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Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents
Au pays de l'OntarioUn épaulement moral
Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race
Un roman canadien-français vient de paraître dont l'auteur se voile sous un pseudonyme tout à fait déconcertant. L'Appel de la Race par Alonié de Lestres, raconte le drame poignant qui se déroule dans une famille de la capitale du Canada.
Jules de Lantagnac descend d'une souche de la petite noblesse. Il est né en 1871, à St-Michel de Vaudreuil, et il a suivi le cours classique dans un petit séminaire de la province de Québec à l'époque où l'on prêchait « les bienfaits de la constitution britannique, la libéralité anglo-saxonne, la fidélité de nos pères à la couronne d'Angleterre. » Au sortir du collège, le hasard, ou ce que nous appelons ainsi, le jette dans l'étude d'un avocat anglais d'où il se dirige vers l'Université McGill pour y apprendre le droit. Il s'éprend de la race supérieure et oublie son propre passé. En conséquence, il se fixe à Ottawa. Là, il se lie d'amitié avec une jeune protestante anglaise qu'il convertit et qu'il épouse.
Dans le ménage où les deux âmes trop différentes par la race ne fusionnent jamais jusqu'à la complète intimité, il y a vite, réciproquement, quelque mécontentement du coeur. En somme, l'union se maintient. Quatre enfants, du reste, la cimentent. Wolfred semble énigmatique; Nellie a le tempérament sec d'une Miss; Virginia, qui évoquera les larmes chez quiconque est susceptible d'attendrissement, se montre, pour parler comme les romanciers, simplement "adorable"; quant à William, il révèle son caractère buté dans la grève de la version et du thème qu'il soutient contre son père tant que celui-ci ne l'a pas transféré de l' « université française d'Ottawa » au Loyola College de Montréal.
Tout de même le bonheur habite au numéro 240 de la rue Wilbrod .......jusqu'à ce que survienne la crise scolaire ontarienne. Les malheurs des Canadiens français im-pressionnent Jules de Lantagnac et, aussi, les thèses ncessantes [sic] d'un religieux qu'il rencontre souvent autour de1910.
Le Père Fabien est oblat. Au physique, il a une stature qui, tout de suite, vous met un nom sur les lèvres. Si vous regardez attentivement au moral, l'irrédentisme nerveux, tranchant, prêt à tout sacrifier sur l'autel de la patrie, qui prononce des oracles irréformables, vous suggère une autre silhouette. Vous pensez tenir le Père Fabien. Nenni. Cette bibliothèque, garnie de livres qui traitent excellemment tous les sujets pour lesquels notre siècle se passionne vivement, vous conduit chez un homme dont la vie est consacrée à l'étude plutôt qu'à l'action. Vous êtes obligés de conclure que le Père Fabien appartient au style composite, qu'il est constitué par des pièces diverses, qui ne se soudent peut-être pas fréquemment ensemble, vu que les tenaces et les opiniâtres n'ont pas d'ordinaire la cambrure et la robustesse des athlètes. Le Père Fabien ne manque jamais une occasion de rentrer dans le cerveau de Lantagnac, entre le tuf primitif et les couches d'emprunt anglo-saxonnes, le coin de ses théories sur les problèmes canadiens.
Un voyage fait au pays natal où la poésie de la nature, l'accueil des proches, la voix des morts rappellent éloquemment l'épopée française, achève de convertir Lantagnac à la dévotion de sa race. Il jure, au cimetière, auprès des tombes de ses aïeux, que ses enfants continueront leur vraie lignée.
De retour à Ottawa, il se met à l'oeuvre avec un zèle dont il se reprochera plus tard, non sans quelque raison, la trop grande précipitation. Comme c'est l'époque des vacances, il installe sa famille dans une villa gracieuse, sise sur une « îlette » du lac MacGregor, et, immédiatement, il commence auprès de ses enfants ses cours d'éducation française. A la tombée du premier jour, alors que Lantagnac se promène sur le lac avec tous les siens, voilà que, non loin, des voix s'élèvent chantant nos airs canadiens. Puis « comme le soir s'achevait, que, là-bas, derrière les monts, le feu du soleil, tout à l'heure rouge, s'éteignait dans une pâleur de cierge, les cuivres entonnèrent soudain avec ensemble le chant final: 0 Canada, terre de nos aïeux ! …A mesure que l'air apportait une phrase de la symphonie patriotique, au loin les larges échos la reprenaient, l'harmonisaient sur leur clavecin, la magnifiaient sur un rythme grandiose. Des orgues géantes s'ébranlaient, en vastes crescendos, le long des escarpements hautains; et il semblait, dans la résonnante de toute chose qui emplissait l'air„ que l'hymne national fût l'acclamation naturelle, le chant inné de la terre canadienne. »
Ne croirait-on pas qu'Alonié de Lestres a pris part aux concerts des Scholastiques oblats de Notre-Dame-de-la Blanche ?
C'est avec le beau-père Fletcher, rond-de-cuir pour qui toute la religion consiste dans le culte du drapeau britannique et de ... l'argent, que Lantagnac discute notre situation légale et naturelle dans la Confédération canadienne. Et c'est avec un certain Duffin, Irlandais d'origine, qu'il croise le fer touchant le conflit scolaire de l'Ontario.
Ce Duffin a épousé la soeur de madame de Lantagnac, sans la convertir. Peut [sic] s'en est fallu même qu'il n'ait perdu sa foi catholique comme l'amour de sa nationalité. Apôtre ardent du saxonisme, il déteste cordialement les Canadiens français à qui il déclare une guerre implacable. Cette guerre, il l'ouvre du reste, sur le dos de son beau-frère en lui volant sa place, moyennant des procédés de camisard. Pis que cela, Duffin soudoie la femme et les enfants de Lantagnac contre Lantagnac lui-même.
