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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Cartier et la Confédération
[Ce texte a été rédigé par Alfred D. DeCelles en 1913. Pour la référence exacte, voir la fin du document.]
L'oeuvre la plus importante à laquelle Cartier prit part est, sans contredit, celle de la Confédération des provinces anglaises de l'Amérique du Nord. Il ne s'agit plus ici d'un projet de chemin de fer, d'une entreprise qu'une loi crée et qu'une autre peut faire disparaître. L'avenir de tout un peuple est en jeu dans cette circonstance, et la responsabilité ordinaire de l'homme d'État s'augmente et s'aggrave des périls à prévoir pour les éviter et des intérêts à sauvegarder d'une façon intangible. Ce n'est pas une mince affaire que de changer la situation politique d'une nation lorsqu'il faut demander à l'inconnu des garanties aussi grandes que celles du présent, mettre en balance les avantages qu'on cède et ceux que l'on se propose d'acquérir. Il fut facile aux collègues de Cartier chargés, à la Conférence de Québec, d'élaborer un projet d'union acceptable à tous, de se mettre à l'oeuvre d'un coeur léger, car leurs provinces n'avaient rien à perdre dans la sphère agrandie où on les appelait à vivre à l'avenir. Tout autre était la position des Canadiens-Français. Ils risquaient de se trouver à la merci, dans le nouvel ordre de choses, d'une majorité généreuse et libérale aujourd'hui, remplacée demain par une majorité oppressive et persécutrice. Les sauvegardes d'une constitution émanée d'un pacte solennel entre plusieurs parties contractantes ne tiennent pas toujours ce qu'on leur fait promettre ; tant valent les hommes, tant valent les constitutions. C'est sous l'empire de ces idées et du compte terrible qu'on était en droit d'exiger de lui que Cartier prit place au milieu des délégués à la Conférence. Si tous les hommes publics de l'époque, réunis à Québec, virent, dans la concentration des forces éparses, le moyen de constituer un état puissant sur les fondations des petites provinces, faibles dans leur isolement, cette unanimité de vues disparaissait sur la forme à donner au nouveau régime. Pour le plus grand nombre, un parlement unique pouvait répondre aux nécessités administratives et économiques du pays. Tout autre fut l'avis de Cartier qui ne fit pas mystère de son opposition irréductible à une union législative. A son point de vue, il convenait d'organiser le nouvel état sur les bases du régime fédératif afin de laisser à chaque groupe son autonomie sur les matières essentielles à son existence provinciale. Le concours du Bas-Canada à l'oeuvre de l'union était à ce prix. Après force discussion, la majorité, en face de l'attitude déterminée de Cartier, finit par se rallier à son idée, de sorte qu'il est permis de dire que si le projet d'unir les provinces anglaises ne lui appartient pas en propre, celui de la forme à donner au gouvernement est bien à lui. Il a déclaré, en plein parlement, que pour la majorité des délégués, y compris sir John Macdonald, il aurait suffi de substituer aux législatures provinciales un seul parlement investi de tous leurs pouvoirs. L'identité du droit civil en dehors de Québec, la communauté de langage facilitaient l'union législative à laquelle le Canadiens devaient répugner, car leurs institutions y auraient été en péril. La grande perspicacité de Cartier lui fit voir dans cet état politique le danger latent qu'il ca chait. N'avait-il pas de plus à redouter l'obstacle contre lequel serait venue se heurter et se briser son influence, s'il eut tenté de faire accepter par les siens, déjà prévenus contre tout changement, un projet aussi plein de menaces pour leur avenir qu'une Union législative ? La nouvelle constitution eut de rudes assauts à soutenir avant d'être acceptée. La critique la plus vive ne cessa de la suivre d'une étape à l'autre de la discussion à la Chambre, mais Cartier, dans toute la maturité de son talent, avec cette furie française qu'il déployait dans les circonstances critiques, fit face aux attaques de Dorion et de ses amis. Il fut puissamment aidé par Cauchon, dont les articles très élaborés, publiés par le Journal de Québec, achevèrent de gagner le clergé au projet de la Confédération. Il serait injuste de méconnaître la part que prirent à la discussion Langevin, Chapais, Louis Archambault, etc.
