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Le scandale du gaz naturel [1958]André Laurendeau« Le régime est touché »
Le régime Duplessis est touché. On le sent à regarder évoluer les ministres et le chef. Ils affectent l'indifférence superbe. Puis ils tombent dans la vulgarité et la menace. Ils font semblant de n'être pas atteints, après quoi ils se fâchent. M. Duplessis annonce qu'il poursuivra LE DEVOIR pour libelle : c'est son droit strict, et personne ne songera à le lui contester. On peut cependant remarquer que M. Duplessis s'est souvent fait attaquer, et en des termes autrement violents, et que jamais à notre connaissance il n'a poursuivi qui que ce soit pour libelle.
Le régime est touché. Nous ne disons pas : touché à mort. Il coulera de l'eau sous les ponts d'ici la prochaine élection. L'opinion reste « fluide ». Mais elle a bougé, et toujours dans le même sens, depuis l'été 1956.
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Après une élection générale, quand une majorité solide s'est dégagée du vote, l'opposition se défend, d'habitude, et l'opinion se met à penser à autre chose : nous le vérifions une fois de plus après le triomphe de M. Diefenbaker. Or à l'été 1956 cette détente ne s'est pas produite. Nous l'avons senti ici même. Nous avons lancé en pleine saison des vacances une enquête auprès du lecteur. Les « grands papiers » rédigés par des analystes politiques, que nous espérions provoquer, ne nous sont pas parvenus. Par contre des lecteurs, de toutes les régions et de toutes les classes, nous ont écrit leur écoeurement devant les manoeuvres électorales auxquelles ils avaient assisté. Le ton était remarquablement sérieux ; l'examen dur et sévère. Il s'agissait de réponses spontanées, rédigées par des inconnus.
Le fait nous étonna, à l'époque. Encore une fois, il s'agissait d'un lendemain d'élection et de la période des grandes vacances : d'ordinaire le moment ne convient pas aux consultations populaires.
S'agissait-il d'une réaction particulière aux lecteurs du DEVOIR? On pouvait se le demander lorsque éclata l'affaire Dion-O'Neill. Ces deux clercs fustigeaient les moeurs politiques du Québec. Rarement le jugement de moralistes eut-il autant de répercussions. Dans tous les coins de la province et du pays on commenta l'analyse des abbés Dion et O'Neill, on leur donna généralement raison, et l'agitation dura longtemps.
Pour une fois la réaction populaire s'exprimait après l'élection, comme si les méthodes utilisées durant celle-ci avaient provoqué un scandale. L'Union nationale avait gagné la bataille haut la main ; mais pour y parvenir elle avait passé les bornes ; elle avait oublié jusqu'où on peut aller trop loin, elle avait manqué de mesure dans l'excès. Des gens, qui n'ont pas d'ordinaire le scandale facile, prenaient feu soudain. Ils se réveillaient — au lendemain du vote.
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Mais le gouvernement restait tout-puissant. Il continua de le prendre de haut avec tous les groupes. Il entreprit même de s'installer à Montréal, et fit battre M. Jean Drapeau : or cette défaite a réussi à l'ancien maire, elle a causé en province de vraies commotions, elle a réveillé des indécis et jeté du discrédit sur le parti qui avait remporté une nouvelle victoire ignominieuse.
De même, l'attitude de M. Duplessis à l'endroit des universités et des étudiants causa de l'étonnement et de la déception en des milieux où d'ordinaire on s'intéresse peu à la politique. Cette fois encore, M. Duplessis exagérait le mépris, il se comportait comme un maître trop sûr de lui.
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Ce qui nous frappe en ces événements et en plusieurs autres, ce n'est pas tel incident, telle accusation. Depuis 1944, il s'en est produit de plus voyants. En un sens, la grève de l'amiante a plus excité les gens, ou du moins certains secteurs de l'opinion. Mais ils demeuraient particuliers. Et en fin de compte, depuis 1944, malgré de grosses colères, on a finalement tout pardonné à M. Duplessis.
Ce qui se révèle aujourd'hui, avec beaucoup moins de fièvre, c'est qu'on est moins disposé à pardonner. C'est qu'on prend les accusations plus au sérieux. C'est qu'on cherche moins d'excuses au gouvernement. Les remous sont moins violents peut-être, mais ils engagent de nouveaux secteurs de l'opinion, qui paraît glisser lentement et presque tout entière.
Ainsi, au lendemain de l'élection fédérale, à laquelle l'Union nationale a efficacement participé, bien des gens se sont mis à dire : « On a battu les libéraux. La prochaine fois, on va battre Duplessis. » Tous les groupes oppositionnistes éprouvent un regain de vie. M. Duplessis reste tout-puissant, mais sa force est considérée avec moins de respect, moins de docilité, moins de fatalisme.
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Le régime est touché. On le voit par la manière dont est reçue l'affaire du gaz naturel. Il est clair que ce scandale mord sur l'opinion. Ce que chacun a su et vu dans son petit secteur, depuis quatorze ans, porte chacun à croire que c'est possible, que c'est probable, que c'est certain, que c'est même peu de chose au prix des scandales qui n'ont pas encore éclaté.
L'opposition prend de l'assurance. Elle se met de nouveau à espérer. Les jours où l'ère Duplessis ressemblait à un immense boulevard sans fin visible, ces jours sont finis. Les groupes adverses savent bien qu'ils n'ont pas encore Duplessis, mais sont convaincus qu'ils peuvent l'avoir.
Pour la première fois depuis 1944, le gouvernement est sur la défensive. Cela ressemble à de la panique. J'imagine que par moments M. Duplessis doit mal se défendre contre des souvenirs : il doit se remémorer la force qu'eut un jour le régime Taschereau, et la façon dont il tomba. Retour à la page sur le Scandale du gaz naturel
Source: André LAURENDEAU, « Le régime est touché », Le Devoir, 26 juin, 1958, p. 4 |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |