Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Esdras Minville

Méditation pour jeunes politiques (3)

(1927)

 

[Ce texte fut publié dans l'Action française en 1927. Pour la référence bibliographique exacte, voir la fin du document.]

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3. S'il importe de créer un esprit canadien et de tra­vailler à le renforcer, il n'importe pas moins d'en préve­nir la déformation et de le protéger contre l'infiltration des moeurs et des façons de penser étrangères, notamment contre l'américanisme. Le grand danger qui menace l'âme canadienne, à l'heure actuelle, c'est l'influence américaine. Du point de vue économique, le Canada n'est déjà plus qu'un prolongement de la république voisine. Les capitaux américains affluent chez nous. Il n'est pour ainsi dire plus un point de notre territoire où les Américains n'aient planté leur tente, nous voulons dire leurs usines et leurs comptoirs. Chaque année, nous leur abandonnons une nouvelle tranche de nos ressources naturelles les plus riches. En sorte qu'ils auront bientôt, s'ils ne l'ont déjà, la haute main sur notre industrie et notre commerce. C'est d'ailleurs leur façon à eux de pratiquer l'impérialisme. L'or est une arme moins bruyante peut-être, mais autrement plus puissante que le canon. Les Américains le savent. Nous ne paraissons pas nous en douter. Le grand danger, c'est que nous nous éveillions quelque jour en face d'un sur-Etat éco­nomique assez fort pour imposer ses quatre volontés à l'Etat politique. Ce jour-là, notre autonomie ne sera plus qu'un leurre, et notre indépendance qu'un mensonge. Si nous n'avons pas su protéger notre pays contre l'envahis­sement de l'or américain, ne le laissons pas au moins tomber définitivement en tutelle ; empêchons qu'une situation compromise ne devienne irrémédiable. Nul de nous ne s'oppose à ce que le capital américain nous aide à mettre en oeuvre nos ressources naturelles; mais nous n'admettons point, par exemple, que, sous prétexte de développement économique, on vende le pays à l'étran­ger. Faute de mieux, les autorités compétentes doivent prévenir la dilapidation de nos ressources et en assurer éventuellement le retour aux entrepreneurs canadiens. Le danger, malgré toutes ces précautions, restera encore assez redoutable.

 

Mais ce qu'il importe surtout de soustraire à l'in­fluence américaine, — influence déformatrice s'il en est, — c'est l'âme canadienne, notre façon de penser et de voir, notre langue, nos traditions, nos croyances, fondements de nos aspirations et caractères distinctifs de notre personnalité. Le cinéma, le théâtre, les journaux, les magazines, le tourisme popularisent chez nous les moeurs et les coutumes américaines—moeurs et coutumes le plus souvent dissolues et païennes. Il faut à tout prix oppo­ser une barrière à cette invasion, beaucoup plus funeste encore que celle du capital, car c'est sur les esprits et non plus sur la matière qu'elle travaille, ce sont les âmes qu'elle mine et défigure. Les jeunes conservateurs de la province de Québec trouveront de ce côté un vaste champ où déployer leur activité. Le troisième article de leur programme — et ce ne sera sûrement pas le moins impor­tant — pourra donc viser à réglementer sévèrement l'im­portation du capital américain ; empêcher la dilapidation de nos ressources naturelles par l'étranger à son profit exclusif et en assurer la conservation au patrimoine na­tional; fermer hermétiquement nos frontières aux maga­zines et journaux, propagateurs de l'immoralité, restrein­dre la circulation chez nous des revues et des périodiques américains qui encombrent notre marché et détruisent lentement le sens patriotique et moral de notre popula­tion.

 

