Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

La loi du cadenas

The Padlock Law

 

Doit-on tolérer la propagande communiste?

[1938]

[Ce texte fut rédigé en 1938 par l'abbé Camille Poisson; pour la référence précise, voir la fin du document.]

 

La loi du cadenas édictée par notre gouvernement provincial a déjà fait couler beaucoup d'encre et de paroles. Une pareille loi est-elle conciliable avec cette liberté d'opinion et d'expression dont l'on devrait pouvoir jouir dans toute société bien organisée, s'impose-t-elle au nom des intérêts supérieurs de la collectivité et du mal souverain qu'il s'agit de combattre, est-elle même suffisante ? N'apparaît-elle pas, au contraire, vexatoire et tyrannique, et le pouvoir fédéral ne devrait-il pas, comme certains le réclament, la déclarer nulle et non avenue, comme contraire aux principes de liberté dont s'inspire notre vie politique?

 

Pour répondre à cette question, un triple examen s'impose: celui de savoir, d'abord, si la liberté bien entendue ne connaît aucune limite, si la liberté d'enseignement et de la presse, en particulier, peuvent être absolues dans une société bien organisée, si, enfin, il existe des doctrines que les pouvoirs publics ont le droit et le devoir de proscrire. Voyons un peu ce qu'il faut penser de ces trois points.

 

 

1. — La liberté bien entendue ne connaît-elle
aucune limite?

 

Peut-on accepter, dans une société fonctionnant normalement, une liberté ne connaissant aucune limite ? En d'autres termes, la faculté de choisir entre le bien et le mal, entre la vertu et le vice, entre la vérité et l'erreur, est-elle de l'essence même de la liberté, au point que pour être vraiment libre il faille être en mesure d'opter indifféremment pour l'un ou pour l'autre? A pareille question, une seule réponse, il va sans dire, est possible, et elle est absolument négative. C'est ce que nous montrent à la fois la nature même de la liberté et l'analogie entre la volonté et l'intelligence. C'est ce qui ressort également de l'exemple de Dieu même et des conséquences absurdes qui s'ensuivraient de l'admission de la thèse contraire.

 

Pour qu'il y ait liberté, en effet, il suffit qu'il y ait domaine sur ses propres actes. Or, pour qu'existe pareil domaine, il suffit qu'il y ait ce que les scolastiques appellent l'indifférence de contradiction, en vertu de laquelle l'homme peut à son gré agir ou ne pas agir; point n'est besoin de ce que l'on appelle l'indifférence de contrariété, c'est-à-dire la faculté de choisir entre des choses contraires, comme entre le bien et le mal.

 

En face du bien et du mal, une volonté libre se trouve dans le même cas que l'intelligence en face du vrai et du faux. Or, convient-il à l'intelligence d'adhérer indifféremment au vrai ou au faux ou d'accepter pour vrai ce qui est faux, et faudrait-il voir là, pour elle, un élément nécessaire de sa perfection, non un défaut ou une imperfection ?

 

Ainsi, et pour le même motif, il n'est pas conforme à la raison d'admettre que la faculté de choisir entre le bien et le mal, ou de choisir le mal pour le bien, soit nécessaire à la perfection de la volonté, dont elle représente, au contraire, un défaut, une imperfection.

 

« Chacune de ces deux facultés (l'intelligence et la volonté) ne possédant point la perfection absolue, dit Léon XIII, il peut arriver et il arrive souvent que l'intelligence propose à la volonté un objet qui, au lieu d'une bonté réelle, n'en a que l'apparence, une ombre de bien, et que la volonté pourtant s'y applique. Mais, de même que pouvoir se tromper et se tromper réellement est un défaut qui accuse l'absence de la perfection intégrale dans l'intelligence, ainsi s'attacher à un bien faux et trompeur, tout en étant l'indice du libre arbitre, comme la maladie l'est de la vie, constitue néanmoins un défaut de la liberté. Pareillement la volonté, par le seul fait qu'elle dépend de la raison, dès qu'elle désire un objet qui s'écarte de la droite raison, tombe dans un vice radical qui n'est que la corruption et l'abus de la liberté (1). »

