Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

MGR LOUIS-ZÉPHIRIN MOREAU
(1824-1901)

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Mgr Louis Zéphirin Moreau, le quatrième évêque de Saint Hyacinthe, est né à Bécancourt, d'une modeste famille de cultivateurs, le ler avril 1824. Ses études faites à Nicolet, il passa au diocèse de Montréal, où il fut ordonné prêtre le 19 décembre 1846. Il vécut ses premières années de sacerdoce auprès de Mgr Bourget, à l'évêché de Montréal. En 1852, à la fondation du diocèse de Saint Hyacinthe, il y suivit Mgr Prince, qui en devenait le premier évêque, de coadjuteur de Montréal qu'il était depuis quelques années. Au nouvel évêché, pendant vingtquatre ans (1852 1876), l'abbé Moreau travailla à l'oeuvre du bien auprès des trois premiers évêques, Mgr Jean Charles Prince (1852 1860), Mgr Joseph LaRocque (18601866) et Mgr Charles LaRocque (18661875) , et il devint successivement, ou en même temps, secrétaire, chancelier, curé de cathédrale, chanoine et vicaire général. A plusieurs reprises, il fut administrateur du diocèse. Le 19 novembre 1875, il était élu évêque de Saint Hyacinthe, et, le 16 janvier 1876, il était sacré, dans sa cathédrale, par Mgr Taschereau, le futur cardinal. Il gouverna son diocèse, pendant un quart de siècle, jusqu'à sa mort, arrivée le 24 mai 1901. En 1893, Rome lui avait donné, comme coadjuteur, Mgr Maxime Decelles, qui lui a succédé.

Les prédécesseurs de Mgr Moreau sur le siège épiscopal de Saint Hyacinthe, Mgr Prince et les deux Mgr LaRocque, avaient été, sans doute, de dignes, sages et pieux évêques. Mais, dans l'histoire des premiers cinquante ans de ce diocèse, Mgr Moreau brille d'un éclat de sainteté particulière. Un évêque nouvellement élu demandait un jour, a t on raconté, à l'un des maîtres les plus vénérés de Saint Sulpice, M. Rouxel, sur qui, au Canada, il pourrait avec plus d'avantage modeler sa vie et son action ? Observez Mgr Moreau, lui fut il répondu, et inspirez vous de sesmendements. [sic] A cette époque, Mgr Bourget venait de mourir et de grands évêques comme Mgr Laflèche et Mgr Taché vivaient encore. La réponse de M. Rouxel était donc bien significative. I1 y a maintenant quarante ans passés que Mgr Moreau est parti de ce monde. Sa réputation de sainteté n'a pas cessé de grandir. En ces dernières années, une commission d'enquête diocésaine a été constituée à Saint Hyacinthe, avec l'autorisation de Rome, qui s'occupe de préparer sa cause de béatification. L'avenir est à Dieu seul, je ne l'ignore pas, et c'est à son Eglise qu'il appartient d'en juger. Qu'il me soit pourtant permis de constater en toute simplicité que, depuis longtemps, le peuple de Saint Hyacinthe a dénommé Mgr Moreau le saint évêque, tout comme celui de Montréal dit de Mgr Bourget.

S':,.1 était doué des plus solides qualités de l'esprit et du coeur et s'il fut un saint évêque, Mgr Moreau, il faut en convenir, n'avait pas un physique bien attrayant. Il était de stature moyenne et de mine peu avantageuse. Souvent malade, il fut toujours maigre et d'apparence chétive, avec une figure aux traits saillants, plutôt disproportionnés. Il se rendait compte lui même qu'il n'était pas précisément beau, et il en souriait avec bonhomie.

Un mécontent il y en a toujours osa lui écrire un jour avec impertinence "qu'il était trop laid pour figurer avec honneur dans les cérémonies". Le bon évêque montra cette lettre à ses familiers en disant joyeusement

"Le pauvre homme, il perd son temps et son encre. Je le sais que je ne suis pas beau depuis plus longtemps que lui."

Mais quelle belle âme il avait, le saint prélat, faite d'humilité, de renoncement, de piété et de bonté ? Dans son palais épiscopal, il occupait la plus modeste pièce. L'on n'y voyait qu'un simple bureau de travail, quelques chaises et des images de saints appendues aux murs. Pour tapis, il se contentait de pauvres "catalognes", et il n'avait pas même de prie Dieu où s'agenouiller. Dieu sait pourtant s'il s'agenouillait souvent ?

