Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

Histoire de la littérature canadienne-française (Québec)

 

LA LITTÉRATURE SOUS LE RÉGIME FRANÇAIS

 

Jacques Cartier - Marc Lescarbot - Frère Sagard - La Hontan

Charlevoix - Champlain - Marie de l'incarnation

Pierre Boucher

 

[Ce texte a été écrit par l'abbé Camille Roy; il fut publié en 1962. Pour la référence complète, voir la fin du texte.]

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Le régime français comprend un siècle et demi de notre vie canadienne: 1608-1760.

 

Sous ce régime, il n'y eut guère, en Nouvelle-France, de vie littéraire, la vie économique absorbant à peu près toutes les forces spirituelles et matérielles de la colonie. Cependant on se préoccupa, dès l'origine, surtout après la restitution du Canada à la France par l'Angleterre en 1632, d'organiser une vie intellectuelle qui pût, sinon créer une littérature, du moins satisfaire aux exigences ou aux besoins des différentes classes de la population.

 

En 1635, les Jésuites ouvrirent à Québec le premier collège classique. On y faisait des études dont le programme était calqué sur celui des collèges de France. En 1663, Mgr de Laval, premier évêque de la Nouvelle-France, fonda à Québec le Grand Séminaire, puis en 1668 le Petit Séminaire. Québec fut ainsi, tout à la fois, la capitale politique, religieuse et intellectuelle de la colonie. Les gouverneurs voulurent ajouter à ces moyens de culture de l'esprit, les agréments d'une vie sociale polie, élégante, mondaine, et même raffinée, qu'a décrite l'historien Charlevoix en 1720, et que Kalm, qui visita le Canada en 1749, a lui aussi mentionnée dans ses récits de voyage. On sait par Bougainville qu'un cercle littéraire existait à Québec en 1757.

 

Cette vie sociale et intellectuelle du régime français n'a pas créé une littérature canadienne. Cependant, il convient de rappeler ici des oeuvres qui, publiées en France, écrites pour la plupart par des auteurs qui ne firent que passer ou vivre quelques années au Canada, appartiennent plus à l'histoire du régime français de la colonie qu'à notre histoire littéraire. Ces oeuvres offrent surtout un intérêt documentaire. On en peut faire un chapitre préliminaire de l'histoire de notre littérature.

 

Jacques Cartier (1491-1557) a écrit le Discours du voyage fait par le capitaine Jacques Cartier aux Terres Neuves du Canada, publié à Rouen en 1598. Le découvreur du Canada ne fut assurément pas un écrivain. Son Discours est rempli d'observations techniques, utiles aux marins qui pourraient reprendre et continuer ses explorations. Il contient aussi de courtes descriptions des terres découvertes et des indigènes rencontrés.    

 

Marc Lescarbot (1570-1630) n'a fait que passer au Canada. On le trouve avec Champlain à Port-Royal en 1606. Il publia en 1609, à Paris, une Histoire de la Nouvelle-France. Avocat doublé d'un mauvais versificateur, il publia en même temps que son Histoire une plaquette de vers médiocres intitulée: Les Muses de la Nouvelle-France. Marc Lescarbot écrivit pour attirer des colons en Nouvelle-France. Il voulut visiter lui-même ce pays. « Je fus désireux de reconnaître cette terre oculairement et de fuir un monde corrompu. » Il compose volontiers avec son imagination et disserte en moraliste sur la bonté naturelle des sauvages. Son Histoire est un document curieux et précieux sur les premiers essais de colonisation faits par la France en Canada, et sur les moeurs des indigènes qu'y ont rencontrés les colonisateurs.

 

Le Frère Sagard . Le Frère Gabriel-Théodat Sagard, mineur récollet, publia en 1636, à Paris, une Histoire du Canada. Il avait vécu douze ans parmi les sauvages; il apprit leur langue et étudia leurs moeurs. En 1632, il publia des impressions de voyage qui étaient comme une première esquisse de son Histoire .

 

Le Frère Sagard décrit avec force détails la vie des indigènes. Ses précisions se mêlent d'ailleurs de naïvetés. Il manque d'esprit critique et accepte sans assez de discernement ce qu'on lui raconte. Cependant il écrit une Histoire du Canada qui contient les plus utiles renseignements, et qui, après celle de Charlevoix, est la plus considérable qui ait été publiée sous le régime français. Elle fut réimprimée en France en 1866.