 

Et saint Thomas d'Aquin:

« Le libre arbitre se trouve, dans le choix de ce qui touche à sa fin, dans le cas de l'intel­ligence en ce qui a trait à ses conclusions. Or, il est mani­feste qu'il est de la perfection de l'intelligence de pouvoir procéder, dans ses diverses conclusions, selon des principes donnés: agir autrement en oubliant, dans telle ou telle conclusion, ses principes directeurs, c'est, pour elle, révéler un défaut. Que le libre arbitre puisse choisir entre divers objets, mais en conservant l'ordre de la fin à atteindre, voilà qui est bien de la perfection de sa liberté; mais qu'il choisisse quelque chose qui l'éloigne de cet ordre de la fin, c'est-à-dire en optant pour le péché, c'est là un défaut de sa liberté (2). »

 

Que la faculté de choisir entre le bien et le mal ne soit nullement de l'essence de la liberté, c'est ce qui apparaît clairement par l'exemple de Dieu même et par les conséquences absurdes qui découlent de l'affirmation contraire. Dieu, étant l'Etre absolu et infini, doué de toutes les perfections, jouit, certes, de la liberté la plus parfaite qui se puisse concevoir, et, cependant, il ne peut choisir entre le bien et le mal, faculté qui serait la négation même et de sa sainteté et de sa divinité. D'autre part, si la faculté de choisir entre le bien et le mal et d'opter pour celui-ci contre celui-là était de l'essence même de la liberté, il s'ensuivrait que la volonté jouirait du même droit à l'égard du bien et du mal, de la vertu et du vice; mieux que cela, la liberté serait d'autant plus grande et plus parfaite que plus grandes seraient la faculté, la facilité de s'éloigner du bien et de s'attacher au mal, ce qui, certes, est bien tout ce que l'on peut imaginer de plus absurde.

 

« Liberté, liberté, crie-t-on, liberté égale pour tout individu, déclarait, dans sa conférence au Cercle Universitaire de Montréal, le 29 janvier 1938, intitulée précisément Liberté et libertés, S. Ém. le cardinal Villeneuve: équivoque, Messieurs, équivoque lamentable, aveugle, qui procède d'une absurdité, et que d'ailleurs ceux qui la réclament à grands cris sont les premiers à ne pas concéder. Liberté pour tout individu, sans exception, de faire le bien, mais oui! Liberté égale accordée à l'enfant comme à l'adulte, à l'homme sain et au détraqué, au citoyen digne et au bagnard, à celui qui défend I'Etat et à l'autre qui le trahit, évidemment non, vous ne voulez pas parler ainsi. Prenez donc garde à l'équivoque, et dites plutôt: respect des justes libertés de chacun, liberté des individus conformément à leurs devoirs respectifs. C'est mieux, car c'est libéral sans être libertaire. De la sorte les citoyens auront le droit de se servir de leur jugement propre et de décider de leur conduite personnelle, de décider du choix de leur domicile, de leurs allées et venues, de l'emploi de leur temps, de l'usage de leur propriété, de leurs relations, du droit de société, de leurs contrats, etc., etc., mais dans les limites du bien, c'est-à-dire de la loi naturelle, de la loi divine et des sages lois humaines, celles qui protègent le bien commun. »

 

II. — La liberté d'enseignement et la liberté de
la presse peuvent-elles être absolues?

 

Puisque la liberté en général doit nécessairement, si elle ne veut dégénérer en licence, accepter les limites que lui imposent la morale et la saine raison, il n'en peut aller autrement pour ces libertés particulières que sont la liberté d'enseignement et la liberté de la presse. Il est absurde, assurément, d'accorder les mêmes droits à la vérité et à l'erreur, à la vertu et au vice. Or, admettre, sans aucune restriction, la liberté d'enseigner, soit oralement soit par écrit, c'est accorder les mêmes droits à la vérité et à l'erreur, à la vertu et au vice, ce qui, précisément, ne peut être admis.

