Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

La loi du cadenas

The Padlock Law

 

Débats de l'Assemblée législative du Québec sur la loi du cadenas

[17 mars 1937]

 

[Pour la source de ce document, voir la fin du texte.]

Québec, 18. — (D.N.C.) — Au début de la séance d'hier, le premier ministre, M. Duplessis, et le chef de l'opposition, M. Bouchard, ont présenté leurs hommages aux Irlandais de la province à l'occasion de la Saint-Patrice.

 

La Chambre a ensuite voté en troisième lecture le bill qui autorise le gouvernement à faire l'inventaire des exemptions de taxes accordées aux compagnies ainsi que celui qui crée l'Ecole du Meuble. M. Duplessis a déclaré que l'Ecole du Meuble, qui constitue une initiative féconde et pleine de promesses, a décidé de s'incorporer afin d'élargir son champ d'action et que le gouvernement présente lui-même la mesure afin d'épargner des frais à cette institution.

 

Contre le communisme

 

La Chambre étudie ensuite la mesure du gouvernement qui a trait à la propagande communiste.

 

M. Duplessis: C'est un projet de loi un peu inusité. Nous devons faire face à des circonstances hors de l'ordinaire et en conséquence recourir à des moyens hors de l'ordinaire. Aux grands maux les grands remèdes. La province de Québec se distingue par son amour de ses traditions, de la paix, de la justice, du bon ordre. Ce sont les biens qui lui sont le plus chers et qu'elle veut conserver à tout prix. Dans certains pays d'Europe, des mouvements à base d'athéisme se sont fait jour et on sait les résultats de ces mouvements. Il y a quelques mois, Son Éminence le cardinal Villeneuve invitait le premier ministre à une assemblée pour étudier les meilleurs moyens à prendre pour lutter contre le communisme. Son Eminence invitait le premier ministre et les autres représentants des différentes autorités constituées à proposer des suggestions. Son Eminence est issue du peuple, du peuple ouvrier de cette province, qui a su maintenir les plus belles traditions. Chacun reconnaît en Son Eminence une de nos plus pures gloires nationales. Son Eminence fait partie de la communauté des Oblats, un des ordres les plus distingués de notre pays, et qui a écrit dans l'histoire de la civilisation cana­dienne les plus belles pages.

 

Les talents et la compétence de Son Eminence étaient tels que celui qui sur terre dispense la lumière, et est le gardien de la foi, de la vérité, l'a appelée à devenir prince de l'Eglise. Nous avons accompli notre devoir avec joie en nous rendant à sa demande. L'assemblée a adopté une résolution adressée à Ottawa et aux autres gouvernements pour leur demander d'enrayer la propagande communiste en cette province.  Nous avons dit que le département du procureur général serait anxieux de seconder les efforts patriotiques de Son Eminence et c'est pourquoi nous présentons aujour­d'hui ce projet de loi.

 

Le gouvernement ne veut pas revendiquer le mérite de cette loi. Il ne veut que le mérite de collaborer avec les amis de l'ordre, avec ceux qui veulent garder les traditions chrétiennes, maintenir l'ordre, pour présenter devant l'ennemi commun un front patriotique, car il ne faut pas se faire d'illu­sions: si le communisme pénètre dans la province de Québec — ce n'est pas que nous ayons cette crainte, — mais nous estimons qu'il vaut mieux prévenir que guérir, — il portera ici les mêmes fruits qu'ailleurs.

 

Nous voulons atteindre le communisme à sa source même, car il nous ferait perdre, s'il était victorieux, notre principal actif, qui est la foi. Et, je parle ici, non seulement pour le gouvernement, mais pour tout le monde en cette Chambre, sachant que nous avons tous, sur ce point, les mêmes opinions. Le jour où le communisme triompherait et renverserait ce rempart de l'ordre et du bien qu'est notre clergé, c'en serait fait de la province de Québec.

