Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

M. LE SUPÉRIEUR ANTONIN NANTEL (1839-1929)

par

M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

L'ABBÉ Antonin Nantel, plus tard Mgr Nantel, prélat romain, l'ancien supérieur de Sainte-Thérèse, naquit à Saint-Jérôme, comté de Terrebonne, le 17 septembre 1839. Le premier ancêtre des Nantel au Canada, Jean Berloin dit le Nantais (d'où Nantel), capitaine de milice, venu de Poitiers, France, s'était établi dans l'Ile-Jésus vers 1690. L'un de ses descendants, Guillaume Nantel, modeste tanneur, habitait Saint-Jérôme, et il avait épousé Adélaïde Desjardins, de Sainte-Thérèse. Époux foncièrement chrétiens, craignant Dieu et observant ses commandements, ils furent bientôt à la tête d'une famille de neuf enfants. Le père mourut jeune, à 41 ans, en 1857. Antonin était alors en rhétorique, et d'autres frères allaient le suivre au collège. La mère, restée veuve et pauvre, avec sa nombreuse famille, se montra vaillante et courageuse. A force de travail, elle arriva à procurer à tous ses enfants une bonne éducation. Antonin, l'aîné, dont il est question dans cette notice, est devenu le prêtre et le prélat distingué que nous allons voir. Alphonse et Bruno ont été députés de Terrebonne et tous les deux ministres d'Etat, l'un à Québec, l'autre à Ottawa. Un autre, Pacifique, longtemps inspecteur d'écoles, a pareillement honoré.

A 12 ans, en 1851, six ans avant la mort de son père, Antonin entrait au petit séminaire de Sainte-Thérèse, pour y faire .ses études. C'était au temps du fondateur, M. le curé Ducharme, qui ne mourut qu'en 1853. Le jeune Nantel fut là le condisciple, entre autres, du juge Routhier et du sénateur David, demeurés dans la suite ses amis de toujours. Il obtint dans ses classes de brillants succès. Son cours classique terminé, en 1859, il prit la soutane à Sainte-Thérèse, et il y resta, pour enseigner, tout en étudiant la théologie, selon la coutume de l'époque. Il fut ordonné prêtre le 5 octobre 1862. L'abbé Nantel s'agrégea tout de suite au personnel des directeurs de la maison térésienne. Ce devait être pour toute sa vie, soit pour près de soixante-sept ans ! Voilà, assurément, qui dépasse l'ordinaire. Et il faut ajouter que l'éclat des services rendus l'emporte encore sur celui de leur durée.

En 1870, à 31 ans, M. Nantel était élu supérieur de la maison, pour succéder à M. Tassé, le troisième successeur de M. Ducharme. Remplacé plus tard, puis réélu à la même fonction, M. Nantel a occupé le premier poste pendant vingt-cinq ans. Il a tellement été connu sous ce titre de supérieur qu'il convient, m'a-t-il semblé, de le lui conserver devant l'histoire, bien qu'il soit devenu plus tard chanoine et prélat. Au reste, sauf quelques années passées en Europe, pour ses études de linguistique, il a toujours vécu, comme prêtre, à Sainte-Thérèse, et ce n'est pas moins de cinquante années de vie active et des plus fécondes qu'il a données à sa chère maison.

Plutôt petit et court, mais assez corpulent sur son vieil âge, le front largement découvert par une calvitie précoce qui ne lui laissait plus qu'une couronne de cheveux blancs, les traits réguliers et le teint haut en couleur, avec des yeux un peu malades et clignotants sous les paupières gonflées, de figure calme et réfléchie, toujours digne et se tenant sur la réserve, M. le supérieur imposait avant tout le respect. Mais, dans l'intimité, il était aussi très bienveillant, causeur intarissable et surtout curieux de recherches et de nouvelles comme il en est peu. Par suite de je ne sais quelle affection à la gorge, dont il avait souffert étant jeune, sa voix fut toujours faible et comme couverte d'un voile. Quand il parlait en public, il fallait bien prêter attention pour le suivre. Mais il disait d'excellentes choses et savait être intéressant, sinon très éloquent. Son style était fortement nourri de substance et de doctrine et sa phrase toujours riche en images et en fleurs. Sa plume, de même, était alerte et vive et il écrivait, non sans aisance, avec une correction impeccable.