 

« Maintenant, écrit Léon XIII, poursuivons ces considérations au sujet de la liberté d'exprimer par la parole ou par la presse ce que l'on veut. Assurément si cette liberté n'est pas justement tempérée, si elle dépasse le terme et la mesure, une telle liberté, il est à peine besoin de le dire, n'est pas un droit, car le droit est une faculté morale, et, comme nous l'avons dit et comme on ne peut trop le redire, il serait absurde de croire qu'elle appartient naturellement et sans distinction ni discernement à la vérité et au mensonge, au bien et au mal. Le vrai, le bien, on a le droit de les propager dans l'État avec une liberté prudente, afin qu'un plus grand nombre en profitent; mais les doctrines mensongères, peste la plus fatale de toutes pour l'esprit; mais les vices qui corrompent le coeur et les moeurs, il est juste que l'autorité publique emploie à les réprimer sa sollicitude, afin d'empêcher le mal de s'étendre pour la ruine de la société. Les écarts d'un esprit licencieux, qui, pour la multitude ignorante, deviennent une véritable oppression, doivent justement être punis par l'autorité des lois, non moins que les attentats de la violence commis contre les faibles. Et cette répression est d'autant plus nécessaire que contre ces artifices de style et ces subtilités de dialectique, surtout quand tout cela flatte les passions, la partie sans contredit la plus nombreuse de la population ne peut en aucune façon, ou ne peut qu'avec une très grande difficulté se tenir en garde (3) »

 

Nous disons que la vérité est le bien, l'erreur, le mal de l'intelligence; la vertu, le bien, le vice, le mal de la volonté. Or, ni l'intelligence ni la volonté ne peuvent se comporter également à l'égard de ce qui pour elles est le bien ou le mal. D'autre part, le droit est une faculté morale de faire ou d'exiger quelque chose. Et comme l'on ne peut faire que le bien et non le mal, il ne peut y avoir aucun droit à faire le mal.

 

« Il n'y a que la vérité, on n'en saurait douter, dit encore Léon XIII, qui doit entrer dans les âmes, puisque c'est en elle que les natures intelligentes trouvent leur bien, leur fin, leur perfection; c'est pourquoi l'enseignement ne doit avoir pour objet que les choses vraies, et cela qu'il s'adresse aux savants ou aux ignorants, afin qu'il apporte aux uns la connaissance du vrai, que dans les autres il l'affermisse. C'est pour ce motif que le devoir de quiconque se livre à l'enseignement est, sans contredit, d'extirper l'erreur des esprits et d'exposer des protections sûres à l'envahissement des fausses opinions. Il est donc évident que la liberté dont nous traitons, en s'arrogeant le droit de tout enseigner à sa guise, est en contradiction flagrante avec la raison et qu'elle est née pour produire un renversement complet dans les esprits; le pouvoir public ne peut accorder une pareille licence dans la société qu'au mépris du devoir. Cela est d'autant plus vrai que l'on sait de quel poids est pour les auditeurs l'autorité du professeur, et combien il est rare qu'un disciple puisse juger par lui-même de la vérité de l'enseignement du maître.

 

« C'est pourquoi cette liberté aussi, pour demeurer honnête, a besoin d'être restreinte dans des limites déterminées; il ne faut pas que l'art de l'enseignement puisse impunément devenir un instrument de corruption (4). »

 

« Il ne faut pas que l'art de l'enseignement puisse impunément devenir un instrument de corruption. » Cette proposition est évidente par elle-même, et il est certes plus qu'absurde de réclamer comme un droit ce qui conduit les hommes à la corruption de l'esprit et du coeur. Or, tel est le cas de la liberté d'enseignement et de la liberté de la presse. Étant donné l'inclination naturelle des hommes au mal, l'incapacité de la plupart de se livrer aux études nécessaires pour pouvoir réfuter par eux-mêmes les faux raisonnements du sophisme et de l'erreur, il est impossible que la liberté accordée à celle-ce [sic] ne produise pas chez beaucoup d'hommes la corruption de l'esprit et du coeur, ce qui précisément ne peut être admis. Par où l'on voit à nouveau toute l'absurdité qu'il y a à réclamer comme un droit la liberté absolue d'enseigner, soit par la parole, soit par la plume.

