Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Décembre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

La loi du cadenas

The Padlock Law

La jeunesse et le communisme

[1940]

 

[Ce texte, originellement rédigé en anglais et publié en 1939, a été écrit par Wilfrid Bovey. Pour la référence précise, voir la fin du document.]

[…]

 

On ne saurait continuer l'étude de ces organisations de jeunesses catholiques sans décrire quelque peu leurs relations avec le communisme et l'Association des Jeunes Communistes (The Young Communists League). Le parti communiste du Québec représente, en dehors des districts miniers, le district No 2 du parti communiste du Canada. Il a un comité régional et de nombreux sous-comités, et il compte, dit-on, huit cents membres, dont la moitié sont des Canadiens-Français. L'Association des Jeunes Com­munistes (The Young Communists League) est affiliée au parti. Elle compte très peu de Canadiens-Français et environ 20 p. 100 de ses membres sont des étudiants.

 

Cette association forme un rouage essentiel de l'organisation communiste. On trouve dans la brochure, intitulée Towards a Canadian People's Front, le paragraphe suivant :

 

"Tout d'abord, nous voulons faire de l'Association des Jeunes Communistes un organisme qui comptera dans ses rangs, non seulement des communistes mais aussi des jeunes socialistes et autres jeunes qui ne sont pas encore communistes, même des jeunes qui peuvent encore être chrétiens, un organisme qui s'appuiera sur un programme de défense des besoins économiques et sociaux et des intérêts culturels de la jeunesse, sur un programme de lutte contre le fascisme et la guerre, sur un programme favorisant le socialisme, mais cet organisme n'aura pas nécessairement à se prononcer sur le gouvernement soviétique. Cet organisme n'a pas à combattre en faveur du gouvernement soviétique et de la dictature du prolétariat. C'est le rôle des communistes de convaincre et de former, à l'intérieur de cet organisme, les jeunes à accepter semblable attitude. Un tel organisme, composé de communistes et de socialistes, une fois que l'on commencera pour de bon à le créer au Canada, aura, il va sans dire, plus d'un problème à résoudre, au point de vue communiste, du fait que les socialistes admis à l'association auront également droit de cultiver, de leur point de vue, le penchant socialiste de la jeunesse. Un tel organisme est essentiellement d'ordre éducatif, il va de soi, et de par sa na­ture même, il doit donc tendre à éduquer et former les jeunes à la nécessité de la lutte des classes, à l'internationalisme, au "marxisme-léninisme" prolétarien. J'insiste sur les mots "éduquer et former", parce que nous ne prenons pas pour point de départ que les jeunes doivent accepter une attitude "marxiste-léniniste" ou convenir de la nécessité de la lutte des classes avant de s'être adjoints à la Y.C.L. (Young Communists League). C'est aux communistes de l'intérieur qu'il revient de les amener à adopter cette attitude".

 

Un bon nombre d'autres associations ne sont pas ouvertement communistes mais il semble que les communistes y jouent un rôle. Par exemple, le 1er avril 1938, la filiale montréalaise de la Ligue pour la Paix et la Démo­cratie monta une démonstration antifasciste sous les fenêtres du consulat italien de la métropole.

 

"Les manifestants se réunirent par groupes de deux ou trois aux quatre coins des rues Sainte-Catherine et Stanley et, à un signal donné par les dirigeants, ils sortirent de sous leurs pardessus de petites bannières où étaient inscrits les mots : "A bas les envahisseurs de l'Espagne", "A bas les meurtriers fascistes" et autres mots d'ordre de la sorte. A peine s'étaient-ils montrés qu'ils étaient entourés par la police qui empêcha également des velléités de parade à travers les rues.

 

"Un ou deux porte-bannière essayèrent d'opposer de la résistance quand on leur enleva leurs enseignes et des civils se jetèrent dans la mêlée. Un ou deux agents de police se servirent de leurs poings et cinq manifestants furent appréhendés. On les amena dans la salle des pas perdus de l'édifice Castle avant de les conduire au poste de police.

