Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2004

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

Assemblées des Jeune-Canada

 

Compte-rendu de l'assemblée des Jeune-Canada

à St-Vincent-Ferrier, le 9 février 1934

 

 

Les Jeune-Canada ont tenu hier soir une assemblée publique à la salle paroissiale de Saint-Vincent­Ferrier. Devant une assistance nombreuse qui remplissait la salle ils ont parlé de nouveau de la question des trusts. Sauf M. Pierre Dagenais, les orateurs ont donné les discours déjà prononcés au Gesù, avec certaines variantes. Comme nous avons publié un compte rendu substantiel de la soirée du Gesù, nous nous bornerons à signaler ce qu'il y avait de nouveau dans les discours d'hier soir. Pour le reste on pourra se reporter au Devoir du 14 novembre, 1933.

 

L'auditoire n'était pas celui qui assiste d'habitude aux réunions des Jeune-Canada; il était beaucoup plus ouvrier et se composait en très grande partie de gens des en­virons. Cet auditoire a chaleureusement applaudi les orateurs. Si l'on a aperçu M. Anaclet Chali­foux assis sur la première rangée avec les Jeune-Canada, c'est tout simplement qu'il est allé prendre la place laissée libre par M. Simard qui prononçait à ce moment son discours. M. Chalifoux cherchait une occasion de se faire voir; il n'était pas invité.

 

Au début de la soirée, M. Antonio Allard, avocat, qui était à la tête du groupe de citoyens qui a invité les Jeune-Canada à parler dans Saint-Vincent-Ferrier, a dit quelques mots. M. Pierre Dansereau étant absent, c'est M. Pierre Dagenais qui a prononcé le discours d'ouverture; en voici le texte:

 

M. Pierre Dagenais

Mesdames, Messieurs,

 

Le trust est une bonne formule économique. Le principe de l'institution qui consiste à réunir les capitaux pour permettre de produire ou de vendre plus grand, et, à meilleur marché, en abaissant les frais généraux et en utilisant avec plus d'avantage les sous-produits, n'est pas condamnable en soi. Le trust qui par ces moyens res­treint une concurrence fratricide et abaisse le coût de la vie en diminuant le prix de revient est ex­ cellent. Le trust institué par l'État dans un but fiscal nécessaire comme pour celui de la Régie des alcools dans notre province, où dans un but d'ordre et de sécurité publique comme pour la fabrication de la poudre à canon ou pour la frappe de la monnaie est incontestablement désirable. En général, le trust organisé dans le but de servir l'intérêt du public n'est pas celui auquel s'attaquent les Jeune-Canada. C'est là une mise au point dont il faut tenir compte avant d'entendre les discours qui vont suivre afin que l'on ne nous reproche pas d'avoir été aveuglés en ne considérant que la petite bête noire d'un côté de la médaille.

 

En somme, il y a en principe une bonne formule de monopole répondant parfaitement au régime du capitalisme dans lequel nous vivons, et qui est basé sur la liberté et la propriété privée. Mais il arrive, malheureusement, que dans la pratique, on abuse si étrangement de cette liberté et de ce droit de propriété qu'on finit par les restreindre tous les deux.

 

Petites royautés

 

Le vingtième siècle a vu naître une quantité de petites royautés sans blasons : celle du nickel, celle de l'acier, celle du papier, du charbon, du lait, et coetera, qui se sont si bien emparés de telle ou telle partie du commerce ou de l'industrie qu'elles en ont monopolisé en quelque façon le droit de proprié­té.

 

Pie XI disait dans son encycli­ue : « La libre concurrence s'est détruite elle-même et à la liberté des marchés a succédé une dictature économique ».