 

Enfin, l'on ne peut évidemment admettre que l'État proclame une liberté qu'il est lui-même obligé de condamner et de punir. Or, tel est le cas de l'autorité civile en face de la liberté absolue de l'enseignement et de la presse. C'est que l'autorité civile a pour premier devoir celui de protéger les droits des citoyens, parmi lesquels il y a celui de connaître la vérité, et d'éviter que ne soient mis en péril les principes premiers qui sont à la base de l'ordre social, et, par conséquent, de réprimer et de punir tout ce qui tend au détriment de l'État ou des citoyens. Or, si l'on admet la liberté d'enseignement sans aucune res­triction, l'on ouvre par là même la porte toute grande à la diffusion de doctrines opposées à Dieu, à la religion, aux bonnes moeurs, aux droits des citoyens, à l'autorité civile elle-même, doctrines que cette autorité est tenue, en vertu même de sa charge, de réprimer et de punir. Au fait, c'est ce qu'ont bien soin de faire, on s'en rend compte tous les jours, ces gouvernements mêmes qui proclament le plus haut la liberté d'enseignement et la liberté de la presse: ils n'hésitent pas à restreindre et à punir ces libertés chaque fois que l'on s'en sert pour enseigner ou pour écrire quelque chose qu'ils jugent contraire à leur autorité. Par quoi ils se chargent eux-mêmes de démontrer l'absurdité de ces libertés mêmes dont ils se prétendent les champions.

 

Liberté de la parole et de la presse, liberté d'enseignement: « Libertés véritables, résume et précise S. Ém. le cardinal Villeneuve, honnêtes et précieuses, dès lors qu'elles s'exercent dans les matières libres et dans les limites du bien moral, au delà de quoi elles sont abus, faiblesses, et principes destructeurs (5). »

 

Et il continue, en citant Léon XIII:

« Beaucoup estiment que l'Église doit s'adapter au temps présent et s'accommoder aux mesures de prudence qu'impose au­jourd'hui le gouvernement des peuples. Opinion respectable, s'il s'agit d'une conception sagement équilibrée, qui soit compatible avec la vérité et la justice, en ce sens que, dans l'espoir d'un plus grand bien, l'Église se montre indulgente et accorde à notre époque ce que la sainteté de son ministère lui permet d'accorder. Mais il en va autrement pour les choses et les doctrines que l'affaiblissement des moeurs et l'erreur des intelligences ont introduites contrairement au droit... »

 

« Il s'ensuit qu'il n'est jamais permis de demander, de défendre, d'accorder la liberté de penser, d'écrire ou d'enseigner, et aussi la liberté indistincte des religions, comme autant de droits que la nature aurait donnés à l'homme...

 

« Il suit pareillement, néanmoins, que ces diverses sortes de libertés peuvent, pour de raisonnables causes, être tolérées, pourvu qu'un juste tempérament les empêche de dégénérer jusqu'à la licence et au désordre.

 

« ... Mais, il faut reconnaître, pour que Notre jugement reste dans la vérité, que plus il est nécessaire de tolérer le mal dans un État, plus les conditions de cet État s'écartent de la perfection (soumis qu'il est ainsi à un plus grand nombre de principes corrupteurs de lui-même); et que, de plus, la tolérance du mal, appartenant aux principes de la prudence politique, doit être rigoureusement circonscrite dans les étroites limites exigées par sa raison d'être, c'est-à-dire le salut public. Conséquemment, les systèmes révolutionnaires et qui attaquent les doctrines religieuses fondamentales et les bases même de l'ordre social ne sauraient devenir l'objet de la tolérance politique.

 

« ...Et une chose demeure toujours vraie, c'est que la liberté accordée indifféremment à tous et pour tout, n'est pas désirable pour elle-même, puisqu'il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits (6). »

 

III. — Y-a-t-il des doctrines que les pouvoirs
publics ont le droit et le devoir de proscrire?

 

Dans un État bien organisé, il ne peut donc être question d'admettre une liberté illimitée de l'enseignement et de la presse. Est-ce à dire qu'il appartiendra à l'État de restreindre l'usage de cette liberté dans telle mesure qui lui paraîtra opportune, simplement pour supprimer toute opposition à ses vues ou à son action politique, pour étouffer toute critique trop désagréable pour lui ? Non, car agir de la sorte, ce serait, pour lui, rechercher son propre avantage au grand dam du bien commun, que Léon XIII appelle la « loi suprême, après Dieu, des sociétés (7) ».

