Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Cartier et la Conférence de Londres

[1866-1867]

 

 

[Ce texte a été rédigé par Lionel Groulx en 1918. Pour la référence exacte, voir la fin du texte.]

 

C'est à Londres que nos législateurs allaient jouer leur dernière partie. Quelque temps après la Conférence de Québec, George Brown partit en mission d'éclaireur vers la métropole. Il y trouva l'opinion assez divisée sur les choses de la politique coloniale; il n'en rapporta pas moins, des hautes sphères officielles, les promesses les plus rassurantes. Le secrétaire des colonies, M. Cardwell, voulut bien assurer le délégué canadien qu'il ne serait fait au projet de confédération que des objections de pure forme, si les fins de la politique l'exigeaient.

 

Après la session de 1865, Macdonald, Cartier, Brown et Galt , s'embarquèrent pour l'Angleterre. Cartier et Galt arrivèrent à Liverpool le 23 avril. De graves questions restaient à débattre avec le cabinet impérial, et de leur solution, dépendait tout le succès de la fédération canadienne. Le mouvement séparatiste s'affirmait comme une menace grandissante dans les provinces du golfe, et les délégués canadiens se demandaient si ce mouvement n'allait pas changer l'attitude d'abord favorable de Londres. En outre, une solution s'imposait à l'épineux problème de l'organisation militaire du Canada et l'on devait aviser au renouvellement du traité de réciprocité avec les États-Unis. Il y avait en plus la construction de l'Intercolonial, l'achat des territoires de l'ouest, deux entreprises qui nous obligeaient à compter sur les avances du capital anglais. Nos ministres avaient donc une rude tâche à accomplir.

 

Londres accueillit la mission canadienne avec une sympathie assez voisine de la froideur. La mission conféra longuement avec un comité du cabinet impérial composé des comtes Grey et Ripon, de MM. Gladstone et Disraëli. Cartier, de retour au Canada, réclama alors pour lui et ses collègues un plein succès. Mais la vérité est notablement différente. Les ministres canadiens tombaient à Londres au mondent où le Timeset d'autres journaux de la capitale reprenaient leur campagne contre les colonies. Chacun se souvient du joli tapage que provoqua, dans la presse londonienne et dans les cercles officiels, la politique militaire parcimonieuse du cabinet Sandfield MacDonald- Sicotte. Le Times prononça alors contre nous les graves anathèmes d'ingratitude et de déloyauté et conseilla de nous abandonner à la merci du premier venu. Aux Communes lord Palmerston prit son ton le plus hautain pour avertir le Canada de faire son devoir ou « de déshonorer la nation dont ses habitants tiraient leur origine. » Ces bons sentiments n'avaient pas cessé d'avoir cours au printemps de 1865. Le Times disait encore: « Quand le public entend parler de la défense du Canada, il ne ressent rien d'autre chose qu'un sentiment de malaise et de perplexité. Il sait en plus et il songe, avec un sentiment d'orgueil mêlé d'embarras, que les peuples de ces provinces britanniques américaines sont désireux de maintenir leur union avec la mère-patrie. » Le Spectator (15 avril 1865) y mettait encore un peu moins de formes: « La Grande-Bretagne, disait-il, est parfaitement déterminée à se battre pour les Canadiens comme s'ils étaient des habitants des Cornouailles, mais ils doivent se comporter eux-mêmes comme s'ils étaient des habitants des Cornouailles, payer des taxes aussi élevées, se soumettre, si jamais se pose la question de vie ou de mort, à une conscription, ou comme nous disons ici à un « ballot militia act » aussi sévère que celui qui serait imposé à un comté de l'Angleterre. Si les Canadiens ne sont pas préparés à assumer ces charges, il vaut mieux qu'ils se séparent de nous tout de suite. »

 

Devant ces dispositions médiocrement bienveillantes, les ministres canadiens durent reprendre la route de leur pays avec un succès très mitigé. Sur deux points seulement la réponse du gouvernement impérial se fit satisfaisante; sur les autres elle resta conditionnelle. Londres promettait son appui pour assurer le succès de la confédération; il s'engageait aussi à garantir un emprunt pour indemniser la Compagnie de la Baie d'Hudson; il ferait de même tout en son pouvoir pour renouveler le traité de réciprocité. Les ministres impériaux glissaient   ensuite assez rapidement sur la question de l'Intercolonial. Mais sur la question de la défense le gouvernement impérial refusait   de s'engager; il ne promettait les armements nécessaires et des garanties en argent pour les fortifications, qu'à la condition d'une politique bien définie de la part de la législature des provinces-unies.

 

L'atmosphère politique de Londres paraissait encore aussi embrumée lorsque les seize délégués du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick s'y trouvèrent réunis dans l'automne de 1866. Ils étaient venus cette fois pour tenir la dernière des « constituantes.» Les délégués des provinces maritimes attendaient leurs collègues du Canada depuis la fin de juillet. A cette époque, lord Monck avait déconseillé le départ de ses ministres à cause du changement de ministère en Angleterre. La nouvelle réunion promettait des tiraillements. Le parlement canadien, fidèle à l'entente le 1864, avait adhéré aux résolutions de Québec sans y rien changer. La Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick exigeaient des modifications. Et c'était donc avec ces vues divergentes que les délégués se rencontraient à Londres. Dans l'intervalle, des événements politiques de quelque importance avaient compliqué la situation. Brown et Galt avaient quitté le ministère; l'Ile du Prince-Édouard et Terre Neuve s'étaient retirées de l'union. Et le Times continuait toujours sa campagne, tantôt sournoise, tantôt ouverte.

 

La Conférence s'ouvrit à l'hôtel Westminster, siège du Conseil des Indes, le 4 décembre, sous la présidence de John A. MacDonald. Il y avait là, pour représenter le gouvernement canadien, MacDonald lui-même, puis Cartier, Galt, McDougall, Howland et Langevin; pour la Nouvelle-Écosse, Tupper, Henry, Ritchie, McCully, Archibald; pour le Nouveau-Brunswick, Tilley, Johnson, Mitchell, Fisher, Wilmot.

 

Comme à Québec il fut décidé de garder secrètes les délibérations, afin d'empêcher des discussions prématurées. Comme à Québec aussi on vota par province, le Canada ayant deux voix. Et la Conférence pressée d'en finir se mit au travail. Lord Monck était passé en Angleterre pour mettre son crédit et ses conseils au service des délégués. Lord Carnarvon le seconda chaleureusement.

 

La dernière « constituante » s'occupa plutôt d'une révision des résolutions de Québec que de l'élaboration d'un travail nouveau. Les provinces maritimes obtinrent quelques concessions; on leur partagea les quatre sièges du Sénat réservés à l'Ile du Prince-Édouard et l'on augmenta l'allocation du Nouveau-Brunswick. L'administration des pêcheries et des pénitenciers passa à la législature fédérale. Une grave discussion s'éleva encore néanmoins autour du Sénat. Devait-on concéder ou refuser à la Couronne le droit d'augmenter en temps de crise la représentation de la Chambre haute? La majorité des délégués se prononça pour la négative. Elle invoqua ce principe que, le Sénat étant au Canada le protecteur des provinces, la représentation de ces dernières n'y pouvait être variable.   (1)

 

Nous verrons plus tard, en étudiant le status [sic] des minorités, une des modifications que l'on fit subir aux premières résolutions de 1864. Pour le reste, la Conférence de Londres n'effectua point de changements substantiels. Mais peut-être est-ce le moment opportun d'aborder ici un problème historique: Ce problème a, de temps à autre, vivement passionné les esprits, et à mon humble jugement, est loin d'être résolu. Que faut-il penser d'une prétendue tentative de MacDonald de transformer alors, après une entente avec les autorités impériales, l'union fédérale en union législative? Est-il vrai que Cartier, indigné de ces machinations et pour y couper court, menaça de faire dissoudre les Chambres canadiennes par câblogramme et de repasser en Canada pour soulever Québec? L'incident a plus que l'importance d'une anecdote historique. Il peut jeter d'étranges lumières sur la bonne foi de nos co-signataires au pacte de 1867. Elzéar Gérin, qui fut correspondant de la Minerve à Londres, pendant la Conférence de 1866, jeta pour la première fois cet incident devant le public dans le Constitutionnel des Trois-Rivières. Depuis lors cette révélation compromettante a subi une fortune assez diverse. Longtemps accueillie et colportée sans dénégation, elle a fini par se voir opposer de la part de sir Charles Tupper, questionné par M. John Boyd, un démenti catégorique. Et là-dessus, le très sympathique auteur de la vie de Cartier n'est pas loin de considérer la question comme close pour toujours.

 

Mesdames, messieurs, je n'ignore point tout l'invraisemblable qui s'attache à un tel projet, de la part de MacDonald, après les engagements si explicites et si solennels pris par lui et ses collègues envers les provinces et le parlement canadiens. Et cependant j'ai bien envie d'écrire que cette question doit rester ouverte. Elzéar Gérin n'est pas un témoin qu'il faille traiter à la légère. Il raconte ce qu'il a vu et ce qu'il a entendu et il parait bien qu'il fut alors dans les confidences de Cartier. « Ce n'est plus dévoiler un secret, a-t-il écrit, que de dire que dans les conférences de Londres, tous les délégués du Haut-Canada, des provinces maritimes et avec eux Galt, désiraient l'union législative et voulaient que lord Carnarvon, alors ministre des colonies, rédigeât en conséquence le projet de loi qu'il devait présenter au parlement.» (2) Nous connaissons pour notre part les préférences bien ouvertes de John-A. Macdonald pour l'union législative. Le parti des unionistes ne regarda point sa cause comme définitivement perdue après la Conférence de Québec. Lors du passage des délégués à Toronto, M. Galt disait encore: « Nous pouvons espérer qu'à une époque non éloignée, nous en arriverons à vouloir entrer en une union législative plutôt qu'en cette union fédérale qui nous est maintenant proposée. » (3) Lord Monck était lui-même un unioniste déclaré. Il émit un jour l'opinion qu'il n'eût pas été bien difficile d'obtenir l'acquiescement de la Conférence de Québec à l'union législative, n'eut été, disait-il, « la défiance excessive, et dans son opinion, non fondée, de la population française du Bas-Canada de voir ses droits et ses institutions particulières mis en danger par le gouvernement central. » (4) Le gouverneur fit tout ce qu'il put pour faire de nos législatures de simples conseils municipaux. Il déclarait triomphalement qu'avec les pouvoirs conférés au gouvernement central, le Canada avait cessé d'être une fédération (5). Ces tendances unionistes , lord Carnarvon et beaucoup d'autres les partageaient en Angleterre, Pendant la Conférence, le Times et d'autres feuilles menaient contre nous une campagne plus vive que jamais et, pour sa part, le Times reprochait aux Canadiens français de constituer un obstacle au progrès des colonies britanniques.

 

Un fait à retenir c'est qu'à consulter les sèches minutes de la Conférence de Londres, il n'appert point que le principe de l'union fédérale soit une chose absolument entendue même le 13 décembre. Ce jour-là, quand on en vient à l'examen des résolutions de Québec, M. Henry s'oppose au terme « fédéral, » inclus dans la première. (6) M. Haviland parle du principe comme d'une chose non encore acceptée. «  J'admets, dit-il, que, si le gouvernement doit être établi sur le principe fédéral, le nombre des sénateurs doit être fixe... Je suis en faveur du principe fédéral et je pense que si vous avez un parlement fédéral, vous ne devez pas accorder le pouvoir d'augmenter le nombre des membres du conseil législatif.» (7)

 

Le plus grave, mesdames, messieurs, c'est que Cartier a parlé. Maintes fois dans l'intimité il s'est ouvert de la trahison de Macdonald. Il a raconté à ses amis les assauts qu'il avait dû subir à Londres, assauts accompagnés de procédés plus ou moins odieux pour dompter sa résistance. J'ai recueilli là-dessus des témoignages explicites et graves, et qui suggèrent la plus forte présomption. L'un des plus intimes amis de Georges-Étienne Cartier, l'honorable Louis Archambault, ancien conseiller législatif de Québec et ancien ministre dans le cabinet Chauveau, a fait sur cet incident une déclaration solennelle, le 22 décembre 1886, par devant C. Chaput, J. P. (8) Il est bien acquis, du reste, que les rapports de Cartier et de MacDonald à Londres en 1867-68, manquèrent assez notablement de cordialité. A propos de l'affaire des décorations, Cartier, affirme M. DeCelles, crut toujours que MacDonald avait recommandé au gouvernement anglais de lui donner un titre inférieur au sien. Et les lettres de Cartier à son ami sir Edward Watkin sont restées là-dessus singulièrement édifiantes. (9) En présence de tous ces faits et de toutes ces déclarations, n'ai-je pas le droit de conclure que le dernier mot n'est pas dit sur cet incident et que le débat reste ouvert?

 

La Conférence de Londres siégea jusqu'au 24 décembre. Elle adopta 69 résolutions. Puis, de bonne heure en janvier 1867, les délégués reçurent avis de s'entendre avec les juristes du cabinet pour convertir leurs résolutions en un projet de loi. Grâce aux documents de M. Pope, nous pouvons parcourir plusieurs ébauches de l'Acte fédératif. La deuxième seule est l'oeuvre des conseillers légaux; les autres sont de la Conférence, sauf la dernière qui est l'oeuvre commune de la Conférence et des conseillers.

