Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2004

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

Assemblées des Jeune-Canada

 

L'assemblée des Jeune-Canada à la salle du Gesù,

le 5 mars 1934

 

 

Les Jeune-Canada sont retournés au foyer initial de leur mouvement hier soir, au Gesù, dans la salle centrale des Jésuites. A leur aise devant une foule sympathique qui réagissait et soulignait les arguments et les bons mots par des applaudissements enthousiastes, ils ont frappé de grands coups et n'ont épargné personne. Pour eux, les débats parlementaires autour de la monnaie bilingue prennent figure de symbole. Nos députés nous trahissent « comme ils mangent un bon repas, volent une élection ». C'est une fessée qu'ils mériteraient « sur leurs derrières retentissants ».

 

Il va sans dire que M. Gobeil a été l'une des principales cibles des Jeune-Canada hier soir. On l'a même qualifié de « premier fossoyeur » de la monnaie bilingue. Le premier ministre, M. Bennett, MM. les ministres Duranleau et Dupré, M. le premier ministre Taschereau, le chef de l'opposition M. Duplessis, ainsi que MM. Cohen et Bercovitch ont reçu des coups.

 

Les orateurs étaient au nombre de cinq. Trois figures devenues familières, MM. Simard, Laurendeau et Cartier; deux nouvelles figures, deux fraîches recrues qui ont ob­tenu hier soir un franc succès : MM. Dostaler O'Leary et Jean-Louis Dorais. M. Paul Simard présidait. A La fin de l'assemblée, un homme malingre et grisonnant s'est avancé vers le président pour demander la parole. Mais au même moment il entonnait le chant O Canada, que la foule reprit en choeur.

 

M. Paul Simard

 

Vous êtes ici ce soir, dit en résumé M. Simard, pour concrétiser par votre présence un sentiment d'indignation qui a fait frémir tous vos coeurs de Canadiens français. Vous avez été insultés par l'un des vôtres. Un homme a « dégobeillé » ses insultes sur l'Université de Montréal et nous a tous salis. Il a ridiculisé un symbole de nos droits les plus intangibles, il a voulu décourager une lutte que nous poursuivons depuis longtemps. Une fois de plus le projet de la monnaie bilingue est enterré. Nous avons été insultés. Nous protestons. Voici des faits, vous conclurez. Et M. Simard raconte le débat de la semaine dernière en Chambre, le rôle ridicule qu'y a joué M. Gobeil, parlant contre une motion qu'il est censé appuyer. Puis, les minutes passent. Un tory fanatique de la Saskatchewan parle en comptant les dernières minutes qui restent. Onze heures. Le vote ne peut être pris, le projet est enterré de nouveau. Le mépris ne vient pas seulement du député Turnbull. Il vient de M. Bennett lui-même. Le premier ministre nous traite comme ses valets comme les sauvages de la Nouvelle-Zélande. Il a refusé depuis octobre dernier de recevoir une délégation des Jeune-Canada. Nous avions promis d'aller porter à Ottawa les 75,000 signatures du manifeste de la jeune génération. M. Bennett n'a même pas voulu répondre à nos lettres. Il méprise ainsi 75,000 Canadiens parmi lesquels se trouvent des prêtres, des religieux, des hommes de profession, des cultivateurs, des jeunes qui s'en souviendront. Le mépris se traduit par des actes. Le traité franco-canadien n'est pas amendé. Il y a trois sous-ministres à nommer : postes, marine et archives. On doit nommer deux Anglais aux deux premiers, et on reléguera au ministère beaucoup moins important des archives, le Canadien français. C'est logique : pour les premiers occupants du sol, pour des antiquités comme nous, il n'y a qu'une place : les archives.

 

M. Simard fait ensuite observer que l'édition anglaise du code criminel canadien a paru en décembre. Nous attendons encore l'édition française. J'ai bien peur, dit M. Simard, que le projet de loi Cahan, concernant la traduction, ne réduise encore davantage notre influence à Ottawa. Où seront les nôtres, dit-il, dans l'entreprise de la canalisation du Saint-Laurent, dans la Commission ? On veut y nommer quatre Américains, quatre Canadiens anglais et un « importé » d'Angleterre comme président. En voilà une commission hybride !

 

M. Jean-Louis Dorais

 

Le jeune avocat Dorais traite du droit de cité de la langue française au Canada, droit qui nous appartient en vertu de la loi naturelle la plus élémentaire, et droit confirmé par nos législateurs et qui apparait en toutes lettres dans notre constitution.