 

L'État se doit à lui-même de permettre toute liberté dont l'usage ne s'oppose pas au bien commun; il peut et doit même tolérer le mal dans la mesure requise par cette règle invariable de son action politique. Ce qui veut dire que les doctrines qu'il s'agit d'interdire doivent être absolument subsersives pour l'ordre naturel même, et non pas seulement pour un ordre donné, comme celles visant, par exemple, à substituer la république à la monarchie ou la monarchie à la république, le fédéralisme au centralisme, ou inversement, et autres choses semblables. Nous disons que de semblables doctrines ne devraient être tolérées nulle part et que les organisations ou associations constituées en vue de les répandre ou de les mettre en pratique n'ont pas le droit d'exister. C'est qu'elles poursuivent une fin diamétralement opposée à la fin première, fondamentale, de toute société civile bien organisée, qui consiste à procurer le bien commun de ses membres. Comme l'instinct de conservation, le droit à l'existence, est la première qualité de toute société civile légitime, comment pourrait-elle, sans se détruire elle-même, tolérer dans son sein des doctrines tendant à sa destruction par la base même?

 

C'est ce qui ressort clairement du texte que nous venons de rapporter: « Les systèmes révolutionnaires et qui attaquent les doctrines religieuses fondamentales et les bases même de l'ordre social ne sauraient devenir l'objet de la tolérance politique. » C'est ce qu'enseignait déjà, au siècle dernier, l'illustre Taparelli, de la Compagnie de Jésus: « Puisqu'il existe certaines vérités religieuses qui sont naturellement nécessaires à l'ordre et évidentes, la société naturelle pourrait et devrait exiger que ces vérités ne soient pas attaquées, celles-là surtout sur lesquelles repose tout l'ordre social, comme l'existence d'une providence rémunératrice, l'immortalité de l'âme, etc. (8) » Toutes les sociétés civiles se protègent avec raison contre ceux qui attentent à la paix publique, à la vie et à la propriété des citoyens, et, à bien plus forte raison encore, contre ceux qui prêcheraient ouvertement le recours au vol et à l'assassinat; pourquoi ne se protégeraient-elles pas également contre des doctrines visant à leur ruine totale et qui, à la longue, leur feront autrement de dommage que ne leur en pourront jamais faire les voleurs et les assassins ?

 

Ces doctrines absolument, totalement subversives pour l'ordre naturel même, quelles sont-elles ? Ce sont toutes les doctrines dangereuses et immorales, ce sont surtout celles qui, comme le nihilisme en Russie au siècle dernier, l'anarcho-syndicalisme, qui fleurit depuis si longtemps en Catalogne, et cette forme particulière de socialisme qui s'appelle communisme et que l'on a vue à l'oeuvre en Russie et ailleurs depuis plus de vingt ans, ne visent à rien moins qu'à la destruction radicale de la société.

 

Si le nihilisme a fait place, en Russie, à de nouvelles dénominations politiques et que l'anarcho-syndicalisme paraît devoir rester un fruit particulier à certaines régions de la péninsule ibérique comme la Catalogne et les Asturies, il n'en va pas de même du communisme, qui est essentiellement un article d'exportation et qui apparaît de plus en plus comme l'ennemi le plus redoutable qu'aient à affronter les sociétés civiles légitimes. Voilà pourquoi c'est de lui surtout qu'il s'agit aujourd'hui, un peu partout dans l'univers. Le jugement que nous portons sur lui est-il trop sévère ? Voyons ce qu'en ont dit, dans des documents officiels adressés à tout l'univers catholique, les Papes Pie IX et Léon XIII. Dès le début de son pontificat, Pie IX portait une condamnation solennelle, confirmée plus tard dans le Syllabus, contre « cette doctrine néfaste qu'on nomme le communisme, radicalement contraire au droit naturel lui-même; pareille doctrine, une fois admise, serait la ruine complète de tous les droits, des institutions, des propriétés et de la société humaine elle-même (9)». De même, Léon XIII, dans son encyclique Quod Apostolici muneris, du 28 décembre 1878, définissait comme suit le communisme: « Une peste mortelle qui s'attaque à la moelle de la société humaine et qui l'anéantirait. »

