Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Le Code civil du Bas-Canada [Québec]

 

Discours prononcé par George-Étienne Cartier à la Législature du Parlement du Canada-Uni, 1865. Pour la référence exacte, voir la fin tu texte.]

 

 

M. l'Orateur - Je ne pense pas que depuis l'Union des Canadas, les chambres aient eu devant elles une mesure plus importante à examiner, que celle de l'établissement du Code civil, que j'ai l'honneur de soumettre présentement. Les explications que j'aurai à donner à ce sujet, sont d'une importance majeure, et je vous prie, ainsi que tous les honorables membres de cette chambre, de me prêter la plus grande attention. Je commencerai par retracer l'histoire des travaux des commissaires nommés pour codifier les lois du Bas Canada, et qui vous soumettent présentement le résultat de leurs veilles et de leurs études.

 

En 1857, le discours de Son Excellence renfermait le paragraphe suivant:

 

«  Je ferai soumettre à votre considération une mesure susceptible de rendre, dans le Bas Canada, la justice plus accessible au peuple en général, et d'établir la codification des lois et la procédure en matières civiles dans cette partie de la province. »

 

La promesse contenue dans ces quelques lignes, se trouve maintenant en grande partie réalisée. En 1857, je présentai une mesure autorisant la confection d'un code pour le Bas Canada. Ce projet souleva alors de fortes objections; beaucoup disaient que cette entreprise était impossible. J'avais prévu les objections que l'on pouvait faire à cette question, et j'avais compris qu'il fallait auparavant aplanir beaucoup de difficultés, qui tenaient à la loi alors en force dans cette partie de la province. Parmi les défauts que l'on me reproche, et que je reconnais du reste, on met au premier rang l'obstination. Je suis content qu'elle m'ait servi en cette circonstance; je persévérai, et aujourd'hui, je suis heureux du succès obtenu.

 

Les commissaires soumettent à cette chambre un code aussi complet et aussi sage que celui d'aucune autre nation; ils vous soumettent aujourd'hui un travail qui ne peut être surpassé, même par le Code Francais, ni par le Code Justinien, dont la renommée de sagesse est pourtant si grande.

 

La première objection que l'on fit à mon projet en 1857, consistait dans la difficulté même de le mettre à exécution. En effet, il ne s'agissait pas de faire un code pour le Bas Canada, mais bien de classer et d'ordonner les lois alors en force, en mentionnant pour chaque article les autorités sur lesquelles les commissaires s'appuyaient, pour affirmer que c'était réellement la loi du Bas Canada; cette exigence devait rendre le travail considérablement plus long, et pour ainsi dire interminable. Je persistai néanmoins dans ma résolution, et le résultat, tel que présentement connu, démontre que je n'ai pas été trompé dans mes prévisions. A chaque article du Code est citée l'autorité sur laquelle il s'appuie; par ce moyen, on connaîtra toujours les sources de notre droit, et il sera toujours facile d'y recourir, quand viendra le temps d'interpréter notre loi. Ces citations, par leur exactitude et leur grand nombre, attestent un travail considérable de la part des commissaires. Il a fallu du temps, sans doute, mais cependant cette précaution était nécessaire; il était impossible pour nous de copier le Code de la Louisiane ou le Code Français. Les commissaires, sans doute, ont pris beaucoup d'articles du Code de la Louisiane et du Code Français, mais il leur a fallu inclure aussi le droit particulier du Bas Canada, notre droit indigène, renfermé dans les statuts, et nous pouvons dire que sur tous ces points, ils ont pleinement justifié l'attente du public.

 

Avant de passer aux observations et aux suggestions contenues dans le Code, je dois dire un mot des savants légistes à qui ce travail avait été confié.

 

Il existe dans l'esprit d'un grand nombre une impression fausse, se rapportant à la formation de la commission de la codification et ce qui s'est passé à cet égard entre feu l'Honorable juge-en-chef Sir Louis Hypolite [sic] LaFontaine et moi. On a répété et l'on croit que le regretté juge n'a pas eu l'offre de faire partie de la commission; ou que du moins, si l'offre lui en fut faite, ce fut de telle manière qu'il ne pouvait l'accepter. Je suis bien aise de pouvoir aujourd'hui démontrer que cette impression est fausse. Une lettre de Sir Louis Hypolite LaFontaine, lui-même, démontre que l'offre lui fut faite de soumettre son nom à Sir Edmund Head. Je dois à sa mémoire comme à moi-même de lire cette lettre. Voici la demande que je lui adressai à cette occasion.

 

Toronto, 28 novembre, 1857.

 

Monsieur,

 

J'ai l'honneur de vous demander de vouloir bien me permettre de soumettre votre nom à Son Excellence, le gouverneur-général, dans le but de fournir à Son Excellence l'occasion de vous nommer comme l'un des commissaires qui devront, sous les dispositions de l'acte de la 20e année du règne de Sa Majesté, chapitre 43, codifier les lois du Bas Canada, en matière civile. Tout en vous témoignant l'espérance que vous voudrez bien acquiescer à ma demande, je puis vous intimer que si vous y accédez, Son Excellence l'apprendra avec plaisir.