 

Le baron de la Hontan (1666-1715) . Fils d'un seigneur ruiné, et lui-même assez mauvais garnement, le baron de la Hontan vint au Canada dès l'âge de dix-sept ans, en 1683, pour y tenter fortune. Il y resta dix ans. Après son retour en France, il publia, en 1703, des Lettres, les Dialogues avec un Sauvage, et des Mémoires. Ces ouvrages obtinrent un vif succès, un succès de style et de scandale. L'auteur est révolutionnaire et ennemi de la religion. Il en veut à la société et à l'Église; il leur préfère la liberté et la religion des sauvages. Mais à travers toutes ces dissertations, il y a des pages, des récits ou la vie en Nouvelle-France est racontée avec un entrain et une originalité qui firent rechercher les ouvrages de la Hontan. Les Dialogues furent traduits en plusieurs langues.

 

Le Père Charlevoix (1682-1761) . C'est le Père Charlevoix, jésuite, qui a écrit sous le régime français la meilleure Histoire de la Nouvelle-France. Il la publia en 1744. Il avait été envoyé au Canada pour y étudier le problème difficile de la colonisation de ce pays par la France, et des causes qui en entravaient le développement. Il le parcourut donc pour y faire une enquête judicieuse sur la vie coloniale. Il rapporta de ses voyages des documents et des impressions avec lesquels il a construit et écrit en une langue sobre, rapide, classique, son Histoire.

 

Le Père Charlevoix était un lettré. Il fut un excellent écrivain. Avant de publier son Histoire de la Nouvelle-France, il avait publié en 1736 une histoire religieuse du Japon, et en 1742 une Histoire de Saint-Domingue

 

L'Histoire de la Nouvelle-France couvre tous les aspects de la vie canadienne de l'époque. L'auteur raconte en suivant l'ordre chronologique. Les faits y sont entrecoupés de considérations générales. Le Père Charlevoix a d'ailleurs ajouté à son Histoire de la Nouvelle-France un Journal historique où il donne une plus large place à la philosophie de l'histoire.

 

Le Père Joseph-François Lafiteau (1681-1746), jésuite, a passé cinq ans au Canada (1712-1717) , s'appliquant à y étudier les moeurs, la vie des sauvages, et particulièrement des Iroquois. De retour en France, devenu à Paris procureur des missions du Canada, il composa de nombreux ouvrages d'histoire, entre autres: Moeurs des Sauvages américains comparées aux Moeurs des premiers temps, 4 vols in-12 (1724-1732).

 

Après ce groupe d'auteurs qui n'ont fait que passer au Canada, voici un deuxième groupe composé de personnes qui, venues de France, comme Champlain et Marie de l'Incarnation, ont fait du Canada leur patrie d'adoption, y ont vécu une bonne partie de leur vie et y sont morts. D'autres, nés au Canada, appartiennent tout entiers à notre histoire.

 

Samuel de Champlain (1567-1635), fondateur de Québec en 1608, a laissé des relations de ses Voyages composées, remaniées, et publiées à des époques différentes. Le récit de 1603 est intitulé: Des Sauvages ou Voyage de Samuel de Champlain de Brouage fait en la Nouvelle-France en 1603. Ce récit complété par d'autres fut réédité en 1627. En 1632, nouvelle édition, avec ce titre: Les Voyages de la Nouvelle-France Occidentale dite Canada, faite par le Sieur de Champlain, de 1603 d 1629. [Sur Champlain et ses écrits, voir le Dictionnaire du Père Le Jeune]

 

Champlain raconte ses voyages et fait de ses récits un plaidoyer en faveur de la Nouvelle-France. Il décrit surtout ses travaux d'exploration, et il le fait avec une précision rigoureuse. Mais il mêle volontiers des considérations d'ordre moral à ses observations techniques ou géographiques. Il insiste, par exemple, sur l'importance qu'il y avait pour la France d'aller prendre sa part de l'Amérique, et d'y travailler à l'évangélisation des sauvages. A l'occasion, il décrit aussi et juge les coutumes et les moeurs des indiens qu'il rencontre.

 

Marie de l'Incarnation (1599-1672) . Née à Tours, venue à Québec en 1639 pour y fonder le monastère des Ursulines, elle y mourut en 1672. Elle fut l'une des plus profondes mystiques du dix-septième siècle. L'abbé Henri Brémond lui consacre une grande partie du volume VI de son Histoire littéraire du sentiment religieux en France. Elle compte assurément parmi les écrivains spirituels qui ont laissé les meilleures ouvres.

 

Elle écrivit deux Relations de ses états d'âme et d'oraison, l'une vers 1633, à Tours, l'autre à Québec en 1653 et 1654. Il faut ajouter à ces Relations des milliers de lettres qui vont de 1625 à 1671, et dont la plupart sont perdues. Celles qu'on a pu conserver, et ses Relations, ont été publiées de 1677 à 1684. Les Relations forment une véritable autobiographie de l'auteur.

 

L'ensemble des oeuvres de Marie de l'Incarnation est d'une grande valeur à la fois historique, spirituelle et littéraire. On y trouve les témoignages les plus précieux sur les événements et les personnages de la Nouvelle-France, une doctrine mystique qui porte les âmes vers les sommets les plus élevés de la contemplation, et des qualités de style raisonnable, simple, naturel qui caractérisent la manière d'écrire de Marie de l'Incarnation.

 

Pierre Boucher (1622-1717), né en France, venu au Canada en 1634, dès l'âge de douze ans, avec sa famille, fut gouverneur des Trois-Rivières de 1653 à 1659, puis de 1663 à 1667. Il s'établit ensuite dans sa seigneurie de Boucherville où il mourut.

 

A la demande du roi Louis XIV, auprès duquel il avait été délégué par M. d'Avaugour en 1661, et qui 1'avait interrogé sur l'état de la colonie, Pierre Boucher composa une Histoire naturelle des moeurs et productions du pays de la Nouvelle-France, imprimée à Paris en 1664. Cet ouvrage, rempli de renseignements précieux, n'est pas une oeuvre d'art, mais il est écrit dans le style très simple, tout naturel, en somme agréable, que pouvait employer l'écrivain d'occasion que fut Pierre Boucher.

 

Les Relations des Jésuites figurent assurément parmi les ouvrages importants écrits sous le régime français. Elles ont une valeur plutôt historique que littéraire. Elles furent publiées pendant plus de quarante ans à partir de 1611 où les Jésuites arrivèrent en Acadie. Elles avaient pour but d'instruire le public des travaux des missionnaires, de provoquer des vocations missionnaires et d'aider la cause de la colonisation de la Nouvelle-France. Les principaux auteurs des Relations sont les Pères Paul Le Jeune , Barthélemy Vincent, Jérôme Lalement , Paul Ragueneau , saint Jean de Brébeuf , etc. Les Relations conduisent jusqu'à 1672 le récit des travaux des Jésuites et des événements qu'ils racontent.

 

D'autres auteurs de mémoires et de relations s'ajoutent, à tous les noms qui précèdent. Entre autres: Nicolas Perrot (1643-1717), né en France, mort au Canada, qui a composé Mémoire sur les moeurs, coutumes et religions des Sauvages de l'Amérique septentrionale, publié à Paris en 1864; Nicolas Jérémie (1669-1732), né près de Québec, à Sillery, a laissé: Relation du Détroit et de la Baie d'Hudson., qui est une histoire de cette région du Canada, de 1612 à 1714. Signalons aussi l'auteur de l'Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, Soeur Saint Ignace (Jeanne-Françoise Juchereau, 1650-1723), née à Québec. Cette Histoire terminée vers 1716, fut publiée en 1751 par l'abbé La Tour, aumônier de l'Hôtel-Dieu.

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BIBLIOGRAPHIE

 

LAREAU (Edmond) : Histoire de la Littérature canadienne.

JAMET (Dom Albert) : Le Témoignage de Marie de l'incarnation. Intro­duction.

MARION (Séraphin): Relations des Voyageurs français en Nouvelle-France au XVIIe siècle. Pierre Boucher.

LÉGER (Jules): Le Canada français et son expression littéraire.

FILTEAU (Gérard): La naissance d'une nation.

ROBITAILLE (Abbé Georges) : Telle qu'elle fut. Études critiques sur Marie de l'Incarnation.

 

 

Source: Mgr Camille ROY, Manuel d'histoire de la Littérature canadienne de langue française , 21 ème edition, revue et corrigée par l'auteur, Montréal, Beauchemin, 1962 [1939], 201p., pp. 16-21. Le texte a été reformaté et les erreurs typographiques évidentes ont été corrigées.

 

 

 

 

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College