Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Octobre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

Women's Right to Vote in Quebec

Le droit de vote des femmes du Québec

 

Henri Bourassa

"Le suffrage féminin" [1918]

Deuxième article

 

LE DROIT DE VOTER — LA LUTTE DES SEXES —
LAISSERONS-NOUS AVILIR NOS FEMMES ?

 

La première chose à faire avant de discuter si les femmes ont ou n'ont pas le « droit » de voter, ce serait de rechercher et de rétablir la vraie notion du « droit » au suffrage. Si, au lieu de faire de l'électorat un privilège, ce qu'il n'est pas, on y voyait tout simplement une fonction, on ramènerait la question sur son véritable terrain, qui est de savoir, non pas si l'homme et la femme sont égaux, dans l'ordre moral, intellectuel, physique, social ou politique, mais s'ils sont semblables.

 

Le parlement, a dit un vieux juriste anglais, peut tout faire, sauf changer une femme en homme, un homme en femme. Or, c'est précisément cette impossibilité que les partisans du suffrage féminin ont entrepris d'exécuter. La différence des sexes entraîne la différence des fonctions sexuelles ; et la différence des fonctions sexuelles crée la différence des fonctions sociales. Le prétendu « droit » de suffrage n'est qu'une forme des fonctions, des charges sociales, qui incombent à l'homme, soit à cause de sa conformation physique ou mentale, soit, surtout, à cause de sa situation et de ses devoirs de chef de famille. La principale fonction de la femme est et restera — quoi que disent et quoi que fassent, ou ne fassent pas, les suffragettes — la maternité, la sainte et féconde maternité, qui fait véritablement de la femme l'égale de l'homme et, à maints égards, sa supérieure. Or la maternité exclut forcément les charges trop lourdes — le service militaire, par exemple, — et les fonctions publiques. Si l'on persiste à parler de « droits », de « privilèges », je dirai que la maternité vaut à la femme le « droit » et le « privilège » de n'être ni soldate, ni électrice ; elle l'exempte des fonction et des charges publiques tout comme le sacerdoce, la magistrature et certaines hautes fonctions sociales soustraient ceux qui les exercent à l'obligation de servir à l'armée, dans les jurys, etc.

 

Mais, s'écrient les féministes, que faites-vous des nombreuses femmes non mariées ? D'abord tout ce qui, en dehors de l'appel de Dieu, tend à éloigner les femmes — et les hommes — du mariage, est en soi dommageable à la femme et la ramène vers la servitude ; et le féminisme, le suffragisme surtout, est l'agent le plus actif de ce retour à l'esclavage. Ensuite, le célibat, volontaire ou forcé, ne change pas la nature de la femme ni les aptitudes ou les inaptitudes qui en découlent. Les femmes appelées par l'Esprit de Dieu à la vie parfaite, et celles que des causes exceptionnelles, volontaires ou forcées, tiennent en dehors du mariage, n'en restent pas moins des femmes, incapables de porter les plus lourdes charges sociales, inaptes à l'accomplissement des fonctions publiques. Les rares exceptions qu'on peut citer sont et restent des exceptions, des monstres, qui confirment la règle de la nature.

 

Si l'on objecte que la femme doit voter pour protéger ses intérêts, sa situation et, si l'on veut, ses « droits » de femme, la réponse est doublement facile. D'abord, cette prétention se détruit par elle-même. Du jour où l'on efface toute distinction entre les fonctions sociales de l'homme et de la femme, on détruit du coup la base des privilèges réels que la femme doit à sa fonction primordiale, la maternité. La femme-électrice n'a pas plus de « droits » que l'homme-électeur. Tous deux seront, au même titre, les dupes et les victimes du même mensonge démocratique — ou plutôt, la femme sera plus complètement dupe et victime. Et c'est tout ce qu'elle y gagnera.

 

Toute l'histoire du régime soi-disant « démocratique » enseigne que le seul « droit » de voter est absolument impuissant à assurer le moindre avantage à ceux qui l'exercent, s'il n'est précédé, accompagné, ou suivi du droit d'association, du droit d'organisation, du droit de propagande, on pourrait ajouter : du droit de chantage, du droit d'intimidation, du droit de corruption et de corruptibilité, qui sont les pièces essentielles du mécanisme électoral et parlementaire. Cette seule constatation suffit à démontrer l'inanité de l'argument invoqué en faveur du suffrage féminin, comme garantie des « droits » de la femme.

 

Un nombre considérable de femmes seront toujours exclues des véritables activités électorales et démocratiques, de celles qui assurent l'efficacité du droit de suffrage ; elles en seront exclues, les unes par leur faiblesse physique, d'autres par les charges de la maternité, d'autres enfin par le seul souci de leur dignité de femme. Ne parlons pas de la première et de la dernière catégories, méprisables aux yeux des suffragettes et des législateurs qui ont entrepris de faire le plus possible de femmes-hommes, ou hommasses. Reste la catégorie encore nombreuse des mères de famille. M. Borden n'a pas suggéré de les supprimer, ni de leur interdire, par Acte du Parlement, d'avoir plus d'enfants que ne comporte leur nouvelle « dignité » de femmes-électrices. On y viendra, sans doute ; mais d'ici là, par le seul fait de l'abstentionnisme forcé d'un grand nombre de mères de famille, auxquelles s'ajouteront les religieuses et les nombreuses femmes, mariées ou non, qui ne se résoudront pas à patauger dans le purin électoral, l'ensemble du corps électoral féminin sera dans une situation notablement inférieure pour lutter avec le corps électoral masculin.

 

Et qu'on ne s'y trompe pas, c'est la lutte, âpre, violente et générale, qui va s'engager entre les deux sexes. Les insanités du féminisme ont déjà troublé bien des cervelles féminines et masculines, éveillé chez une foule de femmes un tas d'idées baroques, d'instincts pervers, d'appétits morbides. L'effroyable fauchée des hommes valides, sacrifiés au monstrueux délire de la guerre, va poser partout, dans tous les domaines des réalités économiques et sociales, le problème des sexes. Il va même se poser sous une forme inquiétante dans sa sphère normale, le mariage, devenu impossible pour un grand nombre de femmes. Aux détraquées du féminisme, aux affranchies volontaires du « joug » marital et des charges de la maternité, aux prédicantes et pratiquantes de l'amour libre, de l'avortement et de la stérilité systématique, vont venir s'ajouter des millions de femmes saines de corps et d'esprit, naguère placées dans une situation normale, aujourd'hui privées de leur soutien naturel ou, qui pis est, chargées d'une loque masculine, débris de la guerre. Ces légions féminines vont monter à l'assaut des fonctions lucratives, jusqu'ici dévolues aux hommes.

 

D'autre part, les travailleurs masculins chargés de famille et les nombreux éclopés de la guerre, encore capables d'un travail rémunérateur, se préparent à résister de toutes leurs forces à l'envahissante concurrence de la femme-homme. De deux associés, le féminisme tend donc à faire deux rivaux. A l'union féconde de l'homme et de la femme, voulue par Dieu, sanctifiée par le Christ, non seulement dans le mariage, mais aussi dans la gouverne morale de la société, va donc succéder la lutte sauvage des deux sexes coalisés l'un contre l'autre. Dans cette lutte, la femme sera fatalement écrasée ; et l'écrasement sera d'autant plus prompt et plus complet que les féministes auront mieux réussi à « affranchir » la femme des égards « humiliants » dont l'homme, spiritualisé par le christianisme, avait appris à entourer la femme. En elle il voyait d'abord la mère de ses enfants, et aussi sa compagne, son associée par le coeur, son égale devant Dieu, sa protégée, à cause de sa faiblesse physique, mais jamais sa semblable. En détruisant tout cela, le féminisme tend à la suppression du mariage et de la maternité pour aboutir au rétablissement de l'esclavage de la femme. C'est une reculade de vingt siècles.

 

S'il n'y avait en cause que les pécores du féminisme, les dévoyées de l'égalité sexuelle ou les perruches huppées qu'on est convenu d'appeler les society women et dont la stérilité volontaire appellera au tribunal de Dieu l'accablant témoignage des malheureuses déjetées du ruisseau — celles-là au moins subissent ici-bas le poids de leur opprobre et ne couvrent pas leur honteux trafic d'un manteau d'hypocrite correction — on pourrait en prendre son parti. Mais il y a encore parmi nous un certain nombre de gens qui ont eu une mère, une vraie mère, qui ont une femme, une vraie femme, qui ont des filles dont ils veulent faire de vraies mères et de vraies femmes. Ceux-là n'ont pas le droit de laisser une bande de politiciens en quête de malsaine popularité, avilir leurs mères, leurs soeurs, leurs femmes et leurs filles au contact des détraquées et des émancipées qui ont entrepris de consommer la déchéance morale de la femme et la désorganisation de l'ordre social.

 

Les esprits superficiels et courts, incapables de saisir les relations des causes et des effets, les insouciants et les opportunistes, toujours prêts à concilier le bien et le mal, le faux et le vrai, diront sans doute : « Après tout, pourquoi tout ce tapage ? Voteront les femmes qui voudront. C'est un so­phisme et une illusion de plus. Une fois le régime créé, il faudra demander aux mères de famille, aux femmes respectables, aux honnêtes femmes, aux vraies femmes, de descendre dans le ruisseau électoral et d'aller voter afin de faire contrepoids à l'influence des suffragettes de profession. En d'autres termes, il faudra rechercher dans le mal lui-même son propre remède (1). C'est un genre d'homéopathie dont les sociétés se trouvent rarement bien. Il est plus sûr de prévenir le mal que de le guérir par lui-même.

 

Est-ce que, vraiment, avant que l'iniquité ne soit consommée, il ne s'élèvera pas à la Chambre une voix assez courageuse pour faire entendre au moins une parole de lumière et de vérité ? Et en dehors du parlement, ne se trouvera-t-il personne pour protester, au nom du bon sens et de l'ordre social, contre cette suprême insanité ? Parmi toutes les associations féminines qui se disent encore chrétiennes et qui n'ont pas abdiqué le bon sens français, ne s'en trouvera-t-il pas une seule pour défendre le vrai patrimoine de la femme, et sa véritable royauté ?

 

Nos politiciens ont déjà saboté assez de choses, ils ont déjà ébranlé assez d'assises de l'ordre public, rompu avec assez de traditions nationales ; allons-nous, sans mot dire, leur permettre de s'attaquer jusqu'à la sainteté de nos foyers, jusqu'à la dignité de nos femmes ?

 

Dans un prochain article, nous verrons ce qu'il faut penser des pronostics optimistes de M. Borden sur l'influence politique de la femme. Nous signalerons aussi quelques absurdités de détail qui ajoutent à l'odieux de cette législation anti-sociale.

 

(1) C'est précisément cette perspective du contrepoids qui a rallié M. Ernest Lapointe à une mesure dont le principe répugne manifestement à sa droiture et à son bon sens naturels. A mon humble avis, il aurait été mieux inspiré s'il avait d'abord voté contre le bill, quitte à se rabattre ensuite sur les compensations qu'il peut offrir. Mais, sans doute, « l'intérêt du parti » exigeait qu'il suivit son chef.

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Source: Henri BOURASSA, "Le droit de voter - La lutte des sexes - Laisserons-nous avilir nos femmes?, dans Le Devoir, 30 mars 1918, p. 1.

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College