 

Mais, comme le communisme est essentiellement le danger de notre époque, c'est surtout Pie XI, glorieusement régnant, qui a dénoncé avec le plus d'insistance et de précision la menace, le mal souverain, que constitue de nos jours le communisme. Dans l'allocution spéciale, adressée au monde entier, du 18 décembre 1924, dans ses encycliques Miserentissimus Redemptor (8 mai 1928), Quadragesimo anno (15 mai 1931), Cantate Christi (3 mai 1932), Acerba animi (29 septembre 1932), Dilectissima Nobis (3 juin 1933), puis, en 1936, dans ses allocutions lors de l'inauguration de l'Exposition mondiale de la Presse catholique (12 mai), de l'audience accordée aux réfugiés espagnols (14 septembre), dans son message à l'occasion de la fête de Noël, enfin, et surtout, dans son encyclique Divini Redemptoris, du 19 mars 1937, contre le communisme athée, où il traite exclusivement de cette question, le courageux Pontife n'a pas hésité à flétrir comme il convenait la doctrine et les pratiques à la fois antichrétiennes et antihumaines du communisme. Tous ces documents seraient à citer en entier. Comme nous ne pouvons songer à le faire ici, rapportons du moins deux passages choisis parmi les plus saillants et empruntés l'un à l'encyclique Quadragesimo anno, du 15 mai 1931, l'autre à l'encyclique Divini Redemptoris, du 19 mars 1937.

 

« Une partie du socialisme, lisons-nous dans Quadragesimo anno, a subi un changement semblable à celui que Nous venons plus haut de faire constater dans l'économie capitaliste, et a versé dans le communisme: celui-ci a, dans son enseignement et son action, un double objectif qu'il poursuit non pas en secret et par des voies détournées, mais ouvertement, au grand jour et par tous les moyens, même les plus violents: une lutte des classes implacable et la disparition complète de la propriété privée. A la poursuite de ce but, il n'est rien qu'il n'ose, rien qu'il respecte; là où il a pris le pouvoir, il se montre sauvage et inhumain à un degré qu'on a peine à croire et qui tient du prodige, comme en témoignent les épouvantables massacres et les ruines qu'il a accumulés dans d'immenses pays de l'Europe orientale et de l'Asie; à quel point il est l'adversaire et l'ennemi déclaré de la sainte Église et de Dieu lui-même, l'expérience, hélas! ne l'a que trop bien prouvé, et tous le savent abondamment. Nous ne jugeons assurément pas nécessaire d'avertir les fils bons et fidèles de l'Église touchant la nature impie et injuste du communisme; mais, cependant, Nous ne pouvons voir sans une profonde douleur l'incurie de ceux qui, apparemment insouciants de ce danger imminent et lâchement passifs, laissent se propager de toutes parts des doctrines qui, par la violence et le meurtre, vont à la destruction de la société tout entière. Ceux-là surtout méritent d'être condamnés pour leur inertie, qui négligent de supprimer ou de changer des états de choses qui exaspèrent les esprits des masses et préparent ainsi la voie au bouleversement et à la ruine de la société. »

 

Et dans Divini Redemptoris:

