Quebec History Marianopolis College


Date Published:
November 2004

Document de l’histoire du Québec / Document of Quebec History

 

Écrits des Jeune-Canada

Notre situation en Canada

 

par

 

Bernard Hogue

 

Jeunes canadiens français,

 

Dans un tract précédent que publiaient les jeune Canada, on vous a dit "nos raisons d'être fiers". Je voudrais aller plus loin, je voudrais vous prouver que non seulement nous avons raison, mais même, que nous avons l'obligation d'être fiers.

 

Lorsqu'un homme est parvenu à un certain degré de développement physique et intellectuel, lorsque, libre de toute tutelle, il jouit de ses droits civils et politiques, cet homme a le devoir de se tenir droit et les autres hommes ont le devoir de le respecter. C'est une obligation morale, inscrite dans notre cour, qui s'affirme de plus en plus forte avec le nombre des années. Il en est de même pour une nation.

 

Or, à l'instar des Italiens, des Allemands, des Anglais et des autres, les Canadiens français forment une nation à qui compétent tous les droits nécessaires pour vivre et être considérée. II ne faut rien exagérer la nation canadienne-française ne possède pas encore cette maturité qu'on retrouve chez d'autres et qui force notre admiration, mais ses notes caractéristiques sont suffisamment accusées pour qu'on reconnaisse son existence.

 

Quant à nos droits, ils sont solidement établis.

 

Nous sommes donc tenus à une légitime fierté nationale et nous avons le droit d'exiger des autres le respect qui nous est dû.

 

QU'EST-CE QU'UNE NATION ?

 

C'est la première question à nous poser. J'avouerai qu'il n'est pas facile d'y répondre. Disons tout de suite qu'il ne faut pas confondre nation, peuple et État. Et pour cela, rien de mieux que de les définir. L'État consiste dans l'autorité que possède, de droit naturel, toute société civile pour atteindre sa fin, le bonheur temporel de l'homme; on dit ordinairement le pouvoir ou le gouvernement. L'on appelle peuple, le groupe d'hommes soumis à cette autorité, à ce pouvoir: c'est le chiffre de la population. Quant à la nation, elle peut se définir un groupe d'hommes liés entre eux par des -façons communes de penser et d'agir et déterminés à vivre selon cet esprit.

 

On voit la différence. Peuple et nation ne s'identifient pas toujours et l'État existe au-dessus des deux premiers. Pour bien illustrer ces idées, citons certains cas typiques. Voici un État, comme le Canada, dont le peuple se compose de plusieurs nations. A l'inverse, on trouve une nation, comme la nation anglaise, qui, dispersée aux quatre coins du monde, fait partie de plusieurs peuples, gouvernés par des États différents.

 

Qu'est-ce qui forme ainsi une nation ? Quels en sont les facteurs? I1 y en a plusieurs. La cohabitation séculaire, le climat, le sol, les difficultés et les succès communs contribuent certainement à donner aux hommes des ressemblances physiques et morales. Mais les deux éléments qui influent le plus sur la formation d'une nation sont, sans contredit, la langue et l'éducation. La langue, véhicule de la pensée, et l'éducation, creuset de la volonté, détermineront nécessairement chez ceux qui en font usage des modes de raisonnement et d'action analogues; cette analogie, on le comprend, s'accentuera avec les siècles.

 

Voilà exposé, brièvement, ce que c'est qu'une nation. Quelques conséquences pratiques. un individu qui naît dans ce milieu, qu'on appelle nation, en reçoit un héritage intellectuel qu'il doit exploiter, dans son propre intérêt. Un homme, si brillant soit-il, qui se forme avec des méthodes de culture non conformes à ses dispositions naturelles, est voué d'avance à une faillite presque certaine. Et, en matière d'intelligence, la faillite est moins lucrative qu'en affaires.

 

LES CANADIENS FRANÇAIS FORMENT-ILS UNE NATION ?

 

Le champ est ouvert à la discussion. Les avis différent, mais à mon sens l'on peut répondre à la question affirmativement.

 

D'abord, les Canadiens français possèdent une langue et une éducation qui leur sont propres en ce pays. De plus, leurs caractères distinctifs tranchent sur l'uniformité,--j'allais dire la banalité,-- des autres habitants du Canada et des États-Unis. On l'admet, mais on prétend que nos compatriotes n'ont pas conscience de former une nation, qu'ils ne vivent pas selon leur esprit national. Ils ont plutôt l'idée, dit-on, de faire partie de la nation française.