4. Et l'immigration? On en parle depuis toujours. De part et d'autre, encore aujourd'hui, on réclame l'im­portation dans notre pays du plus grand nombre possi­ble d'étrangers — de britanniques surtout — qui vien­draient peupler nos villes et nos campagnes, les plaines de l'ouest en particulier, et partager avec nous le poids des taxes. On connaît les beaux résultats de notre politique d'immigration d'avant-guerre: en retour d'un dé­boursé annuel de quelques dizaines de millions de dollars, le Canada a eu l'insigne avantage de servir durant des années de marche-pied aux Européens de toute couleur qui désiraient passer aux Etats-Unis. Les recense­ments d'alors ont révélé l'inanité de notre politique et l'étendue de nos pertes. Or pendant ce temps, l'émigra­tion ouvre dans nos rangs une brèche formidable. Cent mille, cent cinquante mille Canadiens, surtout des Canadiens français, quittent chaque année, leur terre, abandonnent leur situation dans les villes et s'en vont aux Etats-Unis. C'est l'écoulement ininterrompu de nos forces vives, de notre principale richesse. Que fait-on pour l'enrayer? Rien. Le gouvernement fédéral, d'accord avec les sociétés de transport terrestre et maritime et les autorités impériales, dresse des plans et encore des plans pour attirer vers nos bords d'autres étrangers et d'au­tres Britishs, qui suivent aussitôt la voie tracée par leurs devanciers. Politique foncièrement illogique et ruineuse ! Gardons nos gens chez nous d'abord, permettons-leur de vivre ici, enlevons-leur l'idée de partir en leur assurant une existence satisfaite, après quoi nous inviterons les étrangers à venir occuper nos terres vacantes. C'est le bon sens même. Politique ruineuse, avons-nous dit? Oui, et qui se double d'une grossière injustice ! A l'heure ac­tuelle, il en coûte en effet moins cher à un Moscovite quelconque pour se rendre de Moscou à Winnipeg qu'à un colon canadien-français pour se rendre de Montréal à Winnipeg. A-t-on jamais entendu dire qu'un gouver­nement autre que le nôtre ait réservé à ses nationaux traitement aussi sottement injuste? A-t-on jamais vu gouvernants afficher pareil mépris pour leurs gouver­nés? On laisse le pays se vider de ses meilleurs éléments, des Canadiens de vieille souche, qui ont fait le Canada, qui ne demandent rien tant que d'y rester, d'y vivre et d'y mourir, d'y établir leurs enfants qui feront souche à leur tour et enrichiront la collectivité par leur travail —on laisse partir ces gens-là et on tâche, par des moyens tous plus futiles les uns que les autres, de les remplacer par des étrangers : Russes, Italiens, Galiciens, Polonais, etc., espèce de bois flottés que la mer agitée de l'Europe rejette sur tous les bords; on essaye surtout de peupler le pays de chômeurs, pensionnaires de Sa Majesté anglaise, écume, la plupart du temps, des quais de Liverpool et de Londres ! On parle ensuite de la nation canadienne dont on jette les bases. La belle blague ! Avec de pareils procédés, on finira par créer chez nous une cohue bigar­rée, jamais une nation. Voilà un vaste problème sur lequel nous attirons l'attention des jeunes conservateurs. Qu'ils inscrivent donc à leur programme future : réglementation sévère de l'immigration en vue de n'attirer chez nous que des immigrés sérieux, sains de corps et d'esprit, désireux de travailler et de faire du Canada leur patrie au vrai sens du mot. Barrage contre le courant d'émigration qui vide nos campagnes au profit des Etats- Unis ou, du moins, détournement de ce courant vers l'ouest canadien et les centres de colonisation des vieilles provinces. A cette fin, avantages aux Canadiens qui veu­lent partir de se rendre dans l'ouest, ou ailleurs chez nous, aux mêmes conditions que peuvent le faire aujourd'hui les Russes, les Polonais ou autres étrangers. La deuxième mesure est encore plus urgente que la première.

 

5. La Constitution fédérative reconnaît le français comme une des cieux langues officielles du pays. Quiconque le désire peut parler français au parlement cen­tral, dans les cours de justice et exiger qu'on lui parle dans la même langue ; il peut demander aux ministères fédéraux qu'on lui remette en français tous les docu­ments dont il a besoin. Il n'est certainement pas de dispositif constitutionnel qu'on ait plus discuté et plus souvent et plus sciemment violé. Même à Montréal, ville française, il suffit de se présenter dans n'importe quel bureau de l'administration fédérale pour se heurter à des fonctionnaires ignorant tout du français. La plupart des documents émanant des ministères fédéraux ne sont rédigés qu'en anglais. Quand on consent à en donner la version française, celle-ci est incomplète ou n'est publiée que des mois ou des années en retard. Dans un pays officiellement bilingue, nous en sommes encore, après soixante ans de fédéralisme, à la monnaie et aux timbres unilingues. Dans la distribution des emplois adminis­tratifs, les Canadiens français sont réduits à la portion congrue et ne reçoivent que les postes subalternes. Dans aucun ministère nous n'avons le nombre de fonctionnai­res supérieurs auquel nous avons droit. Partout l'équité est violée avec un cynisme que seule notre indolence fon­cière a pu tolérer jusqu'ici. N'insistons pas davantage; c'est là un sujet connu. Invitons simplement les conser­vateurs à inscrire à leur programme l'application rigou­reuse du bilinguisme d'Etat : timbres et monnaie bilin­gues; publication simultanée, en français et en anglais, des rapports des ministères et de toute publication fédé­rale. Justice absolue aux Canadiens français dans la dis­tribution des- charges publiques — la proportion équi­table de chefs de cabinet et de fonctionnaires dans les divers ministères et dans les grandes administrations, comme les chemins de fer de l'Etat, les ports, notamment le port de Montréal, où nous devrions avoir deux com­missaires sur trois et où nous en comptons un seul. Les conservateurs de la région de Québec ont ouvert la mar­che en ce sens (1). Le reste du parti doit suivre à tout prix, s'il désire s'assurer tôt ou tard le concours de l'électeur canadien-français, qui commence enfin à sortir de sa torpeur et à se lasser d'être traité en paria.

 

6. Il est une chose que les conservateurs ne semblent pas avoir remarquée dans leur politique douanière : son illogisme. Ils favorisent une politique de haute protec­tion, veulent élever à la frontière un mur tarifaire qui empêcherait l'industriel étranger de venir concurrencer trop rudement le nôtre sur notre propre marché, permettrait à notre industrie de progresser, fournissant ainsi de l'emploi à nos travailleurs, par conséquent les retenant au pays, créant des marchés aux agriculteurs, etc., etc. Tout cela est fort bien. Mais, . . . ce n'est pas applicable d'abord — nous dirons plus loin pourquoi — et ensuite, ce n'est pas logique, puisque, dans la haute muraille dont rêvent les conservateurs, existe une brèche très large qu'ils se refusent totalement à boucher: la référence britannique. Un fermier qui, désirant empêcher les troupeaux du voisin de saccager sa moisson, entourerait son champ d'une haute clôture, laisserait-il de vastes barriè­res continuellement ouvertes? C'est pourtant ce que propose le parti conservateur actuel pour notre pays : de hautes clôtures de tous côtés, sauf de celui par où nous vient la plus vive concurrence. S'ils désirent continuer de prêcher la protection, les conservateurs ne feraient tout de même pas mal de se conformer d'abord aux exi­gences de la logique et d'exiger sans retard l'abolition de la préférence britannique. Il est depuis longtemps éta­bli que cette mesure, impérialiste dans son principe, ne nous a fait guère autre chose que du mal. Nos industries des textiles et de la chaussure en meurent. Nous nous obstinons néanmoins à vouloir être, à perpétuité, les din­dons de la farce, trouvant sans doute que nous sommes bien dans notre rôle.

 

Mais ce n'est pas l'unique aspect de la question. La protection, l'Ontario industriel en veut beaucoup, le Qué­bec un peu moins; les provinces maritimes très peu et l'ouest pas du tout. Voilà qui complique singulièrement la situation. Les conservateurs vont-ils tenter, comme s'il pouvait oublier ses intérêts, de convertir l'ouest à leurs idées? L'expérience des dernières campagnes élec­torales devrait les détourner de ce projet. D'autre part, le Québec, mi-agricole, mi-industriel, s'accommode par­faitement d'une protection modérée; les provinces mari­times également. Seul l'Ontario, radical en cette matière comme en toute chose, exige à cors et à cris, une protec­tion élevée. Les conservateurs ont entrepris de faire triompher partout les idées de l'Ontario. Le résultat a été désastreux. Non. Il nous semble parfaitement inutile d'essayer plus longtemps de concilier les inconciliables. L'ouest, — ses intérêts le lui commandent, — ne renon­cera pas de sitôt à ses idées libre-échangistes. Faute de mieux, il se ralliera à la politique la moins protection­niste, en attendant d'exercer suffisamment d'influence dans les parlements pour imposer ses propres théories. Il a déjà brisé ses relations avec les vieux partis pour créer un parti nouveau. Ce parti n'a peut-être pas eu tout le succès qu'il ambitionnait. Il reste néanmoins que, grâce à lui, l'ouest tient, depuis 1921, la balance du pouvoir. Il s'arrangera sûrement pour la conserver. Ainsi, une simple question de tarif douanier ébranle jusque dans ses fondements notre organisme politique. Cela en illustre bien la fragilité. Devant cette situation qui, remarquons-le bien, s'aggrave constamment, on peut se demander si le temps n'est pas venu de réviser totalement notre politique tarifaire et d'accorder aux provinces une certaine autonomie dans l'établissement des droits de douane et même dans la direction de leur commerce. Cela pose, nous le savons, un grave problème : une telle mesure n'équivaudrait-elle pas simplement à la rupture de la Confédération? Pourtant, nous avançons déjà sur cette voie : le rapport Duncan — et le gouvernement, dit-on, en adoptera toutes les conclusions — ne demande-t-il pas, pour les provinces maritimes, des taux de faveur sur les chemins de fer de l'État? Pourquoi pas, pour les autres provinces, des avantages identiques dans un autre domaine? Nous nous contentons de soulever la question. Nous ne serions toutefois pas surpris si, un jour ou l'au­tre, on devait la discuter à son mérite. Tout nous y pousse.

 

Les conservateurs, tout les premiers, doivent chercher une solution au problème tarifaire. Qu'ils en soient convaincus, leur politique actuelle — politique d'une région — ne ralliera jamais toutes les provinces. Nous suggérons en premier lieu l'abrogation de la préférence britannique : mesure antipolitique qui nous a fait et continue de nous faire un tort incalculable. En second lieu, l'étude approfondie de la situation dans toutes les provinces en vue de dresser un programme susceptible d'application pour chacune. Il ne s'agit plus de se payer de mots et d'essayer de contourner les obstacles, mais d'envisager la situation de face et de ne pas reculer de­vant la solution qui s'impose.

 

(1). Le Devoir du 3 décembre rapportait que les conservateurs de la région de Québec, lors d'une réunion préparatoire de la grande convention conservatrice, avaient adopté une résolution en faveur des écoles de l'Alberta et recommandaient l'inscription du timbre et de la monnaie bilingues au programme du parti.

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Source : Jacques DUMONT (pseudonyme d’Esdras MINVILLE), « Méditation pour jeunes politiques », l’Action française, Vol. XVII, No 3 (mars 1927) : 170-178.

 

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College