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Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents
Histoire de l'Action libérale nationalepar Wheeler Dupont (1)
À titre de précaution, je désire vous aviser que les événements et les hommes que j'évoquerai, je les ai vécus et je les ai connus personnellement; que les péripéties et incidents sont ceux dans lesquels j'ai été impliqué. Des faits, des gestes, des déclarations où les hommes, n'ont pas cessé d'être égaux a eux-mêmes dans la générosité et la mesquinerie; dans la largeur de pensée et l'étroitesse des idées ; dans la gloire orgueilleuse et la défaite amère. En somme, des hommes qui n'étaient que des hommes et en qui un peuple rassasié des infortunes et des malheurs de la crise économique... dans une inconscience assoiffée a voulu voir des sauveurs, des libérateurs, plus encore des dieux tout puissants de l'Olympe politique de cette époque.
Puisque le recul des événements ne doit pas nous engager a changer les gens et les faits de cette époque, je veux remettre dans le contexte du temps les gens, les idées et toute chose. Donc :
Un match impensable
GOUIN - DUPLESSIS 1935-36
A. Connaître Paul Gouin
1. Première rencontre :
En juin 1928, alors étudiant en droit, j'assiste au congrès provincial annuel de l'A.C.J.C. (Association catholique de la Jeunesse canadienne) tenu au petit séminaire de Nicolet. Le thème du Congrès : les problèmes de la jeunesse rurale. À titre de responsable de la diocésaine de Québec, je préside la séance d'étude du samedi après-midi. Conférencier : Paul Gouin. Sa causerie : Nos artisans et nos artistes ruraux. Son auditoire : 350 jeunes gens.
Avant de le présenter « à l'assistance, je tente de causer avec lui. À mes questions, il répond par un sourire... « esquissé » un « oui »... lent ; un « non »... endormi ; un « peut-être »... très mou. Je me tais croyant l'ennuyer par mes questions.
Son public l'accueille avec un silence respectueux. Au fond nous étions « tous » très fiers et très honorés de voir parmi nous le fils d'un Premier ministre condescendre à venir nous entretenir. Il parle fort, sans geste, d'un ton monocorde. Sa phrase est longue, avec des « auquel » « duquel » et nombre de « que » à la Bossuet, le talent oratoire en moins.
Aucune originalité en style, aucun mot qui frappe. C'est décidément un lourd labour de percheron plutôt que le nerveux élan du cheval canadien, sur la ferme de Deschambeault.
Sur le chemin du retour, je me demande qu'est-ce que ce Gouin peut avoir dans l'esprit et dans les entrailles ? Quelle est sa vraie valeur, en dehors de son nom, sa vraie volonté, son vrai désir de participer activement à notre mouvement de jeunesse de l'A.C.J.C. À la réflexion, il me fait penser à un éternel bachelier satisfait. Il coule une vie facile, sans effort, sans problème d'argent ou autres. Il semble promis à une vie de dilettante paisible sous le charme discret de la haute bourgeoisie politique de la Grande-Allée. Oui, il faut oublier Paul Gouin.
2. Deuxième rencontre avec Paul Gouin
En septembre ou octobre 1932, grand congrès de colonisation à Amos. Je rencontre, sur la rue St-Pierre, à Québec, mon ami Mgr Auguste Boulet, un bâtisseur de pays, ex-supérieur du Collège de la Pocatière et Président de la Société-diocésaine de colonisation. « Vous êtes invité, me dit-il à ce congrès par le ministre de la colonisation, Hector Laferté. Vous recevrez vos billets de chemin de fer. À l'hôtel, vous partagerez une chambre avec le secrétaire du ministre, un M. Séraphin Vachon, une valeur d'homme ».
« Mais Mgr Boulet, je ne connais rien à la colonisation. N'êtes-vous pas, reprend-il, depuis deux ans, l'avocat des 7 clubs de chômeurs de Québec, que vous haranguez 5 soirs par semaine et dont cinquante pour cent sont des jeunes ruraux ? C'est à ce titre que vous êtes invité. Vous parlerez en leur nom et... au dîner de fin de congrès, l'invité de marque est Paul Gouin, le fils de Sir Lomer Gouin. Vachon compte beaucoup sur cette vedette politique pour orienter la politique provinciale de l'avenir ».
Voici, messieurs-dames, le duel Gouin-Vachon, poids-lourd contre poids-plume.
Au soir de la première journée du Congrès, tel que convenu, Paul Gouin nous rejoint à notre chambre. Il est neuf heures. Il s'affale dans l'unique fauteuil en peluche verte défraîchie. Et le théâtre en chambre débute. Pièce en un acte, une scène, un acteur : Séraphin Vachon, un spectateur Paul Gouin sur entrée gratuite et un observateur incrédule : votre serviteur.
Il convient que vous sachiez que Séraphin Vachon est un rimouskois ; collège classique, deux mois en Droit, à Montréal puis deux mois à l'École des Hautes Études Commerciales. Il quitte l'Université, ayant trouvé ses professeurs trop caves, et, pis encore, des cons authentiques.
Vachon veut convaincre Paul Gouin de lever l'étendard de la révolte contre Taschereau, de se mettre à la tête des libéraux réformateurs, que c'est là sa vocation ; plus encore, « son devoir patriotique ».