Au moment donc où Jules de Lantagnac devient l'un des chefs franco-ontariens et le député du comté de Russell, tel il nous apparaît. Bel homme, esprit clair, équilibré, idéaliste que les génies grec et latin et la foi chrétienne ont fini par façonner; caractère généreux et intrépide; orateur à l'éloquence toute française.
Tout à coup la nouvelle se répand que le sénateur Landry a démissionné. Un grand débat va se livrer à la Chambre des Communes sur la question scolaire. A coup sûr, Lantagnac, le représentant officiel des victimes du règlement XVII « l'honneur et la force » de la cause française, devrait y prendre la parole. Seulement, un tel acte de sa part détruira sa maison; le dénouement ne fait point de doute.
On voit le dilemme: ou sacrifier ses compatriotes à sa famille, ou sacrifier celle-ci à ceux-là. « Ai-je le droit, se demande avec angoisse Lantagnac, pour le seul intérêt d'une tactique douteusement efficace, de démolir mon foyer, d'opérer la dispersion de mes enfants ? »
Dans cette occurrence douloureuse le député de Russell court chez le Père Fabien. Celui-ci, pourtant peu enclin par nature aux agitations intérieures, s'émeut, cette fois; il hésite, en apparence plus qu'en réalité, je crains bien; il raisonne, il argumente, puis il conclut: « Je songe que, devant le public, trop peu au fait de bien des circonstances..., Jules de Lantagnac ne peut garder le silence, sans se déshonorer à jamais, sans ruiner le prestige d'un grand talent... Nous ne sommes que partie dans un Etat dont l'action politique est souvent dirigée contre notre existence; nous ne possédons qu'une personnalité nationale embryonnaire. En un tel cas, Lantagnac. vous le savez bien, la responsabilité de toute la race pèse plus lourdement sur chaque citoyen, mais elle pèse sur l'élite plus que sur les autres. »
Et Jules de Lantagnac, qui ressemble beaucoup plus aux héros de Racine qu'à ceux de Corneille, sort de cet entretien sans que la paix, ni la lumière soient entrées dans son âme.
Aussi bien, est-ce si facile de juger quand l'héroïsme devient le devoir ?
Le tragique, c'est que si Lantagnac n'existe pas, à proprement parler en chair et en os, tel qu'il est peint, il existe en mille existences humaines qui se débattent très réellement entre leurs affections légitimes et leur devoir patriotique.
Au vrai, peut-être pourrait-on observer qu'Alonié de Lestres exprime les sentiments de l'amour avec des accents assez contenus. Un Mistral, dans sa Mireille qui est aussi un roman national, a des émotions autrement chaudes et autrement prenantes. Mais ne nous plaignons pas trop, puisque nous tenons là, sans doute, un indice sur l'habitacle du mystérieux auteur.
Où Alonié de Lestres excelle, c'est quand il raconte ses idées. Car son livre contient une doctrine, tranchons le mot: le nationalisme intégral. Il embrasse bien d'autres questions que celles qui concernent l'Ontario. A nous, il apporte un encouragement précieux dont nous ne connaîtrons bien la portée que dans un avenir assez éloigné. A tous les nôtres, où qu'ils soient, il offre des « directives » sur une infinité de points, notamment sur la politique canadienne générale, sur la politique canadienne-française, sur l'éducation nationale...
Peut-être, parfois, le ton s'élève-t-il un peu trop; c'est qu'en d'autres endroits le diapason rétablit l'harmonie.
A travers de réelles beautés littéraires, des mouvements d'âmes vraiment humains et chrétiens, des observations de moeurs nombreuses, des considérations philosophiques qui, souvent, ne manquent pas de profondeur, s'il s'est glissé des imperfections, les critiques le diront, s'il leur plaît. Pour nous, qui vivons, qui sentons, qui pensons avec les Franco-Ontariens, nous ne voulons considérer dans l'Appel de la Race, que l' « épaulement moral » dont nous avions tant besoin.
Au demeurant, l'Appel de la Race comble, en partie, une lacune dont souffrent tous les esprits qui s'occupent de notre formation et de notre conservation ethniques. Tant que nous n'aurons pas une littérature nationale supérieure, quelques livres où les jeunes générations se formeront semblablement dans la contemplation amoureuse et palpitante du véritable idéal canadien-français, les adversaires, les ennemis qui nous entourent, qui nous enveloppent, auront toujours chance de finir par nous entamer, par nous diviser, par nous absorber dans leur masse hétérogène.
Alonié de Lestres contribuera, pour sa part, à donner de la consistance à notre mentalité canadienne-française, voire à notre mentalité canadienne tout court. A la condition toutefois qu'il soit lu. Or, il n'est personne, que je sache, parmi les Franco-Ontariens d'abord, parmi les Canadiens français ensuite, parmi tous ceux qui lisent, fussent-ils d'Europe, qui, bientôt, n'aura appris par soi-même quelle fut l'attitude de Jules de Lantagnac au moment le plus important de sa vie.
Source: Georges SIMARD, O. M. I., « Au pays de l’Ontario : Un épaulement moral, » dans L’Action française, Vol. VIII (octobre 1922) : 210-215. Retour à la page de la controverse sur l'Appel de la Race
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Claude Bélanger, Marianopolis College |