Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2004

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

Écrits des Jeune-Canada

Éducation tout court

 

L'éducation selon saint Thomas, est une aide apportée à l'enfant pour lui permettre de développer ses facultés en conformité de sa fin ultime. En d'autres termes, l'éducation a pour objet de parfaire le développement physique, intellectuel et moral de l'enfant, de lui enseigner à faire le meilleur usage possible de ses facultés sensibles, d'orner son intelligence et de former son jugement, de lui enseigner enfin à mettre en pratique, dans la vie de famille et dans la vie sociale, les principes immuables de la religion et de la morale. Bref, l'éducation bien entendue doit viser à former des citoyens honnêtes et vertueux.

Voilà ce qu'est l'éducation tout court. Puisqu'on parle beaucoup, depuis quelques mois, d'éducation nationale, essayons de trouver la différence qui pourrait exister entre l'éducation qu'on appelle nationale et l'éducation tout court. L'éducation nationale, si nous la comprenons bien, a pour objet de former des citoyens conscients de leur situation et de leurs responsabilités et de les préparer à s'acquitter, dans leurs milieux respectifs des devoirs qui leur incombent par suite de leur origine et de leurs aspirations na­turelles. Dans notre cas particu­lier, l'éducation nationale visera donc à former des Canadiens français cent pour cent, des citoyens qui comprennent les tâches que la Providence leur a assignées en les faisant naître sur la terre canadienne, au milieu d'un groupe ethnique d'origine française et de religion catholique, et qui, comprenant ces tâches, les acceptent librement et s'imposent le devoir rigoureux de les accomplir. Voilà, il me semble, ce qui s'appelle former des citoyens canadiens français honnêtes et vertueux.

J'irai plus loin: l'éducation ne saurait avoir de valeur si elle n'est pas essentiellement nationale. En effet, apprenez à un enfant qu'il doit être catholique parce qu'autour de lui on est catholique, qu'il doit apprendre le français et l'anglais parce qu'un voisin de droite parle le français tandis qu'un autre de gauche parle l'anglais, qu'il doit s'orienter vers tel métier ou vers telle profession parce qu'on y gagne beaucoup d'argent, qu'il doit s'approvisionner chez le fournisseur qui affiche les plus bas prix parce que c'est le moyen de devenir riche, qu'il doit s'affilier à tel groupe social ou politique parce qu'on y traite généreusement les bons suiveurs: aurez-vous donné à cet enfant une éducation véritable? Vous ne l'aurez éduqué ni nationalement ni autrement, car vous n'aurez nullement contribué à faire de lui un citoyen honnête et vertueux. Vous ne lui aurez pas inculqué des principes, mais vous lui aurez proposé des formules qui le guideront aveuglément sans qu'il puisse se rendre compte de la por­tée de ses actes. Vous aurez fait de lui un automate, une vulgaire machine sans âme, et par conséquent sans idéal.

L'éducation bien comprise ne saurait que former, dans le groupe social où elle est en hon­neur un esprit fortement national. Elle apprendra à l'enfant, à la jeune fille, au jeune homme, au citoyen de tous les âges et de toutes les conditions sociales, à orienter leur activité en vue du plein épanouissement de l'esprit qui anime le groupe ethnique auquel ils appartiennent. Dans notre cas particulier, elle fera de chacun de nous un Canadien français soucieux de la survivance et de l'expansion progressive de notre nation canadienne-française dans toutes les circonstances. Il n'est pas facile de faire admettre aux nôtres qu'ils ont le devoir d'agir en toute circonstance en vue du bien de la nation, c'est-à-dire de s'inspirer partout et toujours d'un véritable esprit national. Et pourtant la formation d'un esprit national s'impose à nous comme un double devoir, devoir de conscience et devoir d'intérêt.