Le projet de Confédération n'était-il pas calqué, dans sa charpente, sur l'édifice élevé par les Américains ? Il y avait là une apparente contradiction chez Cartier qui se plaisait, en toutes circonstances, à faire ressortir la supériorité, évidente à ses yeux, des institutions britanniques sur celles de nos voisins. Il s'est un jour évertué, à la Chambre d'Assemblée de Québec, d'établir la différence d'origine des pouvoirs publics au Canada et aux États-Unis. A son point de vue ils émanent chez nous du Parlement britannique qui les a placés sous l'égide du gouvernement central à Ottawa. Celui-ci en a délégué une partie aux législatures provinciales. L'autorité gouvernementale aux États-Unis s'est formée et partagée d'après un principe inverse. Ce sont les différents États qui, se dépouillant d'une portion de leur pouvoir, ont donné nais sance à la puissance fédérale. Si la devise américaine unum e pluribus précise bien la source des pouvoirs de nos voisins, on arrive à symboliser notre constitution en modifiant la même formule américaine ; comme c'est du pouvoir central que dérive l'autorité déléguée à nos autonomies provinciales, les mots ex uno plures peignent bien l'état de choses existant au Canada. Cette manière de voir, qui fut aussi celle de M. Félix Marchand, nous plonge en plein domaine de la fiction. La réalité au contraire nous montre, à travers le voile de la théorie, le peuple agissant, faisant sentir sa volonté, à peu de cho ses près, de la même manière au nord et au sud de notre frontière. Quelque ingénieux que soient ces commentaires, l'ossature de notre constitution dans laquelle on a habilement glissé la substance des institutions britanniques est bien d'imitation américaine. La Confédération n'en constituait pas moins un progrès sur l'ordre de choses qu'elle remplaçait. Celui-ci n'était qu'une union législative où nos institutions n'avaient pour garantie que l'égalité de représentation des deux provinces. Sitôt cette protection disparue, nous tombions à la merci de la majorité anglaise et c'était le sort qui nous attendait dans un avenir assez rapproché, car la garantie de l'égalité de représentation devait fatalement céder la place à la représentation basée sur le nombre, système plus juste, au sens des institutions représentatives. C'est même pour éviter cette éventualité vers laquelle poussait la force des choses, que Cartier consentit à l'union des provinces. Le grand avantage de la Confédération c'est qu'elle nous a établis comme un bloc inattaquable au sein du nouvel état, avec tous les droits et libertés essentiels, à notre autonomie provinciale : notre droit civil et le contrôle de l'instruction publique. Au gouvernement central, nous abandonnons les intérêts matériels communs à tout le pays, intérêts qui ne pouvaient se disjoindre, comme ceux de la politique fiscale et des relayions commerciales, encore soumises cependant à Ottawa à notre part d'influence. Mais n'était-ce pas une conquête considérable que celle qui plaçait entre nos mains, comme dans une forteresse dont seuls nous avons la clé, le privilège d'instruire nos enfants, de perpétuer notre langue, de conserver nos lois, enfin tout ce qui constitue l'âme d'une nation !
Au point de vue général, c'était une conception hardie que celle de l'union des provinces constituée sur les bases du régime fédératif. N'est-ce pas en effet le système de gouvernement le plus compliqué dans sa mise en oeuvre ? Ce dualisme, qui installe des autonomies particulières dans un état, ne mène-t-il pas presque fatalement à des conflits d'autorité inconnus à un pouvoir unique centralisé ? Nos voisins de la grande république, l'Autriche-Hongrie, la Suisse, ont vu se produire, dans le fonctionnement de la machine politique, des chocs que nous-mêmes n'avons pas pu toujours éviter. Aussi les fédérations ne peuvent résister aux exigences de la politique, si leurs habitants n'apportent point dans les affaires publiques un grand respect des droits d'autrui, et cet esprit de compromis et de transactions indispensables pour mettre d'accord des intérêts divergents.
Dès son origine, la Confédération américaine vit surgir deux tendances contradictoires, parmi les esprits dirigeants de l'époque aux prises avec les difficultés inhérentes à un régime nouveau. Fallait-il donner au gouvernement central un pouvoir prépondérant sur les petites autonomies provinciales ? Ou celles-ci traiteraient-elles d'égales à égal avec le premier ? C'est sur ces deux tendances que se fit la première division des partis chez nos voisins. A la tête des centralisateurs se trouvaient Hamilton, Jay et Madison. Ceux qui tenaient pour la quasi souveraineté des états marchaient sous la direction de Jefferson.
