Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Mgr Joseph-Médard Émard

(1853-1927)

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

MGR Joseph-Médard Emard, le premier évêque de Valleyfield, qui fut plus tard archevêque d'Ottawa, naquit à Saint-Constant, comté de Laprairie, le 31 mars 1853. Son père, Médard Emard, instituteur du village, était un fort digne citoyen, et sa mère, Mathilde Beaudin, une sainte femme. L'un des frères de Monseigneur, le Père Emard, était Oblat de Marie. Un autre, l'avocat Emard, a tenu une place importante, à Montréal, dans le monde de la politique et de la finance. Trois de leurs soeurs s'étaient faites religieuses. Le futur archevêque était l'aîné de la famille, une famille, comme on le voit, évidemment bénie du ciel.

Le jeune Joseph-Médard n'avait encore que 5 ans d'âge quand ses parents allèrent se fixer à Saint-Hubert, où son père continuait à remplir ses fonctions d'instituteur. C'est là qu'il fit ses premières classes à l'école paternelle et se forma de bonne heure à la piété et au goût de l'étude. A 11 ans, en 1864, il commença, à Sainte-Thérèse, son cours classique, qu'il termina, de 1867 à 1872, au collège de Montréal. C'est à Montréal aussi qu'il vécut ses années de grand séminaire. Il y fut ordonné prêtre, par Mgr Fabre, le 10 juin 1876. Après quelques mois de vicariat à Saint-Enfant-Jésus du Mile-End, il eut l'avantage, réalisant un rêve qui lui était cher, d'aller suivre à Rome des cours supérieurs de théologie et de droit canonique. Elève du séminaire français de Santa Chiara — le collège canadien de Rome n'a été établi qu'en 1888 — il étudia au Collège Romain et à l'Apollinaire, où les principaux professeurs étaient alors Palmieri, Mazella, De Angelis et Santi. A l'été de 1880, ayant complété ses études romaines par un voyage en Terre-Sainte — dont il a publié le récit —, il revint au pays, muni de ses parchemins de docteur en théologie et en droit canonique.

Mgr Fabre nomma l’abbé Emard vicaire à Saint-Joseph, l'église de la rue Richmond à Montréal. Ce ne fut que pour un an. A l'automne de 1881, il l'appelait à l'évêché, au poste de vice-chancelier du diocèse. A la mort de M. le chancelier Harel, en juillet 1889, M. Emard lui succéda. Entre temps, dès 1883, il collaborait activement à la rédaction de la Semaine religieuse, fondée, cette année-là, par un écrivain laïque distingué, M. Dupuy, d'origine française. En janvier 1889, M. Emard devenait le directeur officiel de ce périodique, dont on peut dire qu'il avait été, avec M. Dupuy, le co-fondateur. En 1887, quand l'Université Laval établit à Montréal sa faculté des arts, M. Emard fut invité à y professer, en même temps que MM. Bruchési et Archambeault. On lui confia la chaire d'histoire ecclésiastique. A la réorganisation du chapitre de la cathédrale en 1891, M. Emard fut fait chanoine titulaire. Enfin, le 5 avril 1892, le jour même où il créait le diocèse de Valleyfield, le pape Léon XIIII nommait M. le chancelier Emard son premier évêque. Il fut sacré, le 9 juin suivant, par Mgr Fabre, dans la nouvelle cathédrale de Valleyfield. Il avait 39 ans d'âge, et il était prêtre depuis quinze ans.

Mgr Emard a administré le diocèse de Valleyfield pendant trente ans, de 1892 à 1922. C'est là, principalement, qu'il a fourni à l'Eglise et à son pays une carrière de tous points utile et bienfaisante. Le 2 juin 1922, il était promu au siège archiépiscopal d'Ottawa, et, le 20 septembre suivant, il en prenait possession. Ce ne devait être que pour quatre ou cinq ans. Il est mort, en effet, à Ottawa, le 28 mars 1927, à 74 ans. Durant la grande guerre de 1914-1918, Rome avait nommé Mgr de Valleyfield évêque de nos soldats en campagne — episcopus castrensis — afin d'assurer, par son haut ministère, et sans qu'il quittât sa ville épiscopale, la source de juridiction et de direction spirituelle naturellement nécessaire aux troupes canadiennes. En outre, autre distinction notable, Mgr Emard avait été élu, en 1920, membre de notre Société Royale du Canada.