Il priait sans cesse et volontiers il eut donné aux pauvres tout ce qui était à son usage personnel. Son procureur, a t on dit, était obligé d'intervenir parfois pour mettre un frein à ses générosités. Monseigneur allait jusqu'à discuter doucement avec lui pour se faire payer à l'avance ses modiques honoraires afin de faire la charité plus vite ! Ses visites pastorales étaient pour tous des occasions de bénédictions et de grâces. On répétait qu'il répandait sur son passage des faveurs et des guérisons de toutes sortes, qu'il accomplissait des merveilles. Il gouvernait, en tout cas, et il administrait, avec douceur et bonté autant qu'avec sagesse et prudence: La série de ses mandements, pas moins de neuf forts volumes, constitue tout un traité de haute doctrine et de solide discipline. Parce qu'il s'oubliait lui même et qu'il était avant tout surnaturel, il fut un chef d'Eglise ferme et pitoyable tout ensemble, et, par suite, un évêque puissant en actes.

J'ai eu l'honneur et la joie d'assister, en janvier 1901, à Saint Hyacinthe même, aux noces d'argent épicopales du vénérable prélat. Ce fut une fête inoubliable. Mgr Moreau avait alors 76 ans. Il était prêtre depuis plus de cinquante ans. Ses oeuvres étaient nombreuses et connues de tous. Ses hautes vertus, sa piété et sa bonté en particulier, l'étaient tout autant. On l'accabla naturellement d'éloges. Mgr Bruchési, qui prêcha l'allocution de circonstance, et Mgr le coadjuteur Decelles, qui avait vu à l'organisation des fêtes, entre autres, célébrèrent à l'envi les rares mérites du jubilaire. Lui, le digne vieillard, il resta calme et modeste. On aurait cru qu'il n'entendait pas tout le bien qu'on disait de lui. Quand il prit la parole à son tour, ce fut pour rendre gloireà Dieu et remercier ses prêtres et ses diocésains d'avoir tout fait. Aux mains de la Providence, il l'affirmait avec une évidente sincérité, il n'avait été, disait il, qu'un pauvre et faible instrument. Rarement, je pense, pareille gloire s'enveloppa de tant d'humilité vraie.

Quatre mois plus tard, en mai 1901, ce fut, au lendemain de sa mort, l'apothéose de ses funérailles, dans sa cathédrale en deuil, au milieu d'une affluence considérable du clergé et des citoyens les plus marquants. Mgr Bruchési prononça l'éloge funèbre. Il loua comme il convenait les qualités naturelles, le savoir et les talents d'administrateur de l'évêque défunt. I1 insista sur sa piété et sa bonté.

"Pieux, disait il, Mgr Moreau l'a été dans toute la force et dans toute la beauté du terme. De son berceau à sa tombe, la piété n'a fait que grandir en lui. Elle faisait le fond de son âme, elle a imprimé son cachet sur chacun de ses actes. Tout était surnaturel dans sa vie. Il s'est constamment oublié lui même. Il n'a recherché que le bon plaisir de Dieu. Il n'a travaillé que pour sa gloire . . . Et puis, il était bon . . . L'évêque doit avant tout être père, car c'est la bonté plus que tout le reste qui domine les âmes. L'homme résiste à la science, à la puissance, au génie. Il est désarmé par la bonté. Fénelon disait à ses prêtres :

"Soyez pères, ce n'est pas assez, soyez mères!"... Mgr Moreau a été un tendre père pour chacun de ses prêtres et de ses diocésains. Dites moi, mes frères, j'en appelle à vous tous, était il bon ? Etait il bon, parents chrétiens, quand vous lui apportiez vos petits enfants pour qu'il les bénît ? Etait il bon, âmes affligées et tourmentées, quand vous cherchiez auprès de lui des conseils et des encouragements ? Etait il bon, pauvres malades, quand ,vous veniez le supplier de vous guérir au nom du Sauveur ? Etait il bon, religieux et vierges du cloître, quand il allait vous. visiter et vous laissait épancher vos coeurs dans le sien ? Etait il bon, prêtres du Christ, vous surtout ses fils, quand vous recouriez à son expérience dans vos anxiétés et à sa tendresse dans vos douleurs ? De toute part, j'entends la même réponse . . . "Oui, il était bon !" On disait de lui : "Le bon Mgr Moreau", comme on disait jadis de Vincent de Paul : "Le bon Monsieur Vincent". En vérité, je ne sache pas de titre plus touchant et plus glorieux que celui là . . ."

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 201p., pp. 76-82.

 
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