Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

MGR PAUL LAROCQUE (1846-1926)

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Il y a eu au pays canadien, dans la seconde moitié du siècle dernier, trois évêques LaRocque, tous de la même famille des LaRocque de Chambly-sur-Richelieu : Mgr Joseph LaRocque, né en août 1808, deuxième évêque de Saint-Hyacinthe de 1860 à 1866, qui mourut, après une retraite prolongée, en novembre 1887, Mgr Charles LaRocque, cousin germain du précédent, né en novembre 1809, troisième évêque de Saint-Hyacinthe de 1866 à 1875, mort cette année-là, et Mgr Paul LaRocque, de qui le père était le cousin des deux autres, l'ancien évêque de Sherbrooke, dont je veux ici parler.

Mgr Paul LaRocque naquit à Marieville le 27 octobre 1846. Il fit ses études classiques à Sainte-Thérèse et à Saint-Hyacinthe et il fut ordonné prêtre à Montréal le 9 mai 1869. Il avait un frère cadet, l'abbé Charles LaRocque, né en mai 1852, ordonné en juillet 1878, premier curé de Saint-Louis de France à Montréal de 1888 à 1904, mort en 1904.

A la fin de son cours d'étude, où il remporta de brillants succès, en 1866, Paul LaRocque prenait la soutane à Saint-Hyacinthe. Comme il était de tempérament faible et délicat, il fallut user avec lui de ménagements. Mgr Charles LaRocque, son cousin, qui devenait évêque de Saint-Hyacinthe en 1866, le prit avec lui, comme secrétaire, à l'évêché, à Saint-Hyacinthe d'abord, puis à Beloeil, où il alla résider un an plus tard. Mais la santé compromise du jeune abbé ne se remettait guère, et, à l'hiver 1868-1869, il dut prendre le chemin de l'Hôtel-Dieu de Montréal. C'est là que Mgr Charles lui conféra le sacerdoce le 9 mai 1869. On l'ordonnait « pour mourir »? Il devait cependant vivre jusqu'à l'âge de 80 ans et fournir une carrière de cinquante-sept ans de sacerdoce, dont trente-trois d'épiscopat ! Les prévisions humaines sont souvent courtes par quelque côté.

A l'automne de 1869, le jeune ordonné partait pour la Floride, et il y fut missionnaire-curé à Key-West jusqu'en 1880. Assistant d'abord de l'abbé Allard, jusqu'en 1875, il fut ensuite seul en charge de cette mission. Ses fidèles blancs, cubains ou noirs, très mélangés, parlant surtout l'espagnol, il apprit parfaitement cette langue, tout en se dévouant avec zèle au bien des âmes. Entre temps, il lisait et étudiait beaucoup. Son état de santé s'améliora peu à peu. En avril 1880, il revenait à Saint-Hyacinthe, et, l'automne suivant, il s'en allait étudier à Rome, au séminaire français de Santa Chiara, d'où il suivit les cours de la Minerve et de l'Appollinaire. Il apprit naturellement l'italien. A 34 ans, il avait encore une facilité étonnante. Au pied des chaires de De Angelis, de Santi et de Cavagnis, il ne tarda pas à devenir un maître lui-même en sciences sacrées. A l'été de 1883, il était docteur en théologie et en droit canonique. Il voyagea l'année d'ensuite en Italie, en France, en Allemagne, en Suisse, en Belgique et jusqu'en Palestine. Il revint par l'Angleterre.

Attaché tout de suite, à son retour au pays, en 1884, à l'église cathédrale de Saint-Hyacinthe, il en fut nommé curé, en 1885, puis créé chanoine titulaire. « Il a réalisé, a-t-on écrit, durant ses dix ans à la cure de Saint-Hyacinthe, le type idéal du bon pasteur, par sa compassion et sa libéralité envers les pauvres, par sa sollicitude auprès des malades, par sa générosité pour les oeuvres de jeunesse ou d'éducation, par son inlassable charité à l'égard de tous. » (Mgr Lefebvre).

Le 6 octobre 1893, le pape Léon XIII choisissait le chanoine Paul LaRocque pour succéder comme évêque de Sherbrooke à Mgr Racine qui venait de mourir le 17 juillet précédent. Il apprit son élection, en lisant un journal, au moment où il visitait, avec son frère l'abbé Charles, l'exposition universelle de Chicago. S'il en fut surpris, il ne s'en émut pas, habitué qu'il était à accepter avec calme ce qui lui arrivait. Il fut sacré, à Sherbrooke, par Mgr Fabre, le 30 novembre 1893. II mit dans ses armes d'évêque le mot de saint Paul omnibus omnia factus sum — je suis tout à tous. C'était le programme qu'il se fixait, et il y a été admirablement fidèle. Il a dirigé son diocèse pendant trente trois ans. Il décéda à Sherbrooke, le 15 août 1926, à 80 ans d'âge, plein de mérite autant que de jours.

Mgr Paul LaRocque, que j'ai connu de près, ayant vécu quatre ou cinq ans sous sa houlette et dans son voisinage, avait un physique viril et imposant. On aurait dit qu'il était né pour le maniement de l'autorité. Il avait vraiment l'air d'un chef. De figure expressive et ferme, les traits réguliers et forts, le nez droit et bien saillant, la bouche franche, presque toujours souriante, les yeux doux et bons, mais qui vous regardaient dans l'âme, il n'avait rien, c'est sûr, de trop tendre ni d'efféminé. Plutôt maigre et osseux, parce que souvent malade, il avait quand même une belle tête, une tête d'homme résolu, qu'encadrait et prolongeait une longue barbe, qu'il portait tout entière, et qui fut de bonne heure grisonnante et blanche, comme sa chevelure très fournie. Son front, large et puissant, était celui d'un penseur. De taille moyenne par ailleurs, un peu courbé par l'âge, le vieil évêque ne laissait pas d'avoir grand air. Toujours de belle tenue, propre et distingué sur sa personne, il avait bonne mine. On a raconté que la baronne de Vimy, femme de lord Bing, notre ancien gouverneur, aurait dit en sortant de son salon de l'évêché de Sherbrooke : « Est-il gentil ce vieillard ! »

Mais il était mieux qu'aimable, affable et gentil ! Mgr de Sherbrooke était intelligent, il était bon et il était digne, en tout et pour tous. Omnibus omnia ! D'esprit clair, lucide et très fin, il comprenait tout et il comprenait vite. Sage et prudent par vertu autant que par nature, il ne se pressait pas d'ordinaire, disons mieux, il se pressait rarement. Ce n'est pas parce qu'il ne voyait pas ou ne saisissait pas du premier coup d'oeil. Mais il estimait à bon droit que le temps est un puissant collaborateur des activités humaines. D'autre part, il voyait haut et loin, et il saisissait tout à la fois l'ensemble et les détails d'une affaire ou d'une situation, sans efforts apparents, avec une maîtrise superbe. S'il avait la vision claire de l'intellectuel cultivé, il avait aussi la patience du bon directeur qui ne veut rien risquer. Il savait être maître de lui-même, ce qui est encore la meilleure façon de maîtriser les autres. Il ne s'emballait pas, pensait et réfléchissait avant d'agir.

Et puis, aux heures de détente, Mgr LaRocque se montrait spirituel et enjoué, trouvant aisément la pensée délicate, le tour heureux, le mot aimable ou la phrase caressante qui attire et retient. En d'autres termes, les qualités de son coeur égalaient celles de son esprit, il était bon en même temps qu'il était intelligent. Il se rendait compte que la faiblesse est bien souvent le lot des humains, qu'on peut se tromper sans y mettre de malice, qu'on peut tomber même sans être foncièrement méchant et que la sévérité orgueilleuse et outrée est loin d'être ce qui relève et guérit le mieux. S'il était énergique et ferme comme il convient à un chef, il était généreux et pitoyable comme il sied à un père et à un pasteur.

L'ancien évêque de Sherbrooke était digne aussi, d'une dignité qui n'avait rien d'étudié ni de compassé, qui savait rester modeste, qui était comme spontanée et jaillissait du fond de son être, ainsi que l'eau sort d'une source. M. l'abbé Dolor Biron écrivait au lendemain de sa mort :

« La dignité, chez Mgr LaRocque, n'était pas un article de commande ou d'emprunt. Elle lui appartenait en propre. Il n'était pas exposé à l'oublier, à la perdre ou à la chercher. Elle tenait à lui et il l'avait tous les jours. C'est pourquoi, elle était simple, facile et bonne. Sir François Lemieux a dit un jour, et c'était fort juste, que Mgr de Sherbrooke était l'évêque gentilhomme par excellence. . . »

« Patriote dans l'âme, ai-je déjà écrit moi-même, le vieil évêque suivait d'un oeil attentif le mouvement des affaires et des idées de son pays, toujours prêt à éclairer d'un mot ou d'un conseil ceux qui recouraient à ses lumières. Prêtre et évêque de tout son coeur, il souffrait des tristesses de l'Eglise et se réjouissait de ses triomphes. Pasteur du peuple et chef du clergé, il aimait ses fidèles et surtout ses prêtres de cette affection à la fois virile et pitoyable qui sait diriger sans brusquer et redresser sans briser. Par lui, le nom déjà vénérable, en notre histoire, des LaRocque l'est devenu encore davantage. »

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 201p., pp. 138-145.

 
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