Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

Sir Georges-Étienne Cartier

(1814-1873)

 

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

[Note de l’éditeur : On notera que l’abbé Auclair écrivait le prénom de Cartier avec un S, à la mode française, alors qu’il serait plus correct de le mettre sans S, à la mode anglaise, tel que signait Cartier. Il faudrait aussi plutôt écrire Macdonald que MacDonald.]

Georges Etienne Cartier est né, à Saint Antoine sur Richelieu, le 6 septembre 1814, et il est mort à Londres, en Angleterre, le 20 mai 1873, à 58 ans. Il fut, avec John A. MacDonald, le principal organisateur de la Confédération canadienne, et, comme Lafontaine et Morin, l'un de nos grands hommes d'État.

Le Père Le Jeune, dans son Dictionnaire général du Canada, parle ainsi de l'ascendance de Cartier : "La famille est originaire de l'Anjou. Jacques Cartier, dit Langevin, fils de Pierre Cartier et de Marie Beaunier, natif de Pruillé en Maine et Loire, épousa à Beauport, où il était charpentier, le 6 juillet 1744, Marguerite Mongeau, et il devint marchand à Québec en 1750. De leur union naquirent quinze enfants, entre autres Jacques, né le 11 avril 1750, marié le 27 septembre 1772 à Saint Antoine de Chambly (sur Richelieu), à Cécile Gervaise, et décédé en 1813. Ce Jacques Cartier représenta à la Chambre le comté de Surrey ou de Verchères. Il avait acquis dans le commerce des grains à Saint Antoine une belle fortune. Son fils, un autre Jacques, né le 29 août 1774, marié à Marguerite Paradis, à Saint Antoine, le 4 septembre 1798, dissipa en grande partie la fortune de son père. Leur fils, Georges-Etienne, né en septembre 1814, reçut tout jeune les leçons de deux frères ambulants (des Récollets) et il vint faire ensuite son cours d'étude au collège de Montréal, sous la direction des sulpiciens. M. Edouard Rodier dirigea son cours de droit et le fit admettre au barreau en 1835."

Le futur grand homme était donc issu d'une famille de marchands, et il devint avocat à 21 ans. La maison natale à Saint-Antoine, la fameuse maison aux sept cheminées qu'on a malheureusement détruite en 1906, était l'une des plus considérables et l'une des plus belles, sinon la plus belle, de la rivière Chambly ainsi qu'on dénomme aussi le Richelieu. Si le père était un peu dissipé et dissipateur, la mère était une sainte; Georges Etienne eut quatre frères et trois sœurs qui vécurent jusqu'à l'âge adulte et plusieurs autres qui moururent en bas âge.

Dans sa jeunesse, Cartier, à l'exemple de Morin, fut l'un des fervents de Papineau. Il fit même le coup de feu à la bataille historique de Saint Denis en 1837 (24 novembre). Il fut obligé, par suite, de se cacher et de s'enfuir aux Etats Unis. En 1846, à 32 ans, il épousait à Montréal, Hortense, fille d'Edouard-Raymond Fabre, marchand libraire, qui a été maire de la ville, et sœur de Mgr Edouard-Charles Fabre et de l'honorable Hector Fabre. Deux filles seulement, Joséphine et Hortense, sont nées de ce mariage qui elles mêmes ne se sont pas mariées. Cartier n'a donc pas laissé de fils pour continuer sa lignée et il n'a pas non plus de descendants directs.


Au lendemain des événements tragiques de 1837 1838, Cartier, lui aussi, modéra sa fougue et tempéra son ardeur. Il s'éloigna de Papineau et fut du groupe de Lafontaine. En 1848, deux ans après son mariage, il se faisait élire député de Verchères. Il marqua tout de suite parmi les hommes importants de son parti. Il avait 41 ans quand Taché l'appela en 1855 à faire partie de son ministère, en lui confiant le portefeuille de secrétaire provincial. Deux ans plus tard, en 1857, il devenait le chef du parti libéral conservateur dans Québec, et il le fut jusqu'à sa défaite en 1872. Comme celle de Lafontaine et de Baldwin, son alliance avec MacDonald, est restée célèbre et fut profitable au pays. En 1868, il fut créé baronnet, comme l'avait été Lafontaine, ce qui lui donnait droit au titre de sir. Ce fut désormais sir Georges. Battu aux urnes, dans Montréal Est, en 1872, par Louis Amable Jetté, le futur juge et lieutenant-gouverneur, sir Georges connut à son tour l'inconstance de la politique et l'ingratitude de beaucoup de ses amis. L'année suivante, il s'en allait, malade, chercher en Europe un regain de santé. Il mourut à Londres, en Angleterre, muni des secours de la religion et dans des sentiments chrétiens, le 20 mai 1873, à 58 ans.

Dans la vie publique pendant vingt cinq ans et premier ministre quinze ans, sir Georges Étienne Cartier a été, au Canada, un organisateur et on peut même dire un créateur tenace et vigoureux. Par son énergie et son talent d'administrateur, il a fait beaucoup pour sa race et pour son pays. Sa carrière est l'une des plus mouvementées et des plus fécondes que nous comptions dans notre histoire politique. Notre province lui doit, par exemple, le règlement de l'épineuse question de la tenure seigneuriale, la codification de nos lois françaises, la décentralisation judiciaire et la loi bienfaisante qui assure l'existence civile aux paroisses canoniques. Ce sont là autant de mesures qui ont largement favorisé l'expansion dans la liberté de notre organisation sociale. Pour l'ensemble du pays, nous devons à Cartier, en même temps qu'à MacDonald, à Tupper et à quelques autres, l'établissement de la Confédération en 1867, et plus tard, l'idée de la construction de nos principaux chemins de fer. Parmi ceux qu'on appelle les Pères de la Confédération, Cartier est celui qui a le mieux soutenu et défendu, en autant qu'il était possible, car un pacte de cette nature ne pouvait se conclure sans des concessions réciproques, les droits et les libertés de ses compatriotes d'origine française et de foi catholique.

