Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Décembre 2007

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

Lettre de Louis Hippolyte La Fontaine à Edward Ellice

[1838]

 

Paris, 15 mars 1838,

Hôtel de Tours – Près de la Bourse.

Mon cher Monsieur,

 

Plusieurs fois j'ai cherché inutilement à trouver la résidence de votre frère dans la rue de Clichy. Je le regrette beaucoup, car je ne pourrai lui présenter votre lettre. Vous avez oublié d'indiquer le numéro. N'étant pas certain de retourner à Londres avant de m'em­barquer pour le Canada, permettez-moi de vous écrire quelques mots concernant les affaires de mon pays, avec la même confiance qui a déjà guidé nos conversations.

Je regarderai toujours comme injuste et même tyrannique la suspension de notre Législature. Cependant la nomination de lord Durham a fait naître chez moi l'espérance d'un meilleur avenir.

C'est ainsi que j'en ai écrit au Canada, même dès le jour où je mis pied à terre à Liverpool. Vous m'avez depuis confirmé dans cette opinion. Aussi, avant de quitter Londres, ai-je désapprouvé la motion de sir W. Molesworth. (1) Je le crois bien sincèrement ami des libertés coloniales ; mais il était impossible de ne pas prévoir à l'instant que loin de nous servir, le succès de sa proposition eût produit un résultat tout à fait contraire. Les Tories une fois au pouvoir, le discours de lord Stanley ne nous présageait (?) que des mesures de vengeance, et ne nous laissait que le désespoir en partage. Peut-être même eussent-ils conservé, comme gouverneur, sir John Colborne dont les Canadiens ne pourront jamais oublier le nom, parce qu'ils ne pourront jamais oublier l'incendie de leurs villages.

Il est digne de remarque que dans tout le cours des débats sur le Canada, les Tories et les Whigs, se renvoyant la boule réciproquement, s'accusent, tour à tour, les uns les autres, c'est-à-dire les différents ministères qui se sont succédé depuis 1828, d'être la cause de la continuation de nos difficultés politiques. C'est admettre un fait dont nous nous sommes toujours plaints. Et pourtant c'est contre nous que l'on sévit !

La question du Conseil législatif, dont tout le monde condamne la composition, est sans doute devenue maintenant la question la plus délicate, «owing to the former neglect experienced by the colony », suivant les expressions mêmes dont lord John Russell a fait usage, en parlant de la non-exécution du rapport de 1828. Le Conseil actuel étant une anomalie en principe, et une expérience de 10 ans nous ayant démontré cette vérité, nous avons suggéré, comme remède efficace, l'application du principe électif comme étant « un moyen sûr pour tous les partis », selon l'aveu même de M. John Neilson. Mais nous n'avons jamais entendu faire, de la concession immédiate de cette demande, une condition sine qua non à la marche des affaires. S'il pouvait y avoir des doutes à ce sujet, avant la dernière session, par suite de la fausse interprétation donnée à notre réponse de 1836, il ne pouvait plus en exister depuis cette session.

A notre adresse du 25 août dernier, un amendement fut ajouté à ma suggestion, en comité général, pour mieux expliquer cette pensée, et conformément à l'opinion de la généralité des membres, manifestée dans les débats. Cependant, l'on voit avec chagrin que dans les dépêches communiquées au Parlement, lord Gosford ne mentionne au­cunement ce fait important. Deux lignes de sa part à ce sujet eussent probablement empêché le ministère de commettre l'injustice flagrante de suspendre l'Assemblée.

Même plus, si, conformément aux dépêches de lord Glenelg des 29 avril et 22 mai derniers, lord Gosford eut fait, avant la dernière session, une addition au Conseil législatif, « by a careful selection of men of property, character and influence in the Province, of liberal views and entitled to the respect and confidence of the public, but not committed to the extreme opinions », de manière à être en état, en assemblant la Législature, « to appeal to the alteration which might have been made in the composition of the Council, as a proof of the sincerity with which His Majesty's Government are disposed to carry into effect the intentions which they have expressed on this head ». La Chambre d'Assemblée aurait certainement procédé à la dépêche des affaires, et voté les subsides nécessaires ; ce qui en était la consé­quence naturelle. J'aime à croire que lord Gosford était disposé à le faire ; mais il n'est peut-être malheureusement que trop vrai que certaine influence étrangère, mue par la vengeance, l'en a empêché. Il a donc là perdu encore une fois l'occasion d'opérer une réconcilia­tion qu'on lui offrait. Si j'entre dans ces détails, c'est pour prouver que le Chambre d'Assemblée n'a point mérité l'injustice dont la frappe l'acte de suspension.