 

Loi naturelle : nous avons découvert ce sol, nous l'avons conquis au prix de lourds sacrifices, au prix même de notre sang. Nous en fûmes les premiers maîtres. Aujourd'hui, si elle est sous la domination d'un étranger, en fait et en justice elle nous appartient. Nous avons droit d'y grandir, de nous y mouvoir à l'aise. Or, il est de l'essence de la nation que les individus qui la composent possèdent la même langue, la langue qui lui est propre. Si nous avons droit de cité, nous Canadiens français, la langue française, qui est partie essentielle et intégrante de notre nationalité, a elle aussi droit de cité au Canada.

 

Droit constitutionnel : le traité de 1763, l'Acte de Québec de 1774, l'amendement de 1848 à la loi de 1840 et enfin la constitution de 1867 établissent sans contredit que les deux langues sont officielles au Canada : l'anglais et le français. Deux nations ont construit le Ca­nada, ces deux nations - dont la française est antérieure, et a accumulé plus de luttes et de sacrifices - ont droit chacune à leur lan­gue.

 

Nous sommes donc ici chez nous dans toute la force du mot et nous ne devons pas l'oublier devant l'insipide arrogance du fanatisme anglais. Brandissons les deux armes du droit naturel et du droit consti­tutionnel pour faire reconnaître notre langue, pour regagner le terrain perdu.

 

M. Dostaler O'Leary

 

M. O'Leary a prononcé le dis­cours le plus long, mais aussi le plus rapidement débité. Il l'a intitulé: « La tradition se continue », c'est-à-dire la tradition des concessions lâches. Dans notre catholique et française province de Québec, où nous formons les quatre­cinquièmes de la population, notre patrimoine national, les grosses compagnies et le capital sont aux mains de l'étranger. Nous, la majorité française, nous en sommes venus à Montréal, à nous laisser imposer dans une bonne mesure la langue et les coutumes anglaises. Nous demandons au gouvernement aujourd'hui de forcer tout le monde - Anglais et Juifs - au respect du dimanche et surtout des fêtes d'obligation catholiques. Nous sommes jeunes, mais nous ne prendrons de repos que le jour où nous aurons réussi à secouer chez les nôtres cette impression de faux bien-être dans lequel nous vivons tous. Notre race doit jouer en Amérique du Nord un autre rôle que celui de valets des Anglo-Saxons, Américains ou Britanniques.

 

Le Canada français n'a pas dans le Dominion la place qui lui revient et les hommes au pouvoir, libéraux comme conservateurs, et les derniers surtout, font tout leur possible pour amoindrir et diminuer notre nationalité dans le but lointain et inavoué de l'assimiler. La Confédération nous a apporté bien des désillusions, bien des déboires. Les uns ont l'audace de se dire satisfaits. Pour eux, il leur suffit d'emplois de troisième ordre, de menus unilingues (anglais) dans les restaurants. Il faut organiser la résistance pratique et exiger du français en tout et partout, l'étranger qui arrive ici, trompé par la réclame du gouvernement provincial qui dit du Québec « pays de langue française où fleurit le progrès, l'ordre et la liberté », nous traite de farceurs. Montréal français ? me disait un ami parisien ? « Tu te paies ma tête, mon vieux », me répondit-­il. Et nous sommes ici 500,000 contre 250,000 Anglais.

 

M. O'Leary cite ensuite quelques faits qui démontrent avec quel dédain et quelle servitude nos gouvernements nous ont traités depuis 1867. La constitution ? Les Anglais peuvent l'interpréter à leur guise, la violer impunément, ils ne trouvent devant eux aucune résistance, mais lorsque nous réclamons un semblant de nos droits, ils montent sur leur cheval de bataille, se voilent la face, se scandalisent de nous voir oser toucher à une institution d'après eux sacrée, mais qui est, d'après nous, une « sacrée institution ». Ils nous disent : « Nous ne pouvons pas agir, la Constitution ne nous le permet pas ! » Grands benêts, nous nous inclinons et continuons à descendre la pente de nos concessions. Aujourd'hui, publiquement, à la face du pays, nous accusons le gouvernement Bennett de violer la constitution canadienne, en nous refusant nos droits, en ne traitant pas la langue française comme elle doit l'être. Si le gouvernement ne se soumet pas au texte de la constitution, ou, ce qui revient au même, permet qu'on ne s'y soumette pas, il viole cette constitution.

 

Les ministères au pouvoir ont toujours traité assez cavalièrement les Canadiens français, mais il faut reconnaître que les libéraux fédéraux, moins sous la férule orangiste, nous ont peut-être traités avec un peu plus de faveur que les conservateurs fédéraux dont l'aile droite était alourdie par la bande orangiste.

 

Et M. O'Leary demande d'exiger sur nos passeports, quand nous allons à l'étranger, le titre de citoyen canadien et non celui de sujet britannique.

 

Mercier et Laurier

 

Le Jeune-Canada expose ensuite comment fut appliquée, à notre désavantage, le pacte de la Confédération. Premier accroc en 1873, [sic] au Nouveau-Brunswick, question scolaire; autres accrocs : Nouvelle­Ecosse, île du Prince-Edouard, Manitoba, Ontario, qui semble enfin revenir à de meilleurs sentiments, la Saskatchewan, etc. En passant, il approuve l'attitude de Mercier au sujet de la Confédération; il dit de Laurier qu'il fut trop canadien et pas assez canadien-français [sic].

 

Aujourd'hui, en 1934, le plus grand adversaire des Canadiens français, c'est le gouvernement Bennett. Laurier a capitulé devant la monnaie et le timbre bilingues. En 1927, le ministère King nous donna le timbre bilingue. Il aurait fallu aussi la monnaie.

 

En Saskatchewan, il n'y a pas de mot pour stigmatiser l'odieuse façon dont sont traités les nôtres. L'ineffable Anderson serait plus à sa place comme gardien des veaux que comme administrateur d'une province; au moins avec les veaux, il serait dans son élément.

 

Une parole d'Albert de Belgique

 

M. O'Leary, qui arrive de Belgique, reprend une parole de feu le roi Albert : « Un peuple qui se défend est un peuple qui ne meurt pas » et l'applique aux Canadiens français. Ils vivront s'ils se défendent. Nous en avons assez de cet empiétement des anglophones d'Ottawa sur nos droits linguistiques et sur les emplois. Nous voulons la justice pour les Canadiens français. Bennett, avec son Canada First restera toujours un farceur tant qu'il s'asseoira sur nos droits. Nous ne voulons plus de la part du chien, sinon à force de nous faire traiter comme des chiens, nous pourrions devenir, enragés, et alors... gare à la casse. On nous a bien reconnu le droit d'aller nous faire tuer en 1917 sur les champs de bataille de l'Europe, qu'on reconnaisse nos droits de race française en Amérique aujourd'hui. Soyons Canadiens français partout et parlons français : à l'atelier, à l'usine, au bureau, au théâtre et au cinéma, dans, les grands magasins, dans les restaurants, etc. Les Anglais nous respecteront si nous sommes forts.

 

M. G.-E. Cartier

 

M. Cartier estime que ce serait peine perdue que de tenter de remettre le député de Compton à sa place et semble vouloir confier ce devoir aux électeurs de M. Sam Gobeil.

 

Les propos de M. Gobeil peuvent avoir deux explications : ou il était « frappé » quand il a parlé, ou il était l'instrument de mesquines manoeuvres politiques. Dans l'un ou l'autre des cas il n'est pas excusable. Aussi coupables que M. Gobeil sont deux ministres dont nous avons honte, à cause de leur silence imbécile; car ils connaissaient la motion que M. Barrette allait présenter pour obtenir d'Ottawa les secours nécessaires à l'Université de Montréal; en laissant discréditer cette institution on prépare le terrain et on facilite la tâche à tout bon conservateur esclave.

 

L'attitude de la droite n'a pas été plus intelligente ni plus courageuse à l'endroit des Canadiens fran­çais que celle de nos deux ministres conservateurs fédéraux, étoiles de huitième grandeur. Le devoir de ces gens était de relever l'insulte, cependant ils se sont tus comme des carpes.

 

Parole grave

 

Dans son discours, M. Gobeil a dit une parole grave en parlant des professeurs athées qui se donnent pour mission de diriger et de former la jeunesse et en ajoutant que les jeunes gens sont contaminés par un milieu antichrétien, anticanadien-français.

 

Nous relevons ces paroles. L'université est une institution humaine, soit; mais, de là à dire que l'enseignement et l'éducation qu'on y donne sont contraires aux princi­pes catholiques, mille fois non. Les Gobeil ne se trouvent pas seulement à Ottawa car qui de nous s'est donné la peine de se renseigner avant de critiquer notre université ? En vérité, ne peut-on trouver autre chose à l'endroit de l'université que d'acerbes critiques ? C'est vrai que nous sommes encore assez loin de l'idéal désirable mais nous pouvons nous contenter de le déplorer avec S. E. le cardinal Villeneuve et en nous servant de ces ter­mes. Il ne faut pas oublier que si l'université a manqué d'argent, il lui a manqué beaucoup plus : sa liberté. Il faut aller au fond des choses et chercher la vérité où elle est, il faut savoir à quelles sournoises méthodes on se livre parfois pour arriver à ses fins. Le pénible et douloureux silence imposé pour des fins qu'on devine à une université sans le sou, il faut en chercher le motif avant de crier haro sur cette institution. Ce n'est pas tant le parti libéral qu'il faut blâmer de ce qui se passe, mais qu'un triste état de choses, rançon inévitable d'un parti au pouvoir depuis trop longtemps (rouge, bleu ou blanc) au service du système démocratique.

