Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

L'Honorable HONORE MERCIER
(1840-1894)

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Honoré Mercier, l'ancien premier-ministre de Québec, est né, à Saint-Athanase d'Iberville, le 15 octobre 1840, la même année que Chapleau et un an avant Laurier. Il est mort, à Montréal, le 30 octobre 1894, à 54 ans. Comme Chapleau, et après lui, orateur puissant et chef politique habile, il a joui dans la province, plusieurs années, d'un grand prestige et d'une influence considérable.

Le premier Mercier, venu au Canada vers 1663, était originaire de la Vendée. Le grand-père d'Honoré habitait Saint Thomas de Montmagny. Le père avait compté parmi les premiers colons d'Iberville. Né en 1840, le futur premier ministre vint faire ses études classiques au collège Sainte Marie de Montréal où il entra en 1854. En 1862, il s'occupe de la rédaction du Courrier de Saint Hyacinthe et il fait déjà de la politique. En même temps, il étudie le droit au bureau légal de Lafontaine et Papineau. Reçu au barreau en 1865, à 25 ans, il établit son étude à Saint-Hyacinthe. Il est de ceux qui s'opposent à l'établissement de la Confédération. Le 23 août 1872, il brigue les suffrages des électeurs de Rouville et devient leur député aux Communes d'Ottawa. En 1874, il ne se représente pas, forme un bureau légal avec l'avocat Bourgeois, bureau qui est très achalandé. Candidat en 1878 dans le comté de Saint-Hyacinthe, il est défait aux urnes, par le futur juge Louis Tellier, à six voix de majorité. Mais, en 1879, il est appelé à faire partie du cabinet Joly de Lotbinière à Québec, et il est élu dans Saint Hyacinthe. La même année, le 30 octobre, le ministère Joly doit céder le pouvoir au ministère Chapleau. Mercier suit son chef et ses amis dans l'opposition. Ayant formé un nouveau bureau légal à Montréal avec l'avocat Beausoleil en 1882, Mercier, de plus en plus actif et remuant, toujours éloquent, devient, en 1883, le chef de l'opposition à Québec. Après l'affaire Riel, sous le coup de l'émotion causée par l'exécution du pauvre déséquilibré qu'était le chef des Métis (à Régina, le 16 novembre 1885), Mercier dirige les libéraux unis aux nationaux ou nationalistes (les conservateurs mécontents), et, aux élections d'octobre 1886, il remporte une éclatante victoire. Il prend le pouvoir comme premier ministre, à la session de janvier 1887, et c'est pour cinq ans, soit jusqu'en mars 1892.

Entre temps, en mai 1886, Honoré Mercier avait épousé Léopoldine Boivin, dont il eut une fille, Eva, devenue dans la suite la femme du docteur Homère Fauteux, et, en mai 1871, il se mariait en secondes noces avec Virginie Saint Denis, dont sont nés trois enfants, Elise, la première femme de sir Lomer Gouin, Henri Honoré, aujourd'hui ministre dans le cabinet Taschereau, et Paul, ingénieur civil, mort au Labrador en août 1926.

Le vénéré Mgr Bruchési me racontait naguère que, autour de 1880 - il était alors professeur au séminaire de Québec - assister aux débats de la Chambre, quand Chapleau et Mercier devaient prendre la parole, c'était un vrai régal. Je les ai moi même entendus à Saint Laurent, en septembre 1882, à la "nomination" des candidats pour Jacques Cartier, Mousseau et Décary, à l'heure où, Chapleau passant à Ottawa, Mousseau lui succédait comme premier ministre à Québec. Les deux chefs croisèrent le fer . . . de la parole, si l'on peut dire ainsi, avec un brio incomparable. Ils avaient tous les deux 41 ans. Ils étaient dignes l'un de l'autre.

Mercier, devenu premier ministre en 1887, continua d'être à la hauteur, ou plutôt il se grandit davantage. A son tour, comme naguère Chapleau, il fut le chef populaire, profondément aimé, presque l'idole de sa province. Pour promouvoir les intérêts de la colonisation et de l'agriculture, il s'adjoignit comme assistant ministre le célèbre curé Labelle. Il travailla à la formation des associations agricoles et à l'organisation des concours sur les fermes. II créa le "mérite agricole" et fit passer la loi de l'octroi de cent acres de terre aux pères de famille de douze enfants. Il établit dans la province les écoles du soir, pour aider l'ouvrier. II régla l'épineuse question des biens des Jésuites d'une façon avantageuse à l'Eglise. Son administration, en deux mots, se distingua par nombre de mesures progressives, qui ont été, on ne peut pas ne pas le reconnaître, profitables et bienfaisantes.