Secrétaire de ministre, Vachon s'ennuie, il désire un changement politique radical dans la province. Vachon est un surdoué, un dynamiteur, avec une puissance phénoménale de vendeur.
Il convient que vous sachiez que Vachon n'a pas 5 pieds, qu'il pèse 85 livres ; il semble, étant si mince, n'avoir ni fesses ni ventre.
Alors que Gouin pèse 220 livres, mesure six pieds et trois pouces et possède une mâchoire à la Goliath.
Et le monologue séraphique commence. Tout de suite le ton monte... les imprécations fusent. D'un index impératif, il pointe le nez de Gouin... Le moment est dramatique... et ça dure près de deux heures... La pièce est jouée, Vachon a laissé tomber le veston, et regardant Paul Gouin dans les yeux, lui dit : « qu'allez-vous faire maintenant ? » La première réponse est silence puis... la seconde réponse est : « Je vous remercie M. Vachon de votre exposé. Evidemment ça demande réflexion... je suis libéral réformateur... Oui, je vais y penser, j'en parlerai à mes amis du Club de Réforme, à Montréal, et nous verrons ce qui peut être fait de constructif ». Il se ramasse, « bonsoir messieurs » et il quitte la Chambre.
Alors je suis témoin de la plus furieuse colère de toute ma vie. Vachon est déchaîné : fervent de mots à résonance catholique, il s'écrie : « Est-il assez baccatême à ton goût moé si j'avais ses six pieds, ses deux cents livres, sa généalogie, oui torrieu, je serais capable d'enceindre la province de l'idée de changement, de revalorisation du parti libéral et de prendre le pouvoir... etc... Et se penchant de mon côté, « que penses-tu de cette entrevue ?... » « Il faut comprendre, lui dis-je, qu'ayant toujours vécu près du pouvoir, pour rompre avec ce milieu, Gouin doit poser un geste très courageux, commettre un acte de bravoure... et il réfléchit trop et trop longtemps. Pour être brave, il ne faut pas trop réfléchir »... « Ouais, reprend-il têtu, je ne le lâcherai pas, à peine de lui faire boire nos idées à la tétine ».
Retour à Québec, sans grande illusion. À retenir que Séraphin Vachon est bien celui qui a pensé le premier, à convaincre et a convaincu Paul Gouin de poser avec éclat, le premier geste de rébellion contre Taschereau et à tenter de relibéraliser son parti par l'intérieur, sans l'aide du parti conservateur. D'où l'idée d'un mouvement d'opinion qui s'adresse aux seuls libéraux et aux esprits indépendants, sous le nom de l'Action libérale.
B. Connaître Maurice Duplessis
Au début de septembre 1933, Maurice Duplessis, leader en Chambre de l'opposition, est candidat à la chefferie du parti conservateur provincial. Mon ami, Louis Francoeur – le plus brillant journaliste de sa génération – est le président de l'organisation Duplessis, dans le district de Québec. Sur son invitation, j'assiste à une réunion de son groupe qui reçoit Duplessis. Ce dernier est brillant, cordial, débordant de verve, avec un air de gamin en vacances. Deux semaines plus tard, on m'informe officiellement que j'ai été nommé Président de la Jeunesse conservatrice du Québec et chef de la délégation, au congrès de Sherbrooke, des cinq représentants des Iles-de-la-Madeleine où aucun de nous n'a alors jamais mis les pieds.
De la démocratie en action... J'accepte, espérant que ce sera une expérience valable que de connaître « la faune politique ».
À Sherbrooke, les 3 et 4 octobre 1933, sont des journées de fièvre maligne. À la centrale Duplessis, au Magog House, c'est un va-et-vient aux mille figures. Toutes les rumeurs mauvaises y circulent. Faut déceler les espions de l'adversaire, contrer lés défections probables, exercer un maraudage efficace. Duplessis est élu, par 118 voix, chef du Parti Conservateur.
1. Troisième rencontre avec M Gouin
Dès la seconde semaine d'octobre, toujours en 1933 à la demande d'Esdras Minville, directeur de l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales, je me rends à Westmount, chez Paul Gouin, afin de me joindre à un groupe d'étude formé évidemment de Gouin, dont je suis l'hôte, des jésuites Dugré et frère, du Père Papin-Archambault, fondateur des Semaines sociales, et de quelques autres. À ce moment, l'Ecole sociale populaire a longuement préparé un programme économique et social assez étendu. À la fin de nos travaux, il est généralement établi qu'il faudrait maintenant donner des causeries à la radio exposant ce programme, afin d'informer tous les publics qu'il y avait moyen de sortir de la crise économique, ou au moins d'y pallier dans une certaine mesure.
Au cours de la conversation, quelques-uns déclarent qu'il faudra peut-être un jour fonder un parti politique pour mettre en pratique ce programme. Pour ma part, je m'oppose à la fondation d'un parti. Je préfère exposer ce programme à l'un ou l'autre des partis existants ou aux deux, ce qui vaudrait encore mieux, et les inviter à le mettre en pratique. Nous nous quittons sans tirer de conclusion à cet égard. Mais je décide de tenter la chose, à titre personnel, si les circonstances s'y prêtent.
