Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2005

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Horatio Walker

(1858-1938)

 

Première partie

 

[Ce texte a été rédigé en 1938 par Paul Lavoie. Pour la référence exacte, voir la fin du document]

 

Le 27 septembre, s'éteignait doucement, à son domicile de Sainte-Pétronille de l'Ile d'Orléans, le grand peintre de la vie rurale de la province de Québec. Le Canada perdait, ce jour-là, un artiste de réelle envergure et l'«Habitant» canadien-français pleurait son meilleur ami, son plus fidèle admirateur, son chantre épique. Résumer ce que fut la vie d'Horatio Walker n'est pas facile, même pour ceux qui ont eu le privilège d'être ses amis intimes. C'est cependant un devoir auquel nous ne saurions nous dérober sans faillir aux responsabilités qu'on a bien voulu nous demander d'assumer. L'oeuvre du maître de l'Ile d'Orléans est, tant par la hauteur de son inspiration que par la force de sa technique, une grande leçon de travail pour tous les Canadiens, un poème héroïque, un chant d'amour («Work of Love», disait-il), auquel ses compatriotes se doivent à eux-mêmes et doivent à sa mémoire de communier avec toute l'intelligence possible. La seule attitude d'esprit qui s'impose en l'occurrence, c'est l'humilité consciente de son impuissance à exprimer l'inexprimable et la sincérité ardente, désireuse avant tout de ne pas «faire mentir» la pensée si élevée et le sentiment si profond de l'éminent artiste dont nous pleurons la disparition mais dont l'oeuvre restera pour l'éducation des générations futures.

 

«L'art est pour qui sait l'entendre un langage plus clair que les mots : c'est la langue des sentiments, celle des affections profondes, celle dont le poète a dit : «que le monde l'entend et ne la parle pas.» «Ceux-là s'en servent seuls qui ont à exprimer quelque manière émue d'envisager la vie, quelque amour spécial qu'ils ont pour la beauté. On fait dire ce qu'on veut aux mots : il est plus difficile de faire mentir une oeuvre d'art.» (1).

 

L'oeuvre d'art que fut la vie d'Horatio Walker ne saurait mentir. Bornons-nous à en souligner comme à vol d'oiseau les grandes lignes, les beaux contours, les principes sûrs, les visées éducatrices, la portée nationale.

 

*      *      *      *      *

 

Né à Listowel, Ontario, le 12 mai 1858, du mariage de Thomas Walker, natif du Yorkshire, en Angleterre, et de Jeanne Maurrice, Horatio Walker était par sa grand-mère paternelle, née Meurize, à Rouen, de pure lignée normande. Il reçut dans sa famille une éducation de choix et il fréquenta l'école publique de sa localité pour ses études primaires et secondaires. Mais il fit souvent l'école buissonnière, préférant aux manuels du High School la clef des champs, les prairies verdoyantes, les forêts vierges du comté de Perth. La liberté de la vie de plein air exerçait déjà son charme fascinant: C'était irrésistible...

A l'âge de douze ans, Horatio Walker accompagne son père à Québec. Il y fait un séjour enchanteur dont il ne perdra jamais le souvenir. Il est conquis par la bonhomie du paysan des alentours et par la beauté du site de l'antique capitale de la Nouvelle-France. Il décide de s'y établir lorsqu'il sera grand. Il y revient à plusieurs reprises au cours de son adolescence.

 