« La doctrine, que le communisme cache sous des apparences parfois si séduisantes, a aujourd'hui pour fondement les principes du matérialisme dialectique et historique déjà prônés par Marx; les théoriciens du bolchevisme prétendent en détenir l'unique interprétation authentique. Cette doctrine enseigne qu'il n'existe qu'une seule réalité, la matière, avec ses forces aveugles; la plante, l'animal, l'homme sont le résultat de son évolution. De même, la société humaine n'est pas autre chose qu'une apparence ou une forme de la matière qui évolue suivant ses lois; par une nécessité inéluctable elle tend, à travers un perpétuel conflit de forces, vers la synthèse finale: une société sans classes. Dans une telle doctrine, c'est évident, il n'y a plus de place pour l'idée de Dieu, il n'existe pas de différence entre l'esprit et la matière, ni entre l'âme et le corps; il n'y a pas de survivance de l'âme après la mort, et par conséquent nulle espérance d'une autre vie. Insistant sur l'aspect dialectique de leur matérialisme, les communistes prétendent que le conflit, qui porte le monde vers la synthèse finale, peut être précipité grâce aux efforts humains. C'est pourquoi ils s'efforcent de rendre plus aigus les antagonismes qui surgissent entre les diverses classes de la société; la lutte des classes, avec ses haines et ses destructions, prend l'allure d'une croisade pour le progrès de l'humanité. Par contre, toutes les forces qui s'opposent à ces violences systématiques, quelle qu'en soit la nature, doivent être anéanties comme ennemies du genre humain.

 

« De plus, le communisme dépouille l'homme de sa liberté, principe spirituel de la conduite morale; il enlève à la personne humaine tout ce qui constitue sa dignité, tout ce qui s'oppose moralement à l'assaut des instincts aveugles. On ne reconnaît à l'individu, en face de la collectivité, aucun des droits naturels à la personne humaine; celle-ci, dans le communisme, n'est plus qu'un rouage du système. Dans les relations des hommes entre eux, on soutient le principe de l'égalité absolue, on rejette toute hiérarchie et toute autorité établie par Dieu, y compris l'autorité des parents. Tout ce qui existe de soi-disant autorité et subordination entre les hommes dérive de la collectivité comme de sa source première et unique. On n'accorde aux individus aucun droit de propriété sur les ressources naturelles ou sur les moyens de production, parce qu'ils sont l'origine d'autres biens, et que leur possession entraînerait la domination d'un homme sur l'autre. Voilà précisément pourquoi ce genre de propriété privée devra être radicalement détruit, comme la première source de l'esclavage économique.

 

« En refusant à la vie humaine tout caractère sacré et spirituel, une telle doctrine fait nécessairement du mariage et de la famille une institution purement conventionnelle et civile, fruit d'un système économique déterminé. On nie par conséquent l'existence d'un lien matrimonial de nature juridico-morale qui soit soustrait au bon plaisir des individus ou de la collectivité et, par suite, on rejette l'indissolubilité de ce lien. En particulier, le communisme n'admet aucun lien spécial de la femme avec la famille et le foyer. En proclamant le principe de l'émancipation de la femme, il l'enlève à la vie domestique et au soin des enfants pour la jeter dans la vie publique et dans les travaux de la production collective au même titre que l'homme; le soin du foyer et des enfants est dévolu à la collectivité. Enfin on retire aux parents le droit de l'éducation, que l'on considère comme un droit exclusif de la communauté; c'est seulement au nom de la communauté et par délégation que les parents peuvent encore l'exercer...

 

« Vénérables Frères, voilà le nouvel Évangile que le communisme bolchevique et athée prétend annoncer au monde comme un message de salut et de rédemption! Système rempli d'erreurs et de sophismes, opposé à la raison comme à la révélation divine; doctrine subversive de l'ordre social puisqu'elle en détruit les fondements mêmes, système qui méconnaît la véritable origine, la nature et la fin de l'État, ainsi que les droits de la personne humaine, sa dignité et sa liberté. »

 

Ces paroles du Père commun des fidèles sont si claires qu'elles se passent de tout commentaire. Elles nous montrent combien la doctrine communiste s'oppose à la fin même qui est celle de toute société civile légitime, c'est-à-dire le bien commun de ses membres. Pour empêcher pareille doctrine de triompher ou même de se répandre, l'on pourra, si les autres conditions nécessaires à cette fin sont réunies, aller jusqu'au recours aux armes inclusivement. A plus forte raison, l'État peut-il et doit-il prendre toutes les mesures politiques susceptibles de s'opposer d'une façon efficace à cette diffusion. Ces mesures sont extrêmement simples: elles consistent à déclarer illégale dans le pays toute association, comme toute propagande communiste, à interdire toute organisation, location de salle, conférence, réunion, ou autres choses semblables, tout comme on le fait pour les sociétés de bandits ou les écoles de cambriolage. Étant donné qu'il y va du salut public, l'on ne saurait se montrer trop énergique dans la répression de la publicité donnée à une doctrine aussi dangereuse pour l'ensemble de la société.