Lorsque la dernière séance, le samedi soir, est levée, Gouin m'invite à demeurer chez-lui jusqu'au lendemain après-midi. C'est accepté de ma part avec un vif intérêt. C'est l'heure de vérité.
Vachon m'horripile avec sa tenace opinion que Gouin, c'est l'homme providentiel pour sauver la Province. C'est le temps d'enquêter directement et de juger l'homme-Gouin. Nous causons dans sa bibliothèque-salon, atmosphère seigneuriale, lumière diffuse. Nerveux et questionneur insatiable j'attaque. En résumé, ceci :
« M. Gouin aimez-vous la politique ? »... Silence évidemment. Je continue : « Ici vous vivez en paix, vous êtes libre, vous avez une bibliothèque où le secteur Canadiana est considérable, vos intérêts majeurs sont littéraires, culturels... Il arrêt [sic], encore silence. Je repars : « vous aimez voyager... ; franchement, je ne vous vois pas dans la bataille politique, je ne vous vois même pas dans une campagne suivie d'opinion publique où il faut voyager d'une place à l'autre, coucher dans des hôtels de fortune, manger sur le pouce et subir tous les ennuis des déplacements, mal organisés ; où 8 heures veut dire 9 heures ; où la foule de mille personnes attendues, se chiffre dix personnes accourues. Bref, je ne vous vois pas dans cette galère ». Un silence... deux silences. Puis M. Gouin me dit paisiblement. « Vous vous trompez, la politique m'intéresse, et je peux en faire, à ma façon qui sera différente de la vôtre. Je suis prêt à faire les sacrifices voulus si les circonstances l'exigent... Il (Et Gouin fait cette déclaration là, avec force et détermination surprenantes). Je me prends à songer qu'il parle fort pour se convaincre lui-même... Mais qui sait ? Vachon et les autres ont peut-être raison... Gouin serait l'homme miracle... nécessaire.
2. Troisième rencontre avec M. Duplessis
Le lundi suivant, 18 octobre 1933, invitation de M. Duplessis à le rencontrer au Château Frontenac. L'entrevue est d'abord amicale, le chef est en pleine forme. Il me déclare que le poste de secrétaire parlementaire de l'opposition est libre. Il me l'offre en ajoutant : « ce sera une précieuse expérience pour vous si vous faites de la politique plus tard... » Après un moment de réflexion « Oui, grand merci... j'accepte ce poste pour un an ou deux, à condition que le Parti fasse sien le programme politique de l'École sociale populaire... Il m'interrompt et s'écrie, quasi furieux : « la grand'mère de celui qui va me poser une condition n'est pas encore née. Je suis le chef et je n'ai d'ordre à recevoir de personne. »
Je suis contre tout programme. Ça nous lie trop lorsqu'on est au pouvoir. Vous manquez d'expérience politique... la politique ça se sent d'abord et ça se comprend ensuite ». Je me lève, le salue et quitte son appartement, en l'entendant me dire à la volée : « Merci de votre visite. Nous nous reverrons. Il y aura possibilité de s'entendre ».
Extrêmement ahuri de l'entrevue Duplessis, je me retourne vers le Premier ministre Taschereau. Grâce aux bons offices de son secrétaire-neveu, Fritz Hecker, l'entrevue est fixée au vendredi 22 octobre, à quatre heures. Je connais un peu M. Taschereau... Il avait l'habitude deux ou trois fois par année, de descendre chez-nous, en route pour rencontrer ses électeurs de la Côte de Beaupré ou en y revenant, pour causer avec mon père, médecin, à Ville Montmorency.
Étudiant en droit, je l'avais invité à titre de conférencier à notre banquet de fondation de l'Association générale des étudiants de Laval, où il avait été particulièrement agréable et généreux. Il avait payé tous les frais de réception, au montant de 320 $ dus à l'Hôtel Clarendon. Bien plus, apprenant par le juge Arthur Fitzpatrick, juge en chef des Sessions de la paix, que je plaide gratuitement pour tout accusé, pauvre, comparaissant devant lui, il le charge de m'offrir, en son nom, un poste au ministère du Procureur général, section criminelle. Je le remercie, par écrit, lui exposant que je désire, en dépit des misères du temps, pratiquer le droit criminel où j'espère faire carrière... Vous voyez, le destin a joliment barbouillé mon grand dessein.
Mais mon entrevue avec M. Taschereau est de toute autre nature en ce vendredi 22 octobre. Je l'incite à poser un geste éclatant. Accepter le programme de l'Ecole sociale populaire, déclarer qu'il en fait le programme de son parti et s'engager à le mettre en pratique. C'est l'inviter à une révolution doctrinaire totale... On suggère de ces gestes à l'autorité quand on est jeune et naïf, et... un peu fou, sans doute.