Doué des plus belles qualités de l'esprit et du coeur, travailleur consciencieux et inlassable, bientôt heureusement cultivé et puissamment instruit en toutes sortes de connaissances, en celles de la littérature française, des langues anciennes et même des langues sauvages spécialement, il s'est dévoué, toute sa vie, du fond de son âme, et avec un remarquable succès, à la belle oeuvre de l'éducation de la jeunesse. Professeur, préfet des études ou supérieur, il s'est dépensé, un demi-siècle durant, sans compter et avec un zèle de tous les jours. Ecolier, séminariste, prêtre éducateur, et , à la fin, survivant d'un autre âge, à Sainte-Thérèse toujours, il a édifié tout le monde, pendant quatre-vingts ans — de 1851 à 1929 —, et il a grandement fait honneur à ses maîtres et à sa haute mission, par la dignité de sa vie et son amour du travail, par sa piété simple et éclairée, par sa soumission à ses évêques, par sa régularité et son esprit d'ordre. M. le supérieur Nantel a été, sans aucun doute, l'un de nos plus distingués et de nos plus méritants éducateurs du Canada français.

M. le curé Ducharme avait fondé Sainte-Thérèse en 1825 et il l'avait dirigé pendant pas loin de trente ans. M. le supérieur Tassé, plus tard, vers 1860, avait consacré une dizaine d'années de sa vie au collège et il y avait solidement organisé les études. M. le supérieur Nantel a peut-être fait davantage. Sa carrière d'un demi-siècle d'activités — de 1862 à 1910 environ — n'a pas eu moins d'éclat et a rendu, je pense, plus de services encore, que celles de ses illustres devanciers. Il avait connu personnellement le fondateur et les premiers supérieurs. On a pu écrire que le nom de M. Ducharme et le sien résumaient et condensaient toute l'histoire du collège, au cours de son premier siècle d'existence. C'est lui qui avait présidé les fêtes du cinquantenaire en juin 1875. C'est lui qui avait vu à la reconstruction de la maison après l'incendie d'octobre 1881. C'est lui, pareillement, qui avait présidé à l'inauguration du nouveau collège en juin 1883. Et il était encore là, vieilli mais le coeur resté jeune, à la célébration du centenaire en juin 1925, à 86 ans ! Toute la tradition térésienne, en quelque sorte, persistait ou revivait avec lui. Aussi, son petit discours, lors du centenaire, fut-il singulièrement émouvant !

Est-ce à dire que le vénéré supérieur était une perfection vivante ? Non. Son tempérament avait ses aspérités. Pas plus que d'autres il n'avait de vertus infuses. Il n'était pas la douceur même, se montrait bien un peu minutieux et tâtillon — je parle du temps où il était supérieur — avait ses goûts à lui, ses préférences marquées et peut-être ses préférés . . . Mais, comme ses qualités d'intelligence et de volonté droite, son esprit et son coeur, ses travaux de tout genre et son infatigable dévouement dominaient tout cela ! Il eut à lutter, autant que personne, pour acquérir plus de vertus et faire plus de bien. Mais, précisément, il a su lutter. Sa piété si vraie, qui ne se démentit jamais, qui se manifestait encore, quand il fut devenu très vieux et perclus, à la chapelle, dès la première heure du matin, son sens du devoir, si profond et si complet, son désir enfin, si longuement soutenu, d'être utile à la jeunesse de son pays, en ont fait un maître de premier plan, que ses anciens élèves — dont je fus — n'oublieront jamais, et qui a largement mérité de l'Église et de la patrie canadienne.

Maître ès-arts de l'Université Laval depuis 1880, chanoine honoraire de Montréal depuis 1894, M. le supérieur Nantel avait été élevé à la prélature romaine en octobre 1923, à l'occasion de son soixantième de sacerdoce, et, en mars 1924, l'Université de Montréal lui conférait le doctorat ès-lettres. Ces dignités et ces honneurs, qui venaient sur le tard couronner sa vie et sa carrière, il est permis de penser qu'il leur faisait lui-même honneur.

Mgr Nantel décéda, à Sainte-Thérèse, le 29 juillet 1929, à 90 ans d'âge tout près et dans sa soixante-septième année de sacerdoce.

Mgr Nantel a laissé plusieurs brochures, nombre d'articles de revues — entre autres dans les Annales térésiennes, dont il fut le réel fondateur en 1880, aussi bien que de l'Académie collégienne dite de Saint-Charles en 1862 — qui traitent d'histoire, de littérature, de philosophie, de dialectes sauvages, dont certains, au dire des connaisseurs, sont très poussés et d'un haut intérêt. Son maître-livre, La parole humaine, auquel il travailla pendant des années, et qui fut publié à Paris, chez Champolion, en 1908, est pour le moins un ouvrage très curieux. Des gens en ont médit, qui n'y entendaient peut-être pas grand'chose. D'autres, et des meilleurs érudits de chez nous et d'ailleurs, en ont parlé avec avantage. Mais le livre qui conservera sans doute le mieux la mémoire de l'ancien supérieur devant les générations de l'avenir, c'est le volume Pages Historiques et Littéraires, sorte de recueil de ses principaux articles (420 pages), que son neveu, M. l'avocat J.-A. Beaulieu, a édité et publié, en 1928, chez Arbour et Dupont, à Montréal.

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 201p., pp. 111-118.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College