 

"Cinq hommes furent arrêtés : Évariste Dubé, domi­cilié à 1441 de la rue Maisonneuve ; E. Dinelle, 2028 rue Wurtelle ; S.-L. Pomerov, 5158, avenue de l'Espla­nade ; Roméo Duval, 2710 rue Ontario est et Ernest Gervais, 1461 rue Saint-Laurent. Au dire des agents de la Sûreté, Dubé serait le chef du parti communiste de la Province. Rendus au poste de police les cinq appréhendés furent inculpés de troubler la paix publique, relâchés sous un cautionnement de vingt-cinq dollars, chacun, et sommés de comparaître au tribunal le lendemain matin" (1).

 

Un autre groupement montréalais de quelque importance était formé par les Amis de la Russie soviétique. Un ex-dirigeant de l'Internationale affirme que cette as­sociation est une ramification de la propagande commu­niste.

 

"Il existe dans presque chaque pays du monde une organisation appelée les amis de l'U.R.S.S. Des centaines de milliers de personnes, de toutes professions, sont membres de cette organisation. Tous ces gens croient sincèrement être membres d'une société neutre, non politique... Le Comintern est le centre international secret des Amis de l'U.R.S.S. Ce centre ravitaille le monde entier en matériel de propagande" (2).

 

D'autres associations montréalaises, affiliées au parti communiste, ont moins d'importance, mais il existe de nombreuses associations de gens de langues étrangères et l'action communiste, toujours possible parmi elles, n'est pas sans inspirer des craintes aux autorités. On dénombre parmi ces associations, les suivantes :

 

The Ukrainian Labour Farmer Temple Association,

The Finnish Organization of Canada,

The Russian Workers and Farmers Clubs,

The Jugo-Slavworkers and Farmers Association,

The Polish Workers and Farmers Association,

The German Workers and Farmers Association,

The Hungarian Workers and Farmers Clubs,

The Lituanian Literary Society,

The Czeco-Slovakian Workers Association,

The Canadian Workmen's Circle (Jewish),

The Italian Workers Club,

The Jewish Culture Centre,

The Lemko Society.

Nous avons déjà eu l'occasion de noter les divergences de vues entre le Canada français et le Canada anglais en ce qui regarde la propagande communiste. Le fait est tout à fait significatif : c'est parmi la jeunesse, d'un côté comme de l'autre, que les sentiments se sont manifestés de la façon la plus sensible et, en ce qui concerne la province de Québec, la discussion a surtout été l'affaire de la jeunesse. Cela n'est pas pour en réduire l'importance et on ne pourrait commettre d'erreur plus grande que de méconnaître les manières de voir, justes ou fausses, d'hommes qui sont à l'âge de ceux qui furent jugés assez vieux pour faire la Grande Guerre. L'opposition principale du Canadien-Français au communisme est d'ordre religieux. Les protestants de langue anglaise qui négligent de reconnaître ce fait, ne peuvent pas du tout comprendre son attitude. Pour le Canada français, prôner le communisme n'est rien de plus ni rien de moins que s'attaquer au christianisme. Les descendants de ceux qui luttèrent pour leurs croyances religieuses devraient au moins ne pas refuser leur sympathie à d'autres hommes qui tiennent tout autant à leurs convictions religieuses. On trouvera une expression du sentiment catholique dans la citation suivante :

 

"Tandis qu'au cours de la première période de la guerre civile en Russie, les sévices antireligieux avaient plutôt un caractère accidentel et improvisé, en Espagne, l'extirpation du christianisme apparaît, dès l'éclosion de la guerre civile, comme une tâche essentielle des rouges, accomplie systématiquement et sans aucune retenue. Lorsqu'on recoupe les renseignements de sources très diverses, on voit qu'une volonté bien réfléchie agit sans cesse pour inculquer aux troupes rouges que le christianisme et ses porte-paroles sont leurs principaux ennemis, qu'il faut exterminer tous les prêtres, tous les religieux, brûler et détruire toutes les églises. Cet objectif apparaît aussi important que la victoire militaire sur les blancs, quoiqu'au premier coup d'oeil, au point de vue purement pratique, cela puisse sembler absurde. Il y a cependant un fait incontestable et ce qui est non moins incontestable, c'est que désormais dans chaque pays où auront lieu des insurrections marxistes et où les marxistes prendront le pouvoir, il se passera exactement la même chose. Cette constatation faite, la neutralité des milieux religieux, dans la lutte formidable et décisive qui s'est engagée contre la barbarie marxiste et pour la culture chrétienne ne paraît-elle pas une absurdité (3) ?"

