que M. Roy, qualifie de « bizarre »  la décision que prend Lantagnac, « séance  tenante » de faire le discours du 11 mai et qu’il ait oublié totalement ces paroles du Père Fabien au moment où il donne « une suprême bénédiction » à Lantagnac. « Mon ami, vous croyez aux dons de l’Esprit ? Je vous demanderai à Dieu, si sa cause en a besoin, de vous envoyer au moment qu’il choisira, l’illumination et la force de cet Esprit. Ces dons extraordinaires, ces énergies souveraines qui surajoutent même à l’activité des grandes vertus, vous donneront peut-être à l’heure critique, qui sait ? L’excitation libératrice ». (p. 215).

 

Enfin, que le critique n’ait pas signalé le passage suivant, c’est encore surprenant. En effet quand Alonie nous dépeint l'état d’âme de Lantagnac au moment où il se lève  pour prononcer son discours, il écrit ceci : « Pourtant l’orateur s’en souvenait : au dernier moment quelque chose, comme un fluide mystérieux l’avait agité. Il avait cru y reconnaître ces secousses extraordinaires dont lui avait parlé le Père Fabien ; illuminations et motions souveraines de l’Esprit qui soulèvent au-dessus d’elle-même la volonté de l’homme » (p. 245). Et cela explique d’une façon qui n’est plus « bizarre » , comment « en moins d’un instant l’homme s’était trouvé debout ; il avait commencé de parler ».

 

Pour expliquer ce phénomène mystérieux, M. Roy ne trouve que ces termes : « Il écoute les discours. Mais il est pris, subjugué, fasciné par le spectacle de la Chambre houleuse sous les grands souffles de l'éloquence. Il ne peut plus y tenir. Au moment où le débat va se clore, Jules se lève, frémissant » (p. 306. Le Canada français. Déc. 1922).

 

Cette « fascination »  ne serait pas, certes, insuffisante à expliquer comment Lantagnac qui, la veille, avait décidé de ne pas parler, fait quand même ce discours du 11 mai ; mais Alonié de Lestres a voulu éviter toute invraisemblance : c’est pourquoi, en catholique d’action, il a fait intervenir  la « motion souveraine de l’Esprit », et cette intervention donne un charme prenant à l’incident du discours et mérite d’être mise plus en vedette sous les yeux des lecteurs.

 

Albert Levesque E.E.D.

 

N.B.—Dans le prochain article, nous examinerons, en particulier la question du « volontaire direct » et du « volontaire indirect » à laquelle M. Roy s’est lui-même longuement attaché. Suiveront [sic] quelques conclusions générales propres à élucider la controverse entretenue autour de l’Appel de la Race.

 

Source : Albert Levesque, « L’Appel de la Race et la haute critique », dans Le Quartier Latin, 1er février 1923, pp. 6-8. Article transcrit par Amanda Bennett. Révision par Claude Bélanger. Les erreurs orthographiques évidentes ont été corrigées.

 

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