Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juillet 2005

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Gavazzi

 

[Ce document est la conclusion de la biographie de Gavazzi, publiée en 1962, en deux volumes, par Robert Sylvain, professeur d'histoire à l'université Laval de Québec. Fruit d'une patiente recherche, d'une très riche documentation et d'une grande érudition, l'étude de Sylvain est une contribution sans égale à la compréhension du phénomène Gavazzi dans le monde du XIXe siècle en général et dans la société canadienne en particulier. Le lecteur attentif notera que, malgré une démarche nettement plus objective que ses prédécesseurs, Sylvain montre un léger parti-pris à quelques occasions.

On consultera la fin du document pour obtenir la source bibliographique précise.]

 

A la mort de Gavazzi, Ludovico Conti devint le président de son « Eglise », qui, dès la fin de cette même année 1889, assuma le nom d'Eglise évangélique italienne. La générosité de bienfaiteurs étrangers, du moins tant que vécut John Mac Dougall, ne lui fit pas défaut, mais l'Ecossais mourut le 12 janvier 1900 (1); à partir de cette époque, le courant des aumônes étrangères s'amenuisa sans cesse, de sorte que l'Eglise évangélique dut se dissoudre en 1905 : une partie de ses membres passa aux méthodistes épiscopaliens ou wes­leyens; d'autres, groupés surtout en Toscane, s'unirent, en 1929, à l'Eglise protestante presbytérienne nationale d'Italie pour constituer une nouvelle secte (2).

 

D'avatars en avatars, l'oeuvre de Gavazzi finissait par se désagréger presque complètement. Telle était la fin lamen­table d'efforts poursuivis pendant plus de trente années dans sa patrie et à l'étranger. Du projet grandiose de fon­der en Italie, sur les ruines du catholicisme, une Eglise nationale, il ne restait quasi rien. Cette longue vie laborieuse de près de quatre-vingts ans aboutissait à un échec gigantesque.

 

Ne s'expliquait-il pas, en partie, par l'orientation funeste à laquelle avait obéi le début de cette vie et les circonstances exceptionnelles d'une carrière qui apparaissait rétrospectivement à Gavazzi lui-même, au moment où il rédigeait ses Mémoires, comme un « phénomène » (3) ?

 

Encore adolescent, Gavazzi entrait au noviciat des bar­nabites. Or, si l'on en juge par son activité et ses déclarations ultérieures, rien ne le prédisposait à la vie religieuse. De plus, ses études philosophiques et théologiques, comme trop souvent à l'époque, ne furent ni prolongées ni approfondies. Elles se résumèrent en un verbalisme creux, qu'un enseignement précoce de la rhétorique ne put qu'accentuer.

 

Gavazzi fut, en effet, nommé professeur à l'âge de vingt ans. Il se révéla d'emblée doué pour la parole publique. Mais cette éloquence emportée était plutôt celle d'un tribun que d'un orateur proprement dit. Encore moins d'un orateur sacré. Car on remarque que, même après qu'il eut été destiné exclusivement à la prédication religieuse, il ne tarda pas à se laisser séduire aux élans patriotiques qui soulevaient les écrivains « néo-guelfes » de l'Italie, au point de négliger ses devoirs sacerdotaux et religieux et de se faire, à maintes reprises, rappeler à l'ordre par ses supérieurs pour, finalement, se voir interdire la chaire et être confiné dans une maison de retraite.

 

L'accession au souverain pontificat du cardinal Mastai-Ferretti tira le fougueux barnabite de sa réclusion pour le projeter de nouveau sur la place publique. Pie IX, qui, aux yeux des patriotes, incarnait « le pape de Gioberti », devint son idole. Gavazzi, une fois à Rome, se révéla l'un des hérauts les plus véhéments du nouveau pontife, l'un de ceux qui imposèrent à la foule « le mythe de Pie IX ». L'on sait quelle effroyable méprise se cachait derrière cette exaltation. Lorsque Pie IX, par l'allocution du 29 avril 1848, anéantit impitoyablement toutes les illusions, en refusant de déclarer la guerre à l'Autriche, Gavazzi, qui dans ses discours avait assimilé le doux Pie IX à un nouveau Jules II et en avait fait le chef national de l'Italie au point de vouloir le mettre à la tête d'une nouvelle « croisade », partagea le sort commun à tous les patriotes. Mais il prit du temps à se rendre compte de la réalité des événements. Il voulait croire que Pie IX était trompé par son entourage ! Il se prévalut de cette interprétation pour soutenir la république de Mazzini.

 

C'est seulement lorsqu'il fut obligé de prendre le chemin de l'exil et de se réfugier en Angleterre qu'il dut se rendre à l'évidence : le pape avait déserté la cause nationale; le pouvoir temporel était devenu nuisible à l'Italie!

 

Profondément désemparé devant la chute de ses illusions les plus chères, il se mit à la recherche d'une explication de la catastrophe qu'il venait de vivre. D'examens en examens, à travers les ouvrages protestants de controverse, il aboutit à une conclusion radicale : la négation du pouvoir temporel le conduisit à la négation du pouvoir spirituel du pape. Le catholicisme tout entier devenait une imposture. Pierre n'était pas venu à Rome. Il n'avait pu être le premier pape. Seul Paul avait fondé l'Eglise de Rome. Ainsi la « question romaine » détacha, comme elle le fit pour bien d'autres patriotes italiens du XIXe siècle, Gavazzi de « l'Eglise romaine ».

 

Il résolut alors de fonder une « Eglise », la vraie Eglise, ou plutôt de revenir à l'Eglise primitive de Rome, telle que l'avait établie saint Paul. Sous le couvert d'une réforme religieuse, c'étaient toujours les aspirations nationales qui, chez Gavazzi, cherchaient à se réaliser : ne s'agissait-il pas de l'Eglise des ancêtres romains, d'une « Eglise nationale » en un mot ?