 

Avec ces patientes élaborations prenait fin le travail de nos délégués. La parole passait maintenant au parlement impérial.

 

Mesdames, Messieurs, avant de clore cette étude, je me pose cette question qui répond peut-être à vos secrètes pensées : A qui convient-il de faire hommage de la confédération ? quel en a été le plus actif et le plus intelligent ouvrier ?

 

Londres n'a pas attendu si longtemps pour trancher ce débat. Vous savez qu'en accordant à Macdonald des honneurs exceptionnels, il a prétendu élever au-dessus de tous ses collègues le leader haut-canadien. Pendant que ce dernier était fait chevalier Commandeur du Bain, Cartier, Galt, Tilley, Rowland et McDougall devenaient simples compagnons. Blessé dans sa fierté de race, Cartier refusa l'honneur royal, et Galt fit de même.

 

La vérité historique nous défend de méconnaître le mérite de Macdonald. La même vérité ne nous impose pas moins d'affirmer qu'aucun homme au Canada ne peut revendiquer la Confédération comme son oeuvre exclusive. Attribuer la paternité de l'idée constitue déjà un problème assez délicat. Nous l'avons vu dans notre première étude: l'idée fédérative est issue chez nous d'une lente germination dans les esprits; elle fut presque le résultat d'une collaboration nationale. Macdonald aussi bien que Brown ne s'y sont convertis qu'au dernier moment, et le premier eut grand'peine à se rallier au principe fédéral. (10) Au témoignage de sir Richard Cartwright, Macdonald ne devint partisan de la confédération que sur une menace de ses amis du Haut et du Bas de l'abandonner s'il n'acceptait l'alliance de George Brown. (11) Lors des séances du comité de 1864 d'où sortirent le gouvernement de coalition et le ministère favorable à la confédération, Macdonald lutta et vota jusqu'au dernier moment contre toute idée de fédération. (12)

 

Si l'on veut savoir après cela quel est celui de tous les « pères » qui a donné à l'oeuvre la plus ardente et la plus valable collaboration, ici non plus je ne nierai pas le grand rôle tenu alors par Macdonald. Il servit puissamment la cause commune par la souplesse de ses ressources et son incomparable maîtrise des hommes. Mais nous pouvons affirmer, malgré le silence de certains documents, que Cartier ne le céda en rien à son émule pour l'éminence des services rendus. Sa débordante activité, sa haute compétence légale, son esprit essentiellement dominateur nous sont une assurance que, ni à Québec ni à Londres, le chef canadien français n'a dû garder le silence pendant trois semaines, mais qu'il a tenu le seul rôle qui pouvait être le sien, l'un des tout premiers.

 

[.]

 

(1) La question avait, déjà été soulevée à la Conférence de Québec et ce sont les députés du Bas qui défendirent la fixité de la représentation sénatoriale. George Brown disait lors des débats de 1865 (voir p. 89) : «  Il est parfaitement évident, comme l'ont très bien démontré les représentants du Bas-Canada à la conférence, que si on permettait que le nombre des conseillers législatifs pût être augmenté, on leur enlèverait par là même toute la protection qu'ils trouvaient dans la chambre haute... »   On voit par là que les anti-provincialistes prirent du temps à désarmer.

 

(2) Voir Georges-Étienne Cartier (1814-1914). Édition du centenaire, pp. 81-82.

 

(3) Voir Union of the British provinces ; (by J. Whelan) Charlottetown .

 

(4) Canada and its provinces , vol. V, p. 153.

 

(5) Idem , p. 155 .

 

(6) Confederation documents - Pope , p. 114.

 

(7) Confederation documents - Pope, p. 118-119.

 

(8) Voir appendice, cette déclaration de M. Louis Archambault et une lettre de Sir Horace Archambault, et une autre de M. Antonio Perreault, avocat.

 

(9) Cartier et son temps - De Celles, p. 36, note.

 

(10) Débats sur la confédération , p. 377.

 

(11) Voir Memories of Confederation , p. 10

 

(12) Voir aussi Georges-Étienne Cartier , Édition du centenaire (1814-1914) article de M. Dansereau, p. 26

 

Source  : Abbé Lionel Groulx, « Les Conférences. III La Conférence de Londres », dans La Confédération canadienne. Ses origines , Montréal, Le Devoir, 1918, 265p., pp. 75-88. Quelques erreurs typographiques ont été corrigées. Nous avons aussi corrigé l'orthographe de certains noms.

 

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College