La lutte entre les deux partis fut longue et, en se prolongeant, elle amena la terrible guerre civile de 1861. Rappelons, pour l'intelligence des faits, que les États du Nord et ceux du Sud s'étaient divisés en deux camps sur la question de l'esclavage. Aux premiers qui réclamaient la libération des noirs, les sudistes, retranchés derrière les privilèges de l'autonomie locale, déniaient le droit d'intervention. C'est sur ce différend qu'éclatèrent les hostilités. Le gouvernement fédéral sortit vainqueur de la lutte qui affaiblit les droits des états. Au cours des longues discussions antérieures à la guerre, les états avaient argué qu'ils étaient des souverainetés dont une partie des pouvoirs n'avaient été aliénés que conditionnellement. Cette argumentation dispa rut sous la fusillade des soldats du Nord ; les Confédérés sudistes durent subir le sort du plus faible. Les mêmes tendances contradictoires signalées plus haut, sur la manière d'appliquer la constitution, se manifestèrent au Canada. Si J. A. Macdonald visait à donner ici une grande prépondérance au gouvernement central, au préjudice des provinces, il suivait la pente naturelle de son esprit. L'union législative ne restait-elle pas toujours a ses yeux le régime désirable ? (1) L'instinct de conservation faisait à Cartier un devoir de fortifier de plus en plus les autonomies provinciales «nos droits d'état ». Avec le cours des événements ce sont les idées de Cartier qui ont prévalu sur celles de Macdonald. Le sentiment provincialiste a fini par l'affirmer si puissant que Macdonald lui-même n'a pas tou jours osé le heurter. Ne s'est-il pas refusé à annuler des lois provinciales qui rendaient légitime l'application du droit de veto ? Aussi s'est-il empressé, en voyant les provinces s'insurger contre l'intervention fédérale, de se rallier à la proposition anti-fédéraliste de M. Blake (2). Cette proposition, acceptée par les Communes en 1890, édicte que lorsque l'exécutif est saisi d'une question affectant les écoles d'une province et au sujet de laquelle on demande l'exercice du droit de veto, il lui sera loisible de la soumettre à un haut tribunal pour obtenir son avis sur le sujet en litige. Les pères de la Confédération ont pris l'ensem ble de la constitution anglaise pour l'incorporer dans la nôtre. Il y a eu déviation dans leur tra vail sur quelques points et ces innovations n'ont pas toujours été heureuses. La critique ne peut elle pas, par exemple, s'exercer à bon droit sur l'article qui donne au pouvoir central un droit de veto presque illusoire, et sur l'organisation du Sénat ? Ce corps ne doit son existence ni à l'hérédité, comme la chambre des lords, ni à l'élection, comme le Sénat américain, mais à la couronne, ou pour sortir de la fiction constitutionnelle - au ministère du jour. Fatalement, celui-ci est amené à composer ce corps selon les exigences du patronage. Pour peu qu'un cabinet prolonge son existence, il a bientôt fait de remplir le Sénat de ses amis politiques. Nous n'irons pas jusqu'à dire qu'il se crée dans la Chambre haute une majorité servile. Il suffit que cette critique soit plausible pour nuire à son prestige. Allant d'un extrême à l'autre, cette majorité, adven ant un changement de ministère, est exposée à se transformer, sous la pression des passions de partis, en une opposition factieuse.
On ne peut contester que la Confédération a donné chez nous des résultats étonnants, surtout au point de vue du progrès matériel : elle a permis au Canada de soutenir la comparaison avec les États-Unis, le pays le plus prospère et le plus progressif du monde. A-t-elle tenu toutes ses promesses ? Nous n'oserions nous en féliciter, et Cartier a vécu assez longtemps pour constater que l'esprit humain n'a pas suivi le développement de la fortune publique. Lors de son discours à la Chambre d'Assemblée (7 février 1865), sur le projet de confédération, Cartier posait cette question : « Est-il possible de croire que le gouvernement général ou les gouvernements locaux pourraient se rendre coupables d'actes arbitraires, à l'égard des minorités ? Quelle serait la conséquence en supposant qu'un des gouvernements locaux le tentât » ? Et il donne à cette hypothèse une réponse qui a été plus tard, sous ses yeux mêmes, démentie par la réalité. « Des mesures de ce genre, répondait-il, seraient à coup sûr répudiées par la masse du peuple. Il n'y a donc pas à craindre que l'on cherche jamais à priver une minorité de ses droits. Sous le système de la fédération qui laisse au gouvernement central le contrôle des grandes questions d'intérêt général, auxquelles les différences de races sont étrangères, les droits de race ou de religion ne pourront être méconnus ». Hélas ! comment les faits sont venus donner tort à ses prévisions ! Il s'était fait une trop bonne opinion de l'esprit public. Les majorités du Nouveau-Brunswick et du Manitoba, en face de la coutume ou de textes formels d'une loi, ont privé les minorités de leurs droits les plus sacrés en matières d'enseignement. Au Nouveau-Brunswick, la question des écoles a surgi de son vivant, et il a dû éprouver une amère déception en voyant le gouvernement de cette province s'ingénier à prouver combien sa perspicacité avait été en défaut sur ce point. La plus haute autorité judiciaire de l'empire a bien décidé, il est vrai, que les catholiques de cette province ne possédaient, de par la loi, aucun droit à des écoles séparées, mais que devenait cette affirma tion de Cartier que sous la Confédération « les droits de race ou de religion ne pourraient être méconnus » ; que devenait l'article 92 (voir note 3) de la constitution qui édicte que le gouvernement central possède le droit de veto sur toute loi de nature à compromettre la paix du pays ?
