Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juillet 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Montcalm et ses historiens

Avant-propos

L'histoire vaut-elle d'être narrée ?

 

[Ce texte a été publié par l'abbé Georges Robitaille. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document.]

D'aucuns émettent des doutes. Ils soutiendraient volontiers la négative. Si nous les écoutions, il serait bien inutile de rechercher les faits et gestes des ancê­tres. Vaine la tache de ceux qui se mettent en mesure de prononcer sur les causes des actions humaines et sur leur moralité. Mieux vaut, pensent-ils, vivre dans le présent que de s'ensevelir dans le passé. Pourquoi plutôt ne pas instruire les jeunes gens de l'époque dans laquelle ils sont appelés à vivre ?

 

Ceux-là oublient que le passé est notre Maître, selon le mot d'André Baunier, repris par l'abbé Groulx. C'est la traduction du Magistra vitæ des an­ciens qui voulaient aussi que l'histoire fût lux veri­tatis. Quoiqu'on fasse, il restera que le passé éclaire le présent. C'est que l'intelligence des hommes n'est pas l'intuition des anges. L'humanité raisonne. Et son raisonnement a besoin d'être appuyé et mis en action. Or rien ne pousse à un raisonnement sérieux comme l'étude de l'histoire. La vérité peut paraître désagréa­ble aux philosophes à courtes vues, aux mathéma­ticiens, aux chimistes, aux botanistes. Mais qu'y faire ?

 

Il s'agit de savoir en fin de compte quelles sont les forces qui mènent le monde, « et en somme les grandes forces, les seules créatrices et fécondes, celles qui soutiennent la société, raniment la volonté, enfantent l'avenir, ce sont les sentiments généreux, l'amour de la patrie, des enfants, des autres hommes, le désir d'être utile, l'envie de contribuer à quelque oeuvre qui dure et se perpétue au delà de nous. » (Taine, à George Sand, 30 mars 1872.) Est-il exagéré de dire que rien autant que l'étude de l'histoire ne développe ces sentiments généreux ?

 

Sans doute, l'auteur des Origines de la France con­temporaine ne pratique pas l'énumération complète : « manque, parmi les ressorts indiqués, la force principale, celle qui, par des notions de spiritualisme, courbe les nations devant Dieu, les arrache aux prises ty­ranniques de la matière, et leur trace un programme de haute politique, d'économie chrétienne basée sur la justice, la probité, l'ordre, l'équilibre des intérêts, le jeu d'une saine liberté. » (Mgr Pâquet, 4 octobre 1933.)

 

Il n'empêche que les « disciplines vouées, comme l'observation naturelle, la critique, l'histoire, à l'examen des faits et des idées dans leurs sources et leurs développements authentiques, cherchent la raison des choses; et de plus elles fournissent les éléments d'im­portantes solutions de doctrine. Aussi présentent-elles, de ce double chef, un caractère scientifique avéré qui fait l'honneur de l'esprit humain. »

 

Léon XIII lui-même — en remettant en honneur la doctrine philosophique de saint Thomas d'Aquin — n'entendait assurément pas « cloîtrer l'esprit moderne dans la spéculation pure; il se rendait parfaitement compte de l'importance générale des études poussées, sous la lumière des principes, vers des recherches historiques, critiques, expérimentales, de plus en plus élargies et accentuées. » (Pâquet, ibidem.)

 

Le directeur intellectuel de n'importe quel siècle ferait fausse route et n'obtiendrait pas les résultats am­bitionnés, qui chercherait une autre voie. Tranchons le mot, il manquerait de l'intelligence requise à la direction de la jeune génération. La parole de Malebranche est bientôt dite : Les historiens racontent les pensées des autres, ils ne pensent pas. J'aime mieux les conclusions de ce journaliste de chez nous qui écrit que « l'histoire est de la vie classée, fixée, où les facteurs ont pris leur importance vraie, où les relations de cause à effet peuvent facilement se relever. Et c'est par là que l'histoire comporte de si grandes leçons. C'est par là qu'elle permet à l'historien de porter, même sur les choses contemporaines, un jugement plus averti que d'autres. » (Omer Héroux, 23 avril 1934.)

 

C'est dire qu'il est impossible à un esprit réfléchi qui ne veut pas absolument faire bande à part et raisonner à faux, de se soustraire à la discipline de l'his­toire. Après les moments de vertige qui à certaines époques affligent l'humanité, toujours les bonnes têtes feront de nouveau triompher la cause de l'histoire. Paul Hazard, dans un article extrêmement original et concluant (Revue des Deux Mondes, 1er septembre 1933), cite ce passage du sceptique Fontenelle, un de ceux qui avaient le plus vivement attaqué l'histoire : « Nous sommes des fous qui ne ressemblons pas tout à fait à ceux des Petites Maisons. Il n'importe à chacun de savoir quelle est la folie de son voisin, ou de ceux qui ont habité sa loge avant lui; mais il nous est fort important de le savoir. L'esprit humain est moins capa­ble d'erreurs, dès qu'il sait et à quel point et en com­bien de manières il en est capable et jamais il ne peut trop étudier l'histoire de nos égarements. »

 

Bien peu d'esprits seront réfractaires à la conclu­sion si pleine de vérité que présente M. Paul Hazard : « J'aime la belle rigueur d'un esprit mathématique; mais un esprit tourné vers l'histoire me parait plus humain. Il n'abandonne rien de notre immense héri­tage; rien, pas même les fables qui désolaient les con­temporains de Fontenelle et qui ne sont pas toujours des erreurs mais quelquefois des symboles, non pas toujours des mensonges mais quelquefois des vérités mortes. Il ne veut pas forcer les choses; il les accepte pour essayer de les comprendre; et pour essayer de réformer les hommes, loin de les traiter comme des entités logiques, il sait qu'il faut les traiter comme un processus vivant. Il suppose une multiplicité d'expé­riences, d'efforts, de luttes, de rigoureuses disciplines volontairement acceptées. Il est la somme de nos déses­poirs et de nos réussites. Traduction consciente de notre volonté de durer, et de la tendance de notre être à persévérer dans son être, il est la première et le der­nière réalité psychologique. A bien y penser, il n'y a pas de tentative plus audacieuse et plus belle que l'histoire, puisqu'elle ose entreprendre de faire passer le relatif dans la catégorie de l'absolu, et le transitoire dans la catégorie de l'éternel. »

 

Après cela, le moyen de se dérober et de ne pas admettre que l'histoire est encore l'outil le plus appro­prié qui permet de rejoindre les esprits et les âmes, à condition que l'historien sache l'écrire, qu'il la charge de la plénitude de sa matière, qu'il la rende vivante, qu'il puisse extraire de ses récits une véritable philo­sophie : la philosophie de l'histoire.

 

*     *     *     *     *

 

Le 17 avril 1821, Napoléon Bonaparte fait appeler Montholon, raconte Octave Aubry. (Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1934.) L'Empereur était dans son lit, les yeux fiévreux : — Je ne suis pas plus mal, mais je me suis préoccupé en causant avec Bertrand de ce que mes exécuteurs testamentaires devront dire à mon fils quand ils le verront. Bertrand ne me com­prend pas ... Il est orléaniste... Lui que j'ai fait grand — officier de ma couronne. Mieux vaut que je résume les conseils que je lègue à mon fils ... Ecrivez : « Mon fils ne doit pas songer à venger ma mort, il doit en profiter ... »

 

Quand il régnera, qu'il ne cherche pas à imiter son père, qu'il soit l'homme de son temps : « S'il voulait recommencer mes guerres, il ne serait qu'un singe .. . On ne fait pas deux fois la même chose dans un siècle ... J'ai sauvé la Révolution qui périssait, je l'ai lavée de ses crimes, je l'ai montrée au monde resplen­dissante de gloire, j'ai implanté en France et en Europe de nouvelles idées. »

 

Au fils de Napoléon de faire éclore tant de germes : « A ce prix il peut être encore un grand souverain. »

 

L'Empereur doit s'appuyer un moment aux oreil­lers, les paupières closes, la sueur aux joues. Puis, à voix basse, avec une extraordinaire lucidité, il poursuit son message à l'avenir, ses suprêmes conseils à ce fils que l'archiduchesse Marie-Louise lui a donné, que son beau-père, l'empereur d'Autriche, lui a pris, que l'on garde toujours comme un oiseau en cage, malgré ses dix années révolues, puisqu'il est venu au monde aux Tuileries, le 20 mars 1811. Et parmi ces conseils suprêmes, j'entends le père défaillant qui prononce :

 

« Que mon fils lise et médite souvent l'histoire; c'est la seule véritable philosophie. »

 

Quel puissant argument en faveur de l'étude de l'histoire ! Car nous sommes bien près de croire aux intuitions surnaturelles de l'Empereur mourant. A l'heure suprême, Napoléon a cru de fière façon à Jésus-Christ, à l'Eglise, à ses sacrements. Il a vu que, sans la foi en acte, il n'y avait pas pour lui de survie. Et Dieu lui faisait part déjà d'autres intuitions, dont celle sur l'histoire n'est pas la moins précieuse, mais aussi il lui inspirait ces suprêmes paroles qui repré­sentent la plus haute sagesse : « Tout ce que vous lui direz, tout ce qu'il apprendra lui servira peu, s'il n'a pas au fond du coeur ce feu sacré, cet amour du bien qui seul fait faire les grandes choses. »

 

En vérité, il n'y a pas de plus importants conseils à transmettre à notre jeunesse, ni de plus capables de lui montrer la route.

 

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Source : abbé Georges ROBITAILLE, « Avant-propos – L’histoire vaut-elle d’être narrée ? », dans Montcalm et ses historiens. Étude critique, Montréal, Granger Frères, 1936, 241p., pp. 11-18.

 
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