J'emprunte à Benjamin Sulte et à L. O. David ces deux notes sur Cartier qui donnent, l'une son portrait physique joliment esquissé, l'autre sa physionomie morale, si l'on peut dire ainsi. "Sir Georges, écrit Sulte, était de taille moyenne, un peu petite même, ce qui ne l'empêchait pas de donner à première vue l'idée d'une vigueur peu commune. Sans être gros, il était rondelet, potelé, de façon à ce que chez lui les nerfs et les muscles semblaient comme enfouis sous l'enveloppe de chair. La main et le pied étaient plutôt petits, d'un modèle superbe. La tête, plantée aplomb sur le cou, était d'une mobilité extrême. En parlant, il la remuait sans cesse de mille manières qui, chacune, signifiaient quelque chose. La pétulance toute française qu'on remarquait en lui n'avait rien d'importun ni de frivole. Il avait, dans ses agissements, des allures de lion . . ." "Cartier, dit David, était essentiellement un chef de parti, un organisateur et un administrateur. Ses traits de caractère dominants, c'étaient l'énergie, l'impétuosité, l'esprit de domination, la confiance en lui-même, l'amour du travail et le désintéressement. De l'énergie, il en avait de quoi transporter les montagnes et escalader les cieux ! Il se ruait sur ses adversaires avec la fougue des zouaves montant à l'assaut de Malakoff ! . . . Le même homme cependant ouvrait toutes les semaines, à Ottawa ou à Montréal, sa maison et ses salons à ses amis, dont plusieurs étaient de ses adversaires politiques. Nul ne trouvait mieux que lui le moyen de plaire à tout le monde et de mettre la joie et la gaieté dans tous les cœurs.. ."

On a célébré avec éclat en septembre 1919 on était en retard de cinq ans à cause de la grande guerre à Montréal, à Ottawa, à Québec, à Saint Antoine et ailleurs, le centenaire de la naissance de Cartier en 1814. Au pied du monument, qu'on lui a érigé, à Montréal, au parc Jeanne Mance, le 6 septembre 1919, Mgr Georges Gauthier, alors évêque auxiliaire et aujourd'hui coadjuteur et administrateur du diocèse, a prononcé, entre autres, ces fort nettes et significatives paroles : "Le recul de l'histoire commence pour Cartier et nous permet d'apprécier plus justement les causes de son emprise sur notre peuple. La puissance de sa personnalité faisait sans doute qu'on était fier d'être de son sang. Mais, en plus, le peuple du Bas Canada avait conscience de voir en Cartier une expression complète de ce qu'il était lui même. Il s'est donné à lui parce qu'il trouvait dans la noblesse de son caractère et dans la fermeté de ses croyances sa propre sécurité. On lui sut gré chez nous de s'être fait le défenseur des minorités... L'on a parlé de l’œuvre grandiose de la Confédération, au service de laquelle Cartier a mis la ténacité de ses efforts et la clairvoyance de son grand esprit. Sans vouloir devancer le jugement de l'histoire, et malgré que je pense à part moi que son effort n'aura pas été stérile, il est un jugement que nous, Canadiens français, nous pouvons attendre sans crainte au pied de ce monument. Ce jugement, c'est celui qui dira que, dans l'ensemble de la Confédération, nous avons été les premiers, même que nous sommes les seuls, à avoir compris la pensée de Cartier, et que, en fait, nous avons loyalement tenu les engagements qu'il a pris en notre nom."

Vingt jours après ces célébrations de Montréal, le 28 septembre 1919, à Saint Antoine sur Richelieu, son village natal, on érigeait un autre monument à sir Georges Etienne Cartier. Appelé, après plusieurs autres, à l'honneur de porter la parole en cette circonstance, parce que la famille de ma mère, née Leclerc, est originaire de Saint Antoine et apparentée à celle de Cartier, je terminai mon discours par ces considérations que je m'excuse de répéter ici : "Cartier est un grand homme, surtout et par dessus tout, parce qu'il a su vouloir. Les énergiques sont le plus souvent les maîtres du destin. Leur fallût il se sacrifier et marcher sur leur propre cœur, pourvu que, plus haut qu'eux mêmes, l'idée et l'intérêt de la patrie ou de la race passent et triomphent, cela leur suffit et c'est leur grande force. Ils tombent parfois brusquement. La politique comme la guerre a de ces coups. Mais le bruit même de leur chute prolonge l'éclat de leur renommée et les grandit encore. Cartier est de ceux là. Dans l'adversité aussi bien que dans la prospérité, ce fut un énergique au cœur haut placé et à la volonté ferme. Ce grand Canadien a aimé son pays et sa race avec intelligence en même temps qu'avec ardeur. Autant sinon mieux que personne, il a compris notre situation et notre vocation nationale. Pour lui, le groupe ethnique de descendance française que nous formons au Canada ne doit pas s'isoler. Tout en défendant et en maintenant ses droits naturels, il convient au Canadien français de se "fédérer" avec ceux qui l'entourent sans s'assimiler avec personne. Voilà pourquoi Cartier a fait la Confédération. Il n'a jamais séparé le progrès et la prospérité de sa race d'avec ceux du pays tout entier. L'histoire a commencé de lui donner raison et elle continuera."

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 29-37. Sur Cartier on consultera ailleurs au site une courte biographie. Plusieurs autres textes seront trouvés dans la section de l'Encyclopédie de l'histoire du Québec.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College