 

J'ai l'honneur d'être, votre très humble et obéissant serviteur,

 

Sir L. H. LaFontaine, Baronnet,

Montréal.

 

 

Sir Louis Hypolite me répondit par la lettre suivante:

 

Montréal, 1er Décembre 1857

 

Monsieur,

 

J'ai l'honneur d'accuser réception de votre lettre, dans laquelle vous me demandez « de vouloir bien vous permettre de soumettre mon nom à Son Excellence, le gouverneur-général, dans le but de fournir à Son Excellence l'occasion de me nommer comme l'un des commissaires qui devront, sous les dispositions de l'acte de la 20e année du règne de Sa Majesté, chapitre 43, codifier les lois du Bas Canada, en matière civile. »

 

Je suis bien sensible à l'assurance que vous me donnez, que si j'accède à votre demande, Son Excellence l'apprendra avec plaisir. Néanmoins, je me trouve dans le nécessité de vous répondre que je ne puis accepter l'offre que vous me faites; de trop fortes raisons s'y opposent: la première, qui est seule qu'il me suffit de donner, est l'état de ma santé, qui ne me permet pas d'entreprendre une tâche aussi laborieuse que celle de la codification.

 

J'ai l'honneur d'être, votre très humble et obéissant serviteur,

 

L.-H. Lafontaine.

 

L'Honorable G.-E. Cartier,

Etc., Etc., Etc.,

 

Dès cette époque, le regretté juge-en-chef ressentait les atteintes du mal qui nous l'a enlevé, et qui nous a fait perdre en lui un des personnages les plus distingués, comme politique et comme jurisconsulte.

 

Des difficultés étant survenues subséquemment, l'action du gouvernement sur la codification se trouva interrompue. Je laissai le Canada pour l'Angleterre, en septembre, 1858, et je restai absent jusqu'en décembre de la même année. Je dois dire qu'à mon retour je réitérai mon offre, en espérant que la santé du savant juge pouvait s'être rétablie, et qu'il pouvait alors accepter; mais il me répondit que les mêmes raisons existaient encore, et l'empêchaient de se rendre à ma demande, et qu'il devait me remercier de nouveau du témoignage de confiance que je lui donnais.

 

Voyant qu'il fallait cesser d'espérer son acceptation, je fus obligé de faire autrement, et en février, 1859, la commission fut définitivement formée de MM. les Honorables Juges Caron, Day et Morin, qui reçurent l'autorisation de commencer les travaux préliminaires du grand ouvrage qui leur était confié. Ils eurent pour secrétaires les deux hommes les plus aptes à ce genre de travail qu'il fut possible de trouver, MM. U. Beaudry et T. K. Ramsay. La Loi exigeait que les deux secrétaires connussent bien les deux langues; il devait y avoir un secrétaire anglais, mais bien versé dans la langue française, et un secrétaire français, qui eût également une grande connaissance de la langue anglaise. M. Beaudry, il n'est pas besoin de le dire, quoiqu'occupant le modeste poste de Greffier de la Cour d'appel, était remarquable par une connaissance parfaite de la jurisprudence de nos décisions. M. Ramsay possède une éducation classique parfaite, et est bien connu comme écrivain anglais. La connaissance qu'il avait de la langue française lui permettait de comparer les deux textes et de voir à la perfection de la traduction. Je regrette que par suite de causes politiques, on l'ait forcé d'abandonner cette charge, qu'il remplissait avec tant de talent et de capacité. Cependant, je ne puis m'empêcher de dire que la nomination de son successeur fut faite avec beaucoup de soin, et que M. McCord s'acquitta de son devoir, à l'entière satisfaction de tous les membres de la commission.

 

L'Honorable Juge Caron, un des commissaires, était certainement un des hommes qui avaient le plus de droit à cette charge; son amour du travail et ses talents le désignaient à une pareille position. Il fut successivement Membre du Parlement Provincial avant l'Union, et après l'Union, Membre du Conseil législatif, Président de cette Chambre; et durant tout ce temps, il prit à la législation une part qui donnait au pays une garantie que le travail q'on lui confiait ne pouvait être placé en meilleures mains.

    

Tout le monde reconnaît le génie philosophique de l'Honorable juge Day, sa puissance d'analyse considérable. Lorsque j'étais encore jeune avocat, j'ai eu occasion de juger de ses connaissances légales, lorsqu'il remplissait le poste de solliciteur général. Il fut nommé juge à un âge encore peu avancé, mais il comprit de suite qu'il y avait, dans son éducation, une lacune à remplir, et il s'appliqua, avec une ardeur et une constance dignes de tous les éloges, à l'étude de la langue française. On a toujours admiré la persévérance avec laquelle il a sans cesse cherché à augmenter ses connaissances légales. Par son esprit philosophique, et par son aptitude à saisir parfaitement la raison des choses, il devait puissamment aider le travail de ses confrères. On disait que l'Honorable Juge Morin n'avait que peu d'expérience comme avocat et comme jurisconsulte. Ceux qui faisaient cette objection ne connaissaient, point l'intelligence qu'il pouvait déployer pour un semblable travail, et maintenant j'ai le témoignage de ses deux collègues, déclarant qu'il n'aurait pu que très difficilement être remplacé. Voilà le personnel de la codification, tel que désigné en 1859.

