Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

La loi du cadenas

The Padlock Law

 

« Avant que ne vienne le grand soir ...»

[1938]

 

[Ce texte a été rédigé par Adrien Gratton. Pour la référence précise, voir la fin du document.]

D'abord viendra-t-il? Viendra-t-il, au Canada, ce Grand Soir rêvé par les communistes, où prendront corps leurs chimères, où ils tenteront de réaliser leur mirage du bonheur mis à la portée de tous par l'universelle égalité? Il y a deux ans, j'aurais probablement répondu: "Dormons tranquilles. Ce danger, si danger il y a, est lointain."

 

Mais, depuis ce temps-là, il y a eu la nouvelle tactique du front populaire. Il y a eu l'apaisement des luttes ouvertes contre la religion dans les pays non gagnés au communisme, la politique de la main tendue aux catholiques. Depuis ce temps-là, il y a eu les gains énormes du parti communiste français: ne détenir que 10 sièges au Parlement, puis, d'un seul coup, en porter le nombre à 72, quelle victoire pleine de promesses pour les rouges et de leçons pour nous qui les combattons. Depuis ce temps-là surtout, il y a eu l'Espagne, la sombre et tragique Espagne.

 

Maintenant, nous savons. Nous savons qu'il suffit d'une étincelle pour allumer l'incendie; nous savons qu'une poignée de militants fanatisés donne aux communistes le contrôle d'une élection conduite par un front populaire; nous savons qu'une poignée de députés révolutionnaires noyaute un Parlement suivant la méthode qui leur est chère. Et ensuite... Ensuite, c'est le plongeon dans l'anarchie, c'est la fin d'une civilisation, c'est l'agonie des masses chrétiennes qui n'ont pas su vivre leur foi, la réaliser dans les oeuvres. On efface tout et l'on pose zéro: tout l'héritage ancestral fait surtout de pensée et de vigueur morale, tout le riche patrimoine qui allait s'accroissant d'une génération à l'autre, toutes les admirables traditions du christianisme que se léguaient les familles, tout cela disparaît, effacé, détruit, anéanti.

 

Encore s'il ne s'agissait que de recommencer à neuf; mais il faut lutter contre le désordre. Le communisme, ce n'est pas le retour à l'an un du christianisme, ce n'est pas la reprise de cette belle croisade des douze apôtres partis chacun de son côté à la conquête du monde, ce n'est pas l'âge où l'univers se reprenait à vivre parce qu'on lui apportait un message nouveau fait d'espérance et d'amour. Non, ce n'est plus cela, ce n'est plus rien de cela.

 

A ce moment-là, on vivait dans la débauche, mais on croyait encore au bien; on haïssait ses semblables d'une nation à l'autre et d'une classe à l'autre, mais la force unificatrice et apaisante de la famille existait encore; on vivait dans l'esclavage, et la vie du citoyen le plus puissant était à la merci d'un caprice de l'empereur, mais on croyait en l'au-delà et l'espoir soutenait encore les âmes rongées par tant de misères. Au fond de tous les coeurs, il y avait un immense appel vers l'ordre, et l'angoisse qui y habitait ne faisait que vivifier le désir de la vertu qui laverait toutes les souillures, de la charité qui unirait les hommes entre eux, du Dieu qui apporterait la paix, non pas la paix romaine, précaire, illusoire, mais la paix résultant de la concorde et d'une fraternité véritable.

 

Quand le christianisme est venu, l'homme l'a reconnu, parce qu'il le portait déjà en lui-même, parce que cette religion répondait à l'appel de son intelligence et de sa volonté. C'était bien cela, la recherche inlassable de son esprit inquiet qui le dégoûtait de tous les dieux antiques, idoles grotesques qui le pervertissaient; c'était bien cela, l'angoisse inexpliquée de son être devant sa destinée et ce désir profond d'y trouver enfin une réponse vraie qui le console des fictions vulgaires et morbides des poètes et des augures; c'était cela, sa soif de liberté, cela surtout l'unification de son être contre sa propre turpitude, contre les déchéances immondes où il se sentait plongé. Les temps étaient venus où le Messie devait naître.

 

Mais aujourd'hui, ce n'est plus cela. L'homme ne veut plus du Messie. Dans son orgueil, il a voulu rejeter sur sa religion les responsabilités de ses fautes, de ses lâchetés inavouées. Parce que le christianisme ne l'a pas dispensé de la lutte contre lui-même, il refuse le christianisme. Il regarde les ruines amoncelées par la guerre, les misères accumulées par la crise, et plutôt que de s'écrier: "Voilà l'homme et ses passions!" il clame vers le ciel: "Voilà donc le christianisme qui m'avait promis la paix et le bonheur!" Il oublie les paroles de celui qui a dit: "Mon royaume n'est pas de ce monde", et qui nous jetait aussi ce grave avertissement: "Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous". L'homme a voulu jouir, jouir pleinement, à satiété, comme les bêtes, plus que les bêtes, parce qu'il a mis au service de ses désirs mons­trueux la féerie des richesses, des biens matériels asservis à sa volonté. Ayant tourné le dos à son Dieu, il s'étonne maintenant de n'avoir plus en lui la grâce. Et il s'exaspère.

 

Le communisme, c'est la manifestation ultime de sa haine, c'est le cri de Satan: Non serviam! L'homme a cherché diverses expressions de son orgueil; il a maintenant trouvé la plus authentique, la plus sincère, la plus réaliste, qui dépasse de loin tout ce que l'on a imaginé jusque là, depuis la bave hargneuse d'un Voltaire jusqu'aux ricanements hypocrites et doucereux d'un Renan. Le communisme joint en faisceau toutes les révoltes humaines, contre Dieu, contre la religion, contre la famille, contre la nation, contre l'individu lui-même, puisqu'il lui fait de la passion une gloire et de la vertu une honte, un inutile fardeau.

 

En pays communiste, le christianisme ne trouve plus devant lui des âmes dans l'attente, mais des âmes crispées par la colère; il n'a plus à soutenir des luttes partielles et momentanées contre des sursauts de sauvagerie dans un certain nombre d'individus et de nations, mais il se voit pourchassé par des peuples qui se font de la fureur un devoir. Satan s'y couvre du manteau de la philanthropie. Il divinise les appétits de l'homme pour mieux le soulever contre Dieu.

 

Le communisme, ce n'est pas seulement l'anéantissement temporaire d'un christianisme édulcoré, où la vraie vie chrétienne pourrait refleurir à loisir; c'est la guerre acharnée et permanente contre toute forme de religion, contre l'idée mime de religion. Ce n'est pas l'abaissement du paganisme, c'est la monstruosité de l'athéisme. Ce système veut réaliser dans le monde entier en quelques décades ce que la franc-maçonnerie a tenté depuis plus d'un siècle avec des succès limités. Voilà pourquoi il y a tant de sympathie entre ces deux mouvements.

 

Le communisme, c'est une lèpre qui s'attache au monde régénéré par le Christ, qui se répand dans tout l'organisme social pour l'anémier, le ronger, le pourrir à jamais. Guerre à Dieu et à la religion, ai-je dit: en effet, en Russie, en Espagne, au Mexique, en Amérique du Sud, en Chine, partout où il rencontre du succès, le communisme brûle les églises, viole les religieuses, massacre les prêtres. Limitons-nous à la Russie, où il ne rencontre pas de résistance, et voyons le reste. Guerre à la famille: par l'institution du divorce et la légalisation de l'amour libre, par l'obligation faite aux enfants d'espionner et de dénoncer leurs parents. Guerre à la nation: par l'organisation de la révolution universelle. Guerre au bien: par la corruption organisée de la jeunesse. Si le bolchevisme tempère parfois ces méthodes, c'est qu'il se sent incapable de se maintenir sans s'éloigner des principes émis par les théoriciens du système: Marx, Lénine, Boukharine.

 

Je répète maintenant ma question: Verrons-nous le Grand Soir? Verrons-nous "l'abomination de la désolation" couvrir notre pays? A la lumière des faits récents, je réponds: peut-être! Ne devrais-je pas plutôt dire: si nous voulons. Si nous voulons nous cacher la tête, comme l'autruche, pour nous dispenser de réfléchir, si nous voulons nous croiser les bras devant le danger, laisser la propagande communiste s'étaler au grand jour et refuser au peuple les réformes légitimes qu'il demande, nous connaîtrons sans doute au Canada l'émeute communiste et plus tôt qu'on ne pense. Et cela nous coûtera cher.

 

Pour empêcher ce chancre d'infester nos chairs, les trustards devraient alléger le joug qu'ils font peser sur le peuple, les gouvernants devraient accomplir au plus tôt les réformes sociales qui s'imposent, les Canadiens, leurs pasteurs surtout, catholiques et protestants, devraient s'unir dans la défense de la civilisation chrétienne, mais...

 

Mais les trustards n'ont pas fini leurs menées d'accaparement, ils n'ont pas fini d'immoler le peuple sur l'autel du veau d'or, ils n'ont pas fini d'ériger leurs richesses sur une société anarchique. Que leur importe que le chômage s'établisse en permanence au Canada, que leur importe que les immenses richesses de notre pays ne réussissent pas à faire vivre une poignée d'habitants et que l'ignorance et le vice, tristes rançons de la misère, anémient la vitalité des couches les plus saines de notre population! Que leur importent même les clameurs populaires qui s'élèvent vers eux, comme autrefois les grondements du peuple romain parvenaient jusqu'au palais de Néron! Ils semblent croire que la foule ne bougera pas tant qu'ils vivront et... après eux, le déluge!

 

Les traditions religieuses du peuple canadien n'ont-elles donc pas suffi jusqu'à ce jour à lui faire courber la tête? D'où vient que les prolétaires osent croire qu'ils ne sont pas des manants taillables et corvéables à merci? N'ayant jamais approché le peuple, nos monopoleurs croient le connaître mieux que ceux qui ont ausculté la foule, cet être collectif, qui ont prêté l'oreille aux pulsations de son coeur parce qu'ils y percevaient des sursauts fiévreux, des crispations nerveuses. Le communisme apparaît donc aux trustards comme un épouvantail dressé par des rêveurs en mal de réclame ou des arrivistes désabusés.

 

Ils accueillent avec un sourire les encycliques de S. S. Pie XI et les avertissements répétés des autorités ecclésiastiques. Ils n'y croient rien ou feignent de ne rien y croire. Pour un peu, ils accuseraient ceux qui les protègent en défendant l'ordre établi d'être les fauteurs du communisme et de faire une inutile propagande à ce système incohérent. Pour mieux tromper le peuple et le maintenir dans son esclavage, pour mieux détourner son attention des revendications légitimes qu'il ose faire valoir, on fait du fascisme une sorte de monstre prêt à s'abattre sur lui s'il prétend améliorer son sort. Pour lui faire endurer ses chaînes, on lui en laisse craindre de plus lourdes.

 

Les magnats de la finance ne comprennent pas que le peuple de chez nous possède une forte dose de gros bon sens et qu'on ne le trompe pas avec des mots. Ils devraient s'apercevoir que les Canadiens n'ont actuellement aucune propension vers le fascisme et que si jamais la dictature s'implante au pays, ce sera parce qu'ils l'auront rendue nécessaire par leurs abus et leurs forfaits. A force d'englober tous les réformateurs sous le nom de fascistes, ils finiront peut-être par convaincre la foule que tous ses défenseurs sont partisans de cette doctrine et qu'il faut y chercher le salut de la société.

 

Peut-être, messieurs les monopoleurs, verrez-vous dans ces lignes une apologie du fascisme? Détrompez-vous: je n'ai nullement l'intention de faire de la propagande à cette théorie, que je ne confonds pas d'ailleurs avec la dictature, car cette confusion que vous faites manifeste une ignorance crasse des régimes politiques que vous fou­droyez doctoralement. Je constate cependant que le peuple a toujours préféré l'ordre à la liberté... d'endurer sa misère, et que les nations ont dû recourir aux systèmes autoritaires chaque fois que les exactions de vos semblables ont duré assez longtemps pour exaspérer les masses ouvrières et faire gronder l'émeute. "La liberté, c'est l'ordre", a dit Mussolini...

 

Apprenez donc que les plus efficaces, je devrais dire les seuls propagateurs du communisme, ce sont les profiteurs dont la conscience est morte et qui ont enterré leur patriotisme au fond d'un sac d'écus. Si vous persistez à tisser autour de ses défenseurs comme un réseau de fils barbelés en les entourant de promesses, de calomnies, de menaces même, vous aurez rendu nécessaire le recours à la force pour vous défendre vous-mêmes en défendant la société contre les colères déchaînées par votre faute. Ouvrez les yeux, ou bien vous devrez choisir entre les rançons que vous imposera la révolution et les sanctions que vous dictera un gouvernement désireux de combattre le désordre, d'où qu'il vienne.

 

Et vous, gouvernants, que venez-vous nous parler du fascisme? Nous n'attendons pas de vous des plaisanteries, mais des actes. Vous ne comprenez donc pas la gravité de l'heure? Voulez-vous que le peuple vous considère comme des polichinelles dirigés dans la coulisse par les trustards de tout acabit? Ils tirent une ficelle et vous criez: "Fascisme"! Ils tirent une autre ficelle et vous fermez la bouche pendant que le peuple vous demande un programme cohérent et des mesures efficaces de protection. De grâce, libérez-vous des bandeaux que l'on vous a jetés sur les yeux. Ne laissez pas aux seuls socialistes le soin de lire les encycliques papales: vous y verrez que l'un des pires maux qui affligent l'humanité, c'est "la déchéance du pouvoir", mis sous la tutelle d'une "dic­tature économique", qui rend la vie des affaires "horriblement dure, implacable, cruelle".

— "Liberté! Liberté!" clamez-vous. — Oui, "liberté pour tout et pour tous, excepté pour le mal et les malfaiteurs", a répondu il y a longtemps Louis Veuillot. Si vous désirez entendre une pensée plus actuelle, écou­tez ces paroles récentes de Son Eminence le cardinal Villeneuve: ..."Les systèmes révolutionnaires et qui attaquent les doctrines religieuses fondamentales et les bases mêmes de l'ordre social ne sauraient devenir l'objet de la tolérance politique. Et une chose demeure toujours vraie, c'est que la liberté accordée indifféremment à tous et pour tout n'est pas désirable pour elle-même, puisqu'il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits" (le Devoir, 31 janv. 1938).

 

Et le clergé protestant, que fait-il? S'il y a eu une belle unanimité chez nos prêtres à condamner le communisme, peut-on en dire autant des clergymen? Que viennent-ils, eux aussi, crier au fascisme, alors que les masses ouvrières sont de plus en plus travaillées par des idées subversives propagées librement, bien que la Cour suprime ait déclaré le communisme hors la loi? Doit-on voir, dans cette attitude un secret désir de faire échec aux catholiques en prenant la contrepartie de leurs idées? Y trouverait-on plutôt la logique de l'esprit protestant enclin, sous prétexte de libre examen, à pactiser avec les pires erreurs, à leur accorder même plus de crédit qu'à la vérité?

 

L'un ou l'autre motif serait peu louable. J'aime mieux croire à une aberration momentanée que la leçon des faits dissipera bientôt. Beaucoup de protestants d'ailleurs sont prêts à joindre les rangs de plus en plus nombreux des gens qui refusent de se croiser les bras devant le danger. Nos frères séparés doivent à leurs convictions religieuses de dresser le rempart de leurs volontés contre ceux qui s'acharnent à détruire dans nos sociétés matérialisées les quelques restes de foi que la perversion moderne n'a pas étouffés.

 

Et nous, catholiques du Québec, nous luttons mal. Nous ne savons pas oublier, pour faire face au péril commun, que le Canada est peuplé de chrétiens désunis. Nous ne savons pas faire taire, quand il le faut, nos revendications les plus légitimes. S'il est vrai que nous avons le droit de défendre notre langue, de pratiquer le nationa­lisme économique, de maintenir ou d'amplifier, s'il y a lieu, les pouvoirs que la Confédération a concédés aux provinces, il n'en reste pas moins vrai que nous devons chercher à faire prédominer, dans la défense de notre religion contre la barbarie communiste, les doctrines propres à unifier tous les hommes de bonne volonté.

 

Ce n'est pas en tant que Canadiens français que nous défendons le christianisme, c'est en tant que soldats du Christ; ce n'est pas en tant que Canadiens français que nous voyons avec crainte se fortifier la campagne d'athéisme stipendiée par Moscou, c'est en tant que Canadiens soucieux du bon ordre et convaincus que le bonheur temporel ne se demande pas à Satan mais à Dieu. Quand nous voulons éloigner de notre pays les terribles malédictions que la Providence réserve aux nations avilies par l'incroyance, ne pensons pas refléter le désir des seuls Canadiens français, ni même des seuls catholiques; soyons persuadés au contraire que nous exprimons alors l'opinion de tous les chrétiens réfléchis.

 

Si le communisme s'installait aux Etats-Unis ou tentait de s'y installer—l'hypothèse est-elle improbable?—et recourait au massacre des civils qui a marqué le conflit espagnol, ne verrions-nous pas tous nos concitoyens anglophones cesser de vivre sous le cauchemar du fascisme et se tourner vers nous en s'écriant: « The salute won't come but from Quebec »? Sachons donc préparer l'opinion en travaillant de concert avec les protestants qui y consentent. Invitons-les à nos assemblées anticommunistes; faisons une large publicité à leurs déclarations, à leurs demandes de réformes sociales. Les partisans du désordre sont plus habiles que nous quand ils cherchent à faire l'unanimité de l'opinion autour de leur doctrine en profitant de toutes les occasions qui se présentent.

 

Un catholique doit toujours chercher un moyen de collaborer dans les questions qui intéressent directement la religion. Faisons donc l'unité chrétienne contre la terreur rouge. Nous devons viser à constituer un front anti-communiste non seulement au Canada, mais sur tout le continent américain. Nous n'avons pas le droit de laisser un athéisme haineux arracher une à une les âmes à la foi. Refuser de combattre l'hydre bolcheviste, c'est pactiser avec elle: — "Celui qui n'est pas avec moi est contre moi", a dit le Christ.

Source: Adrien GRATTON, « Avant que ne vienne le grand soir...», dans l'Action nationale, Vol. XI, No 3 (Mars 1938): 193-204.

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College