Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Décembre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

La loi du cadenas

The Padlock Law

 

Maurice Duplessis et le communisme

[1937]

 

Hier matin [le 12 mars 1937], à la Chambre, M. Duplessis a déclaré:

 

« Avant que la Chambre ne s'ajour­ne, je crois de mon devoir comme premier ministre de la province de Québec de faire certaines déclara­tions. Je lis dans les journaux que le député fédéral des Trois-Rivières a demandé au gouvernement fédéral de collaborer avec les autres pro­vinces pour enrayer les menées et les démarches des communistes. Je ne partage pas toutes les opinions du député des Trois-Rivières, mais je crois devoir dire qu'il mérite des félicitations de toute la population pour l'attitude qu'il a prise en Chambre, si les journaux ont bien rapporté les choses.

 

Le communisme constitue dans notre province un danger qu'il faut craindre. Nous n'en avons pas peur ici dans cette Chambre, mais la nature de ses tractations, de ses menées, est telle qu'elle met en danger notre foi, et les traditions qui nous sont chères dans cette province. Depuis que le gouvernement actuel est au pouvoir, nous avons mené une lutte active et sans répit contre le communisme. Mais, nous sommes liés par la juridiction de la province de Québec. Nos pouvoirs sont limités par la Constitution de 1867.

 

Appel à Ottawa

 

C'est pourquoi, je fais un appel à Ottawa, qui a des pouvoirs beaucoup plus étendus, pour qu'il appuie les efforts du gouvernement de la pro­vince de Québec et des autres pro­vinces. Il ne s'agit pas ici de partisanerie, de bleu ou de rouge, je parle comme premier ministre de la province de Québec, sur des problèmes essentiels, et parce qu'il est de notre devoir de faire entendre la voix du Québec. On me rapporte que M. Ernest Lapointe et un autre auraient répondu au député des Trois-Rivières: "Qui est le député provincial?" — Est-ce qu'il n'est pas le procureur général de la province?

 

Je ne sais si ces remarques ont été faites; j'espère qu'elles n'ont pas été faites, car si tel est le cas, elles comportent une attitude que je ne veux pas leur attribuer. Il ne s'agit pas de savoir qui est tel ou tel dé­puté, mais d'attaquer un ennemi qui est la pire menace pour la nation canadienne. Je dis donc que le gou­vernement de la province de Québec est prêt à aller jusqu'à l'extrême li­mite de ses pouvoirs. Ce n'est pas ici une question de gouvernement bleu ou rouge, ni de partisanerie, mais de l'honneur et de la sé­curité du pays, et d'assumer chacun ses responsabilités.

 

D'après les journaux, on aurait répondu au député fédéral des Trois-Rivières qu'il y a une loi provinciale pour le contrôle des circulaires. Ce n'est pas avec une loi pour les circulaires que l'on va atteindre efficacement le commu­nisme. Car, il y a d'abord les journaux communistes, dont l'entrée est permise au pays. Ils ne sont pas sous notre contrôle. Il y a les journaux qui circulent aussi entre les provinces. Il y a également le danger dans l'immigration, quand on emmenait ici des gens indésirables (apps). — Je dis, enfin, que le communisme existe aus­si dans des activités particulièrement fédérales. Et, je demande à tous les gouvernements, qu'ils soient rouges, qu'ils soient bleus, au lieu de vouloir lancer la balle à droite et à gauche d'adopter les mesures nécessaires, et efficaces pour sévir.

 

Si le gouvernement fédéral ne veut pas coopérer, le gouvernement de Québec va faire son devoir quand même, et chacun portera ses responsabilités.

 

Droit de déporter les communistes

 

Le communisme s'introduit dans de nombreux domaines, dans des endroits surprenants. Nous avons des rapports précis et documentés sur ce point, et qui indiquent des activités sournoises et vives en cer­tains domaines assez inattendus, et la Chambre serait surprise d'ap­prendre où vont se nicher les com­munistes, et avec qui ils travaillent. Je demande au gouvernement des autres provinces et au gouver­nement fédéral de se tendre une main franche et de travailler en collaboration, car c'est ainsi que nous apporterons un remède effi­cace. Par exemple, le gouvernement fédéral a le droit de déporter les communistes. Qu'il le fasse, et s'il a besoin de la province de Qué­bec, notre concours lui est acquis. Nous allons continuer la lutte, et nous avons une loi au sujet du communisme. Je lis dans la Gazette, de Montréal, une lettre qui me surprend beaucoup, et je ne comprends pas comment M. Chipman, un avocat distingué et émi­nent, a pu mettre sa signature sur une lettre pareille. Nous allons faire la lutte au communisme envers et contre tous, contre tous ceux qui les supportent hypocritement, et je suis sûr que la Chambre aura assez d'énergie pour faire cette lutte sans pitié, pour remplacer les veules et les lâcheurs qui ne veulent pas combattre. (apps).

 

Parti illégal

 

M. Rochefort. – Il y a une ques­tion qui est importante pour fai­re une lutte efficace au communisme. Est-ce que le communisme comme parti politique a un ca­ractère légal? – Car on comprend que dans ce cas, la lutte prend un caractère particulièrement diffi­cile?

 

M. Duplessis. — La question que vient de poser le député de Sainte-Marie est très importante, car elle illustre bien la situation.

 

Je puis lui dire que si les com­munistes sont incorporés en parti ailleurs, ce n'est pas dans Québec. Ici, nous ne reconnaissons pas, et nous ne reconnaîtrons pas la lé­galité du parti communiste, car, nous estimons, que la multipli­cité des désordres et la légalité du désordre ne peuvent produire de bien. Le gouvernement de la province de Québec ne permet pas aux communistes, pas plus qu'aux anar­chistes de s'incorporer en compa­gnies ou en partis politiques. Et tant que j'aurai un souffle de vie, je n'épargnerai rien, je ferai tout en mon pouvoir pour faire disparaî­tre le communisme de la province de Québec. Les scènes effroyables qui se déroulent dans l'Europe ensanglantée ne nous permettent pas d'hésiter un moment.

 

Et je demande aux hommes pu­blics de ne pas fournir aux communistes, par leur attitude, l'occasion, même éloignée, de se réjouir.

 

L'article 98

 

M, Rochefort —"Si j’apporte une attention particulière à cette ques­tion, c'est que j'ai été en mesure par suite de mes activités ouvriè­res de bien connaître le commu­nisme sous certains angles. C'est pourquoi je me demandais si le communisme est reconnu comme entité politique et légale, et quels sont les moyens à prendre pour que Québec exerce des sanctions. Depuis qu'on a abrogé l'article 98, je me demande si ça n'équivaut pas, en pratique, à une sorte de lé­gislation du parti communiste, et je me demande quels sont les pou­voirs de la province de Québec pour lutter coutre certains partis. Nous avons le communisme, et si les autres provinces, et le parti fé­déral le reconnaissent, il y a une question très grave qui se pose, car est-ce que pareille situation n'excuserait pas alors un mouvement séparatiste?

 

M. Duplessis — Il est évident que la province de Québec n'a pas des pouvoirs aussi efficaces que ceux du gouvernement central. On ne peut contrôler l'immigration d'une province à l'autre, l'immi­gration étrangère, l’entrée au pays de journaux communistes, la cir­culation interprovinciale de ces journaux et revues. Aussi c'est au gouvernement fédéral d'agir et de faire son devoir. Tout de même la province de Québec garde certains pouvoirs.

 

Cadenasser les maisons

 

Ainsi nous pouvons décréter qu'aucun candidat du parti com­muniste ne pourrait être candidat aux élections. Et, nous avons le pouvoir de cadenasser les maisons. Ce pouvoir a été maintenu dans la cause de Bédard. Les juges de la Cour d'appel ont décidé que Qué­bec n'avait pas juridiction en ma­tière criminelle, qui relève du fé­déral, mais que Québec a des droits en matière civile. Or les maisons relèvent du Droit civil. Nous avons aussi le droit de lui dire, en face de certaines attitudes prises de disperser les turbulents. Je remercie le député de Sainte-Marie de ses déclarations, M. Ro­chefort, en plus de ses remarques, avait tenu à déclarer qu'il n'a aucune sympathie pour les commu­nistes et que la province se doit de les combattre.

 

Nous savions quels étaient ses sentiments et la Chambre est heureuse de constater qu'il n'y a pas de gens aux sympathies communis­tes parmi nous.

 

Je suis heureux également qu'on ait placé cette question sur le terrain où elle doit être. Il est inutile de bâtir sur le sable mouvant et d'édifier l'avenir sur la ruine et le désastre.

 

M. Gérard Thibault (U.N. Mer­cier). — Pendant quelques années, nous avons fait la lutte à Montréal contre les doctrines subversives. Moi-même j'ai rencontré des com­munistes en assemblées contradic­toires, et la lutte n'était pas toujours égale, car dans leurs assemblées nous étions parfois un contre six. Je n'hésite pas à dire qu'ils emploient tous les moyens et qu'ils ne craignent pas de contaminer mê­me les enfants.

 

M. Thibault donne de exemples.

 

M. F.-J. Leduc. J’ai devant moi une revue communiste, Le Réveil. Il y a là-dedans des citations de gens qu'on ne supposerait pas com­munistes, que nous ne croyons pas communistes. On cite par exemple des paroles du député de Québec-Centre, du député de Montmagny et de l'abbé Groulx. Certes, ce ne sont pas des communistes. Mais on fait des affirmations si rapidement que nos adversaires s'en emparent. Aussi quand le premier ministre parle de prudence dans les affirmations, il a parfaitement raison.

Source: Le Devoir, le 13 mars 1937, p. 10.

 

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College