 

La peur de déplaire, voilà la bête noire. Celui-ci se taisait pour conserver sa position, celui-là pour obtenir un emploi, tandis que l'autre avait peur qu'on dévoilât certaines petites choses. C'est autant de raisons qui ont renfermé nos gens dans leur mutisme et leur ont imposé cette lourde servitude du silence. Qui changera l'atmosphère de servage politique qui baigne la province depuis 20 ans ? Un changement s'impose.

 

M. André Laurendeau

 

La trahison de M. Gobeil, après tant d'autres, dit-il, ne vaudrait pas une assemblée de protestation, si elle ne nous donnait l'occasion de secouer notre indolence : c'est une fessée que mériteraient nos députés flanchards, sur leurs derrières retentissants.

 

A qui la gaffe de Gobeil fait-elle plus plaisir qu'à M. Taschereau, au point de vue politique ? M. Duplessis, il doute du Hansard.

Nulle part au monde, continue M. Laurendeau, il n'est plus difficile d'être soi-même qu'en ce pays. Après avoir été sujet britannique, citoyen canadien, il faut être canadien-français [sic]. Pour beaucoup, c'est plus simple : ils se contentent d'être bleus ou rouges, et au diable la race française. Notre histoire parlementaire depuis 1867 ne fut qu'une suite de reculades et de défaites. Nous avons nos ennemis de l'intérieur et de l'extérieur. En Chambre, on joue au football avec la monnaie bilingue, avec la question des écoles, etc. On est bleu ou rouge avant d'être canadien-français. Ainsi on voit Gobeil croque-mort de l'an dernier, devenir comme premier fossoyeur de la monnaie bilingue cette année. Le bill Barrette doit venir quelques jours plus tard, M. Gobeil déblatère contre l'Université de Montréal. Nos   députés, comme vous le voyez, ne prennent même pas la peine d'accorder leurs violons. Les jeunes d'aujourd'hui marqueront au front ces traîtres, même s'ils sont de taille lilliputienne.

 

Oh ! la première trahison m'envieille. Elle remonte à sir Georges-Etienne Cartier, au lendemaln de la signature du pacte confédératif alors qu'il aurait pu interpréter équitablement l'article 93 et sauvegarder les droits minoritaires. La chaîne de défections était commencée. C'est plus qu'une tradition, c'est un réflexe. Sauf quelques exceptions, nos députés d'Ottawa nous trahissent comme ils mangent un bon repas, comme ils avalent un verre de bière, comme ils volent une élection. Qu'on nous comprenne, la monnaie bilingue prend pour nous figure de symbole. On est bleu ou rouge avant d'être canadien-français.

 

M. Gobeil a reproché aux Juifs d'avoir trop d'influence au gouvernement provincial. Ca n'était peut-être pas le moment. M. Cohen est dans tous les états et dit en Chambre : « les Juifs n'ont pas recherché cet honneur. Peut-être étaient-ils occupés à rechercher un « bedit ministère convortable »... Qui croira, M. Cohen, que ces présidences de comités vous sont tombées rôties dans le bec ? Ne dites pas trop, M. Cohen, que l'Université de Montréal est votre Alma Mater, ça lui fera plus de mal que de bien.

 

Nous avons nos ennemis intérieurs. Sommes-nous les seuls coupables ? Nous devons cesser d'être tolérants. Nous devons nous adresser aux Anglais en accusateurs. L'Anglais méprise la faiblesse. Réveillons-nous. On nous aide d'ailleurs. Turnbull, toréador de l'Ouest, Anderson, apre fanatique, tigre en papier mâché, Bennett, impérialiste impitoyable, croquemitaine de la Chambre ignorant fieffé et volontaire de toutes les revendications canadiennes-françaises, qui se sert de nos ministres comme de torchons et de bouche-trou, leur morgue et leur mépris, leurs coups de pieds ou leurs silences, petit à petit, réveillent notre peuple. La jeunesse veut mieux que cela pour l'avenir.

 

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Source : Compte-rendu de l'assemblée des Jeune-Canada au Gesù, Le Devoir , le 6 mars 1934, p.8. Article transcrit par Nicolas Tran. Révision par Claude Bélanger.

 

 
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