C'est à l'épreuve que l'on connaît la valeur des constitutions. L'appel des catholiques du Nouveau-Brunswick fit éclater le côté faible du droit de veto. L'invoquer pour protéger la minorité d'une province quelconque, n'est-ce pas créer un précédent de nature à servir contre la province de Québec ! Nous étions pris dans un dilemme. Aussi Cartier ne tarda-t-il pas à voir le danger.
De son siège en Chambre, il avertit la province de Québec que plus que tout autre elle devait se garder de l'intervention fédérale dans les affaires provinciales car pour plus que toute autre cette intervention pourrait devenir dangereuse. Ce ne fut pas alors l'avis d'un grand nombre de députés conservateurs, partisans quand même de l'exercice du droit de veto. Il eut raison contre tout le monde, mais la presse, même celle qui le défendait habituellement, influencée par l'opinion publique, réclamait le rétablissement des écoles du NouveauBrunswick, haut la main, s'il était nécessaire.
Les adversaires de Cartier l'ont beaucoup blâmé d'avoir prêté la main au projet d'union de province. Que n'ont-ils eux-mêmes indiqué les moyens qu'il eût fallu prendre pour tirer le pays de l'impasse où il se trouvait, le Haut et le Bas-Canada étant presque rangés en bataille l'un en face de l'autre. On en était arrivé à la lutte pour la suprématie d'une province sur sa voisine ; on voulait substi tuer à l'égalité d'influence la domination absolue de l'un des deux alliés sur l'autre. Il fut bien question dans le temps d'un Zollverein des provinces anglaises, mais on n'a jamais dit en quoi cette union commerciale aurait protégé les minorités. D'aucuns invoquaient le retour à l'état de choses qui existaient avant 1840. Les Anglais du Bas-Canada ne se seraient-ils pas insurgés à l'idée d'un changement de régime qui les aurait placés à la merci d'une majorité française ? Non, il n'y avait que deux partis à prendre : entrer dans l'union américaine ou établir l'union des provinces anglaises. Les Canadiens-Français attachés à leurs institutions répugnaient à une alliance qui menaçait de les fusionner avec leurs voisins doués d'une puissance d'absorption irrésistible.
Il s'est aussi rencontré des personnes qui ont critiqué l'oeuvre de Cartier, comme s'il n'avait pas été tenu de compter avec l'opinion anglaise, ou bliant que, vu les intérêts en jeu, les antagonismes en présence, elle ne pouvait être qu'un compromis. On l'a même blâmé de ne pas s'être abstenu de prendre part à la réalisation du projet d'union. C'est là une sérieuse erreur d'appréciation de sa conduite. A l'heure où nous nous reportons, un changement de régime qu'il était urgent de surveiller, s'imposait ; l'abstention nous aurait été fatale. Toute révolution faite sans nous, sans notre participation, se serait faite plus ou moins contre nous.