 

CONCLUSION

 

La liberté bien entendue ne connaît-elle aucune limite ? La liberté d'enseignement et la liberté de la presse peuvent-elles être absolues ? Y a-t-il des doctrines que les pouvoirs publics ont le droit et le devoir de proscrire, et, si oui, quelles sont-elles ? Les pages qui précèdent répondent, croyons-nous, à ces trois questions, et, du même coup, indiquent à nos gouvernants le grave devoir qui leur incombe en face de la propagande et des activités communistes: une répression absolue, une guerre sans merci et de tous les instants.

 

Dira-t-on que pareille manière de faire est peu en harmonie avec les libertés si étendues dont se vantent les grandes « démocraties » ? Que l'on se dise bien que si le nombre des « démocraties » va sans cesse décroissant, c'est précisément parce que l'on n'a trouvé que dans un régime fortement concentré le remède adéquat à la menace très réelle. — quand ce n'était pas un règne de terreur sanglante plus ou moins prolongée, comme en Hongrie (1919) ou en Espagne (depuis 1936, dans les régions non encore délivrées des sbires aux ordres de Moscou) — qu'avaient fait peser sur le pays les agissements communistes. C'est le cas de l'Italie, de l'Allemagne, du Portugal, de la Pologne, de la Roumanie, de la Grèce, de la Bulgarie, de la Yougoslavie, d'autres pays encore.

Veut-on un exemple de démocratie parlementaire idéale où, pourtant, le communisme est absolument hors la loi ? On aime à vanter la démocratie de ces pays si bien équilibrés que sont les États scandinaves, pays si complètement étrangers aux lamentables querelles euro­péennes et que l'on a justement appelés, pour cela, la conscience de la Société des Nations. Ce sont la Suède, la Norvège, le Danemark, la Finlande et l'Islande. Qu'on étudie le cas de la Finlande: sur la vigoureuse initiative des forces nationales paysannes, constituées autour du village de Lapua, qui a donné son nom au mouvement, ce pays a, depuis l'automne de 1930, une forte législation anticommuniste, initiative qui a été imitée, bien qu'à des degrés divers, par les Etats voisins, en particulier l'Esthonie et la Lettonie.

 

Malgré la pression formidable exercée sur eux par nos grands pourfendeurs des Etats totalitaires et du fascisme, nos ministres fédéraux, songeant peut-être à l'exemple que donne la Finlande depuis bientôt huit ans, ont eu le courage et le mérite de refuser de désavouer la loi du cadenas, premier essai dans le bon sens tenté jusqu'ici en notre pays sur ce point capital. Nous voulons croire qu'il ne s'agit là que d'un début et que le jour n'est plus éloigné où ils adopteront résolument, à leur tour, les mesures de salut public qui s'imposent tant contre le péril communiste. Ce sera là le moyen par excellence, le seul vraiment efficace, de barrer la route pour de bon à la diffusion chez nous des doctrines totalitaires, qui n'ont encore germé nulle part que comme réaction inévitable contre ce que le Père commun des fidèles a si justement appelé le communisme athée.

 

(1) Encyclique Libertas praestantissimum.

 

(2) Summa theot., p. 1, q. 62, art. 8, ad 3.

 

(3) Encyclique Libertas praestantissimum.

 

(4) Encyclique Libertas praestantissimum.

 

(5) Liberté et libertés, collection « Le Document », p. 19.

 

(6) Encyclique Libertas praestantissimum.

 

(7) Encyclique Quas gravissimes.

 

(8) Essai de Droit naturel, 884.

 

(9) Encyclique Qui pluribus, 9 novembre 1846.

 

Source: Abbé Camille POISSON, "Doit-on tolérer la propagande communiste?", dans L'Oeuvre des tracts, Montréal, No 231 (septembre 1938): 1-16.

 

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College