Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Esdras Minville

Méditation pour jeunes politiques (1)

(1927)

 

[Ce texte de Minville fut publié dans l'Action française en 1927. Pour la référence bibliographique exacte, voir la fin du document.]

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Entendons-nous bien: les partis politiques en tant que groupements hiérarchisés et soumis à tous leurs degrés aux ordres d'un chef, en vue d'accéder coûte que coû­te an pouvoir, ne nous intéressent pas du tout. Rouges ou bleus, bleus ou rouges, c'est pour nous blanc bonnet, bonnet blanc. Nous n'affecterons sûrement, ni ici ni ailleurs, des airs de triomphateurs que le bon sens populaire a couronnés ou de martyrs que l'injustice et l'incompré­hension persécutent, parce qu'un parti ou l'autre, au len­demain d'un vote, siègera, dans les parlements, à gauche ou à droite du président. Affiliés à aucune coterie, défen­seurs d'aucune bannière politique, nous sommes et enten­dons demeurer libres entre les groupements qui batail­lent pour la conquête du pouvoir. Nous croyons avec bien d'autres et après bien d'autres que l'esprit de parti — esprit étroit jusqu'à la mesquinerie, mesquin jusqu'à la veulerie et veule parfois hélas! jusqu'à la lâcheté et la trahison, — est ce qui a ruiné chez nous le véritable esprit national, faussé le sens patriotique de notre population, préparé chez nos gens les plus honteuses dé­fections et creusé, au sein de notre nationalité d'abord et entre les races ensuite, des fossés que le temps pourra difficilement combler.

 

Mais si les partis politiques en eux-mêmes ne nous intéressent pas, disons plus, si nous les dénonçons comme le pire dissolvant du patriotisme raisonnable et raisonné, si les chefs de partis, nonobstant le prestige souvent fac­tice dont une presse servile se plaît à les envelopper, ne sont pas pour nous des oracles et si nous refusons de leur brûler de l'encens, les programmes que ces partis et ces chefs représentent et préconisent nous intéressent au plus haut point. Nous devons subir une situation de fait et tâcher d'en tirer tout le bénéfice possible. Les partis n'important pas, c'est sur les programmes que notre sur­veillance doit s'exercer. Les programmes d'aujourd'hui c'est en effet la politique de demain,. c'est-à-dire l'orien­tation future du pays tout entier, c'est-à-dire surtout l'avenir de notre peuple. Or, à ce point de vue, nul n'a le droit de s'en désintéresser. Au contraire, chacun a le devoir de les étudier attentivement, d'en examiner tous les articles, de les scruter jusque dans leurs moindres détails, de .les défendre s'il les juge bons, mais de les combattre de toutes ses forces s'il les juge mauvais. Salutaire liberté d'esprit que nous n'avons jamais pratiquée ! Trop longtemps les poli­ticiens ont représenté pour nous toute la politique et la personnalité surfaite des chefs de partis nous a masqué les intérêts supérieurs de la collectivité nationale. Que nous importait la politique véritable puisque l'idole était au pouvoir? Tout était bien qui était décrétée par elle, toute parole était juste qui tombait de ses lèvres augus­tes ! Singulière façon de s'intéresser à la chose publique ! Il n'a fallu rien moins que les événements des douze der­nières années, l'impression soudaine et effroyable de l'abîme ouvert sous nos pieds, pour nous arracher enfin au somnambulisme morbide dans lequel nous nous com­plaisions.

 

Or indépendant des groupes et des coteries, libres de toute attache de parti, sur quel terrain nous placerons-nous, quel critère adopterons-nous pour juger de la va-leur d'un programme politique, l'approuver ou le condamner, l'appuyer ou le combattre? Il n'en existe qu'un seul.

 

Canadiens français nous sommes et voulons demeurer. Voilà le fait incontestable, le principe essentiel qui doit nous servir de point de départ dans l'appréciation d'un programme politique. Tous les esprits que l'intérêt, l'ambition ou quelques autres inclinations malfaisantes ne faussent pas, seront d'accord sur ce point. C'est donc en partant de ce principe capital que nous aborderons l'examen des programmes politiques soumis à notre at­tention. Que valent ces programmes pour la sauvegarde de nos droits, de notre liberté, de nos prérogatives? Jusqu'à quel point leur application nous permettra-t-elle de grandir librement dans le sens que nous indiquent et notre origine et notre génie?