Au point de vue particulier des intérêts indif férents aux autres individus, parties au pacte de 1867, nous avons certainement ville gagnée. Ce parlement de Québec, tout national pour ainsi dire, chargé de veiller à ce que les lois du million et demi de Français vivant à l'ombre du drapeau britannique ne subissent aucune atteinte, n'est-ce pas là une conquête, n'est-ce pas un progrès sur l'état de choses existant avant la Confédération ? « Aux gouvernements locaux, disait Cartier, ont été dévolues les affaires et propriétés provinciales administration de la justice, terres de la couronne, pénitenciers, hôpitaux, maisons de charité, etc., matières plus importantes que celles qui étaient soumises à la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, sous le système de 1791. A cette époque, la Chambre n'avait le pouvoir de s'occuper ni du commerce, ni du service des postes, et ni du revenu des terres de la couronne ». Les adversaires de l'union des provinces ont désarmé depuis longtemps. Notons en passant qu'au moment de la discussion du projet de Confédération leurs critiques n'ont pas été inutiles : elles ont appelé l'attention des auteurs du projet de constitution sur les points faibles de l'oeuvre. Ce dont nous devons les louer par-dessus tout, c'est d'avoir, après la bataille, donné franchement leur appui à la nouvelle constitution pour en tirer le meilleur parti possible. Laissant de côté la forme nouvelle du gouvernement, enfin acceptée par le peuple, ils ne se sont préoccupés que de critiquer, comme c'était leur droit et leur devoir, le ministère du jour. Heureux le pays où le combat s'engage contre les hom mes et non contre la Constitution ! La marche progressive de la Confédération continuera-t-elle sans heurts, sans accidents ? La prévision humaine hésite en face de cet inconnu. Il est évident que ses conditions d'existence sont à la veille de se modifier sous la poussée perturbatrice du puissant courant d'immigration qui se por te dans l'Ouest. Pour peu qu'il s'accélère, un avenir prochain verra, concentrée dans ces vastes régions, une population supérieure en nombre à celle des vieilles provinces. Où se trouvera alors le centre de l'influence du pays ? La Chambre des communes ne fléchira-t-elle pas sous les ordres des nouveaux venus ? On se demande anxieusement quelles seront leurs dispositions d'esprit ? Il s'im plante dans l'Ouest, à l'heure actuelle, des colons intelligents, âpres au gain par vocation, durs à eux-mêmes et aux autres, par suite de la lutte pour la vie qui se fait terrible dans ces régions jusqu'ici fermées à la civilisation. Ils sont de l'étoffe des con quérants - nous n'irons pas jusqu'à dire - des conquistadores espagnols. On entend déjà leur voix forte et impérieuse. A en juger par les apparences, ce jeune loup ne sera pas facile à conduire lorsqu'il aura fait toutes ses dents. Faudra-t-il pour lui résister une union de tout l'Est contre l'Ouest ? Ne préjugeons pas l'avenir ; il serait trop pénible de croire que nous aurions établi à nos frais, du côté du soleil couchant, une puissance qui ne demanderait plus tard qu'à nous écraser. Augurons mieux des destinées futures du Canada, en les envisageant sous des aspects plus consolants. Il se trouvera sans doute alors des hommes de la lignée de ceux d'aujourd'hui, qui s'élèveront à leur hauteur des périls possibles et sauront faire prévaloir les idées de conciliation et d'harmonie. (1) « J'ai déclaré à maintes reprises dans cette chambre, disait-il au parlement à Québec, que je préférais une union législative si c'était possible. Mais après avoir examiné et discuté ce sujet, à la conférence des délégués, nous sommes arrivés à la conclusion que ce système ne pouvait pas être adopté. En premier lieu, le Bas-Canada n'aurait jamais consenti à l'accepter. » (2) Voici cette proposition de M. Blake, acceptée à l'unanimité par la Chambre : « Il est expédient de prendre des mesures qui permettent à l'exécutif, dans les circonstances graves qui requièrent l'exercice du pouvoir de désaveu et du pouvoir d'appel, en ce qui concerne la législation en matière d'éducation,de renvoyer des points importants de droit ou de fait à un haut tribunal de justice pour être entendus et considérés en telle manière que les autorités et les parties intéressées puissent être représentées, et q'une opinion raisonnable puisse être obtenue pour l'information de l'exécutif ». (3) Note de Claude Bélanger : Il ne s'agit pas de l'article 92 mais bien de l'article 90. L'article 92 donne la liste des pouvoirs qui sont sous l'autorité exclusive des législatures provinciales. De plus, l'article 90 ne stipule pas que le gouvernement central possède un droit de veto sur toute loi de nature à compromettre la paix du pays. L'article ne stipule aucun critère qui restreindrait son application. Source : Alfred D. DeCELLES, « Cartier et la Confédération », dans Cartier et son temps, Montréal, Librairie Beauchemin, 1913, pp. 86-98. Article transcrit par Jessica Drury. Révision par Claude Bélanger.
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© 2004
Claude Bélanger, Marianopolis College |