 

Pour y parvenir plus sûrement, il fallait délivrer l'Italie et le monde de cette gangrène qu'était devenu, à ses yeux, le catholicisme, la religion du pape!

 

A cet effet, il commença une vaste campagne de discours qui devait le conduire aux quatre coins du Royaume-Uni et en Amérique. A lire ses conférences, on se demande si Gavazzi était tout simplement sensé. Mais la rage ne raisonne pas. Il absorba tous les arguments, même les plus insanes, qu'il put trouver dans les ouvrages de polémique publiés contre Rome, avec une crédulité, une absence d'esprit critique qui confond. Et il les rabâcha avec une patience infatigable devant de milliers d'auditoires. Son sectarisme le porta aux pires excès de parole, comme on le vit au Canada, particulièrement à Québec et à Montréal. Aux Etats-Unis, il le poussa à soulever les passions populaires contre un délégué pontifical, au point que, à un moment donné, la vie de celui-ci fut en danger. C'était double profit : mettre à mal un représentant officiel du catholicisme détesté et s'en prendre à l'homme qui avait représenté le pape dans sa propre patrie, Bologne, et qui passait pour avoir ordonné l'exécution, aux mains des Autri­chiens, de son confrère et ami Ugo Bassi.

 

De retour en Angleterre après cette folle équipée, il s'adonna encore quelques années sur le sol étranger à cette oeuvre stérile de démolition. Enfin l'entrée du Piémont en guerre, en 1859, lui permit d'espérer qu'il foulerait bientôt le sol de la patrie. Mais ce n'est pas sans peine qu'il put réaliser son projet, car Cavour, en véritable homme d'Etat, éprouvait la plus profonde défiance envers ces pseudo-apôtres qui ne sèment que la zizanie et le désordre sur leur passage.

 

Il s'employa dès lors à l'organisation de son « Eglise ». De concert avec un autre apostat, Luigi De Sanctis, il en rédigea les constitutions. C'est à implanter sa secte dans le sol italien qu'il devait passer les dernières années de sa vie; seule son activité de « garibaldien » le détourna momentanément de son « apostolat ». Car il interviendra dans les cam­pagnes militaires toutes les fois qu'il le pourra. C'est ainsi qu'on le vit accompagner en Sicile et à Naples les Mille de Garibaldi et assister, impuissant, à l'inféconde tragédie de Mentana.

 

C'est en 1877 seulement qu'il crut avoir assis solidement son « Eglise » en lui trouvant un local sur les bords du Tibre, face au Vatican. Mais cette acquisition n'avait été possible qu'avec l'argent étranger. C'était un point faible, parmi tous les autres, de l'Eglise gavazzienne : une Eglise nationale mais édifiée à l'aide de l'or étranger! N'est-ce pas contra­dictoire dans les termes ? Aussi après la disparition de celui qui en était l'âme, l' « Eglise chrétienne libre » ne devait-elle pas tarder à se disloquer, et ses membres s'agréger au métho­disme, soit anglais, soit américain. Seul subsiste aujourd'hui un groupe infime qui peut se réclamer directement du fonda­teur!

 

Gavazzi a donc été principalement un élément destructeur, un « homme de ruines »(4). Désillusions sur désillusions, abandons après abandons, ruines sur ruines, telles ont été les carac­téristiques essentielles de cette longue carrière agitée.

 

Quelle différence d'avec celle de son confrère Ugo Bassi, qui du moins rétracta, avant de mourir, ses extravagances ! Il est donc tout à fait injustifiable d'unir leurs noms dans une glo­rification commune. Aussi, lorsqu'on dévoila à Bologne, en 1888, la statue d'Ugo Bassi, Gavazzi ne fut-il pas invité à assister à la cérémonie, encore moins à y faire un discours : « l'apostat » ne pouvait pas être appelé à parler devant le monument du « martyr » (5). De même, lorsqu'on apposa, en 1933, une plaque sur l'édifice de la place du pont Saint-Ange, où l'on surnommait « Alessandro Gavazzi, le confrère d'Ugo Bassi et l'aumônier de Giuseppe Garibaldi », un lecteur de la Tribuna fit-il remarquer que Bassi « mourut en martyr, gardant pur et intact son caractère sacerdotal », alors que Gavazzi ne devint l' « aumônier de Garibaldi » qu'après avoir « jeté le froc aux orties » (6). Transfuge de la vie religieuse et du catholicisme, adversaire implacable de la religion de son enfance et de sa jeunesse, Alessandro Gavazzi ne peut, aux yeux de l'histoire impartiale, être l'objet de la même estime que celui qui, après avoir confessé ses erreurs, mourut en fils fidèle de l'Eglise.

 

(1) Il Piccolo Messaggere, XXV (gennaio 1901), p. 11.

(2) Crivelli, I Protestanti in Italia, t. I , p. 57.

 

(3) Autobiographia , p. 091009.

 

(4) Piero Chiminelli, Alessandro Gavazzi, dans Fides (Rivista mensile della Pontificia Opera per la preservazione della Fede in Roma), (Aprile, 1939), p. 176.

 

(5) G. Boffito, Scrittori barnabiti, t. II, p. 150.

 

(6) La Tribuna, 2 maggio 1933.

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Source: Robert SYLVAIN, "Conclusion", dans Clerc, Garibaldien, Prédicant des Deux Mondes. Alessandro Gavazzi (1809-1889), Québec, Le Centre pédagogique, Vol. 2, 1962, pp. 512-516.

 

 
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