Grand et bel homme au physique, à la tête intelligente, à la figure animée, aux yeux clairs et scrutateurs, toujours distingué dans sa tenue et ses allures, de mine à l'abord plutôt sévère, et ayant parfois, dans sa physionomie, je ne sais quel air de mystère qui intriguait et déconcertait ceux qui le voyaient pour la première fois, — Mgr Emard ne tardait pas, quand on l'avait pénétré et mieux connu, à gagner, par ses belles qualités de l'esprit et du coeur, le respect et l'affection de tous. Sous une apparence un peu froide et distante, il était très sensible, trop peut-être. Il avait bien lui-même, de fois à autre, comme il disait plaisamment un jour d'un ancien, ses « sautes d'humeur ». Mais, à l'ordinaire, son sens du devoir et son désir d'être serviable à tous prédominaient, et il était, à l'occasion, affable et courtois comme personne, d'une conversation facilement enjouée et gentilhomme à la manière des prélats d'ancien régime.

Studieux et appliqué comme il l'était, ayant longtemps vécu à l'archevêché de Montréal, à l'époque où s'éteignaient les discussions fameuses autour de la question universitaire entre Québec et Montréal, Mgr Emard était particulièrement au courant de maintes phases de notre histoire ecclésiastique qui ne sont pas des moins intéressantes. Quand il consentait à en parler, dans l'intimité, c'était palpitant ! S'il a laissé des « mémoires » à quelques-uns des siens, ils seront précieux pour les historiens de l'avenir. Très renseigné d'ailleurs sur les questions de théologie et de vie sociale, travailleur consciencieux et observateur à l'esprit pénétrant, il a su, à Valleyfield, se révéler tôt, et se montrer toujours, un pasteur remarquablement instruit et un vrai docteur de son peuple. Les cinq volumes de lettres et mandements qu'il a laissés aux archives de son premier évêché, outre qu'ils constituent de fort belles annales de la vie du diocèse pendant trente ans, forment également un vaste compendium de leçons doctrinales et de directions disciplinaires de haute valeur. A Ottawa, où il arrivait archevêque à 70 ans, et qu'il n'a administré que quatre ans environ, il a sans doute moins marqué son empreinte.. Cette promotion de l'évêque de Valleyfield au siège de la capitale, c'était, dans les vues de Rome, on peut le supposer, comme un couronnement donné à sa belle carrière épiscopale. Mais, recommencer une vie nouvelle à son âge, c'était une tâche qui dut lui imposer bien des contraintes. Il s'en est acquitté, de cette tâche, on peut l'affirmer sans crainte, avec une parfaite dignité. Là comme à Valleyfield, ainsi que le lui disait au jour de ses noces d'or sacerdotales (juin 1926) Mgr Sylvio Corbeil, son passage au premier poste aura été un bienfait.

Mgr Emard avait de l'évêque la première des qualités, la prudence. Il savait observer, voir avant que de faire, selon que le portait la devise de son blason épiscopal Video ut faciam. Il dirigeait avec tact et sagesse, autant qu'avec fermeté et bonté. Il écrivait. beaucoup, et, bien qu'il fût plus soucieux du fond que de la forme, il le faisait avec netteté et précision. Tels de ses « messages », comme il les intitulait, sont des modèles du genre. En chaire, il parlait avec chaleur et conviction, y mettait toute son âme et atteignait souvent, sans le rechercher, à la haute éloquence. Il parlait en évêque, a-t-on dit, qui a droit et mission d'enseigner et qui le sait. Dans nombre de circonstances, il fut appelé, même en dehors de ses diocèses, à prêcher des sermons qui eurent de l'éclat. Mais il fallait l'entendre plutôt dans ses visites pastorales, ou encore quand il faisait l'oraison funèbre de quelqu'un de ses curés. On sentait alors que cet évêque ne se contentait pas d'être un chef, qu'il voulait d'abord être un père. Et il y réussissait merveilleusement. Les catéchismes qu'il faisait aux petits enfants, avant de les confirmer, étaient toujours captivants, parfois ravissants tout simplement.

Dans la vie du pays et dans le mouvement de nos affaires ecclésiastiques, Mgr Emard a tenu un rôle des plus importants. La réception qu'il fit à Valleyfield, en 1897, à l'envoyé du pape Léon XIII, Mgr Merry del Val, a fixé toute une époque chez nous, et l'on a écrit qu'elle rappelait un peu le célèbre toast d'Alger du cardinal Lavigerie. Homme de doctrine et homme d'entente tout à la fois, l'évêque de 44 ans d'alors estimait que, dans un pays comme le nôtre, sans rien sacrifier des principes essentiels, il convient, dans la pratique, de ne pas en urger toutes les conséquences et d'être tolérant pour les personnes sinon pour les idées. Et c'est encore ce qu'il pensait, sans doute, lorsque, à 73 ans, devenu archevêque, il terminait son discours, au centenaire d'Ottawa, en août 1926, en disant : « Le premier bateau à vapeur, qui est venu ici de Montréal s'appelait l'Union du Canada. C'est un nom symbolique. Nous devons vivre, en ce pays, les uns et les autres, dans une reconnaissance mutuelle des droits et des privilèges de chacun. »

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 201p., pp. 146-153.

 
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