Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

La loi du Cadenas

The Padlock law

 

Duplessis et le fascisme

[1958]

 

[Ce texte a été écrit par André Laurendeau. Pour la référence exacte, voir la fin du document.]

M. Maurice Duplessis assure qu'il se porte mieux que l'opposition et que la rumeur lancée par le Droit est fausse et malicieuse. Le premier ministre n'a pas l'intention de céder sa place à qui que ce soit. Nous le croirons sur parole. Le régime Duplessis durera donc plus longtemps. Cela permettra aux chercheurs d'en mieux définir la nature.

 

Je vois dans un journal étudiant de l'Ontario un symbole assez désagréable: la fleur de lis y est recouverte par une croix gammée. L'intention est sans doute excellente, mais le symbole est faux; le régime Duplessis n'est pas un régime fasciste.

 

D'ailleurs ce sont des Québécois qui ont inventé cette formule polémique. Il arrive que des adversaires de M. Duplessis, exaspérés par son arbitraire, lui appliquent l'épithète de fasciste. Cela nous a toujours paru gratuit et dangereux.

 

Gratuit puisque, encore une fois, il s'agit là d'une exagération si excessive qu'on doit la déclarer à peu près sans rapport avec la réalité. Dangereux parce que nous ne sommes pas plus que les autres à l'abri du fascisme, et qu'il ne faut pas crier au loup trop souvent avant que le loup ne soit là.

 

Totalitaire

 

Qu'est-ce que le fascisme? Je n'en connais pas de définition tout à fait satisfaisante sur le plan intellectuel. On l'a décrit, à partir de Mussolini et d'Hitler, comme un régime d'abord totalitaire: c'est-à-dire qui exige du citoyen une adhésion totale, absolue. Sous l'Italie fasciste, c'est l'Etat, "ce monstre froid", qui représentait l'absolu; et la race chez Hitler. L'Etat fasciste réduit les oppositions au néant par le moyen de la propagande — dont il est seul à disposer — et de la police, qui joue un rôle capital; un Etat fasciste est nécessairement un Etat policier. Ses répressions sont sanguinaires.

 

Ce régime a le sens de la grandeur nationale, conçue comme un égoïsme sacré. Il se prétend révolutionnaire mais a souvent su composer avec le grand capitalisme. Il est presque toujours né au sein d'une cuisante humiliation: séquelle d'une défaite militaire ou de ce qui a été ressenti comme tel. Les anciens combattants y jouent un rôle primordial; tout de suite, cela définit un climat.

 

Un phénomène américain

 

Dans Québec, nous sommes à cent lieues de ce climat et de ce régime. On ne trouve ici ni ses exigences héroïques ni son extrême brutalité. Il est même un peu humiliant d'avoir à l'écrire; car si on serre d'un peu près le sens du mot, l'accusation devient folichonne.

 

Le duplessisme est un phénomène américain. Par son côté corrompu et arbitraire, il évoque le monde du boss politique, le système des dépouilles, la machine grassement entretenue. Ce n'est pas très reluisant; il y a là de quoi susciter l'indignation sans recourir à des mythes préfabriqués.

 

Nous écrivons ici la plus médiocre et la plus connue des proses américaines. Nous l'avons adaptée à notre histoire de peuple pauvre, de minorité souvent rétive, presque toujours fataliste.

 

Il n'y a pas de fascisme là-dedans; ou bien il faudrait croire que tel prédécesseur de M. Taschereau, et non pas Mussolini, est le véritable inventeur du fascisme. Au surplus les chefs de la minorité anglaise, dans le Québec, se sont fort bien ajustés à la sorte de démocratie que nous vivons. Il leur arrive assez souvent d'aider M. Duplessis, comme leurs pères collaboraient avec M. Taschereau.

 

Le même régime continue dans un nouveau contexte: il est conservateur, aisément autoritaire, autonomiste, très ami du grand capital, et s'il flatte nos préjugés c'est évidemment qu'il lui faut songer à la réélection. Il fait au goût du jour les concessions qui s'imposent. Il apprivoise par des promesses ou réduit au silence par la peur. Il règne grâce à un savant équilibre de corruptions. Il a son style propre de bassesse: ne lui en prêtons pas un autre.

Source: André LAURENDEAU, "M. Duplessis et le fascisme", dans Le Devoir, le 23 octobre 1958, p. A4.

 
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