Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Histoire de la littérature canadienne-française (Québec)

 

INTRODUCTION GÉNÉRALE

La race française au Canada - L'esprit canadien-français -

Notre langue - Division

 

La race française au Canada

[Ce texte a été écrit par l'abbé Camille Roy; il fut publié en 1962. Pour la référence complète, voir la fin du texte.]

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C'est au dix-septième et au dix-huitième siècle que la France a colonisé le Canada. En 1603, elle s'établissait d'abord en Acadie, à Port-Royal (aujourd'hui Annapolis, dans la province de la Nouvelle-Écosse); en 1608, Samuel de Champlain fondait Québec, et cette ville devint le centre, le foyer principal de la colonie française de l'Amérique du Nord. Le Canada, appelé à cette époque la Nouvelle-France, resta possession française jusqu'en 1760. La guerre de Sept Ans, transportée en Amérique, y mit aux prises la France et l'Angleterre, et, après une longue et héroïque résistance, notre colonie fut cédée à l'Angleterre. Le traité de Paris (1763) ratifia cette conquête.

 

Mais seul le drapeau français fut forcé de disparaître du Canada. La France elle-même y restait, malgré la défaite, avec soixante-dix mille colons. Elle y restait avec une population qui avait apporté de ses provinces du Nord et de l'Ouest, de la Normandie, de la Bretagne, du Maine, du Poitou, de la Saintonge, de l'Anjou, leur tempérament tenace, réfléchi et laborieux. Les 70,000 de 1760 se sont merveilleusement multipliés. Ils sont aujourd'hui plus de 3,000,000 au Canada [en 1931], et plus de 2,000,000 aux États-Unis. Au Canada ils occupent surtout la province de Québec, où sur une population totale de 3,319,6401 (1) ils comptent pour 2,695,032. Cette province est restée, avec sa langue, ses moeurs, ses institutions, la Nouvelle-France de l'Amérique. Les groupements importants de population française qui, en dehors de la province de Québec, se sont formés dans l'ancienne Acadie et les provinces de l'Est (244,993), dans la province anglaise d'Ontario (373,990), dans les provinces cosmopolites de l'Ouest (168,381), et dans les États-Unis, y exercent une influence toujours grandissante.

 

C'est au milieu de ces populations françaises du Canada que devait se développer, au dix-neuvième siècle, après les périodes pénibles des premières luttes pour l'existence, une littérature qui porte la marque des influences historiques, sociales, et géographiques, qui ont ici peu à peu modifié notre âme française.

 

L'esprit canadien-français; ses qualités natives;

causes qui les ont modifiées.

 

Une littérature porte nécessairement l'empreinte de l'esprit qui l'a faite. L'esprit canadien-français, qui est évidemment à base de qualités françaises, a été plus ou moins modifié par les conditions nouvelles où il s'est développé. Il a gardé du génie de la race ses vertus natives, son goût inné des choses intellectuelles; il se complaît dans les idées générales et dans les discussions de doctrine; il a aussi conservé du génie ancien sa discipline classique, c'est-à-dire ce besoin de méthode, de logique, de clarté et d'élégance qui est la note caractéristique de la culture française; il contient encore des éléments de passions ardentes, d'enthousiasme et de mysticisme qu'il a reçus des races violentes et rêveuses qui ont peuplé le nord de la France. Il ne serait pas difficile de retrouver dans nos livres canadiens la trace de toutes ces qualités ancestrales.

 

Mais, d'autre part, notre esprit a visiblement subi l'influence des conditions nouvelles de notre vie historique et géographique. Pendant plus de deux siècles, nous avons été empêchés par notre vie de colons pauvres, d'agriculteurs et de soldats, de faire à la culture de l'esprit sa part suffisante. Les besognes utilitaires ont absorbé trop longtemps toutes nos énergies.

 

Sous le régime français, ce fut la colonisation laborieuse de nos immenses régions, l'organisation difficile de notre vie économique, et la guerre presque continuelle avec les Indiens ou avec nos voisins de la Nouvelle-Angleterre, qui ont pris toutes les ressources de notre activité. Ajoutez à cela que l'absence d'imprimerie, pendant tout le régime français, ne pouvait que contribuer à retarder toute production littéraire. Sous le régime anglais, après 1760, la nécessité de reconstruire d'abord la fortune privée et publique, et les luttes pénibles pour assurer la survivance française malgré toutes les tentatives d'assimilation faites par l'oligarchie anglaise; l'état d'infériorité sociale où cherchait à nous rejeter trop souvent l'élément britannique, l'exclusion ou l'éloignement trop systématique des fonctions ou des emplois publics qui procurent aux esprits cultivés d'utiles loisirs; l'impossibilité pratique, pendant longtemps, pendant plus d'un siècle après la conquête, d'organiser des oeuvres de haut enseignement; d'autre part, et jusque vers le milieu du siècle dernier, l'absence de contact avec la France, dont la vie littéraire eût été nécessaire à la création et à l'entretien de la nôtre: voilà quelques-unes des causes qui devaient nous empêcher longtemps de faire de la littérature, et qui devaient aussi peu à peu abattre chez nous cette flamme de vie intellectuelle et artistique qui est propre à l'âme française. Fatalement, nous sommes devenus utilitaires et pratiques; et nous sommes devenus, aussi, intellectuellement paresseux; non pas moins capables, mais moins soucieux des travaux de l'esprit.

 

Au surplus, notre climat et le voisinage de nos compatriotes, anglo-saxons devaient contribuer encore à changer notre tempérament, notre caractère; ils devaient donner à notre esprit plus de gravité, plus de mesure peut-être, mais ils devaient aussi le faire moins fervent, moins empressé au travail. Le voisinage des États-Unis, où le commerce, l'industrie et l'argent absorbent les meilleures énergies, et ont créé la noblesse du million, n'a pu que nous persuader davantage de mettre, nous-mêmes, au-dessus de la fortune de l'esprit celle des affaires, ou tout au moins de préférer à la vie intellectuelle les préoccupations d'ordre utilitaire. « Ce jeune homme ne fait rien, il écrit », disait-on vers 1850. On l'a répété depuis.

 

Si donc nous avons, malgré tout, gardé les instincts profonds de la race française, et l'ensemble de ses qualités intellectuelles que l'on peut reconnaître encore dans notre vie et dans nos livres, il faut avouer que notre esprit canadien-français a subi de lentes et sûres transformations. Il a perdu quelque chose de sa vivacité première. Il a, en revanche, acquis des qualités d'ordre politique et pratique qui ont très utilement servi nos destinées. Mais il faut ajouter que notre littérature doit à toutes ces influences qui se sont exercées sur notre esprit, la lenteur de ses débuts, et aussi cette lourdeur, cette inexpérience du vocabulaire et de l'art, cette insuffisance d'esprit critique dont, pendant les deux premières périodes de son histoire, elle a particulièrement souffert.

 

Il semble que dès le commencement du vingtième siècle, et surtout depuis la grande guerre, une conscience plus nette de nos déficiences, une organisation plus complète de nos moyens de culture, une ambition plus vive d'accroître notre vie intellectuelle et artistique, un souci plus grand des pouvoirs publics de coopérer avec les initiatives privées, ont déterminé des progrès qui sont eux-mêmes des promesses d'un meilleur avenir.

 

La langue

 

Nos origines littéraires ne correspondent pas, comme pour les littératures européennes, à une période de formation de la langue. La langue que nous parlions et que nous pouvions écrire en 1760, était l'une des plus parfaites des langues modernes; elle avait servi à la composition des plus beaux chefs-d'oeuvre de la littérature française. D'autre part, la période de nos origines littéraires ne correspond pas à une sorte de moyen âge ou une race se dégage de la barbarie, et peu à peu s'initie aux formes classiques de l'art. Nos pères avaient apporté ici les habitudes d'esprit de la France du dix-septième siècle, et dans leurs maisons d'enseignement les procédés de culture étaient les mêmes que dans l'ancienne mère patrie. La langue de nos premières oeuvres littéraires pouvait être la langue classique de France.

 

Cependant, parce que nos premiers journalistes et nos premiers poètes avaient peu d'entraînement littéraire, on remarquera que leur langue est assez lourde. Nos premiers écrivains n'ont pas non plus les ressources de vocabulaire des écrivains de France. Les causes qui ont modifié notre esprit et gêné notre vie intellectuelle, devaient aussi gêner et appauvrir notre langue. Dans un pays comme le nôtre, peu peuplé, isolé de la mère patrie, moins pourvu qu'elle des moyens de haute éducation, et où la vie de l'esprit fut d'abord et nécess airement languissante; dans une colonie ou manqua tout à coup, après 1760, une suffisante aristocratie sociale, et où la population rurale, au vocabulaire restreint, peu nuancé, souvent impropre, devait elle-même, par ses fils élevés dans les collèges, renouveler et reformer sans cesse les classes supérieures de la société, il était inévitable que la langue, celle de la conversation comme celle des écrits, se ressentît de ces conditions pénibles de sa survivance. Le vocabulaire, plus que la syntaxe, devait souffrir d'indigence. Ce fut par le livre plutôt que par la conversation et par les relations sociales que l'on connut les ressources de la langue littéraire. La langue que l'on apprit ainsi était excellente sans doute, puisque l'on étudiait ici de préférence et presque exclusivement les chefs-d'oeuvre classiques de la littérature française; elle était juste et ferme; mais parce qu'elle était trop livresque, elle se transposait péniblement soit dans les oeuvres écrites, soit dans les commerces de la vie sociale. Notre langue garde encore des marques de cet appauvrissement. Pendant le dix-neuvième siècle, elle n'a pu prendre assez chez nous les habitudes, l'agilité, les moyens plus souples d'expression qu'elle acquérait en France. C'est ce qui a donné quelquefois à notre prose ce caractère un peu ancien, archaïque et pesant que remarquent les lecteurs français.