Homme de culture, doué comme sculpteur amateur, Thomas Walker a tôt fait de constater les talents artistiques de son fils. Il aide à leur éclosion dans toute la mesure de ses moyens spirituels et matériels. Dès 1874, il offre à Horatio d'aller à Toronto pour y fréquenter l'atelier de Notman & Fraser. Le jeune homme accepte avec enthousiasme et y demeure deux années pour recevoir les premières leçons de son art. R.-F. Gagen l'initie à la technique du dessin et de la peinture. Mais il n'avait pas attendu l'initiation de l'enseignement académique pour manifester ses aptitudes. Dès l'école primaire, il avait orné d'esquisses intéressantes ses livres de classe et jusqu'aux cartons de ses professeurs. Il s'était essayé en maints croquis des paysages qui l'entouraient. L'année de son voyage à Québec (1870), première «grande époque» de sa vie, il livrait sa première oeuvre aux membres de la loge orangiste de son village, ceux-ci lui ayant confié le soin de peindre une bannière à l'occasion de la célébration de leur fête du 12 juillet. Ce jour là, «King Billy» à cheval traversait triomphalement la Boyne à travers les rues de Listowel et assurait le succès de la procession. Et l'artiste de douze ans recevait pour sa «première ouvre» la forte somme de vingt dollars.

En 1876, Horatio Walker visite l'exposition internationale de Philadelphie et y découvre quelques tableaux de maîtres européens. Il reçoit le choc de l'étincelle sacrée... C'est décidé : il sera peintre, peintre canadien, peintre de la «Grandeur de Québec». Il séjourne plusieurs mois à Syracuse, N.-Y., et parcourt, le pinceau à la main, toute la contrée environnante. Mais il revient toujours pendant la belle saison dans la province de Québec. Au moment où il ouvre à New-York son premier atelier (1878), le jeune artiste a déjà un répertoire d'esquisses, de croquis, d'études révélant outre-quarante-cinquième le charme irrésistible de la paysannerie canadienne-française.

 

Ayant foi en son étoile, il travaille ferme, s'efforçant de tout apprendre en fait de principes académiques, mais de tout oublier aussitôt après («I learned everything about academics, but forgot them all immediately». - «You can teach the trade; art cannot be taught.»). Ses maîtres de chevet sont, dès cette époque, Homère, Archimède, Socrate, Platon, Aristote et Turner, Vélasquez; Michel Ange, dont il a fait la connaissance à Philadelphie.

 

En 1880, Horatio Walker part à pied du petit village de l'Epiphanie, près de Montréal, pour se rendre à Québec où il arrive en novembre. C'est la deuxième «grande époque» de sa vie : sa prise de contact intime avec «l'Habitant» du Québec. Il le regarde vivre de village en village, parlant avec lui, mangeant et buvant à sa table, dormant sous son toit rustique. Il aime la simplicité de sa vie, il s'éprend d'une admiration sincère devant la beauté des paysages qui l'environne. Les «documents» picturaux commencent à s'amonceler, complétés sur le vif par des notes manuscrites qui ne seront jamais détruites. Un trait résume, ici, la psychologie, faite de pénétration intuitive et d'exquise délicatesse, du jeune homme. Quelques semaines après son «beau voyage» en Québec, il se rendait à Rome, sollicitait audience de Léon XIII qui, volontiers, bénissait à sa demande un panier rempli de chapelets, souvenirs du Vatican. Puis, par le premier courrier, les chapelets prenaient la route de la vallée du Saint-Laurent pour combler les mains naïves de chacun des enfants de chacun des foyers ou il avait été hébergé de l'Epiphanie à Québec.

L'année suivante, Horatio Meurize Walker, Canadien incontestable, Québécois authentique, expose triomphalement à New-York La soue à cochons. Elle lui rapporte soixante-quinze dollars, une fortune pour le jeune artiste qui apprendra, quelque temps après, qu'elle se revendait quatre cents dollars sur la Cinquième avenue. Un an plus tard (1882), il remporte son premier grand succès aux Etats-Unis avec Le porcher et ses porcs. Ce tableau lui vaut d'être admis, à vingt-trois ans, comme membre de l' American Watercolours Society qui lui décerne une récompense de trois cents dollars. Et The Riker Art Gallery, de Northampton, Mass. fait aussitôt l'acquisition de la toile pour un prix égal.