 

La juridiction de la province

 

Le communisme doit être considéré comme l’ennemi public no 1.  Montrons à tous que devant cet ennemi, nous ne souffrirons ni compromissions, ni faiblesses, ni lâchetés et que nous serons ses pires ennemis. Evidemment, il a fallu faire la loi dans les limites de la juridiction de la province. Celle-ci n'a le droit de légiférer qu'en matière civile, et non en matière criminelle. C'est pourquoi, je demande au gouvernement fédéral, et à tous les partis à Ottawa, de s'unir pour établir dans la loi les moyens nécessaires pour combattre efficacement les idées malsaines du communisme. Je ne passe aucun jugement sur le passé ou le présent du gouvernement fédéral, mais je demande comme premier ministre de cette province, comme législateur, aux gouvernements fédéral et provinciaux, de poser des actes concrets pour nous aider à faire la lutte, car le gouvernement fédéral peut déporter les étrangers indésirables.

 

Le ministère des Postes peut exercer un contrôle efficace sur la propagande par les journaux, revues et feuilles communistes, alors que nous, nous n'avons aucun contrôle dans ce domaine. La province de Québec va faire son possible; je demande aux autres de faire le leur. Si pour des motifs que je ne veux pas discuter, d’autres autorités hésitent ou refusent, je dirai que la province de Québec fera son devoir jusqu'au bout. Avec cette loi, nous avons le droit de cadenasser tout établissement communiste; afin que justice soit rendue à tous, nous avons donné les garanties judiciaires que l'on pourra exercer devant les tribunaux. C'est une loi qui presse. Le Conseil législatif siège, et c'est l'intention du gouvernement, si l'on n'a pas d'objection, de suspendre les règles de la Chambre pour adopter le projet de loi.

 

Je suis convaincu que l'opposition va collaborer avec nous, et montrer qu'à la Législature, s'il y a des divergences d'opinions, nous sommes unis pour combattre le mal du communisme dans l'intérêt de la province de Québec.

 

M. Duplessis dit qu'il suggère de suspendre les règlements de la Chambre, du consentement général, car nous sommes respectueux des règlements.

 

M. Léon Casgrain. — Depuis quand ?

 

M. Duplessis. — Nous devons respecter les règlements de la Chambre, mais lorsqu'il s'agit de questions aussi importantes, il serait ridicule d'attendre trois séances.     

 

Le remède n'est pas le bon

 

M. Peter Bercovitch (libéral St-Louis). — Je suis d'accord avec presque tout ce que vient de dire le premier ministre. Mais j'aimerais voir autre chose dans le bill que nous étudions. Je n'ai jamais eu la moindre sympathie pour le communisme; je suis absolument opposé à ce système, mais on admettra que malgré cela, je puis trouver la loi imparfaite. On parle de cadenasser des maisons. C'est une pratique qui est en usage pour les maisons de désordre. Mais le procureur-général sait aussi bien que moi que l'expérience du passé nous enseigne qu'en pratique ce remède n'a jamais été bon. Je suis sûr que le gouvernement veut combattre le communisme, mais doute fort que cette loi atteigne le but proposé. La loi ne donne aucune définition du mot communiste. Le bolchevisme et le communisme peuvent se manifester sous bien des formes, et l'on peut confondre des systèmes opposés au nôtre, avec le communisme. Qui dira qu'un tel ou un tel est communiste, qu'il fait de la propagande communiste? On s'expose à des ennuis judiciaires, des innocents pourront souffrir à la suite de méprises...

 

M. Duplessis. — Que le député de Saint-Louis me pardonne. Je ne veux pas l'interrompre, mais s'il veut bien nous pourrions adopter le bill en deuxième lecture et prendre ses remarques en considération lors de l'étude en comité plénier, car j'ai été frappé par certaines choses que vient de dire le député.

 

M. Bouchard. — L'Opposition est sympathique à toutes les mesures contre le communisme. Nous croyons que le communisme doit être combattu surtout dans ses causes pour empêcher toutes les perturbations qu'il provoque. Je ne crois pas que le communisme fasse de grands progrès en dehors des grands centres. L'Opposition est sympathique à toutes les mesures que prendra le gouvernement contre ces gens, mais naturellement, nous laissons au gouvernement la responsabilité de ses lois et de leur application. Nous discuterons plus longuement plus tard. Pour le moment nous n’avons aucune objection à voter le bill en deuxième lecture, ensuite en comité plénier nous pourrons présenter nos objections.