 

Ai-je besoin de dire que cette objection n'est pas sérieuse? Les Canadiens français n'ont pas conscience de former une nation? Comment expliquez-vous alors leur acharnement à défendre leur langue et leurs droits ? Pourquoi cette habitude qu'ils ont de considérer l'élément anglo-saxon de ce pays comme un groupe étranger, comme des Anglais, et de prendre, pour leur patrie, la province de Québec plutôt que le Canada? D'où vient cette idée nouvelle de séparer le groupe français de la Confédération ? Où trouver les causes d'une survivance d'autant plus extraordinaire qu'elle s'est opérée dans les conditions les plus défavorables ? Et nous pourrions continuer longtemps sur ce ton.

 

Cette objection est celle des défaitistes, des saules-pleureurs, comme disait le Père Guitton, et je ne crois pas que l'on doive y attacher plus d'importance. Nous avons tous les éléments constitutifs d'une nation, encore loin de la perfection, c'est entendu, mais nation tout de même, et ce ne sont pas les savantes élucubrations d'un philosophe en mal de distinctions qui détruiront la réalité.

 

NOS DROITS.

 

Ils sont aussi certains qu'il est certain que la "jaunisse" de Toronto perd sa vogue. Cependant, cette certitude n'a pas encore frappé tout le monde. On trouve quelques nouveaux venus qui tiennent absolument à passer pour des imbéciles. Heureusement que l'espèce est en voie de disparition; j'espère que nous empaillerons bientôt les derniers spécimens.

 

Au point de vue du droit naturel, les Canadiens français n'auraient-ils sur cette terre que celui du premier occupant que ce serait suffisant. Plus que personne, nous .sommes ici chez nous et ceux qui nous contestent le droit d'enseigner notre langue et notre religion prouvent, une fois de plus, qu'ils ne sont que des usurpateurs.

 

Mais ce n'est pas tout. Ce sont nos ancêtres qui, les premiers, ont éclairé les sombres forêts d'Amérique des lumières de la civilisation chrétienne. Ce sont nos ancêtres qui ont exploré ce vaste continent. Ce sont eux qui ont découvert les montagnes Rocheuses, sillonné les Grands-Lacs et descendu le Mississipi avec une ténacité et un courage que -- de l'aveu même d'un historien étranger - n'avaient pas leurs antagonistes de Boston. Tout ce qui demandait de la tête et du coeur, ce sont nos ancêtres qui l'ont accompli et je connais certaines contrées qui en seraient encore aux "cow-boys" si nos aïeux n'étaient pas passés par là. Nous avons acquis des droits absolus sur cette terre américaine et la théorie de la réserve québécoise est, depuis longtemps, casée dans le rayon des choses absurdes.

 

Au point de vue juridique, notre situation est aussi solide. Sans doute, lors de la cession du Canada â l'Angleterre, les Capitulations et le Traité de Paris auraient pu être plus explicites. Nous gardions la pratique de notre religion en autant que le permettaient les lois de la Grande-Bretagne (!) et pour parler notre langue nous n'avions que la clause sauvegardant nos "Us et Coutumes". Mais l'Acte de Québec, une loi adoptée sous l'Union et l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord ont, depuis, reconnu officiellement non seulement notre langue et notre religion, mais même nos lois civiles françaises. Que faut-il de plus ?

 

CONCLUSIONS

 

Elles s'imposent. Nous devons avoir un souverain mépris pour les aplatis et les ventres usés par le rampement: debout, s'il vous plaît, le front haut et l'épine dorsale d'aplomb! Nous ne sommes pas plus bêtes que les autres, au contraire!

 

Qu'on me comprenne bien: il ne s'agit pas de haine de race mais de respect mutuel. Et nous vivons précisément avec des gens qui savent apprécier celui qui ne se laisse pas marcher sur les pieds.

 

Cessons donc d'être bleus, blancs ou rouges pour être simplement Canadiens français; ambitionnons autre chose que de devenir des champions d'une démocratie en faillite ou des tripoteurs de fonds publics; soyons des hommes que l'on ne bouscule pas sans en recevoir une réplique en nature.

 

N'oublions pas que la charité chrétienne n'a jamais demandé à personne de lécher les bottes de son voisin!

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Source : Bernard Hogue, « Notre situation en Canada », dans Gilbert Manseau, Bernard Hogue et Émilien Brais, Le Canadien français, ses droits, son idéal, Tract No 3 des Jeune-Canada, Le Devoir, avril 1935, 21p., pp. 10-15.

 

 

 

 

 

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College