 

Aux yeux du Canadien-Français, il est évident que le communisme au Canada se prépare ouvertement à la guerre civile et à la guerre religieuse et pour traiter avec le communisme, il appuie sa politique sur les mesures de violence auxquelles ont recouru les gouvernements britannique et canadien pendant la guerre contre l'Allemagne et ses alliées. De même que l'on interdit le journal, Le Devoir, en 1917, de même il interdira son sol au communisme aujourd'hui.

 

Beaucoup d'Anglo-Canadiens, si l'on en croit l'Ontario, où le parti communiste a remporté de nombreux suffrages aux élections municipales, sont consentants à se laisser convaincre. Un certain nombre de gens de la minorité de langue anglaise du Québec n'iraient pas si loin. Ils n'aiment pas le communisme mais, prétendent-ils, ils n'ont pas à tenir compte de la condamnation du communisme par l'Église catholique, ils ont leurs droits en propre, sous l'empire de la Constitution, ils ont droit d'entendre qui ils veulent et de se former une opinion.

 

Au cours d'une discussion tenue pour savoir si l'on devait permettre, ou ne pas permettre, à un communiste de parler devant la McGill Union, le président du Conseil des Étudiants de l'Université McGill définit le point de vue du Conseil avec modération et sans équivoque.

 

"Ce serait une chose très grave — en fait, ce serait enfreindre les commandements suivis dans une société où règne l'ordre — si le Conseil des Etudiants, qui a la direction de certaines organisations de cette Université, allait volontairement et ouvertement permettre à ces organisations de se prêter à des fins illégales.

 

"Les stipulations de la "loi du cadenas" sont générales et vagues, elles déclarent illégal pour toute personne, en quelque lieu que ce soit, le fait de défendre les principes du communisme et elles pourvoient à de vigoureuses sanctions en cas d'infraction. Nous sommes d'avis que cette loi est en opposition aux droits traditionnels de liberté de réunion et de liberté de parole qui nous ont été transmis dans le passé, nous la croyons incompatible avec nos convictions actuelles. Mais nonobstant notre opinion sur la justesse de la loi, le fait réel, le fait sans phrase demeure que la "loi du cadenas" est aujourd'hui en vigueur dans cette province et bien que nous nous réservions le droit de recourir à tous les moyens légaux et légitimes à notre disposition pour demander l'abrogation de cette loi ou sa modification, nous ne pouvons pas nous soustraire à cette situation, cette loi nous lie aujourd'hui comme administrateurs responsables d'un édifice et comme citoyens respectueux de l'ordre.

 

"Aussi c'est avec une grande répugnance que nous croyons nécessaire de demander à la McGill Union de ne pas se prêter à des fins incompatibles avec la loi du pays. En ce faisant seulement, nous en sommes convaincus, pouvons-nous prouver que nous sommes des citoyens conscients de nos responsabilités" (4).

 

Il y eut ensuite une grande et bruyante assemblée et après des heures de discussion, on en vint à la décision d'entendre les communistes — les prétendus fascistes avaient déjà eu leur tour —. Cette assemblée fut suivie d'une autre réunion d'étudiants plus nombreux encore et qui renversa la première résolution (d'entendre les communistes) mais qui n'en affirma pas moins son opposition à la "loi du cadenas".

 

Les communistes sincères et convaincus ont leur opinion quant à la valeur de leur travail. L'un de leurs dirigeants affirme, entre autres choses, ce qui suit :

 