 

1883 est l'année de la réalisation du grand rêve de 1870, la troisième «grande époque» de la vie d'Horatio Walker qui s'installe, enfin, à Québec. Il ouvre un atelier au dernier étage de l'hôtel Clarendon, d'où par cinq fenêtres il a une vue magnifique sur le panorama laurentien. Pour y travailler en paix, il prend chambre et pension à l'hôtel Saint-Louis, son installation au Clarendon demeurant secrète. La même année, The Society of American Artists , de New-York, l'admet parmi ses membres. Il se lie d'amitié, devient l'alter ego des artistes américains qui, de 1877 à 1892, assurèrent la naissance, puis le progrès de la beauté plastique aux Etats-Unis. Il suffisait d'avoir du talent et de le cultiver pour entrer dans ce cénacle de l'art en Amérique du Nord. Les membres de la Société des Artistes américains, absorbés par leur tâche désintéressée, n'avaient ni le temps, ni le goût de verser dans l'esprit de coterie et de tenir chapelle. Horatio Walker, jeune encore, prit rang parmi eux à cause de son seul mérite. Le rayonnement de son talent en avait fait le compagnon du haut idéal qu'était celui des Abbott Thayer, Theodore Robinson, Albert Ryder, Alden Weir, William-M. Chase, Kennyon Cox, Brush, Winslow Honer, John Twachtman, LaFarge, Olin Warner et des autres. Le National Academy of Design accueillit aussi le jeune peintre dont la maîtrise s'affirmait de plus en plus alors que sa renommée devenait internationale. 

Dès cette époque, Horatio Walker avait pris l'habitude de séjours annuels en Europe, en Afrique, dans le Proche-Orient et même en Russie où il alla à quelques reprises pour avoir des visions... au Musée de l'Ermitage. Il y acquit une culture exceptionnelle par la fréquentation des maîtres et les relations sociales qu'il s'y fit. Pendant ses séjours annuels à Londres où il avait un atelier, il servit d'agent de liaison officiel entre les différentes sociétés d'artistes anglais et français. Chaque semaine, il se rendait à Paris pour maintenir les contacts de ces institutions d'outre-Manche. Il ne tarda pas à entrer au Royal Institute of Painters in Watercolours de Londres et à la Société internationale des Arts et des Lettres de Paris. The Society of Arts and Letters, The Arts club, The National Academy et The American Watercolour Society, de New-York, le réclamèrent aussi parmi les leurs qui, tous, étaient animés du «pioneer spirit». L' Académie Royale Canadienne s'honore depuis longtemps de l'avoir inscrit au Livre d'Or de ses membres. (2)

 

Il n'est pas possible de suivre, en des notes improvisées, Horatio Walker dans les musées d'Angleterre, de France, de Belgique, de Hollande, d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne, d'Autriche et de Hongrie. Ce serait pourtant des plus éducateur... C'est dans la province de Québec que l'artiste a choisi de vivre et de mourir et il ne s'en est absenté au cours de sa longue carrière que pour y revenir avec prédilection. «Nous sommes à l'Ile d'Or­léans où il installa définitivement son atelier en 1888 - quatrième «grande époque» de sa vie! Restons-y. Et pénétrons, grâce à la condescendance du maître, en son «Temple des Dieux» où un demi-siècle de labeur quotidien a amoncelé les documents d'art et d'histoire nationaux. «Un vrai sanctuaire de l'art des lignes et des couleurs.», pouvait écrire, le 19 novembre 1927, Robert-A.-C. Douteau, de Paris, «lors de ce froid après-midi d'hiver» où, «les membres assouplis par la tiédeur sympathique d'un feu de bois brûlant haut et clair», il lui avait été donné de regarder «une à une, les nombreuses toiles de l'artiste, distribuées un peu au hasard, sur les murs du studio spacieux et silencieux... Petit nombre d'études», toutefois, «car la majeure partie de l'oeuvre de M. Walker est maintenant offerte à la critique publique, dans de nombreux musées des Etats-Unis et quelques-uns du Canada (3)». Car c'est une ironie suprême que le destin de cette oeuvre remarquable: canadienne-française d'inspiration, française de facture, elle est quasiment ignorée du Canada, tandis qu'elle est très en honneur aux Etats-Unis; si bien que Walker, auprès de beaucoup de gens, fait figure de peintre américain. Cependant, personne mieux que lui n'a servi la cause canadienne-française: cet homme a consacré cinquante ans de son existence à juger de son oeil sûr les éléments qui composent toute la vie de l'île pour les fixer d'une main habile sur des toiles impérissables. Un demi-siècle durant, confiné dans un territoire de 60 kilomètres de périmètre, il a voyagé, chemin par chemin, de paroisse en paroisse, de maison en maison, pour saisir sur le vif quelque scène de la vie paysanne, toujours nouvelle parce que bien choisie et traduisant à chaque instant une phase de l'évolution des coutumes et des rites.