L'existence chez nous d'un esprit national est en tout premier lieu essentielle à la survivance de notre groupe ethni­que. Encore faut-il que nous comprenions notre besoin ou notre devoir de survivance. Il importe peu aux étrangers qui nous entourent que nous trahissions nos origines pour passer à l'anglais. C'est nous seuls que cela regarde. Nous n'avons aucun intérêt à passer à l'étranger parce que, quoique nous fassions, nous ne deviendrons jamais de vrais Anglais - dans un groupe anglais, nous serons toujours des inférieurs. En abdiquant, nous nous priverons tout simplement des avantages précieux que nous procure et que peut nous procurer notre vie nationale. Mais il y a plus: en abdiquant, nous démembrerions notre nation et priverions par le fait même le Christ de l'honneur qu'il attend de la nation canadienne-française, nation qu'il a choyée de toute éternité puisqu'il l'a fait naître et grandir catholique et française, pour en faire la dispensatrice de ses doctrines éternelles. Nous avons donc le devoir, d'intérêt et de conscience, d'assurer la survivance de notre nation. Or une nation ne saurait survivre si chacun de ses membres n'est pas préparé à conformer toute son activité aux besoins et aux aspirations de cette nation. Elle ne saurait se développer normalement, orienter son action vers l'accomplissement des tâches que la Providence lui a assignées, enfin procurer à ses membres le moyen de vivre honorablement, en citoyens honnêtes et vertueux, si chacun des membres en question n'est animé d'un esprit vraiment national.

Indispensable à la survivance de notre groupe ethnique, l'esprit national ne l'est pas moins à l'orientation rationnelle de notre politique. Des idéalistes sans jugement essaient de nous faire croire que notre allégeance britannique et notre participation à la politique fédérale nous obligent à organiser notre activité politique en conformité des ambitions d'une nation censément canadienne, qui n'a jamais existé et qui n'existera jamais. Notre devoir est tout autre. Le pacte fédératif de 1867 s'appuie sur un principe bien défini: deux nations, la nation canadienne-française et la nation canadienne-anglaise, s'unissent sans se confondre. Elles devront garder chacune ses particularités ethniques, ses aspirations originelles, ses formes d'activité; en somme chacune d'elles devra chercher son épanouissement dans le sens de son esprit national. C'est uniquement en restant elle-même qu'elle contribuera au progrès et à l'action efficace de l'État fédératif. Nous n'avons donc pas le droit, remarquez-le bien, nous n'avons pas le droit de parler de politique canadienne tout court; les engagements solennels des Pères de la Confédération nous le défendent. Mais nous n'avons pas le droit non plus de négliger nos devoirs envers l'État canadien. Quel sera donc notre rôle dans la politique fédérale ? Un peu partout dans le dominion, les patriotes avertis comprennent et nous disent que nous constituons un élément de paix et de stabilité. Cette situation intéressante tient pour une large part à nos principes religieux. Notre civilisation catholique nous fait un devoir impérieux de monter à Ottawa la garde des principes. Partout, à Ottawa, à Québec ou ailleurs, nos représentants sont obligés en conscience de se faire les champions des idées chrétiennes, des principes catholiques. Nos origines françaises nous obligent en outre à faire profiter l'État canadien, tout comme l'État québécois, des avantages incontestables que nous donne sur nos concitoyens d'origine anglo-saxonne notre ascendance française, ou tout au moins de les faire profiter de la tournure d'esprit particulière que nous vaut cette ascendance française. Et voilà: pour que notre contribution à la politique nous acquitte d'un devoir de conscience, il faut absolument qu'elle s'inspire de notre esprit national canadien-français, qu'elle soit en dernier lieu comme en tout premier lieu une politique essentiellement canadienne-française.

Enfin, un troisième rôle de notre esprit national, c'est de préparer notre indépendance économique. J'aurais pu en parler en premier lieu, puisque de son accomplissement, dépend l'accom­lissement des deux autres, assurer la survivance de notre groupe ethnique et guider l'orientation de notre politique. Les hommes sont ainsi faits qu'ils ont besoin d'un minimum de biens, d'un minimum de bien-être, pour vivre selon leurs aspirations les plus modestes et pour contribuer à l'évolution normale de la société dont ils font partie. Il en est de même des parties, plus spécialement quand celles-ci sont associées comme la nôtre dans un État bi­national. L'indépendance économique du Canada français n'est pas un mythe. Elle est même facile à réaliser, pour peu que chacun de nous en comprenne les avantages et se sache obligé d'y contribuer. Remarquez bien qu'il ne nous suffit pas, pour assurer notre indépendance économique, de réclamer de nos chefs d'Etat une politique économique étroitement nationaliste. Chacun de nous est en mesure de travailler aussi efficacement que les chefs de l'Etat à l'amélioration de notre situation matérielle. Si nous étions tous imbus de l'esprit national dont je parlais il y a un instant, notre argent, l'argent de tous les Canadiens français, circulerait entre les mains de Canadiens français, nos épargnes, les épargnes de tous les Canadiens français, serviraient à l'organisation et à l'expansion d'entreprises essentiellement canadiennes- françaises, nos produits, les produits canadiens français, bénéficieraient d'une prime de valeur, la prime nationale si vous le voulez, aux yeux de tous les Canadiens français ; bref, nos ressources, le fruit de notre patrimoine ancestral, resteraient entre les mains des nôtres et contribueraient à l'évolution normale, à l'expansion rapide, de la nation canadienne-française.

