Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Monsieur Alfred Duclos Decelles

(1843-1925)

 

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Alfred Duclos DeCelles - A. D. DeCelles, comme il signait toujours - qui fut de longues années conservateur de la bibliothèque du Parlement à Ottawa, est né, à Saint Laurent dans l'île de Montréal, le 8 août 1843. Il est mort, à Ottawa, où il résidait depuis longtemps, le 5 octobre 1925, à 82 ans. Journaliste, homme de lettres, auteur de plusieurs volumes d'histoire importants, très mêlé au reste à la vie intellectuelle et sociale de son temps, il a laissé le souvenir d'un écrivain à la plume facile et féconde, d'un citoyen distingué et serviable à son pays, d'un honnête homme et d'un parfait gentilhomme.

Le premier ancêtre venu au Canada, Gabriel Duclos, originaire du Calvados en France, s'était établi à Québec en 1643. Le père d'Alfred, Augustin Candide Duclos Decelles, deux cents ans après, était notaire à Saint Laurent. Sa mère, Sara Anne Holmes, était la propre soeur du célèbre abbé Holmes, du séminaire de Québec. C'est ce qui explique pourquoi le jeune Alfred alla faire ses classiques à Québec, où son oncle était décédé en 1852. Il y arriva à l'automne de 1859. Il avait déjà 16 ans, mais apportait avec lui un "joli bagage d'instruction primaire". "De moyenne taille, blond, sec, quelque peu nerveux et agité, a écrit plus tard Mgr Auguste Gosselin, il était toujours bien mis et ne manquait pas de distinction. Tout dans sa personne prévenait en sa faveur : oeil fin et intelligent, physionomie ouverte, maintien tout à la fois modeste et dégagé. Son éducation de famille était parfaite . . . Neveu de l'abbé Holmes, c'était une recommandation ! Il ne tarda pas à montrer qu'il tenait de race. Il fit un brillant et solide cours d'études . . ." A 19 ans, en quatrième, le jeune Alfred fut chargé de la direction de la bibliothèque des élèves du petit séminaire et on lui confia aussi en partie la direction de l'Abeille, un hebdomadaire rédigé par les écoliers. Bibliothécaire et journaliste, c'est ce qu'il serait toute sa vie. Sa vocation se dessinait.

DeCelles achevait sa philosophie en 1867, quand, Cauchon, le directeur du Journal de Québec, qui partait pour l'Europe, lui confia la rédaction de son journal. Le tout jeune rédacteur tint la plume avec honneur et se révéla tout de suite bon journaliste. En 1872, il passa à la rédaction de La Minerve à Montréal, dont Dansereau était le directeur. Ce quotidien tenait alors un grand rôle devant l'opinion. On y défendait les vues de Cartier et la politique conservatrice de la Confédération nouvellement établie (1867). DeCelles se familiarisa de mieux en mieux avec l'histoire des événements publics et fut bientôt considéré comme l'un des meilleurs journalistes de l'heure. Il passa huit ans à la rédaction de La Minerve. Lorsque, en 1880, Gérin Lajoie -- qui devait mourir en 1882 -- fut contraint par la maladie de quitter son poste de bibliothécaire au Parlement d'Ottawa, il fut naturellement remplacé par son assistant, M. Todd, un érudit anglo canadien, dont la compétence était reconnue, et DeCelles fut appelé au poste d'assistant. Cinq ans plus tard, en 1885, M. Todd étant mort, DeCelles devint lui même le bibliothécaire en chef. Il devait garder son poste quarante ans, de 1885 à 1925, et l'honorer hautement, par sa science d'abord et sa compétence indiscutable, et aussi par sa bonne éducation, son élégance naturelle et son exquise urbanité.

On ne se rend pas compte, souvent, dans le monde des affaires et de la politique, de ce que doit être un bon conservateur de bibliothèque ou, comme l'on dit ici, un bon bibliothécaire. On est parfois porté à le classer au rang d'un fonctionnaire d'ordre inférieur. C'est une lourde erreur. Dans les villes du vieux monde, on confie toujours cette charge à des savants, hommes de premier choix, qui connaissent l'histoire et la littérature de tous les pays et sont en mesure ou en état de diriger les "étudiants" ou "lecteurs", de tout âge et de toute condition, qui fréquentent leurs livres et leurs salles d'études. On se rappelle, pour ne citer qu'un illustre exemple, que le pape actuel, Sa Sainteté Pie XI, a été, presque toute sa vie, avant de monter sur le siège de saint Pierre, le conservateur de l'Ambrosienne à Milan ou de la Vaticane à Rome. A Ottawa, on avait eu la main heureuse en nommant DeCelles pour succéder à Gérin Lajoie et à Todd. "Il succédait, a écrit en 1913 Mgr Gosselin déjà cité, à deux hommes éminents, qui s'étaient montrés à la hauteur de leur fonction. Et quelle fonction importante ! Que de qualités, intellectuelles, morales et sociales, ne requiert elle pas dans un seul homme ! Or, je n'hésite pas à dire que DeCelles les possède toutes à un haut degré. Ses études et ses vastes connaissances lui permettent de se tenir au courant de tout ce qui se publie d'important dans les différents pays, d'en contrôler la valeur, pour en enrichir, au besoin, notre bibliothèque parlementaire . . . Et puis; avec quelle courtoisie et quel tact ne se met il pas à la disposition des clients ordinaires ! . . . Quant aux visiteurs de distinction, qui, plus que lui, est en état de leur faire l'accueil qui convient ? . . ." Tous ceux qui ont connu DeCelles auraient volontiers souscrit à cet éloge. Il était, en effet, de l'école des maîtres. En France, il eut été, comme nombre de ces Messieurs des anciennes bibliothèques, de l'Académie française ou de l'Académie des inscriptions et belles lettres.

Cette situation de conservateur de la bibliothèque du Parlement permettait en plus à DeCelles de consacrer une partie de ses activités, selon ses aptitudes et ses goûts, aux travaux littéraires et historiques. Les articles et les études, dûs à sa bonne plume, se continuèrent donc dans nos revues et journaux, à L'Opinion Publique, à La Revue canadienne, à La Minerve, au Canada français, à La Nouvelle France, à La Presse de Montréal . . . Bientôt, il publia des livres, et de nos meilleurs : Papineau, en 1891, L'Histoire des Etats Unis, en 1896, Lafontaine et son temps, en 1907, Cartier et son temps, en 1907, Laurier et son temps, en 1920, plusieurs autres encore.. Ces divers travaux, si précieux pour notre histoire, sont de première valeur. Les grands Canadiens dont il nous entretient, DeCelles les pose, bien campés, dans les milieux où ils ont vécu, il les fait revivre sous nos yeux avec les principaux personnages de leur temps, il les fait parler comme ils parlaient, agir comme ils agissaient, il apprécie leurs qualités et leurs mérites, il sait aussi distinguer leurs défauts. Son Histoire des Etats Unis est, de même, "un beau livre, écrit sans prétention, à la grande manière des bons écrivains français du dix-neuvième siècle (Mgr Gosselin) . . ."

M. DeCelles avait épousé, en 1876, Eugénie Dorion, dont il eut plusieurs enfants, un fils, entre autres, M. Alfred Eugène DeCelles, journaliste et littérateur, qui l'a continué. En 1884, il avait été élu à la Société Royale dont il fut le président de la section française pour l'exercice de 1892 1893 et pour celui de 1916 1917. En juin 1891, l'Université Laval l'avait créé docteur ès lettres. Décoré des palmes académiques, il avait en plus été fait chevalier de la Légion d'honneur de France en décembre 1903 et compagnon de l'ordre anglais de Saint Michel et Saint-Georges en août 1907.

J'ai eu l'honneur et l'avantage de connaître personnellement M. DeCelles, alors septuagénaire, aux réunions de la Société Royale à Ottawa. Ce qu'il se montrait bienveillant et aimable pour les nouveaux collègues ! C'était la courtoisie fait homme. Il avait tout du gentilhomme d'autrefois qui savait se donner au plus humble en gardant la distance. Instruit comme personne de l'histoire et des traditions de nos anciens, affable et discret, sachant intéresser toujours sans s'imposer jamais, il avait vite fait de conquérir les esprits et les cœurs.

"Homme intègre, a écrit de lui au lendemain de sa mort M. Georges Pelletier, d'un commerce agréable, serviable, surtout pour les jeunes journalistes dont il guidait les lectures parlementaires et qu'il se plaisait à mettre au courant des anciens événements politiques, comme aussi pour les députés auxquels il indiquait souvent la documentation dont ils avaient besoin, M. DeCelles, qui avait été le contemporain et l'intime de nos plus grands chefs politiques et le conseiller de plusieurs, eut peu d'ennemis et qui étaient bien au-dessous de lui. Avec lui disparait un historiographe consciencieux, un fonctionnaire intelligent et un véritable honnête homme dans toute l'ancienne acception du terme."

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 173-180. On pourra lire un texte de DeCelles sur les juifs ailleurs au site.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College