Je lui tends une copie du Programme visé. Il le lit ; au passage fait quelques commentaires, sans passion, sans rejet catégorique. Puis il se lève, me tourne le dos et regardant, par la fenêtre, les Laurentides, il me dit : « C'est trop tard, mon cher Dupont. Oui, vous venez trop tard. Je suis un vieil homme, sans illusion. Je connais trop les servitudes politiques. Gouverner une province... c'est composer avec des intérêts divergents, des classes sociales différentes, c'est établir une juste moyenne... où chacun se trouve lésé, se trouve moins aimé que d'autres, moins défendu. Puis il y a les financiers de la Province... Seule une jeune équipe peut faire le grand écart... Mais vous aurez des déboires. Pourrez-vous, au pouvoir, mettre en pratique, les idées que vous prônez, en dehors du Parlement, ou dans l'opposition ? » Je le quitte, songeur, et bien décidé de ne jamais briguer une charge politique.
Le temps passe. Nous voilà en 1934, début de juillet. Convocation par M. Gouin, à Trois-Rivières, au Château De Blois. L'accompagnent son associé, Me Cormier et son confrère, Me Jean Martineau. Nous de Québec, le dentiste Philippe Hamel, les journalistes Eugène L'Heureux et Louis-Philippe Roy et Séraphin Vachon. Discussion et conclusion : Fondation officielle du parti politique de l'Action libérale nationale. Cependant, le Dr Hamel ne peut donner son adhésion immédiate parce qu'il livre une bataille titanesque contre le Trust de l'électricité. Nos amis L'Heureux et Roy doivent se défiler car ils sont rédacteurs au journal indépendant l'Action Catholique.
Faute de combattant, je regagne Québec, avec les fonctions de secrétaire du Chef Paul Gouin, de secrétaire du Parti, d'organisateur régional, le tout sans salaire, pas même celui de la peur. Mes tâches : établir un secrétariat à Québec et le financer ; enquêter dans les 27 comtés ruraux, de l'Assomption à Roberval sur la rive Nord et d'Arthabaska à Gaspé, rive Sud. Le tout sans allocations de voyage... etc. J'ai donc quêté, à raison de 3 jours par semaine, pendant 20 mois, au-delà de cinq cents repas et de 230 couchers. L'hospitalité rurale, une si totale générosité dans l'accueil ! Ce fut ma plus enrichissante expérience de psychologie populaire et pour tout dire, de réelle fraternité de d'humanité.
L'Action libérale nationale est dans la bataille électorale
1934
28 juillet – Publication du manifeste de l'Action libérale nationale comportant 52 articles classés : Reformes agraires, ouvrières, industrielles, commerciales, économiques, financières, politiques, administratives, électorales, judiciaires. Puis programme de causeries hebdomadaires à Radio-Canada.
13 août – Grande assemblée à St-Georges de Beauce où Edouard Lacroix, député libéral fédéral, le roi du bois, homme de grande popularité sur la Rive Sud donne son adhésion publique à l'ALN.
15 août – Fondation de notre journal hebdomadaire sous le nom de : « La Province » – directeur : Séraphin Vachon. Enfin, pour la première fois en politique, face à un fond de misères populaires et à la violence du paupérisme, on entend parler de « justice sociale ». Plus encore, Face à la profonde crise économique, nous voulons créer une « ère nouvelle » grâce à un nouveau contrat social qui implique un certain degré de socialisation de l'économie.
Et à partir de là, c'est une campagne politique toutes saisons dans tous les comtés. Gouin reçoit une offre privée du Parti libéral, de se présenter libéral, avec promesse de ministère. Il refuse.
Nous voici en 1935. Oscar Drouin, député libéral de Québec-est entre dans notre mouvement. Y sont déjà rendus les conseillers législatifs J.-C.-Ernest Ouellet, Elysée Thériault.
Le dix mai précédent, c'était au tour du Dr Hamel et de son disciple René Chaloult. Les adhésions sont reçues par centaines. Le mouvement libéral national a le vent favorable dans ses voiles ...
M. Taschereau et le parti libéral provincial, aux abois, déclenchent les élections générales provinciales pour le 25 novembre.
Le protocole d'entente pour l'élection de 1935
Afin de ne pas diviser les forces de l'opposition, les deux chefs – M. Duplessis au nom du Parti conservateur, M. Gouin, au nom du Parti de l'Action nationale — et poussés frénétiquement par leurs troupes respectives se rencontrent pour signer une entente pour les fins de l'élection de 1935. Car aucun des 2 chefs ne pouvait malheureusement prévoir une autre élection en août 1936.
La rencontre a lieu à l'Hôtel Windsor, le 7 novembre. Monsieur Duplessis s'oppose à une seule entente publique. Après discussion, le consensus est arrêté : à savoir, une entente publique et une entente privée. Cependant l'essentiel seulement de l'entente dite publique sera communiqué verbalement aux candidats.
Voici le texte de cette entente publique :
Puis la lettre d'entente personnelle et confidentielle exigée par M. Duplessis qu'il a, seul, signée et qu'il a écrite de sa main :
M. Duplessis exigeait que cette lettre-entente demeure secrète et confidentielle, de crainte d'être attaqué par les conservateurs fédéraux dont il tirait sa caisse électorale, pour avoir consenti à donner à Gouin les deux tiers des comtés, ne laissant aucune chance au parti conservateur provincial, advenant une victoire d'exercer une véritable autorité au sein du futur cabinet des ministres.
Et les deux partis partent à la guerre fraîche et joyeuse. La victoire est à leur porte. Le 25 novembre 1935, Gouin fait élire 26 députés et Duplessis 16, soit 42 députés de l'Union nationale, face à 48 députés libéraux.
Dés le soir des élections, Gouin déclare à la radio : « la lutte n'est point finie, elle ne fait que commencer ».
Mais la presque victoire totale a réveillé bien des appétits. Dès le 28 novembre 1935, trois jours après l'élection générale, un caucus a lieu « à Montréal auquel assistent la plupart des députés et des candidats défaits des deux groupes, ainsi que plusieurs membres importants du parti conservateur fédéral, entre autres les ministres Maurice Dupré, Onésime Gagnon, Sam Gobeil et Me Gustave Mouette qui font pression, appuyés par M. Duplessis et plusieurs députés conservateurs provinciaux, afin de fusionner les deux groupes sous une seule étiquette et sous un seul chef : Maurice Duplessis.
Cette tentative ratée, contraire à l'esprit et à la lettre du pacte public et du pacte confidentiel est le début d'une sourde et incessante lutte des intérêts conservateurs fédéraux et provinciaux contre le parti libéral national et particulièrement son chef, Paul Gouin.
Pour contrer cette division intestine, d'abord larvée, mais avec les semaines et les mois, devenue discorde et quasi lutte ouverte, jusqu'au 17 juin 1936, il aurait fallu que Duplessis ne soit pas Duplessis et que Gouin ne soit pas Gouin, ni dans leurs défauts ni dans leurs qualités. Maurice Duplessis est un animal politique à l'état pur, peut-être est-il tout simplement « une institution. politique » par lui-même. Habile manoeuvrier, roublard, rusé, ingénieux dans les moyens, le tutoiement prompt, une facile familiarité avec tous, cordial et gai ; drôle, vivant, mordant, pétant le feu, attentif aux désirs de ses amis, à ses fidèles, paternaliste universel. Cet homme très attachant sait conquérir des amitiés solides, s'attacher des dévouements sans retour. Duplessis est peuple, est ouvrier d'usine, est habitant et même colon. Tôt au travail, la politique est sa maîtresse, sa passion, sa vie. Conquérir le pouvoir et le garder... « pour le bien de la Province et la sauvegarde de nos droits inaliénables ». Il est devenu notre Muraille de Chine contre l'usurpateur Ottawa.
Paul Gouin n'était pas né pour être un homme politique...
Paul Gouin est à l'extrême opposé de Duplessis. Gouin, c'est la lenteur aristocratique, c'est l'homme paisible dans ses pensées, dans ses silences de Colonel Bramble, dans ses actions. Il est cultivé, ses lectures sont variées. Il n'aime pas se colleter avec l'opinion des autres. Il veut que tout soit pensé, pesé, soupesé ; jamais spontané, jamais chaleureux. Gouin est toujours en perpétuelle réflexion, sa grande volupté. Gouin c'est l'intellectuel, l'homme des livres, poète, auteur, Gouin, c'est l'amoureux de la terre ancestrale, du ruisseau qui chante, de la vieille maison de pierre, des vieux meubles canadiens. Il a l'âme très vieille France... Il a la lente germination des personnes silencieuses. Une passivité épongeante... Féru d'études historiques et de mémoires d'hommes illustres, Gouin, c'est le gentilhomme.
C'est le lève-tard, c'est l'introverti c'est le gars seul, c'est l'homme d'un petit cercle d'amis. Il vit sans secousse. Ennemi du tutoiement, de la familiarité, de la tape sur l'épaule. C'est un monsieur sérieux, lointain, c'est l'homme tranquille d'une totale tranquillité, fuyant le désaccord, la discorde, la tricherie. Ami de la franchise, de la vérité, du respect intégral de la parole donnée, du respect de la personne d'autrui... Gouin, c'est l'homme du silence, parfois l'homme qui revient du froid.
Au 15 décembre 1935, toute la Province est en ébullition ; nous sommes près de l'émeute. Le peuple est convaincu que les dernières élections ont été volées ; par la falsification des listes électorales à Montréal. Les résidences des chefs libéraux sont gardées par la police. Assemblée de l'Union Nationale au Manège militaire où Duplessis est acclamé comme un roi populaire. Un homme aussi doux que l'Honorable Ernest Ouellet s'écrie : « S'il faut dresser des échafauds pour faire rendre gorge aux voleurs, nous les dresserons ». Climat prérévolutionnaire.
Les assemblées et réunions politiques se multiplient dans tous les centres ruraux et urbains. L'agitation augmente dans tous les comtés. Et le trouble gagne les âmes et les esprits. Le peuple énervé semble être au cran d'arrêt qui menace d'être levé.
Les 14 et 15 mars 1936, grand caucus très enthousiaste de tous les députés du parti conservateur et de l'Action libérale nationale, au Château Frontenac. Conclusion : « Ni Maurice Duplessis, ni Paul Gouin ne se laisseront déjouer par les intrigues libérales. Tous deux seront unis Jusqu'au jour où les voleurs seront chassés du Temple du peuple ».