Je n'oserais pas dire que nous manquons complètement d'esprit national. Il suffit d'entendre les conversations qui se tiennent chaque jour, de lire ce qui s'écrit dans les journaux et dans les revues, pour constater que survit en nous le principe essentiel de l'esprit national, le vouloir-vivre collectif. Mais à voir la façon dont nous nous conduisons, je ne puis m'empêcher de trouver notre esprit national singulièrement anémié et, ce qui est encore plus déplorable, dévié de son orientation naturelle. La faute en est aux éducateurs. Entendons-nous: quand je parle d'éducateurs, je n'ai pas spécialement en vue le personnel de nos maisons d'enseignement. J'appelle éducateurs tous nos chefs de famille, nos professeurs de toutes les catégories, les directeurs de toutes nos associations professionnelles, nos journalistes, nos écrivains, enfin, tous ceux à qui leur fonction impose d'orienter la nation vers ses destinées.

En effet, l'éducation nationale est un élément de vie qu'on doit acquérir à tous les degrés de l'échelle sociale comme à tous les moments de la carrière. La famille en est la source initiale, parce que c'est au foyer qu'on acquiert les grands principes di­recteurs de toute sa vie et parce que, chez nous, la famille est la gardienne attitrée des traditions ancestrales, religieuses et nationales. L'école doit continuer et amplifier l'oeuvre de la famille. L'enseignement ne saurait être profitable à l'enfant, il lui serait au contraire préjudiciable, s'il ne s'inspirait des premiers degrés de l'école primaire aux plus hauts paliers des cours universitaires, d'un souffle constant et généreux d'esprit national. Enfin, les associations professionnelles, syndicats, chambres de commerce, consortiums, sociétés de toute nature, manquent totalement leur but quand leur action n'est pas motivée en tout premier lieu par l'ambition de contribuer au bien-être de la nation. Pour aider à la famille, à l'école et à l'association professionnelle à s'acquitter de leur devoir d'éducation nationale, le monde d'aujourd'hui possède une classe d'individus qui devrait être infiniment digne de s'appeler l'élite de la nation, si elle s'acquittait judicieusement de ses devoirs. C'est la classe des journalistes, des écrivains, des artistes de toute catégorie, sur qui retombe plus que sur n'importe qui la responsabilité d'insuffler à toutes leurs oeuvres un esprit fortement national. C'est de cette classe d'élite, si elle existait chez nous, que nous attendrions l'exaltation puissante et perpétuelle d'un esprit national dont nous finirions tous, sans nous en rendre compte, par subir l'influence irrésistible.

Il n'existe pas de cloison étanche entre les différents groupes d'éducateurs. Tous sont soumis aux mêmes préceptes naturels. Quelles que soient leurs fonctions particulières, leur oeuvre commune doit les entraîner tous, sans exception, vers un objet unique, la formation de citoyens honnêtes et vertueux qui, comprenant leurs devoirs et connaissant les moyens mis à leur dis­position, orientent tous leurs efforts, même leurs efforts les plus personnels, vers le progrès de la société la plus apte à les servir, à servir les leurs et à servir leurs descendants, la nation.

 

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Source  : Thuribe BELZILE , « L'éducation tout court », dans Le Devoir, Supplément, le 26 janvier 1935, pp.6, 10. Article transcrit par Nicolas Tran. Révision par Claude Bélanger.

 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 
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