 

Il ne faut, d'ailleurs, pas reprocher à notre langue les vertus anciennes qu'elle a gardées, les tours et les mots qui lui viennent de la grande époque. Tout cela est une particularité caractéristique et une richesse pour elle. Et tout cela lui fait grand honneur, quand ceux qui l'écrivent la manient avec une suffisante dextérité.

 

Notre vocabulaire contient un certain nombre de mots populaires empruntés aux parlers des provinces de France ou créés ici, qui sont passés dans notre langue littéraire, et qui sont une part précieuse de son originalité. Il n'est pas opportun que notre langue se charge de tous les néologismes qui sont créés en France, et qui sont parfois de fabrication suspecte; mais il sera toujours désirable qu'elle s'enrichisse de mots nouveaux, créés ici pour désigner des choses nouvelles ou des choses de chez nous, pourvu que les mots nouveaux soient de bonne venue et de bon goût.

 

Division

 

Malgré tout ce qu'il y a d'artificiel dans les divisions chronologiques de l'histoire, il semble que, pour la commodité des études et à raison de faits suffisants, on peut distribuer en trois périodes l'histoire de la littérature de langue française au Canada.

 

PREMIÈRE PÉRIODE: Les origines, 1608-1860 . Cette période comprend d'abord quelques ouvrages écrits sous le régime français (1608-1760) par des auteurs venus de France, et dont la plupart n'ont vécu que quelques années en Canada. Il y a là une littérature française sur le Canada, plutôt qu'une littérature canadienne. On en peut faire un chapitre préliminaire de notre littérature.

 

Ce fut à partir de 1760, sous le régime anglais, que commença à se former une littérature proprement canadienne. Et ce n'est guère qu'au milieu du siècle dernier que l'on vit apparaître les premières oeuvres qui méritent de retenir l'attention: celles d'Étienne Parent, de François-Xavier Garneau, d'Octave Crémazie. Ces oeuvres, écrites sous l'influence de luttes politiques engagées et soutenues pour notre survivance française, portent surtout le caractère d'une littérature militante.

 

DEUXIÈME PÉRIODE: 1860-1900 . Les écrivains de cette période s'inspirent des ouvrages de la fin de l'époque précédente, et aussi, dans une grande mesure, des romantiques français qui régnaient encore au Canada. Le mouvement littéraire de 1860, qui domine cette période, et dont l'animateur fut l'abbé Raymond Casgrain, se caractérise assez nettement par cette double influence patriotique et romantique. Ce mouvement fut l'oeuvre de l'École patriotique de Québec.

 

TROISIÈME PÉRIODE: de 1900 à nos jours. En poésie, le thème patriotique fait place au thème psychologique dont s'inspire surtout l'École littéraire de Montréal. D'autre part, sous l'influence des études du parler populaire occasionnées par la fondation de la Société du Parler français à Québec, en 1902, surgit, en prose et en vers, une abondante littérature du terroir. C'est aussi vers 1902 que s'établit le genre de la critique littéraire, jusque-là à peu près inexistant.

 

Plus tard, à partir surtout de 1920, le roman, jusque-là branche pauvre et presque stérile de notre littérature, se multiplie, produit des oeuvres nombreuses. Une activité plus grande, d'inspiration plus libre ou plus large, se manifeste dans la plupart des autres genres littéraires, soit en prose, soit en vers. A partir de 1920, il y a au domaine de l'enseignement supérieur un renouveau intellectuel qui n'est pas étranger au renouveau littéraire.

 

(1) Nous donnons les chiffres du dernier recensement fait en 1931. Ces chiffres doivent être aujourd'hui majorée.

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Source: Mgr Camille ROY, Manuel d'histoire de la Littérature canadienne de langue française , 21 ème edition, revue et corrigée par l'auteur, Montréal, Beauchemin, 1962 [1939], 201p., pp. 9-15. Le texte a été reformaté et les erreurs typographiques évidentes ont été corrigées.

 

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College