Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

Esdras Minville

 

[Cet article par Firmin Létourneau fut originellement publié dans Le Devoir, le 13 août 1938. Il fut reproduit en 1976 dans l'Action nationale. Pour la référence bibliographique exacte, voir la fin du document.]

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Il devient directeur de l'École des Hautes Etudes Commerciales de Montréal.

 

Retraçons, rapidement, sur le coin d'une table, en voyage, les étapes de la carrière de ce Gaspésien de Grande-Vallée, paroisse presque voisine de la mienne : Mont-Louis, petite patrie combien chère.

 

Je le vois d'abord dans sa famille. Le père, Joseph Minville dont les ancêtres venaient de St-Thomas-de-Montmagny, ne connaissait pas de repos. II pêchait la morue et défrichait une terre, exploitait la mer et cul­tivait le sol. II a élevé une famille de onze enfants en un temps où les primes aux pêcheurs, les octrois aux colons n'existaient pas. Il est mort en 1925. La mère a toujours été la Providence de tout le monde. Elle a plus de 80 ans. Je l'ai vue l'été dernier. Elle ne sait pas vieillir.

 

Vers 1908, un des onze enfants entra dans la com­munauté des Frères des Écales chrétiennes. C'était la première vocation religieuse de la paroisse. Il est devenu le Frère Alfred, qui a dirigé les école St-Jean-Baptiste-­de-LaSalle, Salaberry et Ste-Brigide, de Montréal. Le plus jeune de la famille, Esdras, fréquentait l'école du village. II passait pour avoir du talent. L'une de mes soeurs, Odile, lui a fait l'école. A l'âge de quinze ans, il ferma ses livres. II travaillait, soit à la pêche, soit à la terre. Le Frère Alfred venait de terminer son scolasticat. Ses supérieurs le nommaient professeur au pensionnat St-Laurent de la rue Côté, l'une des plus vieilles institutions d'enseignement de Montréal. C'était en 1915. II corres­pondait avec son vieux père de Grande-Vallée, s'inté­ressait à son jeune frère, lui parlait d'étude. Les cir­constances paraissent favorables, celui-ci partit pour la rue Côté. II avait dix-huit ans. Le directeur du collège l'inscrivit en troisième année. Il fit quatre années en quinze mois, arriva premier. Porteur d'un diplôme com­mercial, il retourna chez lui à Grande-Vallée. Que fera-t-il? A cette époque, de grands projets germaient facilement dans le cerveau des capitalistes américains. L'un deux, brave Irlandais que j'ai bien connu, C.W. Mullen, avait lancé, à la Rivière-Madeleine, à côté de Grande-Vallée, une colossale entreprise : THE GREAT EASTERN PAPER CO., non viable à cause de l'entêtement d'un seigneur qui refusa à la compagnie les facilités d'accès à la mer qui eussent été indispensables au succès. Esdras Minville y trouva un emploi comme chronométreur. II avait deux compagnons : mon frère Anicet, aujour­d'hui marchand à Mont-Louis, et Roland Fournier, également de Grande-Vallée, qui m'a suivi à Oka.

 

Durant les périodes de ralenti, Esdras Minville devenait bûcheron et faisait la vie du « campe » en bois rond avec ses lits de sapins.

 

Vers 1919, la grippe espagnole éclata. La famille Minville fut rudement secouée. Deux grands frères et une soeur moururent. Esdras échappa comme par miracle à la mort. Il réfléchit, trouva trop léger son bagage de connaissances. L'ambition de continuer ses études s'empara de lui. Il ne savait pas trop à quelle porte frapper. Dans ce temps-là, la Gaspésie n'était pas comme aujourd'hui, à l'ordre du jour. Les directives manquaient. Ce n'était pas facile de trouver sa voie. Minville demanda des renseignements à différentes grandes écoles.

 

II opta pour l'École des Hautes Etudes Commerciales de Montréal. Il eut de la difficulté à se faire admettre. Ses études antérieures paraissaient trop sommaires. On le prit à l'essai. Inscrit en 1919, il devenait licencié en 1922, premier ou deuxième de sa classe.

 

Durant ses vacances, Esdras Minville gagnait ses cours. Il reprenait son ancien métier de pêcheur. II comptait ses sous, épargnait, vivait dans la plus grande austérité : pas de cigarettes, pas d'alcool, pas de théâtre, des livres, seulement des livres.

 

En 1922, il entra à l'emploi de la maison J.-E. Clément, courtier d'assurance. Tout en travaillant il suivait des cours à la faculté de philosophie et à l'École des sciences sociales. Fatigué, il tomba malade, abandonna sa situation et prit la route de Grande-Vallée. II se rétablit. Comme il avait connu M. l'abbé Lionel Groulx, il adressa un article, son premier, à l'Action Française, devenue l'Action Nationale. L'abbé Groulx sollicita un deuxième article pour l'enquête : l'Ennemi dans la place.