Et la session commence le mardi 24 mars 1936. Le jeudi ; C'est le duel oratoire Taschereau-Duplessis. Le premier est un homme harassé et vieillissant. Il énumère ses bonnes lois d'un ton fatigué et conclut : « Si vous ne croyez pas à mes oeuvres, croyez au moins à ma parole ». Duplessis se lève, longuement acclamé par sa députation et par les gens dans les galeries. Il a le sourire communicatif du champion. C'est véritablement son heure. Son discours, en trois points : « Ce que dit le Discours du Trône, ce qu'il n'ose pas dire, ce qu'il devrait dire » et ça dure une heure et demie. Ovation, Séance levée. Duplessis avait été superbe d'ironie, de virulentes attaques. Il s'était affirmé comme le vrai leader de l'opposition. Le lendemain, nos députés de l'Action libérale nationale en étaient totalement emballés car il avait donné tout un spectacle de grande classe.
Leur inquiète question intérieure était de savoir comment leur propre chef Gouin pourrait figurer à côté de Duplessis, comme débateur Dès lors c'est l'heure de Gouin et elle sera lente, tardive et tragique. Il est possible que Gouin lui-même l'ait pressenti. Normalement il aurait dû être le second orateur de l'opposition. À titre de secrétaire parlementaire, je dois indiquer à M. Duplessis, deux jours à l'avance, quel sera le prochain orateur de l'Action libérale nationale. Chaque fois, Gouin se défilant, je dois annoncer à Duplessis que Gouin parlera plus tard. L'on entend, au cours du premier mois de la session le dentiste Hamel a la figure de chevalier sans peur et sans reproche, puis successivement Oscar Drouin, l'ex-libéral, le maire J.-Ernest Grégoire, Candide Rochefort, chef ouvrier montréalais, Fred Monk, fils de l'ancien ministre Monk, confident de Laurier, Tancrède Labbe, député de Mégantic et six autres oppositionnistes.
Chaque fois que Gouin cède son tour d'intervenir, Duplessis me dit narquoisement : « Popaul Gouin a la frousse », il y a des pilules pour ça. Ça s'appelle des pilules pour le mal de mer... ! Et tu sais que la mer est houleuse ». Mais il y a pire que cela. Nos propres députés de l'Action libérale perdent, un peu chaque jour, confiance en leur chef Gouin et me supplient d'en parler à Gouin car de plus en plus ils s'éloignent de lui.
Vingt fois, je tente d'en causer à Gouin. Nous occupons tous deux le même vaste bureau... Oui, M. Dupont, nous en parlerons. Rien ne presse. La semaine prochaine... je dois partir, j'ai des engagements. La semaine prochaine... ça dure un long mois.
Entre temps nos députés m'informent, chacun leur tour, que Duplessis les invite à dîner — un à la fois — s'enquiert s'ils ont des dettes électorales. Si oui, il leur verse un premier montant en argent et il s'engage a leur verser le solde dans trois mois. Nos députés sont heureux. Non seulement Duplessis les tire du pétrin lorsqu'ils prononcent leurs discours et s'empêtrent dans les règlements de la Chambre, mais il va jusqu'à payer leurs dettes d'élection. Dans leur coeur, Duplessis est, chaque jour, plus haut coté. Déjà, nos députés n'ont qu'un leader politique en Chambre mais ils sont à la veille de n'avoir qu'un chef et qu'un seul parti : Soit Duplessis et l'Union Nationale.
De la Beauce accourt Edouard Lacroix : « Dupont, faut décoller Gouin. Il n'est plus dans la Game, c'est un enfant... il perd tous ses députés... Il M. Lacroix... par qui voulez-vous le remplacer ? Il ne répond pas... j'énumère : Le Dentiste Hamel ? le maire Grégoire ? Mtre Martineau ? de Montréal. Il ne répond pas... M. Lacroix, mieux que tout autre, vous savez qu'on ne change pas de chevaux en traversant la rivière... Il me quitte, se jurant de ne plus jamais s'occuper de politique provinciale.
Pour ma part, excédé d'attendre en vain, le mercredi midi, vingt avril, je demande à Gouin une entrevue, d'urgence, à son logis, aux appartements Baldwin-Lafontaine, aujourd'hui Le Claridge, Grande-Allée. Il accepte de me recevoir à deux heures.
Notre entretien devait durer trois heures. Le thème de mes remarques est la désaffection de nos députés à son égard, leur manque de confiance envers leur chef; leur conviction qu'il n'est pas un leader ; ils croient qu'il cherche à les éviter ; à ne pas les rencontrer, à ne pas les recevoir. Ce qui les blesse profondément, c'est sa présence comme inexistante en Chambre. C'est son silence. Ils le jugent rêveur ou paresseux ou à la veille de s'entendre avec les libéraux et avoir un ministère, selon les rumeurs en cours.
En contrepartie, Duplessis s'affirme en Chambre, les aide dans leurs interventions, les défend ; est constamment à leur disposition ; les reçoit « à sa table au Café du Parlement et à ses appartements au Château Frontenac et même Duplessis s'intéresse à leur rembourser leurs frais d'élection ; qu'enfin, eux tous, députés élus sous la bannière de l'Action libérale nationale ont la nette impression que vous, M. Gouin, vous vous désintéressez totalement du sort de votre parti, de vos députés et de la politique québécoise. Et voilà tout ce que j'ai à vous déclarer de leur part et à leur demande. Je fais miens leurs griefs, à mon vif regret. Que me suggérez-vous de faire, réplique-t-il froidement ? D'abord parler en Chambre, ça presse. Le discours sur le budget a été prononcé, hier. L'occasion est belle, c'est le temps d'intervenir le premier. Vous pouvez parler sur tous les sujets à cette occasion.