Quoi qu'il en soit, je regarde le conseil actuel comme virtuellement détruit. Car, outre qu'une de vos résolutions de l'année dernière dé­clare qu'il faut lui donner « un plus haut degré de confiance publique », le ministère, par son organe dans la Chambre des Communes, vient de confirmer ce que nous avons si souvent dit, savoir : que l'existence de ce corps, sur sa base actuelle, était une anomalie. Dans son discours sur la motion de sir Wm Molesworth, lord J. Russell, en faisant allusion à ce fait, ajoute : « The wonder would have been if, instead of such a collision having arisen, harmony had for any long period been observed. »

Puisqu'il entretenait cette opinion et qu'il était ainsi convaincu d'une vérité que nous, instruits par l'expérience, ne cessions de répé­ter dans nos griefs, pourquoi, au lieu de sévir contre nous, parce que nous nous plaignions d'un fait qu'il admet, n'a-t-il pas au contraire refait cette branche de la Législature de manière à lui donner la ca­pacité « to work successfully ? » Je dois donc penser que c'est pour parvenir à ce but qu'il a chargé lord Durham d'une mission aussi importante que celle de pacifier le Canada. Si c'est là vraiment l'objet principal de cette mission (car autrement la suspension de la Législa­ture serait une pure moquerie, et il aurait été plus conséquent de la révoquer totalement), lord Durham trouverait plus de facilité à accom­plir cet objet avec le secours des représentants du peuple; l'odieux d'une dictature ne s'attacherait plus alors à son voyage. Je prends plaisir à croire qu'à son arrivée en Canada, il sentira l'avantage qu'il y aurait pour lui de convoquer l'Assemblée, et qu'il demandera, aussitôt que possible, le pouvoir de le faire. Cette mesure ferait renaître la confiance, et assurerait sans aucun doute, et mieux que toute autre chose, le succès de sa mission.

Mais une mesure préliminaire est devenue nécessaire pour les diffé­rents motifs que je vous ai déjà expliqués : c'est une amnistie générale. Il est même de l'intérêt du gouvernement de l'accorder. En donnant à lord Durham le pouvoir de la proclamer à son arrivée en Canada, ce serait de suite ouvrir, à son importante mission, une chance assurée de succès. Je ne suis pas surpris de voir les officiels, cette faction si bien décrite par lord Sandon lui-même, dans les paroles que vient de rapporter lord John Russell, crier à la rébellion, à la révolution ! Il n'y aurait jamais eu de résistance à main armée, si le gouvernement n'avait pas eu recours à des arrestations politiques, ou même si des antécédents malheureusement trop vrais, n'avaient pas fait perdre au peuple toute confiance dans l'administration de la justice en ma­tière politique.

J'attends beaucoup de l'administration de lord Durham ; sous ses auspices, j'attends un meilleur avenir pour mon pays. S'il en devait être autrement, je serais cruellement trompé, de même que mes com­patriotes. Il peut s'attendre, aussitôt que sa nomination aura été connue en Canada, à mille injures de la part de la presse tory de ce pays, à raison des opinions libérales qu'il a toujours professées. Et s'il ne se met pas en garde contre les intrigues des officiels de Québec (dont je dois pourtant, en justice, excepter M. Daly, secrétaire provincial), je ne crains pas de dire, à en juger par le passé, que son administration courra de grands risques, exposée à l'atmosphère de cet entourage, dont nos gouverneurs ont été, tôt ou tard, presque tous la victime. C'est vraiment imperium in imperio.

J'avais écrit ce qui précède lorsque je reçus des lettres du Canada, à la date du 3 février. Il paraîtrait qu'un agent des constitutionnels de Montréal serait parti pour Londres, porteur de demandes extrava­gantes, ce qui, néanmoins, à raison des circonstances, excite une grande sensation en Canada.

L'autre parti se préparait, en conséquence, à envoyer deux nouveaux agents en Angleterre. A cette date cependant, on ne connaissait pas encore la nomination de lord Durham ni le Bill de suspension. Je pense que si cette nouvelle leur parvient avant qu'ils fassent voile, elle aura l'effet d'arrêter leur départ. Car ils verront que la scène est de nouveau transportée en Canada, et que dans ce cas agents et pétitions seraient obligés de s'en retourner, après un échange de quelques paroles seulement.

J'ai peu visité Paris, ayant presque toujours été malade depuis mon arrivée. Dans ce moment je garde ma chambre. Vous me pardonnerez donc de vous écrire une aussi longue lettre. Je partirai pour le Canada vers la mi-avril. Si le temps me le permet, je retournerai peut-être à Londres. Alors, je me ferai un devoir d'accomplir la promesse que je vous ai faite, même au grand risque d'être appréhendé pour haute trahison, quoiqu'un journal loyal du Canada ait déjà avoué que c'était « une plaisanterie ». Lord Durham s'apercevra bien vite, je pense, qu'un grand nombre d'arrestations ne sont dues qu'à des « plaisanteries » de cette nature, quelque peu agréables qu'elles soient.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur,

Votre dévoué serviteur,

L. H. LAFONTAINE.

(1) LaFontaine lui reproche d'avoir voté contre le bill autorisant la mission de Durham au Canada. Comme le croyait LaFontaine, c'était un ami de notre cause. Dans les discours qu'il prononça sur les affaires du Canada, à la ses­sion de 1838, il déclara odieuse, inique la conduite des gouverneurs Dalhousie, Aylmer et du Conseil législatif. Il était impossible à l'Assemblée de se résigner aux injustices qu'ils commettaient, injustices de nature à justifier une insurrection.

Source: « Lettre de Louis Hippolyte La Fontaine à Edward Ellice », dans Alfred D. DE CELLES, Lafontaine et son temps, Montréal, Librairie Beauchemin, 1907, 208p., pp. 190-194.

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College