Malheureusement, des partisans imprudents et peu scrupuleux la compromirent sur la fin, cette administration, par des agiotages qui firent scandale, telle l'affaire de la Baie des Chaleurs. Trop confiant en lui même et trop bon pour ses amis, un peu enivré peut être par la griserie du succès et des adulations, Mercier n'eut pas la force de réagir, ou bien, quand il tenta de le faire, il était trop tard. La vague déchaînée contre lui le submergea. Il tomba aux élections de mars 1892, et sa chute fut retentissante. La politique, ainsi qu'on sait, n'a pas d'entrailles. Une fois qu'il fut tombé, des adversaires peu généreux l'accablèrent de coups répétés. On alla jusqu'à le traîner en cour d'assise. Quand c'eût été juste, et ça ne l'était pas, tout au moins ça ne l'était qu'à demi, c'était indigne. Littéralement, Mercier en est mort, deux ans après, le 20 octobre 1894, à 54 ans seulement. Pourtant c'était un homme admirablement doué, un fier patriote, convaincu, sincère, ardent et d'âme généreuse. Il voulait du bien à son pays, à sa province, à ses compatriotes, et il en avait fait beaucoup, plus peut être qu'aucun homme public de son temps. Personne, plus que lui, n'aura été victime de l'ingratitude des siens. Il eut ses faiblesses et ses fautes, soit. Qui n'en a pas ? Mais, on aurait dû avoir plus d'égards pour ses mérites réels et le lustre que, pendant vingt ans au moins, il avait jeté sur le nom canadien.

De taille solide et de figure intelligente, avec une tête aux cheveux noirs, bien posée sur les épaules, Mercier, sous des dehors calmes, dans une physionomie douce et souriante, où se marquait, a t on écrit, quelque nonchalance, cachait une grande vigueur d'esprit, et, à certaines heures, une réelle force de volonté. Ses succès éclatants ont bien montré la variété de ses aptitudes et la souplesse de son talent. Il embrassait vite l'ensemble d'une question et en saisissait aisément les côtés saillants. Sa puissance d'analyse était remarquable. On aurait dit que son esprit si fin s'étendait ou se concentrait, se dilatait ou se repliait sur lui-même, selon qu'il le voulait. Tout dans son aspect, dans son regard surtout, dénotait de la clairvoyance et de la pénétration, une sentimentalité très vive et l'habitude de la réflexion. C'était, a dit encore L. O. David, à qui j'emprunte la substance de ce portrait, un homme d'organisation, un avocat plein de ressources, un orateur puissant. Il avait des idées et du style, comprenait les choses et savait les faire comprendre, s'exprimait toujours dans une langue souple, élégante, imagée. Sa voix était douce, un peu chantante, ses manières insinuantes. Quelqu'un disait un jour de lui : "Il prêche bien !" C'était fort juste. Il avait la conviction et le zèle de l'apôtre. Son patriotisme était évident et débordant.

Mercier avait été bâtonnier général du barreau de la province. Il était docteur de l'Université Laval. Comme Chapleau, il était décoré du ruban de la Légion d'honneur de France. Le pape Léon XIII l'avait fait grand'croix de Saint Grégoire et, plus tard, comte romain.

Homme politique discuté - ils le sont tous -- mais bon chrétien et patriote dans l'âme, l'honorable Honoré Mercier a été sûrement l'un de nos Canadiens éminents de la fin du XIXème siècle. Ses infortunes elles mêmes, qu'il a noblement supportées, ont ajouté, aux approches de sa mort, à sa figure déjà si populaire, je ne sais quelle auréole de souffrance qui l'a rendu encore plus cher au peuple qu'il aimait et qui l'aimait. Ceux qui l'ont connu, et je suis de ceux là, ne l'oublieront jamais.

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 105-111. On trouvera une courte biographie de Mercier ailleurs au site.

 
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