M. Léon Casgrain. — Je félicite le premier ministre. Il sait qu'il n'y a pas de communistes ici. C'est l’Action Catholique qui nous en a rendu le témoignage. (M. Casgrain lit alors un récent article de ce journal où l'on dit que les libéraux n'encouragent pas le communisme).

 

La démagogie

 

M. Casgrain continue. — Le pre­mier ministre a raison de dire qu'il ne doit pas s'attribuer tout le mérite de cette loi. Je dirai même qu'il peut s’attribuer le démérite des progrès du communisme (bruit à droite). Pourquoi combattre le communisme? Pour avoir l'ordre. L'ordre nous ne l'avons pas dans cette Chambre.

 

M. Béique. — Quand vous êtes sortis, il n'y a pas de désordre.

 

M. Casgrain. — Quand sommes-nous capables de travailler ici en toute tranquillité? L'an dernier, quand la foule s'ameutait aux abords du parlement, quand celui qui est aujourd'hui le chef parlementaire de l’opposition avec un courage qui l'honore, faisait face à la foule, qu'a fait le premier ministre, le chef de l’opposition alors? Il était assis dans son fauteuil, les bras croisés, et il riait. Pendant la campagne électorale, les ministériels ont-ils assez soulevé l'opinion publique? Ont-ils assez provoqué le désordre? J'ai ici une brochure que je puis montrer au premier ministre...

 

M. Duplessis. — Je ne lis pas ça.

 

M. Casgrain. — La démagogie et les appels au désordre, les communistes connaissent cela, et ils en accusent le gouvernement. Ils citent dans leurs brochures des promesses d'une démagogie extrême. Si l'on veut de l'ordre, qu'on commence par l'assurer dans le "salon de la race". Que les minorités, y compris les minorités parlementaires, soient respectées. Qu'on ne fasse pas de coup de force. J'approuve et félicite le premier ministre pour sa loi, et j'approuve aussi ses paroles à l’adresse du cardinal. Mais qu'il commence par donner le bon exemple.

 

M. C. Bastien. — Comme tous les députés de la gauche et de la droite, je suis contre le communisme. Mais si le projet du gouvernement est assez mûri, le temps le dira. Pour une fois, je suis d'accord en principe avec le premier ministre. Le communisme n'est pas un sujet autour duquel nous devons faire de la politique.

 

Il y a des foyers de communisme dans la province, c'est certain. Mais, en général, le premier ministre a tort de tant en parler. On veut laisser croire aux autres provinces, et aux autres pays, que la province de Québec est en train de rompre avec ses traditions. Moins de discours à ce sujet: c'est ce que je recommande au premier ministre. Qu'il parle moins du communisme et qu'il mûrisse davantage ses projets de loi. Je suis en faveur du bill. Mais pourquoi mettre de nouveau les règlements de côté? Demain dans toute la province et ailleurs, on dira que nous avons tellement peur du communisme, que ce danger nous menace à ce point que nous sommes obligés de passer à la vapeur des lois pour le combattre. Il ne faut pas exagérer aux yeux de ceux qui nous observent. Nous sommes le point de mire des autres provinces, ne laissons pas croire aux étrangers que nous sommes plus contaminés que les autres. Je recommande au premier ministre d'être plus sobre dans ses discours et de mettre moins d'apparat dans ses discours.

 

Les responsabilités de l'ancien régime

 

M. Albini Paquette: J'entends un député dire que le premier ministre parle trop du communisme. C'est que l'opposition, le gouvernement ancien, a voté trop de lois qui y conduisent. L'ancien gouvernement aurait dû y penser et prévoir le mal. On prétend qu'il n'existe pas ici à l'état aigu. Je crois que le bill est urgent parce que les actes de l'ancien gouvernement ont provoqué le communisme.

 

M. Candide Rochefort, U.N., Ste-Marie: Le communisme est dû aux causes qui l'engendrent, bien plus qu'à la propagande. Il faut faire la lutte à ces causes et à des erreurs du régime capitaliste. Ces erreurs, elles nous sont révélées par les enquêtes sur les textiles, qui démontrent l'exploitation des masses, les salaires dérisoires, par les enquêtes sur le charbon et sur l'écart des prix. Ces erreurs, elles sont aussi le résultat du fait que la jeunesse ne trouve pas à s'employer. La propagande communiste ne pourra être enrayée seulement par un bill. Cela ne servira à rien de donner aux communistes l'occasion de poser aux martyrs. C'est cela qu'ils recherchent. Ils n'ont pas peur de la prison, ils la recherchent. Les coups, les émeutes, les bagarres, ils n'en ont pas peur. Ce sont des moyens qu'ils emploient, qu'ils font naître et qui servent à leur propagande. Il faut prendre garde de créer de législation d'exception ou de classe. Il faut que les autres provinces coopèrent avec nous, ainsi que le pouvoir central. La lutte ne doit pas se limiter aux cadres provinciaux. La province de Québec, seule, ne peut faire de lutte convenable au communisme. Il faut que les autres provinces et l'Etat fédéral l'aident. Pendant que dans notre province on a permis un complet épanouissement de l'individualisme, le libéralisme économique nous a entraînés vers le communisme. Dans l'Ouest, on a vu l'avènement de partis frisant le socialisme. Comment définir le communisme? Il est fort possible que cette lutte contre une doctrine subversive nous entraîne vers le séparatisme, si les autres provinces ne veulent pas collaborer. Nous serons conduits vers un nationalisme qui nous permettra de nous libérer de ces idées. Je crois que dans le programme de l'Union nationale nous avons le complément de cette loi. Je ne crois pas que le bill présentement devant la Chambre suffise à enrayer la propagande communiste, mais on pourra le compléter par une législation sociale appuyée sur une doctrine nationale.

 

La racine du mal

 

M. C.-A. Bertrand: Il ne faut pas qu'il y ait de doute sur l’attitude de l’opposition. Le principe du bill est excellent. Nous sommes en communion d'idées avec le gouvernement sur le principe du bill. Mais nous n'allons pas à la racine du mal. Avec le capitalisme actuel, il faut supprimer les causes.

 

II y a trop  de chefs de famille de nos jours qui tendent le poing vers l’autorité parce qu'elle ne peut entendre toutes leurs revendications. Il y a trop de jeunes au berceau qui tendent une main à leurs parents, et qui ne reçoivent pas tous les secours que ceux-ci voudraient leur donner. Tout en adoptant le principe de la loi, nous devrions voir aussi à mieux orienter ceux qui, à cause de leur misère, sont prêts à embrasser le communisme, et à se jeter dans les bras de ceux qui leur font voir qu'ils seront prêts à satisfaire toutes leurs exigences. Si nous réussissons à mieux orienter tous ceux qui, en raison de leur misère, sont prêts à accepter les idées subversives, je crois que nous aurons fait un grand pas. (App, à gauche)

 

Chef et shérif

 

M. Grégoire Bélanger – Les remarques du député de la Rivière­du-Loup m'ont quelque peu surpris. Le député de la Rivière-du-Loup a voulu insinuer que quand nous étions dans l’opposition nous avons été responsables de la situation qui s'est présentée quand une délégation d'ouvriers est venue sur la colline du parlement réclamer ce que l'ancien régime avait toujours refusé au peuple. Je ne sache pas que ces reproches devraient s'adresser à l'opposition. Ces reproches doivent s'adresser au gouvernement de l'époque, le gouvernement Taschereau. Je ne vois pas pourquoi le député de la Rivière­du-Loup veut nous faire porter cette responsabilité aujourd'hui. Je connais trop le bon esprit qui anime le chef de l'opposition du temps, son esprit de combativité, pour croire qu'il ait voulu encourager cette situation. Ce jour-là, M. T.-D. Bouchard, qui était alors ministre des Affaires municipales, a cru bon de descendre rencontrer la délégation, parce que son chef, M. Taschereau, n'a pas voulu y aller. Pour ma part, j'endosse entièrement sur ce point l'attitude du gouvernement, et je déclare me fier au premier ministre quand il prend une attitude aussi énergique pour combattre le communisme. (App. à droite). L'hon. C. Bastien, le futur chef de l'opposition...

 

M. C. Bastien (intervenant). — Je ne tiens pas à être shérif!

 

M. Aug. Boyer. — Ah! Vous pensez que le chef de l'opposition est un shérif? (Rires).

 

M. G. Bélanger. — Je n'ai jamais demandé de position de shérif, et je n'ai pas sollicité un poste de ministre comme l'a fait le député de Berthier. L'an dernier, pour lui faire garder le silence, l'ancien gouvernement l'a nommé ministre sans portefeuille, et il s'est contenté de cela. Je crois que le meilleur moyen d'empêcher le communisme, ce serait de montrer ici en Chambre plus d'esprit de coopération dans l'approbation des mesures qui nous seront soumises au cours de la présente session. Pour la première fois depuis quarante ans, nous prenons ici une attitude définie et tranchée afin d'adopter des lois sociales répondant aux besoins de toutes les classes de la société. C'est ce que nous avons commencé à faire dès la session d'urgence. Je demanderais à nos amis de l'opposition de discuter nos lois sans esprit de parti, sans esprit mesquin, et de ne pas essayer de ressusciter aux dépens de nos lois le vieux parti qui est la source de tous nos maux. Nous devrions plutôt travailler à établir au parlement un véritable esprit national. Je dirai à nos amis de la gauche: Mettez l'esprit de parti de côté. Je comprends que parfois vous vous plaignez qu'il n'y a pas de décorum ici, mais si cela se produit, c'est plutôt parce que nous voulons nous dérider un peu que pour vous créer des embêtements. Il ne devrait plus être question du bleu ou du rouge ici. Si le parti libéral a pris une telle dégringolade, c'est dû à l'esprit de parti qui a subsisté trop longtemps ici. Nous en étions rendus à un point où, pour gagner sa vie, il fallait être « rouge ». Je dirai à nos amis de l’opposition: "Pendant votre long séjour sur les froides banquettes de la gauche, méditez ceci, et à la prochaine session il n'y aura plus d'opposition, et nous travaillerons tous dans l'intérêt de la race et de la société.

(Appl. à droite).

 

Le danger du capitalisme abusif

 

M. René Chaloult, — Nous venons d’entendre la voix du gouvernement et la voix de l'opposition. Il serait peut-être à propos maintenant d'entendre une voix de l'opposition déguisée, pour me servir d'une expression chère au premier ministre. Pas plus que je ne puis admettre de servilisme, je ne puis admettre l'esprit de parti. Ceci étant dit, je suis heureux d'apporter mon faible concours à cette mesure, et de féliciter le gouvernement qui veut combattre le communisme.

 

M. Aug. Boyer. — Est-ce que le député de Kamouraska comprend que ce ne sont pas seulement les Canadiens français, mais tous les Canadiens qui veulent combattre le communisme?

 

M. René Chaloult, — Je ne vois pas à quelle remarque de mon discours se rapporte cette question. Je dirai toutefois que si nous devrons combattre le communisme, et que si les Canadiens tout comme les Anglais, sont prêts à le combattre, j’ajouterai que si nous devons rendre justice à la minorité, nous devons songer également à la majorité. Si nous nous entendons pour combattre le communisme, nous n'avons peut-être pas tous les mêmes principes. Le secrétaire provincial a déclaré tout à l'heure que l'ancien régime était l'une des causes du communisme. Le libéralisme économique est la cause du communisme qui est un danger et un écueil. Je soumets également que le communisme est peut-être moins dangereux que le capitalisme abusif. Si en veut supprimer la source même du communisme, supprimons les monopoles, et si nous réussissons à combattre les monopoles, nous pourrons nous en réjouir. Comme membre de l'opposition déguisée, pour me servir d'une expression chère à certains membres de cette Chambre, je suis heureux de féliciter le gouvernement de cette mesure, tout en attirant l'attention du gouvernement sur le fait qu'il est plus important de combattre les causes du communisme que le communisme lui-même.

 

M. Peler Bercovitch. — La loi devrait définir quels sont ceux qui pourront être considérés comme des communistes.

 

Antiseptique et quarantaine

 

M. Duplessis, — Je félicite le dé­puté de Saint-Louis de la manière dont il discute. Il n'a pas tenté comme certains membres de cette Chambre d'abaisser le niveau (de la discussion à de mesquines questions de partisannerie.

 

Cette question doit être au-dessus de la politique; mais dès le début certains députés l'ont fait entrer sur le terrain politique dans une campagne injurieuse à base de haine, à base de rancunes, et ce n'est pas bien vu. Nous ne voulons pas la coopération de l'injure et de la haine, mais nous voulons la coopération des bonnes volontés. Le député de Kamouraska a dit que le premier ministre est combattu par les communistes. J'aime mieux être combattu par eux que d'avoir leur approbation. (App. a droite.) Le député de Kamouraska nous dit de combattre la source du mal. Nous savons qu'il y a des réformes qui s'imposent, et nous allons les appliquer, mais avec prudence. Il n’est point besoin d’être un grand savant pour savoir que dans un cas de picote ou de consomption, on n'applique pas tous les antiseptiques à la fois, et que l'on a recours à la quarantaine. Sans cela, si on appliquait tous les antiseptiques à la fois, et qu'on négligeait la quarantaine, on tuerait les malades du coup au lieu de les guérir. Cette législation que nous allons passer sera à la fois un antiseptique et une quarantaine. (App. à droite).

 

Le député de Berthier nous dit: Pourquoi une loi contre les communistes?

 

M. C. Bastien. — Je n'ai pas dit cela; j’ai dit que le premier ministre parlait trop, et qu'il devrait agir plus.

 

M. Duplessis. — Le député de Berthier nous a dit qu'avec cette loi, nous allons donner l'impression qu'il y a beaucoup de communistes. Ainsi donc, d'après sa théorie, il ne faudrait jamais avoir de lois pour punir les meurtriers, car on nous dirait: Vous allez laisser l'impression qu'il y a des meurtriers. Nous savons quels sont les moyens auxquels les communistes ont recours. Il y a des communistes qui se disent plus catholiques que le Pape; qui se prétendent plus catholiques et plus honnêtes que tous les catholiques. Or, si nous définissons le mot "communiste", nous allons ouvrir la porte à bien des abus et empêcher l'application de la loi. Nous voulons qu'aucune porte ne soit ouverte aux abus. Nous connaissons les méthodes des communistes.

 

L'application de la loi

 

M. C. Rochefort. — La loi prévoit-elle le cas de clubs ouvriers dans lesquels se glisseraient des communistes, à l'insu des officiers de ces clubs? Dans ces cas, les locaux de ces organisations seront-ils cadenassés?

 

M. Duplessis. — Je vais dire carrément, sans détour ni ambages, ce que je vais faire comme procureur-général. Tous ceux qui feront de la propagande communiste dans un milieu, qu'il s'agisse d'un ouvrier, d'un avocat, d'un professionnel, d'un étudiant, d'un professeur d'université, d'un député, d'un jeune ou d'un vieux, nous verrons à prendre les moyens de les faire cesser. (App. à droite).

 

M. P. Bercovitch. — Nous devrions aussi inclure le mot "fascisme" dans la loi, car le fascisme est un autre système qui constitue un danger et une menace pour la dé­mocratie.

 

M. Peter Bercovitch fait remarquer que certains moyens dont on veut se servir sont plutôt illusoires comme efficacité.

 

M. Duplessis répond que l'on va d'abord commencer sur une étendue restreinte quitte à prendre plus tard les mesures voulues pour aller plus loin.

 

Quant à l'argument invoqué par l'honorable député sur la question de démocratie et de fascisme, ajoute-t-il, je lui dirai qu'il y a moins de danger pour la démocratie véritable, dans la province de Québec qu'ailleurs. Nous avons conquis au prix de luttes très dures, notre régime parlementaire et nous entendons le garder. Il n'y a pas de danger dans notre province de fascisme, de séparatisme et de nationalisme étroit, ni d'autres maux en isme. Si l'on veut, un mot en isme sur lequel on puisse s’entendre, prenons le patriotisme.

 

M. Candide Rochefort.  Le fascisme est essentiellement la réaction contre le communisme. Et lorsqu'on aura pris les moyens d'enrayer le communisme, les dangers du fascisme disparaîtront d'eux-mêmes.

 

M. Bercovitch fait de nouvelles remarques, mais comme il parle d'une voix basse, on n'entend à peu près rien. Il s'agit toutefois de la célérité à apporter dans l'application de la loi. M. Duplessis admet que la loi va ajouter aux nombreuses charges du procureur général et ce n'est pas par agrément qu'il les prend. Mais il le fait pour répondre au désir de ceux qui veulent prendre les meilleurs moyens pour enrayer le communisme et parce qu'il ne veut pas se soustraire aux devoirs qui lui incombent.

 

Il assure M. Bercovitch que la loi sera appliquée avec le souci le plus entier de la justice.

 

Les responsabilités du fédéral

 

M. le Dr A. Leclerc (Charlevoix-Saguenay). — Est-ce que depuis l’abolition de l'article 98 on a dans la province de Québec ou dans le pays, le pouvoir d'empêcher les assemblées communistes et d'arrêter les prédicants communistes?

 

M. Duplessis. — Je tiens de nouveau à déclarer que je ne discute pas l’opportunité d'avoir ou ne pas avoir l'article 98. Mais je crois qu'il est du devoir des autorités fédérales, rouges ou bleues, d’adopter les mesures pour lesquelles il a seul juridiction, pour empêcher la propagande et les menées communistes. Je n'ai pas étudié de façon spéciale l’article 98, parce que je me suis occupé de politique provinciale et non de politique fédérale. Mais il y a une chose certaine, c'est que les droits du gouvernement fédéral dans pareil domaine sont très étendus. Mais à des droits étendus correspondent aussi des obligations également considérables. C’est pourquoi je demandais au gouvernement fédéral, parce qu'il a des pouvoirs très étendus que la province ne possède pas d’adopter les mesures nécessaires, même de revenir s'il le faut sur des décisions antérieures, afin d'adopter les mesures efficaces pour enrayer le communisme. J'ai été surpris de voir avec quelle facilité les communistes pouvaient procéder dans leurs activités.

 

Il y aura une motion présentée dans cette Chambre par laquelle la législature demandera au gouvernement fédéral d’adopter une ou des lois, avec les numéros qui lui plairont, pour donner pleins pouvoirs d'action contre le communisme.

 

M. C. A. Bertrand (Montréal-Laurier) demande si avec la loi on ne peut empêcher les assemblées communistes et empêcher les orateurs communistes de parler.

 

M. Duplessis. — Nous sommes allés au plus loin que nous pouvions aller en vertu de la juridiction provinciale. Car nous n'avons juridiction que sur le code civil et l'application des lois fédérales sur les offenses criminelles. Je demanderai à mon honorable ami, s'il veut employer son influence auprès de ses amis d'Ottawa pour modifier l’attitude du gouvernement fédéral de façon à prohiber les assemblées communistes, et alors nous adopterons nous aussi toutes les mesures possibles pour compléter l'armature nécessaire.

 

M. Duplessis dit que la Législature ne peut interdire les assemblées communistes, car c'est un pouvoir qui relève du fédéral. C'est le fédéral qui a droit de dissiper les attroupements illégaux, qui légifère contre les fauteurs de la paix publique.

 

Autrefois, avant le rappel d'une certaine loi sur laquelle d'ailleurs je ne me prononce pas, on pouvait empêcher les bolchévistes de tenir des réunions. Ce droit est disparu et la loi provinciale ne peut empêcher ces réunions. Nous allons aux extrêmes limites des pouvoirs conférés aux législatures. Si Ottawa veut faire le quart de ce que fait le gouvernement de Québec, s'il veut se rendre aux demandes de Son Eminence le cardinal, faites il y a un mois, la situation deviendrait bien plus simple.

 

Je cadenasserai l’hôtel de ville

 

M. Rochefort. — S'il arrive par exemple que l'on prêche du communisme dans les salles de la Commission scolaire de Montréal, que va-t-on faire? Car il faut envisager certaines éventualités même improbables.

 

M. Duplessis — Le député de Sainte-Marie a raison d'attirer l'attention sur les divers problèmes. Si les assemblées communistes sont tenues dans les salles des commissions scolaires, il y a évidemment lieu d'intervenir pour remplacer ceux qui n'ont pas assez de jugement pour faire les distinctions élémentaires et prendre les précautions voulues. Et si l’on préconise le communisme dans les salles d’hôtel de ville, je n'ai pas d'hésitation à déclarer que s'il arrive que la majorité du conseil prêche le communisme, je cadenasserai l'hôtel de ville.

 

M. Duplessis ajoute en badinant. On me fait remarquer que les contribuables ne s'en trouveraient peut-être pas plus mal.

 

Sédition et communisme

 

M. Bouchard — Je ne partage pas l'opinion du premier ministre au sujet de l'article 98. Il n'y a rien dans le code qui empêche le procureur général d'intervenir pour empêcher les assemblées communistes. Prêcher le communisme, c'est prêcher de renverser le système établi. Or le code criminel autorise à dissoudre toutes les assemblées et associations séditieuses. C'est là l'opinion d'un juriste distingué, celle de l'honorable Ernest Lapointe. Il a dit que nous avons dans le code criminel tout ce qu'il faut pour cela. Je comprends qu'on a intérêt à reprocher à Ottawa de ne pas adopter telle ou telle mesure. Mais les affirmations du premier ministre sont contraires aux faits et à notre droit criminel: le procureur général a le droit d'arrêter toute personne qui prêche le communisme et d'interdire toute assemblée où l'on prêche le communisme.            

 

M. Duplessis — Allons donc! Vous confondez sédition avec communisme. Ce n'est pas la même chose. Mon honorable ami me permettra de lui dire, sans aucune intention de le blesser, que j’ai fait des études légales plus longues et plus approfondies que les siennes.

 

— Je n'ai pas critiqué ni approuvé l'article 98. Je n'ai pas dit s'il convenait ou non de l'amender, de le modifier. J'ai dit simplement que l'article 98, que je n'ai même pas voulu nommer, allait assez loin pour empêcher les assemblées communistes, mais qu'aujourd'hui nous n'avons plus ce moyen-là. J'ai voulu ménager la susceptibilité de nos amis et c'est pourquoi j'ai supposé qu'on pourrait prendre d'autres mesures pour arriver au même but. Ce n'est donc pas une injure au gouvernement fédéral, pour le premier ministre et procureur général de la province de Québec de demander au gouvernement fédéral de faire droit aux demandes des autorités les plus hautes que je reconnaisse.

 

M. Bouchard — Je m'oppose à ce qu'on fasse de ça une question de partisannerie politique. Le procureur général de la province est chargé de l'administration de la justice criminelle dans la province. C'est lui qui peut empêcher les assemblées communistes. Il n'a pas le droit de venir demander à la Chambre de réclamer d'Ottawa, le rétablissement de l'article 98. Vous avez toujours eu le pouvoir d'arrêter les assemblées communistes. Et c'est déjà dans les lois.

 

M. Léo Duguay (U. N., Lac-St-Jean). — Le chef de l'opposition veut faire croire que les recommandations du premier ministre sont faites dans un but politique, alors que les intentions du premier ministre sont nobles et droites et consistent simplement à demander la collaboration du gouvernement fédéral. Le chef de l'opposition est chatouilleux, lui qui appartient à un parti qui, quand il était au pouvoir, ne passait jamais une loi sans la mettre sur le dos des autres. Nous sommes d'opinion que l'article 98 permet les assemblées que nous voudrions empêcher. Cet article a été inscrit dans les statuts à l'occasion des émeutes de Winnipeg en 1922 [sic], et nous demandons au gouvernement fédéral, s'il ne veut pas rétablir cet article, de prendre la responsabilité d'établir une législation ayant la même portée légale.

 

M. Jos. Marier (U. N., Drummond). — Je ne suis pas un criminaliste, mais l'article 98 semblait faire l'affaire de ceux qui veulent combattre le communisme. C’était une arme parfaite. Je regrette que le député de Rivière-du-Loup ait abaissé le débat au niveau de ses idées à lui. Le premier ministre et le chef de l'opposition s'étaient placés au-dessus des considérations de parti.

Source: Le Devoir, 18 mars 1937, p. 6.

 

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College