 

«Toute l'histoire de l'Ile est représentée par les études de Walker. C'est la vaste enluminure d'un demi-siècle de vie rustique. Or elle est impérissable parce qu'elle a été conçue et réalisée par un artiste» et elle «évolue au point que voici venir le temps où il serait impossible de reconstituer ces attitudes, si Walker ne les avait fixées pour toujours; voici venir l'ère des touristes qui apportent chaque année dans les coutumes de l'île une légère perturbation... or, c'est de quarante ans que cette ère est vieille déjà! C'est pourquoi je disais que le peintre Horatio Walker a fait plus et mieux en nous imageant l'histoire simple et significative de ces «habitants», comme on dit en Québec, que bien des puissants dévoués à la cause canadienne-fran­çaise» (4).

 

(1)  Louis GILLET: "L'art flamand et la France", Revue des Deux-Mondes , 1er mai 1918, p. 132.

(2)  Des nombreuses décorations dont le talent d'Horatio WALKER fut consacré officiellement, il faut mentionner de façon non limitative: en 1887, la médaille d'or à l'exposition concurrente des nombreuses galeries d'art des Etats-Unis, tenue à New-York; en 1889, une médaille de bronze à l'Exposition universelle de Paris; en 1893, la médaille d'or de la Columbian Exhibition de Chicago; en 1901, deux médailles d'or de la Pan American Exhibition de Buffalo (l'une pour une peinture à l'huile, l'autre pour une aquarelle); en 1902, une médaille d'or à l'Exposition de Charleston ; en 1904, la médaille d'or d'Honneur décernée par l' Académie des Beaux-Arts de Pennsylvanie, à Philadelphie; en 1907, le Premier Prix du Musée d'Art, de Worcester; en 1916, la médaille d'or de l'Exposition internationale de Panama-Pacifique, à San Francisco; en 1920, le Prix Hudnut de l' American Watercolour Society de New-York (Grand Prize). Seul membre canadien de l' International Jury at Carnegie Institution, Horatio Walker faisait partie de plusieurs jurys d'art à Londres, Paris, Madrid et aux Etats-Unis.

(3)  Le mérite de ses oeuvres a répandu ses tableaux dans de nombreuses galeries d'art et musées, sans compter les collec­tions privées: au Canada : La Galerie Nationale d'Ottawa; le Musée de Québec; la Galerie des Arts, à Montréal; la Galerie des Arts, à Toronto. Aux Etats-Unis : le Metropolitan Mu­seum of Art, de New-York; la Albright Gallery, de Buffalo; la Corcoran Gallery of Art; la National Gallery of Art, de Wash­ington; le Carnegie Institute, de Baltimore; le Toledo Museum of Art; le Cleveland Museum of Art; le Peabody Institute, de Baltimore ; le City Art Museum, de St-Louis; le Musée de San-Francisco. En Angleterre : le Palais Royal de Windsor; le British Museum.

(4)  "LETTRE DE QUEBEC" - Un grand peintre canadien: Horatio Walker. Par Robert-A.-C. DOUTEAU". La Revue ART & INDUSTRIE, Paris, IVè An., No 6. 10 juin 1928, pp. 21. 22- 23 et 73.

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Source  : Paul Lavoie, «Horatio Walker - 1858-1838 ; première partie», dans Le Devoir, le 29 octobre 1938, p. 2. Le texte a été reformaté et quelques erreurs typographiques ont été corrigées.

 

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College