Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Vovembre 2008

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

Lettre de Miss W*** au Directeur du «Devoir»

au sujet du droit de vote des femmes

 

Montréal, le 12 avril 1913.

Monsieur le Rédacteur,

C'est avec un grand intérêt que j'ai lu dans le Devoir du 5 avril, votre article Education et Instruction suggéré par le discours de Mme C***, concernant «la possibilité d'accorder le droit de vote aux femmes canadiennes-françaises. » Je viens solliciter la faveur d'insérer dans vos colonnes quelques lignes touchant cette question. C'est en effet avec regret que j'ai suivi la discussion ouverte par Mme C***, vu que je ne puis partager ses opinions ni ses craintes de voir le suffrage exercé par les femmes de notre province.

Mais le suffragisme est trop à l'ordre du jour pour ne pas en montrer tous les avantages. Vous-même, Monsieur le Rédacteur, avez énoncé d'une manière admirable des principes fondamentaux du suffrage féminin en disant: «La femme possède en elle-même la notion saine et vraie » du sens moral. Et je ne saurais trouver plus de force pour exprimer ma pensée qu'en citant vos éloquentes paroles à propos des tendances matérialistes qui s'infiltrent dans nos idées et dans notre société. Vous dites : «Les Canadiens français ne sont pas indemnes de cette notion étroite et matérialiste. Elle pénètre chaque jour davantage dans les populations des villes. Mais à tout prendre, grâce à la conservation des traditions religieuses et de l'idéalisme français, le peuple canadien-français, les femmes surtout, ont conservé la notion vraie et saine : l'éducation, c'est d'abord la formation des consciences, des cœurs et des volontés : l'instruction, c'est la culture de l'intelligence, c'est le développement des idées, plus encore que la possession de connaissances utilitaires, sources d'avantages matériels. »

Cet idéal si justement exprimé par vous, n'est autre que celui que toute femme ou tout gouvernement consciencieux désire réaliser. Celui de la vie simple au foyer, celui d'un patriotisme éclairé, celui de l'honneur en dehors des richesses matérielles.

Mais, à mon avis, Montréal ne fournit guère l'exemple d'un tel idéal et cependant je ne crois pas que l'influence américaine contribue dans ce sens et dans l'esprit de nos entreprises. Certes Montréal est peut-être une des villes les moins cultivées du monde, mais nous constatons toutefois une réaction notoire. Et jusqu'à quand le Canadien français se soumettra-t-il à voir les destinées de son pays influencées par le vote d'étrangers de tous les coins de la terre, lesquels souvent savent à peine lire tandis que la femme ne compte pour rien ? Et pourtant on s'accordera à reconnaître qu'elle possède justement les qualités nécessaires à la réalisation du progrès : l'influence religieuse, morale et humanitaire.

Comment sans la collaboration de la femme sera-t-il possible de réprimer les abus du vice et de l'ivrognerie que l'homme n'a pas encore réussi à faire disparaître ? Les hommes seuls ne le feront jamais, car cette oeuvre ne peut être accomplie par un seul sexe. S'il paraît difficile à croire qu'un droit si simple, le droit de consacrer quelques minutes une fois tous les quatre ou cinq ans à marquer un bulletin de vote, puisse produire une amélioration appréciable, qu'on aille consulter les hommes dans les pays où le suffrage existe pour les deux sexes.

Tout dernièrement le premier ministre de l'Australie Occidentale a donné ses vues sur le résultat du droit de vote pour les femmes : en voici la substance : Il n'y a pas le moindre doute que le résultat ou le suffrage pour les femmes a été complètement satisfaisant, je ne crois pas qu'il y ait en Australie une seule personne qui ne partage pas cette opinion. Les hommes de notre pays s'intéressent plus que jamais à la politique; grâce à leur influence, certaines questions de réformes sociales ont été examinées de plus près, en particulier les soins à donner aux enfants. (1)

Quant à l'alcoolisme, notre pays peut se vanter d'une législation plus avancée que partout ailleurs et cela grâce encore à l'activité des femmes en politique, dont l'exemple entraîne un nombre plus croissant de voleurs masculins. En ce qui concerne la question de savoir s'il a jamais été proposé d'enlever le vote aux femmes d'Australie, M. Scadden répond que personne ne l'a même suggéré.

En outre, il faut mentionner le fait que depuis que le vote existe en Australie, le nombre des décès parmi les enfants a beaucoup diminué tandis que celui des naissances a considérablement augmenté. Quel contraste avec notre ville de Montréal !

Veuillez agréer mes remerciements anticipés pour votre obligeance.

K. W***

(1) Voir à ce sujet une note à la page 51 de la brochure. [Note de l’éditeur: Cette note déclare que «La démonstration est aujourd’hui complète aux États-Unis. À Rome, en 1922, des Australiens, apparemment bien renseignés et compétents, m’ont assuré que les résultats du suffrage féminin n’avaient pas répondu aux attentes de ses partisans.»

Source: Le Devoir, 23 avril 1913. Reproduit dans Henri Bourassa, Femmes-hommes ou hommes et femmes? Études à bâtons rompus sur le féminisme, Montréal, Imprimerie du Devoir, 1925, 84p., pp. 81-83.

 
© 2008 Claude Bélanger, Marianopolis College