"La "loi du cadenas" adoptée par le gouvernement Duplessis est une arme contre toute opposition légitime au gouvernement, lequel est contrôlé par les barons de l'électricité, des mines et de la pulpe. Nous nous refusons catégoriquement à admettre la supposition que la loi était nécessaire par suite des desseins des communistes ou par suite d'attentats illégaux pour imposer un gouvernement communiste au peuple canadien. Le parti communiste est composé d'ouvriers, de cultivateurs, d'étudiants, d'hommes de profession libérale et il a la conviction que les maux actuels de la société sont attribuables à un système d'exploitation de l'homme par l'homme. En conséquence du degré avancé de la technique et de l'instruction au Canada, un bonheur illimité (5) devrait être accessible au peuple canadien. Si l'on mettait résolument de côté l'appât du lucre qui domine nos vies, il se ferait un progrès formidable dans les champs de l'instruction et de l'enseignement scientifique. Les communistes ne sont pas des conspirateurs. Le Canada ne saurait devenir un pays socialiste tant que la grande majorité des Canadiens ne sera pas convaincue qu'il leur faut un nouvel ordre social" (6).

 

L'objection que l'on a surtout fait valoir à l'encontre de la "loi du cadenas" est qu'elle ne permet pas le recours aux tribunaux, qui est tout autant dans la tradition canadienne-française que dans la coutume britannique. La seule personne qui peut faire révoquer l'apposition d'un cadenas à un édifice utilisé pour la propagande communiste est le propriétaire. Le locataire, dont les livres ont été saisis, ou dont la boutique a été vidée, n'a aucun recours judiciaire. Le Canadien-Français dit : "Si le locataire n'est absolument pas coupable de contravention, il peut forcer son propriétaire à poursuivre". Et il ajoute encore ceci : "Cette loi ne dépasse pas ce qui s'est fait pendant la Grande Guerre dans les cas d'urgence. Le communisme se prépare à la révolution. La révolution est un cas d'urgence". Et un vieil aphorisme de loi, toujours d'actualité, dit : "inter armis silet lex", en temps de guerre, la loi civile cède le pas. Les deux points de vue peuvent se discuter, mais telles sont les opinions du Canadien-Français.

 

On objecte encore l'absence, dans cette loi, d'une définition du communisme. A ceci, tout comme à ceux qui nient le danger du communisme, le Canadien-Français réplique : "Très bien, que les communistes le définissent eux-mêmes". Il se reporte au programme promulgué en 1921, d'après l'assemblée constituante du parti commu­niste, dans l'organe autorisé du parti :

 

"L'oeuvre de l'assemblée constituante a été d'incorporer (7) l'avant-garde de la classe ouvrière canadienne dans le parti communiste du Canada, lui-même section de l'Internationale communiste, de lui donner un programme d'action par la masse, comme forme extérieure des activités du prolétariat, d'insurrection armée, de guerre civile comme forme ultime, finale de l'action par la masse, pour le renversement de l'Etat capitaliste, d'une dictature prolétarienne dans la manière du gouvernement soviétique comme point d'appui pour la reconstruction communiste de la société" (8).

 

Le même article stipule que le parti "est l'organisation de l'avant-garde révolutionnaire du prolétariat. Sa fin est de former, de diriger et d'amener la classe ouvrière du Canada à la conquête du pouvoir politique, de détruire le mécanisme de l'État bourgeois ; d'établir la dictature du prolétariat à la manière du Gouvernement soviétique ; d'abolir le système capitaliste et d'instaurer le régime communiste". A-t-il besoin d'arguments additionnels, le Canadien-Français réfère au Course of Political Instruction de Bukharin et il en cite les paragraphes suivants :

 

"Le parti communiste est l'aile la plus avancée, qui a le plus le sens de la lutte des classes, et la plus révolutionnaire de la classe ouvrière. Le Comintern est catégoriquement opposé à l'opinion que le prolétariat pourra parfaire sa révolution sans l'appui d'un parti indépendant en propre. Toute lutte de classe est une lutte politique. L'objet d'une telle lutte, qui se transforme inéluctablement en guerre civile, est la main mise sur le pouvoir politique... le prolétariat doit se résoudre à un soulèvement armé.

 

"Dans tous les pays, les communistes devraient souscrire aux syndicats ouvriers de façon à les transformer progressivement en engins de guerre pour le renversement du capitalisme.

 

"Le rôle du parti communiste au parlement consiste à aider les masses populaires à faire sauter, de l'exté­rieur, le mécanisme de l'Etat bourgeois.

 

"La dernière guerre n'a été que le prélude européen à ce qui sera en réalité une guerre mondiale, la guerre pour la domination impériale d'un pouvoir unique... En vue de ces coalitions, le Comintern a modifié sa politique de lutte ouverte au capitalisme par une prépara­tion complète aux mêmes fins.

 

"La destruction de cet édifice (le capitalisme) est l'objet des communistes, mais pour arriver à ce but, les communistes doivent appuyer les démarches qui demandent l'amélioration immédiate de la condition des travailleurs et former les masses populaires à les gagner par la violence. Les communistes doivent prendre la direction des chômeurs et se rendre compte que dans les conditions actuelles, au moment où le capitalisme chancelle, l'armée des chômeurs constitue une puissance révolutionnaire de première importance".

 

Le Canadien-Français se reporte encore au Star de Toronto, édition du 27 décembre 1928, et vous lit une in­terview donnée par un leader communiste :

 

"L'espoir du parti communiste du Canada, admet-il franchement, repose sur une guerre à laquelle le Canada aura à prendre part. Si la guerre a lieu contre nos frères, les ouvriers de Russie, nous n'opposerons pas alors une résistance passive comme nous l'avons fait pendant la dernière guerre. Nos membres s'enrôleront dans l'armée canadienne, alors nous prendrons nos fusils et nous les tournerons contre la classe capitaliste du Canada, qui est responsable de toutes les guerres auxquelles le Canada est mêlé".

 

Voilà ce que j'entends par communisme, dit le Canadien-Français, et si cette définition vous plaît, elle est à votre disposition. Enfin, il montre les événements de France et d'Espagne comme un résultat de la liberté laissée à la propagande communiste et il ajoute : "cela ne se fera pas ici".

 

L'aspect juridique de la question n'a pas reçu de solution. Quelques avocats croient encore que la "loi du cadenas" est inconstitutionnelle, mais un ancien juge de la Cour Suprême du Canada, à tout le moins, a affirmé qu'elle est du ressort du gouvernement de la Province (9). Ce qui est certain c'est que, à l'exception d'une quantité négligeable, la population canadienne-française de la Province, qu'elle soit pour ou contre le gouvernement — et en bonne partie, elle y est énergiquement opposée — est en faveur de la "loi du cadenas". Cela seul, ce semble, devrait disposer de l'opinion que l'adoption de cette loi a été une expression de dictature fasciste, opinion qui a été soigneusement entretenue par les adversaires de la loi. Le gouvernement central d'Ottawa paraît aussi le croire : cette législation était du ressort de la législature du Québec et il n'y a pas matière à désaveu. L'aurait-il désavouée qu'aux élections suivantes le Québec aurait voté en masse contre le parti libéral et il se peut que ces considérations électorales soient ici entrées en jeu. Enterrée ou pas, on agitera encore cette hache de guerre. Lorsque le gouvernement de Québec n'aura plus à craindre d'être taxé d'agir par contrainte, il pourra amender sa loi de façon à éviter les critiques. On peut être tout à fait sûr d'une chose, c'est qu'il ne changera jamais d'attitude dans une lutte qu'il croit engagée en faveur de la foi et des traditions occidentales contre l'athéisme et l'idéal mongols.

 

Le premier ministre, M. Duplessis " vous dira que la question relève de son gouvernement et non de celui d'Ottawa. La propagande communiste, ajoutera-t-il, peut jouir d'une certaine liberté ailleurs, encore que l'on en peut douter, mais cette propagande n'a que faire dans la province de Québec, où la population n'admet pas que les communistes jouissent de la liberté de parole. La constitution, dira-t-il encore, n'assure aucun droit à la liberté de parole pour les révolutionnaires. Enfin les citoyens, à qui cette loi déplait, doivent, dans les circonstances, se résigner à rester sur leur position, ils n'en peuvent mais...

 

Le premier contact entre la jeunesse catholique et les communistes survint pendant que s'organisait le Congrès de la Jeunesse canadienne. Dans divers centres et à Montréal notamment, on agita l'idée de tenir à Ottawa une réunion générale où serait conviée la jeunesse de tout le pays. Il n'apparut pas possible aux organisateurs de ne pas inviter les communistes. On crut donc obtenir de meilleurs résultats en ouvrant la porte à tous et, au cours de ce premier congrès, la discussion fut parfois assez chaude. Dès avant l'ouverture du second congrès, les catholiques s'étaient retirés. Ils pressentaient qu'aucune opposition venue de leur part ne pouvait empêcher les assemblées de pencher du mauvais côté.

 

Pendant l'automne de 1937 et l'hiver suivant, il y eut plus d'un heurt, alors que l'on essaya de tenir des assemblées en faveur du front populaire espagnol. De jeunes Canadiens-Français manifestèrent bruyamment et même, une fois, avec violence. A un certain moment, la bataille menaça entre étudiants de l'Université McGill et étudiants de l'Université de Montréal, mais le bon sens vint à la rescousse des deux camps et la guerre finit par un éclat de rire.

 

La jeunesse joua un rôle considérable dans les luttes politiques de 1935 et 1936, luttes dont le résultat fut de rendre le Canada français à nouveau conscient de sa vitalité et de sa puissance mais, une fois la fumée des champs de bataille dissipée et les assemblées électorales dispersées, il se trouva que la plupart des jeunes électeurs nouveaux avaient encore à chercher de quoi vivre. Le nombre des jeunes chômeurs était effroyable et comme les autres chômeurs, ils étaient, du point de vue économique et social, entraînés à la dérive. Selon les apparences, ils ne pouvaient rien pour eux-mêmes. Pouvait-on quelque chose pour les aider ?

 

Un grand nombre d'entre eux s'attendaient à ce que le gouvernement, qui prit le pouvoir à Québec en 1936, fît un miracle et leur procurât de l'emploi sans tarder, tout comme le prestidigitateur fait sortir un lapin d'un chapeau. Malheureusement, ces choses ne se font pas en un jour et bien que l'on ait tenté quelque chose dès que ce fut possible, à l'aide des travaux de voirie et d'autres services, il devint bientôt évident qu'il restait beaucoup à faire.

 

[…]

 

(1) The Gazette, Montréal, ed. du 2 avril 1938.

 

(2) Rudolph, cité dans l'Ordre nouveau, Montréal, éd. du 20 novembre 1936.

 

(3) L'Ordre nouveau du 20 novembre 1936.

 

(4) E. F. Crutchlow, McGill Daily, 17 février 1938.

 

(5) N.d.T. "unbounded happiness".

 

(6) Tim Buck, McGill Daily, 17 février 1938.

 

(7) N.d.T. "The organization... into".

 

(8) Communist, juin 1921. N.d.T. Ce texte indigeste cité par M. Bovey se lit : "The result of the Constituant Convention is the organization of the vanguard of the Canadian working class into the Communist Party of Canada, section of the Communist International, with a programme of mass action as the visible form of proleterian activity, armed insurrection, civil war as the decisive form of mass action for the destruction of the capitalist state, proletarian dictatorship in the form of soviet Power as the lever of the Com­munist Reconstruction of Society".

 

(9) L'honorable P.-B. Mignault écrivait ce qui suit à M. J.-A. Ewing, un éminent avocat qui soutint la validité de la loi.

 

Cher M. Ewing,

 

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre lettre parue dans la Gazette de l'autre jour touchant la loi dite du cadenas. J'approuve sans réserve tout ce que vous dites. Il y a quelque quinze années, dans une cause où je siégeais. Bédard vs Dawson, 1923, C.S. 681, la Cour suprême maintint la constitutionnalité d'une loi qui ne différait que dans les détails, de la loi en question. Vous pouvez être assuré que l'opinion du Québec est, en très grande majorité, en faveur. Evidemment c'est une mesure de police et les mesures de police sont rarement du goût de ceux contre qui elles sont dirigées. A cela, il va sans dire, on ne peut rien.

Veuillez me croire,

Bien à vous,

P.-B. MIGNAULT (10)

 

(10) The Gazette, Montréal, éd. du 29 mars 1938.

 

(11) N.d.T. Ces pages ont été rédigées au printemps de 1938.

 

Source: Wilfrid BOVEY, "La jeunesse et le communisme", dans Les Canadiens-Français d'aujourd'hui, Montréal, Les Éditions de l'A. C.F., 1940, 416p., pp. 237-248.  

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College