Oui, très bien, je parlerai le 28 avril, de retour de la Fête de Pâques. Incidemment je vous demande de venir chez-moi jeudi, vendredi, samedi saints et le dimanche de Pâques. Invitez également notre ami Mtre Horace Philippon et tous les trois nous allons préparer mon Discours que je prononcerai le 28 avril, le mardi de Pâques ...
Puis après que faire ? Bien, après, M. Gouin, il faudra fraterniser avec vos députés, les recevoir au bureau, les inviter à luncher, leur manifester de l'intérêt, voir à leur bien-être.
Ça, non, M. Dupont, je n'en suis pas capable... Je les respecte et je ne veux pas faire de démagogie et les traiter comme des enfants. Ça non ! Je ne suis pas capable d'agir ainsi... Et pourtant, il le faut, M. Gouin... c'est là une servitude de votre fonction. Sans ses députés, un chef n'a pas de troupe. Un chef seul est un soldat perdu...
Démoralisant silence de Gouin... J'ai l'impression déroutante d'être seul et de me parler à moi-même. L'impression physique de donner des coups de poing dans un matelas.
Mais vous rendez-vous compte, M. Gouin, combien la situation est dramatique. Non seulement en Chambre, non seulement pour vos députés mais pour les milliers de libéraux qui vous font confiance et qui ont quitté à regret, leur parti, pour vous suivre, vous et non Duplessis. Ces gens s'inquiètent, s'interrogent. Si tous vos députés vous abandonnent, l'opinion publique se tournera contre vous et vous demandera des comptes sévères. Un peuple en colère porte des coups implacables s'il croit avoir été joué par son chef ou si ce dernier s'est montré très inférieur à sa tâche de hautes responsabilités.
Après un silence pesant, Gouin me remercie de mon franc-parler et me redit que le 28 avril il prononcera son discours et me charge de rencontrer, par la suite, nos députés et lui faire tenir leurs commentaires.
Alors, c'est la Semaine Sainte et mon excellent ami, Me Horace Philippon, et moi passons quatre jours chez M. Gouin, tous trois attelés au discours unique qui devait être prononcé dans la brève carrière politique du Chef de l'Action libérale national Philippon, toujours plein d'humour, lui et moi nous nous désignions nous-mêmes : « les forçats du discours ».
Puis, c'est le Grand jour, le mardi 28 avril. Gouin parle. Les galeries sont remplies à déborder. Le Devoir, le lendemain écrit : « Fière réponse de Paul Gouin au Régime Taschereau ». « Dans un discours d'une grande vigueur de pensée, d'une noblesse d'expression et d'un patriotisme d'inspiration dignes de son père et de son grand'père, le fondateur de l'Action [libérale] nationale a vertement repoussé les avances du Régime Taschereau et réaffirmé sa volonté inébranlable de continuer jusqu'au bout sa campagne de restauration nationale. (C'est toujours Le Devoir)
« Au milieu d'un silence impressionnant, coupé par de longues ovations de la Chambre, il a souligné en passant les attitudes contradictoires et l'absence de doctrine du régime pour faire mieux ensuite, dans un puissant exposé, d'une logique et d'une clarté admirables, les réformes qui, seules, pourront sauver notre province du désastre.
« M. Gouin s'est élevé jusqu'à la grande éloquence, dans une envolée qui remua toute l'assistance, pour adjurer tous les citoyens de s'unir dans un geste patriotique, pour donner au Québec la politique nationale dont il a besoin ».
À vrai dire, nos députés étaient heureux. Mais le coeur et la confiance n'y étaient plus. Leur chef, après ce triomphe, reprit ses habitudes d'homme du monde distingué et distant. Et c'est à ce moment que Duplessis nous mène un barda » de tous les diables. Seul, avec une maestria éblouissante, il attaque, au Comité des Comptes publics, les hauts-fonctionnaires, le ministre Vautrin et ses culottes de colon, le sous-ministre Lanctôt-le-Dictateur... et vide, d'un geste vengeur, les poubelles les plus parfumées de 48 ans de pouvoir continu. Vingt foules veulent assister à ce théâtre de foire d'empoigne... Gouin est toujours le silencieux intégral et global.
Duplessis, utilisant tous ses talents ; se surpasse. Une seule idole au Québec, Duplessis. Et il continue, chaque jour à souffler son ouragan... tous azimuts.
Le 11 juin 1936, démission de M. Taschereau. Lui succède M. Adélard Godbout. Le nouveau Premier ministre demande au lieutenant-gouverneur de dissoudre les Chambres et les élections sont fixées au 17 août. C'est l'heure Duplessis qui sonne triomphante. Dans deux mois, il sera le propriétaire de la Province et son sauveur. Tous les députés de l'opposition sont avec lui. Avec lui, ils sont sûrs d'être réélus et de prendre le pouvoir. Ils sont « à deux pas du Capitole.
Gouin, le 17 juin au matin, m'informe — à son bureau à Montréal — qu'à 11 heures il rencontre M. Duplessis, au Windsor, pour que les ententes du 7 novembre 1935 soit observées ; à savoir, surtout que l'Action libérale nationale a droit de choisir le candidat de l'opposition dans les deux tiers des comtés jusqu'ici détenus par les libéraux. Le légiste, M. Duplessis dit : « non ». Les ententes du 7 novembre 1935 « c'était pour la prochaine élection, soit celle du 25 novembre 1935 ». Or nous sommes en juin 1936 et rien n'est prévu pour cette élection générale. Juridiquement, Duplessis a raison d'interpréter les ententes privée et publique de cette façon ; mais, moralement, M. Gouin riposte que selon l'entente publique les deux partis doivent rester unis avant, pendant et après l'élection jusqu'à la défaite du gouvernement libéral. Or ce gouvernement est encore au pouvoir. Donc l'entente publique doit être respectée et partant renouvelée pour l'élection de 1936 que les deux ententes n'avaient évidemment pas prévues, et pour cause.
Les écrits ne sont plus de saison lorsque le coeur et l'esprit et la volonté de nos députés sont gagnés à Duplessis. Ils nous disent : « On se bat avec Duplessis notre vrai Chef, et on respecte M. Paul Gouin ». C'est assez bref comme oraison funèbre.
Dans notre groupe restreint, c'est la consternation lorsqu'il nous fait part du refus de toute entente. C'est la tragédie du défi de l'espérance trompée. Tous nos députés, 23 sur 26, avaient quitté nos rangs.
Alors que devient l'Action libérale nationale ? Il me répond : on continue... Avec qui, avec quoi. C'était folie furieuse. C'était jouer au « dernier carré » et au « crépuscule des dieux... « Nos ex-amis de l'Action libérale, à Québec, enguirlandent Gouin, à la radio et dans les journaux locaux. Oscar Drouin déclare : « Je suis content du départ de Paul Gouin. C'était une purge nécessaire » ; le maire Grégoire affirme. « Gouin le lâche, le traître, le lâcheur ». René Chalout y va de sa déclaration : « Gouin a violé l'entente... » Réunion d'urgence à Sherbrooke où Duplessis est acclamé comme chef unique du parti unique l'Union nationale.
Et voilà que Philippon, à la radio, vole à la défense de Gouin, retournant les accusations des Duplessistes, avec la redoutable maîtrise d'une éloquence « à la Danton ». C'est l'heure des frères ennemis. Au Canada français, on connaît cela, dans les batailles nationalistes.
À Radio-Canada, le dimanche soir suivant, c'est à mon tour de philosopher sur la pénible histoire politique du Québec, ses avatars et ses servitudes. Le lendemain, lundi vers onze heures, à son bureau, M. Paul Gouin me dit sereinement, sans aucune émotion : « M. Dupont, je vous libère. Maintenant, nous allons seulement continuer la lutte des idées dans notre journal La Province. Plus tard on verra. D'ailleurs, je suis fatigué, j'ai besoin de repos... Je suis en retard dans la lecture de mes revues... Je vous remercie. Vous m'avez servi avec loyauté et clairvoyance. Oui, je vous en remercie. » Poignée de main, bonjour réciproque...
Ayant vu venir la mort, depuis de douloureux mois, de notre mouvement, pour nous, une épopée, nous l'avons apprivoisée. Ce ne fut pas un choc, mais il demeure en nous, une certaine nostalgie des occasions perdues.
Faut-il porter jugement ? S'il y a eu faute, c'est nous qui l'avons commise, presqu'un péché contre l'Esprit. À dix, nous avons convaincu Paul Gouin... à cause de son nom, de sa filiation de fils de Premier ministre libéral Lomer Gouin et petit-fils de Premier ministre libéral national Honoré Mercier, il se devait de lever l'étendard de la rébellion contre le parti libéral fatigué de gloire et d'usure. Nous avons tout joué sur son nom seulement et oublié la texture même de la personnalité propre de Gouin. Nous avons perdu... et Lui, il a retrouvé sa paix intérieure et sa magnifique vocation culturelle dont Paul Gouin et la Province ont lieu d'être fiers.
(1). Feu Wheeler Dupont, c.r. de Sillery, Qc. Ce texte a été écrit pour une conférence prononcée en 1975 à l'Institut Canadien de Québec. Né au début du XXe siècle, il a pratiqué le Droit à Québec et a été membre du conseil d'administration de la Régie des rentes du Québec à sa fondation. Nationaliste dans l'âme - impliqué en politique électorale, Wheeler Dupont était un orateur né. Comme l'illustre cette conférence, il a été un témoin privilégié de nos moeurs sociopolitiques des années 1940.
NDLR : Merci à M. Pierre Vadeboncoeur qui nous a fait parvenir ce texte et à M. Laurent Dupont qui nous a fourni ses notes biographiques.
Source : Wheeler DUPONT, « Histoire de l’Action libérale nationale », dans l’Action nationale, XCV, No 1 (janvier 2005) : 90-114. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |