Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Février 2011

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

Le féminisme au Québec

Feminism in Québec

 

La femme et le travail de l’usine

[1935]

Ce qui complique la question qui nous occupe présentement, c’est l’importance dans la vie moderne du facteur argent. L’argent est tellement devenu le moyen de n’importe quoi et de n’importe qui qu’on en est arrivé à ne raisonner et à n’agir qu’en fonction de lui. Elle est caractéristique cette réflexion d’une élève de nos écoles paroissiales transplantée, sans plus, dans une école publique : « Tu apprends encore le catéchisme à l’école des Religieuses, ma chère? Qu’est-ce que ça peut bien rapporter dans la vie? »

L’usine rapporte; le bureau rapporte…

Si la tenue d’une maison rapportait dans le sens ci-haut employé; si l’éducation de l’enfant rapportait; si chaque acte de vertu rapportait; si chaque personne qui assiste pieusement à la messe recevait $10…!!

« La pauvreté n’est pas un vice; mais c’est bien malcommode!! » disait quelqu’un. Certes ! Mais, par contre, l’argent peut-il donner tout? Plusieurs le croient qui en font le but de leur vie; mais souvent ils ne tardent pas à vérifier la parole de S. E. Mgr Courchesne : « Il y a un malheur plus grand que d’être pauvre : c’est d’être riche ! » Remarquons bien qu’il ne s’agit pas de mendicité. Être pauvre au sens chrétien, c’est posséder l’utile et le nécessaire, sans ce superflu qui empoisonne si souvent et fausse le goût du bonheur.

Entrons de plein pied dans le sujet. Pourquoi la femme va-t-elle à l’usine? Est-ce toujours pour le seul besoin de trouver le moyen d’une subsistance qui, autrement, lui manquerait? Écoutons d’abord Mlle Decouvelaere :

« L’industrie, en effet, a monopolisé beaucoup des tâches qui rentraient dans le rôle de la mère de famille : fabrication du pain, confection des vêtements et du linge. Le rouet et le métier à tisser ont disparu, la machine a remplacé la femme dans l’exécution du tricotage et de la  couture, la lessive se donne au dehors, il n’est pas jusqu’au nettoyage et à la cuisine même qui ne se fassent maintenant en série.

« La femme va désormais à l’usine confectionner l’objet que jadis elle fabriquait chez elle.

« Ainsi, dans le travail domestique elle gagne du temps, mais elle consomme de l’argent. Il lui faut à la fois occuper ce temps et compenser les dépenses nouvelles. La disparition du travail en nature amène la femme à moins s’occuper de l’objet produit, qui n’est plus pour elle d’une utilisation immédiate, que du gain en argent à réaliser ». (La Croix, 30 août 1934)

C’est ça : bien des fois, la femme va manufacturer au dehors ce qu’elle achètera ensuite … au lieu de le faire, à son goût chez elle…

Peu importe pour le moment; forcé ou non, son exode de la maison a des conséquences qui sont à noter. Écoutons encore une autorité en la matière :

« Ordinairement, la femme qui travaille au dehors n’est pas chez elle pendant huit ou neuf heures par jour. Quand l’ouvrière ou l’employée rentre de l’usine ou du bureau, une nouvelle journée de travail commence pour elle.

« Elle est ainsi presque condamnée presque toujours à un surmenage dangereux pour sa santé, surmenage qu’oublie fréquemment son mari, cependant si âpre à revendiquer pour lui-même la journée de huit heures.

« Conséquence naturelle : pour s’épargner ce surcroît de fatigue, les travaux de ménage : lessive, raccommodage, nettoyage, préparation des repas, sont souvent négligés, aux dépens des enfants, du mari et de l’avenir du foyer.

« Les vêtements sont portés jusqu’à usure complète, puis remplacés. Les repas sont pris à midi au restaurant, chaque membre de la famille de son côté; servis à la maison, ils sont achetés ‘tout faits’ et rapidement expédiés.

« Le sens de  l’économie se perd, le contact familial disparaît, le logis cesse d’être attirant. La femme, même pendant les périodes de chômage, se désintéresse de son intérieur; elle s’ennuie chez elle.

« La maison peu à peu n’est plus entretenue; les occupations ménagères sont bâclées. Ce qui est plus grave, habituée à aller sans cesse au plus pressé, la maîtresse du logis considère comme du temps perdu tout ce qui donnerait à son foyer un cachet personnel, qui y ferait régner une atmosphère sympathique. L’usine lui a donné un certain sens de l’organisation méthodique et du travail régulier; elle lui a fait perdre l’esprit d’initiative et le goût artistique. Elle lui a procuré la distraction d’un entourage vivant, ayant des intérêts et des soucis semblables aux siens; elle lui a rendu, par contre, monotones et haïssables les occupations domestiques, auxquelles elle n’a pas été préparée.

« Inutile d’insister ici sur les ravages de l’usine sur la santé tant des jeunes filles que des femmes mariées; les statistiques ont leur lugubre éloquence, n’insistons pas. On comprend facilement aussi les répercussions de cet état de chose sur la naissance et l’éducation des tout jeunes enfants, quand la femme mariée veut bien leur faire place au foyer. Le bébé est forcément négligé. Ce n’est pas tout :

« Plus grand, il ira à l’école; mais, au sortir des classes, il traînera dans la rue jusqu’à l’heure où sa mère pourra regagner son foyer; il entendra comme ses compagnons tomber de la bouche du maître les plus belles leçons; mais l’éducation n’est pas une tâche qui se fait à heure fixe; pour être féconde, elle doit être le résultat d’exemples incessants, rencontrés dans la vie quotidienne et agissant sur le cœur et les sentiments plus encore que sur la volonté.

« Après une journée passée à des travaux étrangers et fatigants, comment voulez-vous que la mère rentrant au foyer se ressaisisse soudain, crée un intérieur accueillant, encourage avec à-propos et redresse ses petits?

«  Elle agira d’ailleurs comme agissait avec elle sa mère, ignorant l’une et l’autre les fonctions d’éducatrice.

« Aussi faut-il citer, parmi les causes de la criminalité juvénile, en tout premier lieu, la désorganisation de la famille résultant du travail de la femme mariée. Les tribunaux d’enfants indiquent que la plus forte proportion d’enfants coupables provient de foyers d’où la mère est absente.

« Le mari lui-même souffre de cette désagrégation. Sa femme, absente matériellement et moralement de son foyer, n’a plus la préoccupation ni le temps de réaliser  son rôle d’épouse, d’être pour son mari un appui, une affection, un conseiller, de créer autour de lui cette atmosphère de sympathie dont il ne s’aperçoit pas quand elle existe, mais dont il souffre profondément lorsqu’elle disparaît. »  L. Merklen, La Croix 6 sept. 1934.

Quelle vérité dans cette phrase de la Chesnais : « La permanence et la solidité d’un foyer dépendent de l’éternelle présence de la mère qui en incarne le bienfait. »

Ici se présente encore l’objection : que faire de nos filles si on ne les emploie pas dans les bureaux ou les usines? Il y a à peine, disons 40 ans, on regardait comme déclassée la jeune fille qui, au sortir du couvent, se soustrayait à la tutelle de ses parents pour aller gagner sa vie, comme les hommes ? En admettant que des filles existent depuis… assez longtemps, est-ce depuis 40 ans seulement que l’humanité a commencé à avoir du bon sens; ou doit-on conclure à une régression dont les conséquences sont par trop évidentes? Quoi qu’il en soit, les exceptions nombreuses mises à part, la femme devra trouver au foyer à exercer une activité qu’elle dépense ailleurs. Regardez : qu’il y en a des besognes à faire au foyer !! Quand la mère et ses filles font ces choses que d’autres vont payer ailleurs, regardez le budget et comparez : vous verrez en faveur de qui est la balance. À quoi sert d’accumuler les  salaires si le tout coule au hasard des fantaisies, des caprices de chacun? On gémit sur tous les tons en présence de ce qu’on appelle ‘la crise économique’. Quand la femme ne sait plus coudre un bouton, faire cuire la soupe ou se priver du cinéma … il ne faudra pas une grosse catastrophe pour rencontrer le nom de sa famille sur la liste des pauvres de la ville… L’économie reste une vertu sociale nécessaire; et les milliards de M. Roosevelt n’emploiront [sic] jamais des tonneaux sans fonds…! Oui, oui, que faire? Mon Dieu, coudre, tricoter, cuisiner, nettoyer, broder, étudier, lire, aimer, former les chers petits, plaire au papa ou au mari, être charitable, rayonner … on pourrait multiplier les verbes et en faire un ruban long, long, comme le courage d’une femme de cœur.

Quels sont les remèdes à la présente situation? Laissons les économistes les trouver. Mais ce serait mal connaître les conditions économiques présentes que de penser que « le retour de la femme au foyer » devrait avoir pour effet d’obliger de nombreuses usines à fermer leurs portes. La situation n’est pas sans issue : le Souverain Pontife ne peut demander des choses impossibles.

Ne faisons que mentionner la conduite que doit tenir la femme à l’usine. On a déjà compris, qu’avec quelques nuances, tout ce qui a été dit au sujet des bureaux doit avoir ici son application.

Comme conclusion à ces quelques pensées qui n’ont pas la prétention d’être une révélation tout au plus ont-elles le désir d’être l’humble écho de l’enseignement de notre bien-aimé Pontife, on entendra avec plaisir ces paroles d’espoir que nous voulons faire nôtres. Elles sont la conclusion d’un article paru dans la Croix de Paris (30 janvier 1935) sous la signature de Luc Estang. L’article a pour titre La Vocation humaine.

« Mais une jeunesse studieuse et pure s’avance avec gravité dans la vie. Les grands événements qui ont frappé ses premiers regards l’ont mûrie avant l’âge. On dirait qu’un  siècle la sépare des générations qui l’ont précédée. Elle sent la dignité de la vocation humaine. » (Lamartine)

« Cette jeunesse, elle monte au sein des admirables groupements d’Action catholique. Ainsi, ne se contentera-t-elle point de s’inscrire en faux contre les erreurs de ses aînés, mais elle évitera elle-même l’erreur, s’engagera dans le droit chemin, entraînant à sa suite les masses qui, enfin, n’auront plus à revenir sur leurs pas. »

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Source : Émile DUSSAULT (ptre), « Causerie de la semaine : La femme et le travail de l’usine », dans Semaine religieuse de Québec, Vol. 47, 27 juin, No 43, (1934-35) : 676-680.

 
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