 

Minville cherchait de la documentation. L'abbé Groulx l'envoya chez Olivar Asselin. Celui-ci avait lu le premier article et l'avait trouvé de son goût. Non seulement, il fournit de la documentation au solliciteur, mais il lui offrit une situation. Un article bien écrit peut donc valoir un emploi. M. Minville devenait assistant de M. Asselin chez Versaille, Vidricaire et Boulais, comme ré­dacteur de la Rente.

 

Il continue sa collaboration à l'Action Française et étudie dans un coin.

 

En octobre 1924, il entre dans le corps professoral de l'École des Hautes Etudes Commerciales, son Alma Mater, comme chargé de cours : cours de français com­mercial. Il conserve son poste chez Versailles. Il y remplace même Asselin qui traverse la rue pour s'installer chez Beaubien. Publiciste d'une grande maison de finan­ce et professeur dans une grande école ! C'est déjà quelque chose.

 

En 1927, il devient chef du service de publicité à l'École des Hautes Etudes. En collaboration avec MM. Gérard Parizeau, Fortunat Fortier, François Vézina et quelques autres, il fonde l'Actualité Économique, qui deviendra, en 1928, si ma mémoire est fidèle, l'organe officiel de l'École. II assume la direction de cette revue, y publie des articles chargés de doctrine.

 

Je pourrais parler des activités extra-professorales de Minville. Mentionnons les principales : directeur de la Ligue d'Action Française dont faisaient partie M. l'abbé Perrier, curé, dans le temps, de St-Enfant-Jésus, M. l'abbé Lionel Groulx, le R.P. Archambault, MM. Arthur Laurendeau, Orner Héroux et autres défenseurs des droits du français, professeur aux Semaines sociales, membre de la Commission de cette Université ambulante, prési­dent de la Ligue d'Action nationale qui a remplacé la Ligue d'Action française.

 

M. Minville s'est spécialisé dans les questions écono­miques et sociales. Il a publié sur ces sujets de nom­breux articles inspirateurs d'énergie.

 

Vers 1930, il amorça une campagne de publicité en faveur de la Gaspésie. II a attiré sur cette partie de la province l'attention des gouvernants. En 1936, il devenait conseiller technique du ministère du Commerce et de l'Industrie qui le chargeait de l'organisation et de la direction de l'inventaire des ressources naturelles.

 

Inventaire des ressources naturelles de la province ! C'est le travail le plus important, le plus rempli de promesses qu'un gouvernement ait jamais lancé. Je pourrais en parler longuement, mais passons.

 

A la suggestion de M. Minville, le gouvernement poursuit, à Grande-Vallée, la plus belle expérience qui soit : l'exploitation par et pour le peuple, d'une façon rationnelle, des deux grandes ressources naturelles de l'endroit : le sol et la forêt. En d'autres termes, il s'agit d'appuyer l'agriculture sur la forêt, de faire des agri­culteurs sylviculteurs, comme dans les pays scandinaves, les plus heureux du monde. L'expérience est déjà réussie. La terre et la forêt cesseront de se traiter en ennemies. Celle-ci rentrera dans l'économe nationale. Elle appor­tera à la masse sa part de revenu.

 

Le gouvernement qui lancera, partout où il y a encore de la forêt exploitable, une politique semblable à celle qu'on applique à Grande-Vallée, aura mérité de la patrie.

 

Après vingt-cinq années de services loyaux et en­thousiastes, M. Henry Laureys se retire de l'École des Hautes Etudes, ayant accompli une oeuvre qui restera.

 

M. Esdras Minville le remplace. « The right man in the right place ». Portant dans sa frêle personne les aspira­tions de notre race, il fera de son école un centre de haut savoir, un phare.

 

En terminant, j'exprime le voeu que nos grandes écoles collaborent de plus en plus à l'oeuvre nationale du développement économique et social de notre province. Je pense particulièrement à mon école: l'Institut Agri­cole d'Oka, et j'en profite pour dire toute la respectueuse sympathie, tous les espoirs que nous inspire son nou­veau directeur, le R.P. Norbert, B.S.A.

 

Marions l'agriculture, l'industrie et le commerce, et lançons-nous à la conquête de la richesse économique, le point d'appui du levier qui soulèvera tout.

 

Pêcheurs, bûcheron, Minville est devenu directeur de son Alma Mater. Il s'est hissé, tout seul, au sommet. Son secret ? le travail opiniâtre, l'étude, le sérieux. C'est un exemple ! Suivons-le.

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Source : Firmin LÉTOURNEAU, « Esdras Minville », dans L’Action nationale, Vol. LXV, Nos 9-10 (mai-juin 1976) : 620-625.

 

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College