 

Et ensuite? Canadiens français nous habitons une province, le Québec, que nous avons découverte, coloni­sée, façonnée en quelque sorte à notre image, que nous avons enrichie au prix d'un dur travail jusqu'à la porter à la tête des neuf provinces de la Confédération. Nous en avons fait le château-fort de la race française au Canada, le foyer de la civilisation latine en Amérique. Elle est notre véritable patrie puisque c'est surtout sur son ter­ritoire que notre histoire s'est écrite et que c'est dans son sol que repose la lignée des ' ancêtres. Que valent alors tels programmes politiques pour la province que nous habitons? Lui rendent-ils justice, lui accordent-ils sa juste part d'influence ou la placent-ils simplement sous la coupe du reste du pays?

 

Et enfin, Canadiens français nous sommes les décou­vreurs d'un pays qui s'étend de l'Atlantique au Pacifi­que et de la ligne quarante-cinquième aux glaces polai­res. Par droit de première occupation, nous sommes chez nous sur tous les points de cet immense territoire. La constitution du pays nous confirme dans nos droits et nous place sur le pied d'égalité avec le maître de la onzième heure, notre compatriote anglophone. Du Québec, notre berceau et notre foyer, nous avons essaimé dans les autres provinces. Partout où, dans les limites du pays canadien, nous dressons notre tente, nous avons droit à la justice et au respect. Que valent pour notre pays, pour son progrès matériel, social et moral, que valent pour la protection des minorités françaises dans les provinces anglo-saxonnes les programmes politiques que les partis préconisent?

 

Or il importe de ne pas modifier l'ordre ci-dessus. Les protagonistes de l'unité nationale à tout prix, de con­cert avec les prédicants de la tolérance (c'est-à-dire de l'aplatissement) et les défenseurs de la théorie plus ré­cente du « Canadien tout court » crieront à l'étroitesse d'esprit. Les criailleries et les anathèmes des uns et des autres ne changeant rien aux faits, ne doivent en rien modifier notre attitude. Nous ne sommes pas nés « Cana­diens tout court » — cela n'existe pas — mais Canadiens français; nous n'y pouvons rien et n'avons pas à en demander pardon. Nous ne sommes pas d'un Etat homogène et unitaire, mais d'un Etat fédéral, fondé sur neuf provinces et deux races, les uns et les autres autonomes. Laissons à d'autres de bouleverser ces réalités.

Non, il y a trop d'aléas, trop de vague et d'indéfinissable, trop de contradictions aussi dans le « canadianisme tout court » des prétendus esprits larges pour accepter les yeux fermés leur doctrine. Depuis assez longtemps nous essayons de concilier les inconciliables, et risquons à ce jeu périlleux le tout pour le tout. Mieux valent, à notre avis, des cerveaux étroits que le bon sens éclaire et dirige, que ces prétendus cerveaux larges, qui ne sont larges à la vérité que clans la mesure où l'idéologie et le rêve les dilatent.

 

*     *     *

 

Un autre fait indiscutable c'est que, dans la province de Québec, la vieille équipe du parti conservateur fédéral est ruinée, finie, réduite à la plus complète impuissance. Elle ne se relèvera sûrement pas des coups successifs qu'elle a reçus depuis une dizaine d'années. Battue et rebattue, elle l'a été à la fois sur son programme, sur tous les articles de son programme, et — ce qui est plus grave encore — sur l'attitude de ses chefs. Voyons un peu les faits. En 1911, notre province envoie au parlement cen­trai plus d'une vingtaine de députés élus contre le gou­vernement de Sir Wilfrid Laurier. Or, sur quelles ques­tions principales cette élection porte-t-elle? La récipro­cité douanière avec les Etats-Unis et la construction d'une marine de guerre canadienne. De ces deux ques­tions, laquelle a impressionné l'électeur canadien-fran­çais au point de briser en partie l'emprise déjà ancienne que le parti libéral exerçait sur lui? La réciprocité? Sûrement non. Depuis longtemps, notre population connaissait le long et le large des vertus du tarif douanier. De part et d'autre on lui en avait tant dit de bien et de mal, que, blasée, elle ne prêtait plus qu'une oreille distraite aux tirades stéréotypées des grands-prêtres de la protection et du libre-échange. Certes, nous pouvons l'affirmer sans crainte d'errer, la réciprocité à elle seule n'eût pas détachée notre peuple de Laurier, son idole depuis quinze ans. C'est donc le projet de la marine de guerre, c'est-à-dire, en dernière analyse, la politique im­périaliste qui a agi sur l'électorat canadien-français et l'a déterminé à retirer une partie de son appui au vieux chef libéral. - Fait à noter : les quelque vingt-cinq dépu­tés élus contre Laurier portaient l'étiquette nationaliste et non pas conservatrice. Or, par définition, nationalis­me s'oppose à impérialisme. C'était donc une réaction anti-impérialiste qui se dessinait nettement chez nous. Le résultat de l'élection révélait la présence dans le Québec d'un esprit nouveau. Les quelques hommes clairvoyants qui, depuis une bonne douzaine d'années, s'efforçaient de secouer l'opinion publique et de l'arracher à son inertie en lui faisant voir le gouffre où aboutissait la politique impérialiste dans laquelle le parti libéral avait si impru­demment engagé le pays, n'avaient pas travaillé tout à fait en vain.

 

Mais, l'occasion, l'herbe tendre et quelque diable ai­dant aussi, nos députés nationalistes, sauf deux ou trois honorables exceptions, crurent qu'ils ne feraient pas mal d'abdiquer leur personnalité po­litique pour aller paître la largeur de leur lan­gue dans les gras pâturages du parti conservateur devenu maître du pouvoir. Peu leur importait, à ces faci­les transfuges, qu'en accédant à la direction des affai­res, le parti dans lequel ils prenaient rang eût en même temps fait sienne, en matière d'impérialisme, la politi­que du parti libéral contre laquelle ils avaient été expres­sément élus. La reddition des comptes leur paraissait encore si loin ! Or 1914 montait à l'horizon. Les heures d'angoisse qu'il nous apportait ne troublèrent pourtant par leur sereine quiétude. Sauf un ou deux peut-être, ils votèrent, votèrent des deux mains, tant que l'on voulut et tout ce que l'on voulut : participation à la guerre, prolongation du parlement, conscription; ils auraient voté jusque la ruine totale du pays, le leur eût-on demandé. Déserteurs de leur cause, comme tous les dé­serteurs, ils ne connaissaient plus aucune espèce de pu­deur et ne savaient plus s'arrêter devant les pires excès. Ils étaient devenus bleus, plus bleus que le maître des bleus, lesquels étaient devenus impérialistes, plus impé­rialistes même que l'initiateur chez nous de l'impéria­lisme.

 

Néanmoins, même si l'on s'ingénie à en prolonger illégalement l'existence, un parlement ne dure pas indé­finiment. Celui que le pays s'était donné en 1911 tou­chait à son terme. 1917 en vit la dissolution. Qui ne se rappelle ces heures troublées? Laurier avait vécu assez longtemps pour assister à l’effondrement subit du grand rêve de sa vie. Trahi par ses propres partisans, insulté dans sa race, le grand vieillard voyait l'oeuvre de sa longue carrière crouler sous le choc des vieilles haines que son habileté avait momentanément endormies, mais qui se réveillaient alors plus violentes que jamais; et les débris de cette oeuvre étaient dispersés aux quatre coins du ciel par le souffle de la passion et du fanatisme exal­té jusqu'au paroxysme. Le vieux chef médita-t-il sur ses erreurs passées? En tout cas, il se tourna vers la vieille province de Québec — la vieille province de Qué­bec qui l'avait fait ce qu'il était et dont, aux jours de prestige et de succès glorieux, il n'avait peut-être pas suffisamment respecté le sentiment intime. Et la vieille province lui accorda encore son appui le plus entier, parce que lui, sentant dans la profonde sincérité. de son âme, qu'il incarnait l'espoir suprême de sa race, s'ap­prochait d'elle. Le vote québécois balaya le parti con­servateur qui, s'étant substitué au parti libéral, personni­fiait à ce moment-là l'impérialisme britannique le plus excessif et, pour employer le mot d'un de ses chefs, le plus banqueroutier. Pour la deuxième fois l'électorat canadien-français réagissait contre une politique dont il vivait les conséquences douloureuses. Il réagissait avec d'autant plus de force que, blessé dans sa chair, insulté dans son honneur, bafoué et menacé des pires lende­mains, il se rendait compte que tout ce qu'il subissait, son propre aveuglement le lui avait préparé. Mais cette fois sa désapprobation frappait le parti conservateur, devenu provisoirement le parti unioniste. Seuls, cinq candidats du gouvernement se faisaient élire chez nous. Depuis cette époque, le sentiment du Québec à l'endroit du parti conservateur n'a pas varié. En 1921, pas un seul conservateur québecois n'entre au parlement. En 1925, quatre seulement gagnent leur élection et encore sont-ils élus dans les centres anglo-saxons de la province. 1926 donne exactement le même résultat. Pourquoi cette opiniâtre hostilité d'une province entière à l'endroit d'un parti politique dont elle était autrefois une des forteresses?

 

Pourquoi? Est-ce incompréhension, est-ce pure igno­rance, comme on l'a si aimablement prétendu? L'explica­tion, peut-être commode, sent un peut trop son dépit. N'est-ce pas plutôt une méfiance parfaitement justifiée? Notre population a vécu les pénibles leçons de la guerre et celles-ci lui ont brutalement ouvert les yeux sur la véritable portée de la politique impérialiste inaugurée chez nous par Laurier, mais, ainsi que nous l'avons déjà dit, continuée, ensuite et depuis, avec le plus aveugle achar­nement par le parti conservateur. Elle se souvient et son souvenir est d'autant plus vivace qu'elle porte enco­re ouvertes au flanc les blessures douloureuses rappor­tées de sa périlleuse aventure. Si elle condamne l'impé­rialisme britannique, cause première de ses malheurs, peut-on l'en blâmer sensément? Les conservateurs fé­déraux peuvent-ils raisonnablement se plaindre du sort qui leur est fait? Ont-ils pris, pour apaiser l'ire de notre population, les mesures qu'ils prenaient naguère pour l'ameuter? Ont-ils biffé énergiquement de leur programme politique les articles qui ravivent les vieux sou­venirs et évoquent les sombres journées de la plus som­bre période de notre histoire contemporaine? Non, il n'ont rien fait de tel; ils n'ont jamais défini leur pensée, toute leur pensée. Ils ont voulu simplement faire oublier le passé sans donner de garanties réelles pour l'avenir. Quelle est au juste leur politique sur ce point précis de l'impérialisme? Nous en sommes encore à nous le demander, après trois campagnes électorales successives. Est-ce le fameux ready, aye ready de Toronto? Est-ce le non moins fameux discours de Hamilton, qui contredisait le précédent et exposait un projet virtuellement inapplicable ? Nous ne le savons pas encore. Le sau­rons-nous jamais?

 

Et, dans le Québec, au lieu de la franche déclaration de principes, de l'engagement formel et précis que le peuple attendait et avait le droit d'obtenir d'eux, qu'ont fait des chefs conservateurs? De parti pris, ils ont relé­gué aux oubliettes les questions primordiales et ont tenté de dévier l'attention vers des problèmes d'importance secondaire. Embouchant encore une fois la vieille trom­pette de la protection, ils ne sont lancés à l'assaut de nos divers arrondissements électoraux, dans l'espoir que pour eux, comme pour Josué à Jéricho, les murs crouleraient d'eux-mêmes après le septième tour. Les résul­tats ont trompé leur attente : l'éclat de la trompette n'a pu dominer le roulement pourtant lointain du tambour. Ils ont imaginé de parler de malheurs et de misères, quand, à l'origine de nos malheurs et de nos misères, c'est eux que l'on retrouvait. Ils ont épilogué longuement et avec émotion sur la ruine qui menaçait le pays, tout en gardant de Conrart le prudent silence sur tel article de leur programme qui était en soi — les faits l'avaient déjà prouvé — un principe de ruine. La feinte ne vaut rien en stratégie électorale. Les conservateurs québécois s'en rendent-ils compte aujourd'hui? L'attitude imprécise, mal définie, tout autant que l'impopularité de leur politique, leur a valu trois défaites consécutives. L'éloquence berceuse d'un candidat haut de taille ne réussit pas au­jourd'hui à replonger l'électeur canadien-français dans son sommeil d'antan. Il a appris à se méfier. Il garde l'oeil ouvert, juge les hommes par leur passé et les programmes politiques par leurs résultats. S'il exige de ceux à qui il confie la direction de ses affaires, de la fran­chise avant tout, et s'il s'écarte avec soin des acrobates et des équilibristes politiques, ce n'est sûrement pas nous qui songerons à l'en blâmer. On répète que le parti con­servateur est impopulaire dans le Québec. C'est vrai. Mais on admettra qu'il y a de quoi. Si les candidats malchanceux en 1925 et 1926 veulent bien, aujourd'hui que le temps a quelque peu calmé leur dépit, réfléchir en toute sincérité sur les causes de leurs échecs répétés, nous sommes sûrs qu'ils éprouveront le besoin de rectifier le jugement vraiment sommaire que quelques-uns d'entre eux ont porté au lendemain du vote de septembre denier.

 

Nous nous en sommes tenus, dans cette rapide re­vue des faits, à la seule question impérialiste et à l'atti­tude des chefs sur ce point bien défini. Si nous exami­nions la politique conservatrice touchant les droits et la protection des minorités dans l'Ontario et dans l'Ouest, durant la même période, nous aboutirions très certainement à des conclusions identiques. C'est évidemment le goût du paradoxe qui portait un gros candidat conserva­teur à déclarer l'automne dernier que son parti a été de tout temps le principal défenseur des minorités. Cette déclaration contrastait néanmoins étrangement avec l'at­titude de ses chefs sur la question des écoles de l'Alberta.

 

*     *     *

 

Mais n'insistons pas. Nous croyons avoir suffisam­ment mis en lumière les causes principales de l'impopu­lation [sic] du parti conservateur chez nous et justifié notre affirmation du début, à savoir, que la vieille équipe con­servatrice dans notre province est ruinée à jamais. Elle a été battue trop de fois, battue tout ensemble sur son programme et sur une question de sincérité personnelle. Il est désormais trop tard : l'irréparable est accompli. Le vieux parti de Cartier et de McDonald [sic] a perdu l'estime de notre population et a laissé un adversaire beaucoup plus habile le devancer sur tous les terrains. La personnalité de ses chefs ravive trop de souvenirs amers. Garder ces hommes, c'est, pour le parti, marcher vers de nouveaux déboires ; ils ne peuvent être désormais que des moissonneurs de défaites. Trop avancés dans la carrière pour pouvoir compter sur l'avenir, ils sont d'autre part chargés d'un lourd passé qu'ils ne pourront réparer et qu'ils se sont d'ailleurs mis eux-mêmes, par pure mala­dresse, dans l'impossibilité de faire oublier.

 

C'est vers l'avenir — mais il ne faut pas s'illusion­ner, vers un avenir éloigné — que le parti conservateur doit tourner ses regards et c'est sur la jeune génération qu'il doit reporter tous ses espoirs. Il a besoin d'une réorganisation totale — réorganisation qui ne s'effec­tuera que par le renouvellement de ses effectifs et de son état-major, autant dire qu'elle ne saurait être com­plétée avant quinze ou vingt ans.

 

Mais ce renouvellement des forces d'un parti suppose que ses jeunes adeptes d'aujourd'hui,—hommes de 25 ou 30 ans — ont assez de détermination pour briser résolument avec leurs devanciers immédiats et la politique que ceux-ci représentent, assez de vigueur intellectuelle pour penser par eux-mêmes et dresser un programme confor­me aux besoins, aux désirs et aux aspirations de la popu­lation tout entière. C'est à cette condition, à cette con­dition seulement, que le parti conservateur peut espérer reconquérir, d'ici une vingtaine d'années, la confiance de la population française du Canada. Or, c'est un fait avéré que, sans l'appui de la province de Québec et des minorités françaises réparties dans le pays, aucun parti ne peut s'assurer une majorité suffisante au parlement central. A deux reprises, les conservateurs en ont fait la démonstration à leurs dépens. Moins que tous autres semble-t-il, ils peuvent l'oublier. Nous voici donc à la conclusion de ce premier article : ces jeunes conservateurs d'esprit libre et d'esprit vigoureux, débarrassés des tutelles étouffantes, ces jeunes conservateurs se trouvent-ils dans la province de Québec? C'est à eux que nous adressons ces lignes. Une convention générale de leur parti s'organise. C'est le temps pour eux de parler juste et de parler fort. Nous verrons, dans un prochain arti­cle, ce qu'ils devraient dire.

[Deuxième partie de cet article]

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Source : Jacques DUMONT (pseudonyme d’Esdras MINVILLE), « Méditation pour jeunes politiques », l’Action française, Vol. XVII, No 1 (janvier 1927) : 28-40.

 

 
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