 

Etrange paradoxe où l'on voit disparaître la libre concurrence au nom de la liberté. C'est cette mauvaise application du trust que combattent les Jeune­Canada; celui qui supprime la concurrence par le jeu des prix, par son influence néfaste sur la législation, ou sur les tarifs des transports des compagnies de chemin de fer. Celui qui produit l'inflation dans un pays, celui qui fait germer à vue d'oeil les capitaux des entreprises, celui qui crée   des fortunes colossales et boursoufflées; celui qui jette une trop flagrante disproportion dans la répartition de la richesse d'un peuple.

 

Des monopoleurs, nous reprocheront d'être de petits socialistes, mais c'est bien le contraire puisque nous nous en prenons précisément à eux parce qu'ils restreignent le droit de propriété et de la libre concurrence par une centralisation exagérée du commerce et de la richesse.

 

Mais là où ça devient plus dangereux encore, c'est lorsque les trusts intéressent des politiciens dans leurs conseils d'administration, ou qu'ils influencent d'une manière ou d'une autre la politique d'un pays parvenus à cette double dictature, les trustards peuvent donner libre cours à leurs ambitions: Ils s'accordent des privilèges étonnants en donnant aux trusts des régimes d'exception.

 

Et je termine ce bref exposé préliminaire des principes du trust, en citant l'appréciation personnelle que nous faisait un des plus distingués économistes canadiens­français de chez nous, M. Édouard Montpetit : « Je déteste l'influence politique des trusts », « Je déteste l'influence sociale des trusts ».

 

M. Georges-Étienne Cartier parle ensuite. Voici le début de son dis­cours:  

M. Georges-Etienne Cartier

 

Si certains d'entre vous sont venus, ce soir, dans l'espérance de chanter la IIIeme Internationale, qu'ils se détrompent : les « Jeune-Canada », quoi qu'en ait dit certaine feuille, esclave du gouvernement, (et je la nomme: le Soleil , de Québec), les Jeune-Canada, dis-je, ne tiennent ni à la sédition, ni à la révolte, ni à l'incendie de monsieur Taschereau, ni au martyre de monsieur Lanctôt.

 

Si vous êtes venus entendre des conservateurs déguisés, je le regrette pour vous, vous n'aurez pas satisfaction: Les Jeune-Canada - et nous attirons sur ceci votre attention - tiennent à leur indépendance absolue; ils estiment, gâtées les moeurs politiques, libérales ou conservatrices, d'aujourd'hui. Ce qu'on appelle vulgairement « la machine électorale », c'est-à-dire cet­te organisation d'un parti, qu'il soit rouge ou bleu, peu importe, ayant pour rôle de recueillir des fonds pour payer les membres, le papier, acheter la presse, les électeurs, imprimer des faux, comme cela s'est vu dans la dernière élection de Wolfe, supprimer des noms sur la liste des voteurs lorsqu'on soupçonne que monsieur Untel peut voter contre le parti, que sais-je encore; cette « machine électorale », telle qu'elle fonctionne aujour­d'hui, est franchement immorale; elle achète les consciences, elle accepte des trusts des sommes énormes, à condition, bien entendu, de dérober à la connaissance du peuple les agissements malhonnêtes de ces compagnies. Eh bien! mesdames et messieurs, parce que, pour faire de la politique libérale ou conservatrice, il faut consentir à devenir l'esclave d'une aussi diabolique machine; parce que, pour être rouge ou bleu, il faut savoir traiter avec la compromission et l'hypocrisie, les Jeune-Canada ne tiennent pas à s'abaisser au rang de ces « honorables collègues » de la Chambre - ni   rouges, ni bleus - indépendants, voilà ce qu'ils sont, voilà ce qu'ils entendent toujours demeurer.

