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Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents
Ébauche de L'Appel de la Race
Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race
[Note de l’éditeur : Dans ce court texte, Groulx raconte comment lui est venue l’idée de rédiger L'Appel de la Race et dans quelles conditions il l’a fait. Il nie avoir fait un roman à clé.]
C'est encore pendant mes vacances de 1921 que, dix ans avant Au Cap Blomidon, j'entreprends la rédaction de mon premier roman, celui qui fera, à son apparition, tant parler de lui : L'Appel de la Race. Devrais-je me donner la peine d'écrire l'historique de ces ouvrages qui, après tout, furent d'assez petites choses et qui ont survécu je ne sais trop comment ? Mais enfin, j'écris ces Mémoires pour m'occuper, me délasser. Glanons encore des souvenirs. L'idée d'un roman à écrire m'est venue, un de ces jours, brusquement, sans préméditation, comme une de ces idées obsédantes qui ne laissent plus de cesse que vous ne vous en soyez délivré. L'idée m'assaille un de ces matins, dois-je l'avouer hélas, à l'église, alors que sur la banquette, j'écoute distraitement un sermon. En quelques instants, toute la trame, toute l'affabulation s'organise dans mon esprit. Je me sens en ébullition. La messe dite, je monte à ma chambre. Et aussi vite que ma plume peut courir sur le papier, j'écris le plan du roman, en lignes fiévreuses. J'ai l'impression de manier de la lave brûlante. On a voulu y voir un roman à clé. A l'origine, je ne vois rien de tel. Je ne vois que cet incurable besoin d'évasion, dont j'ai maintes fois parlé, besoin de m'écarter de la tâche trop austère, comme l'homme de la route rocailleuse et trop ensoleillée se laisse entraîner vers un sentier sous-bois, dans l'ombre accueillante. C'est le même besoin qui, aux vacances de 1921, m'invite à reprendre ma brève affabulation pour lui donner chair et sang, corps et vie. Cinq ans auparavant, c'est par manière de passe-temps et pour récréer de jeunes scolastiques que j'ai écrit maints chapitres des Rapaillages. A Saint-Donat, c'est aussi pour me divertir et pour amuser la famille de mes hôtes de vacances que je commence à écrire L'Appel de la Race. A ce moment-là, l'abbé Lucien Pineault se trouve à L'Abitation. Je ne suis pas fâché de lui soumettre certains chapitres. Pour mon héros, Jules de Lantagnac, se posent d'assez graves cas de conscience.
Je ne touche point à mes matinées qui restent réservées à mes travaux d'histoire. L'après-midi ira au roman. Pour me trouver en parfaite tranquillité, je m'enferme dans ma chapelle, portes ouvertes, face au grandiose paysage. Et chaque jour, j'écris un chapitre. Le soir, tout notre petit monde réuni, je lis ce que j'ai ébauché. Et la discussion s'engage, souvent vive, chaude, sur tel ou tel détail, telle manière de faire parler ou de présenter mes personnages, sur la thèse de fond. Sur ce dernier point, l'abbé Pineault y va de toutes ses armes de théologien. Je défends la thèse de mon mieux, ne cédant que pied à pied où des nuances me paraissent s'imposer. Ah ! les belles soirées vécues ensemble sur la véranda, jusqu'à la nuit tombante, tandis qu'au loin, au fond des baies sauvages, et comme pour ajouter à quelques scènes tragiques du roman, s'élève parfois, pareil à l'appel d'un homme égaré dans la montagne, le cri plaintif, presque désespéré du huard. D'autres soirs, quand le vent de la baie de l'Ours - vent du nord - souffle trop cinglant, la lecture a lieu dans la grande salle de la maison, autour du poêle à deux ponts, vieille relique que nous avions conservée, et qui, par ses yeux rouges, semble plonger dans le monde des rêves et du folklore.
Source : Lionel Groulx, Mes Mémoires, Tome 1, 1878-1920, Montréal, Fides, 1970, 437p., pp. 368-370. Retour à la page de la controverse sur l'Appel de la Race
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Claude Bélanger, Marianopolis College |