 

M. Cartier parle ensuite des gens qui abusent de leurs richesses; puis de leurs complices, les politiciens compromis qui leur votent des lois protectrices, et il conclut : nous avons le droit de leur dire : «  Nous en avons assez ». «    Messieurs, nous en avons assez de nous faire rouler par vous. Vous aviez des surplus accumulés qui vous permettaient d'améliorer votre service de tramways durant les gros froids des semaines dernières; vous ne vous en êtes pas souciés. Vous nous obligez à payer des taux plus élevés pour transport par autobus, alors que vos recettes réelles devraient vous autoriser à diminuer ces taux et à permettre à votre clientèle de correspondre d'un tramway à un autobus ou vice versa; votre égoïsme cupide vous empêche de le faire. Vous n'êtes pas justes, Messieurs, Prenez-garde ! Ne vous imaginez pas que la bonté d'un gouvernement sans prévoyance vous soutiendra indéfiniment. Rappelez-vous plutôt que c'est le peuple qui voudrait enrichir et que ce même peuple a décidé que vous étiez suffisamment soufflés, vous et vos capitaux. Rassurez-vous, cependant. Nous avons horreur, peut-être plus que certains des vôtres, de l'oxyde de carbone, des acci­dents inexplicables, des balles ou de la dynamite. Nous tenons toutefois à vous affirmer que notre dé­cision est prise pour ce qui vous concerne: depuis, trente ans que vous nous exploitez effrontément, il est temps que cela cesse; il faut qu'avant des années votre règne soit chose du passé. » L'orateur étudie ensuite la question du trust de l'électricité, sujet qu'il avait traité au Gesù.

 

Paul Simard

M. Paul Simard a parlé du trust de la gazoline. Il a commencé son discours par une mise au point que voici :

 

« On nous accuse de gauche et de droite d'être des bleus, d'être poussés et soutenus par les conservateurs. Nos amis mêmes nous reprochent quelquefois d'avoir des tendances bleues. À tous nous disons : nous ne sommes pas des conservateurs et la preuve est facile à établir. Notre première assemblée, l'année dernière, fut dirigée contre les conservateurs d'Ottawa et nous nous souvenons encore d'une lettre fort amusante avec laquelle voulut nous assommer certain ministre des postes. Aujourd'hui même, nous nous attaquons aux libéraux, il est vrai, mais en même temps, je vous prie de remarquer que toute la question de la gazoline est une critique directe du gouvernement conservateur actuellement au pouvoir à Ottawa. Quant aux conservateurs du Québec, que pourrions-nous leur reprocher ? Nous vous en prions, dites-le-nous. Pour ma part, je serais fort embarrassé de les critiquer, ils n'ont jamais rien fait et c'est à peine s'ils existent. »

 

Dans l'exposé que M. Simard a fait de la question de la gazoline, il a signalé la question du projet de règlement pour les postes de gazoline à Montréal, projet qui a été voté en première lecture par notre conseil municipal lundi, mais dont les autres lectures ont été ajournées à une prochaine séance. Voici ce que M. Simard a dit sur ce sujet :

 

« Toutes ces compagnies du trust de la gazoline contrôlent le marché, mais leur prévoyance va encore plus loin. Non seulement elles empêchent aujourd'hui toute concurrence légitime, mais encore elles veulent supprimer pour l'avenir toute possibilité d'une semblable concurrence. »

 

« Pour exercer le commerce de gazoline il faut évidemment des postes de distribution. Empêcher que de nouveaux postes puissent être ouverts est un moyen bien simple de tuer toute compagnie qui tenterait de s'opposer aux menées du trust. C'est ce que celui-ci essaie de faire maintenant. Si vous consultez la liste des règlements adoptés par le comité exécutif de la ville de Montréal, vous en trouverez un à la date du 23 octobre 1933 qui s'intitule comme suit : « Règlement concernant l'établissement de postes d'approvisionnement pour les automobiles » et dans ce règlement vous verrez des dispositions assez intéressantes; en particulier celle-ci, qui résume toutes les autres « (Article 10) Le comité exécutif accordera ou refusera le permis demandé, selon qu'il le jugera à propos. » Il s'agit du permis d'ouvrir un nouveau poste de distribution. « Selon que le comité exécutif le jugera à propos », dit l'article, ce qui signifie : « Paie Baptiste ». Tu auras beau avoir rempli toutes les conditions exigées par la loi, te démener comme une truite hors de l'eau, si monsieur Untel ou mon­sieur Chose du comité exécutif ont besoin de remplir leur caisse électorale et que d'aventure le trust leur souffle quelques beaux billets de mille dollars pour t'empêcher de construire ton poste de distribution, tu es fichu et tu n'auras pas ton permis.

 

N'est-ce pas que c'est habile ? Eh ! bien, voilà où nous en sommes. Je conseille donc à tous les garagistes ou futurs garagistes qui songent à ouvrir de nouvelles stations de gazoline de se hâter, car il se pourrait fort bien qu'il ne reste plus de permis lorsque ce règlement aura été voté.

 

M. André Laurendeau

 

M. André Laurendeau avait ajouté à son discours du Gesù une ré­ponse à ceux qui ont donné une fausse interprétation de ce qu'il avait dit. M. Laurendeau avait dit, et a répété hier soir: « Un jour, on fera ici des trustards ce qu'on a fait des Juifs en Allemagne : on les boutera dehors. Tant pis s'ils ne se relèvent pas indemnes outre-qua­rante-cinquième. On aura tort d'agir ainsi, me répondrez-vous : on emploiera des moyens illégitimes. Cela est vrai, et nous le sentons plus profondément que d'autres. Nous voulons que cela n'arrive pas. Nous souhaitons, nous voulons de toutes nos forces que de nouveaux désordres ne se produisent pas. Mais que l'autorité nous défende, ou bien le peuple usurpera cette autorité : il ne la respectera pas plus que ne l'ont respectée ceux qui la possédaient légitimement ».

 

Voici maintenant la réplique de M. Laurendeau à ceux qui ont donné à ce texte une interprétation fausse :

 

« Le peuple usurpera cette autorité, disons-nous. Usurpera, c'est-à­dire, selon Larousse, accaparera, par violence ou par ruse, ce qui appartient à autrui. C'est affirmer implicitement que nous voulons que des mesures soient prises pour que la révolution n'ait pas lieu. Nous ne nous écrions pas (qu'on nous pardonne de donner cette explication rendue nécessaire par les insinuations d'une presse stipendiée) : « La révolution est un mal; dans les circonstances, c'est un mal nécessaire, et, malgré notre répugnance, nous en sommes rendus à la désirer ». Nous disons au contraire : « La révolution est et demeure un mal. Si l'on n'agit pas, elle s'en vient. Nous en parlons, non pour l'appeler, mais pour souligner qu'elle est plus ou moins imminente, qu'elle constitue un danger réel pour les citoyens de ce pays, et que nous voulons qu'elle leur soit, qu'elle nous soit épargnée ». Si les mots ont un sens, qu'on cesse de nous lancer à la figure l'épithète de séditieux ou de criminels. Qu'on cesse également d'écrire à tant la ligne que les Jeune-Canada sont dirigés par des religieux de tel ou tel ordre.

 

« Le mois passé, un homme politique influent a donné à la jeunesse canadienne-française le conseil « de ne pas faire de politique sous le couvert de la religion ». Inutile de répéter une fois de plus une démonstration que nous avons déjà faite à plusieurs reprises et qui n'a pas ouvert les yeux de quiconque s'obstinait à ne pas voir. Mais nous répliquons ce soir aux hommes publics qui pratiquent depuis quelque temps, une politique de petite guerre, une « guerilla » sournoise et mesquine : « Prenez garde, vous qui savez si bien prodiguer les conseils désintéressés, prenez garde de faire de l'anticléricalisme sous le couvert de la politique ».

 

M. Laurendeau a ajouté à un autre passage de son discours : « Nous ne sommes pas révolutionnaires, mais réactionnaires, et réactionnaires de droite ».

 

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Source  : Compte-rendu publié dans Le Devoir, le 10 janvier 1934, p. 3 et le 11 janvier 1934, p. 10. Article transcrit par Nicolas Tran. Révision par Claude Bélanger.   

 
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