 

Je passerai maintenant aux observations sur leur travail, présentement devant cette chambre. Les commissaires étaient autorisés à soumettre des amendements en regard du texte de la loi mais d'une manière parfaitement distincte de la loi elle-même actuellement en force. Voici les principaux amendements qu'ils présentent dans leur rapport.

 

Au Traité des obligations, ils expriment l'opinion qu'il vaudrait mieux adopter la disposition du Code Napoléon, qui veut que dans une convention, lorsqu'il y a eu des dommages de stipulés, le juge soit tenu de s'en tenir aux termes mêmes de la convention; de préférence à l'ancien droit français, qui permet au juge de réduire ces dommages. Ils proposent d'abolir la distinction que fait le droit romain de la faute lourde, grave et légère. Ils expriment l'opinion que la preuve verbale, au lieu d'être permise seulement dans une cause n'excédant pas $25, devrait être reçue dans les causes jusqu'à $50.

 

Relativement à la vente, ils croient préférable de rendre la vente parfaite par la convention, sans rendre la tradition nécessaire. Au titre du louage, ils proposent d'abolir la loi actuelle qui établit la résolution du bail, dans tous les cas de vente des biens loués; il résulte beaucoup d'abus de cette disposition; le propriétaire fait souvent une vente simulée, dans le seul but de faire déguerpir le locataire. L'amendement n'est suggéré que dans le cas de vente volontaire, et pour toutes les ventes forcées, l'ancien droit reste en force. Il résulte aujourd'hui de grands embarras pour la transmission de la propriété foncière, par suite de nos lois sur les douaires. A l'avenir, une femme devra faire enregistrer son contrat de mariage et désigner sur cet acte les immeubles affectés au douaire. Une telle disposition ne nuit en rien aux droits de la femme et des enfants, en même temps qu'elle empêche un acheteur de bonne foi d'être forcé d'abandonner sa propriété ou de la payer deux fois. Il pourra s'assurer, par ce moyen, de toutes les charges imposées à la propriété qu'il achètera. Un amendement à la loi des successions propose l'abolition des biens propres, et l'assimilation de notre droit au Code Napoléon. Les commissaires proposent aussi d'abolir les dons entre époux, et le droit de résiliation de donation, pour cause de survenance d'enfants. A l'article des testaments, ils suggèrent d'adopter la saisine testamentaire; cet amendement aurait certainement pour effet d'éviter bien des procès. L'abolition de la prescription de 100 ans est également proposée, comme parfaitement inutile; il en est de même de celle de 20 ans, qui n'a plus sa raison d'être, par suite de la grande facilité de communications qui existe aujourd'hui. Il n'y a aucun amendement au titre de la communauté. Voilà tous les changements importants suggérés par les commissaires. Si le projet du Code est adopté, nous pourrons en être fiers, et dire que sous ce rapport, nous n'avons rien à envier à aucune autre nation. Une des plus grandes difficultés qui se présentaient pour la confection d'un code pour le Bas-Canada, provenait de la différence qu'il y avait dans la tenure de la terre; mais par une loi dont je proposai l'adoption en 1857, la même loi fut étendue aux townships; l'uniformité fut établie. Cette loi de 1857 fit disparaître non seulement une grande difficulté de la législation, mais encore un obstacle au progrès général de notre pays. On a souvent reproché aux Canadiens-Français de ne pas vouloir s'établir dans les townships; leur conduite s'explique cependant d'une manière parfaite, de même que celle des émigrants. La loi régissant ce territoire n'était pas définie, et ils ne pouvaient jamais être certains qu'en achetant un terrain en cet endroit, ils n'achetaient pas un procès, et si eux ou leurs enfants n'en seraient pas dépossédés un jour.

 

Les commissaires avaient pour instructions de n'inclure dans le Code aucune disposition relative à la tenure seigneuriale. La loi de 1854 avait bien en grande partie, aboli la tenure seigneuriale, mais cependant elle était encore en force dans l'Isle de Montréal, qui appartient aux Sulpiciens, dans la seigneurie des Deux-Montagnes et dans quelques seigneuries du comté de L'Assomption. Mais l'acte de 1859 a fait disparaître toutes ces différences et l'uniformité a été rendue complète, et toutes les terres sont maintenant en franc-alleu roturier.

 

En 1859, j'insistai auprès de mes collègues Canadiens-Français sur la nécessité de faire connaître la loi française aux anglais; ce moyen était le plus sûr de la faire apprécier et conserver.

 

Le travail de la codification se présente sous les auspices importants, et tout fait espérer que les résultats que nous en augurons seront réalisés; d'ailleurs, ce travail a été fait à l'imitation du Code Français et en marchant sur ces traces, il n'y avait aucune crainte pour nous de ne pas réussir. Quand on discutait le Code Napoléon au corps législatif français, Benjamin Constant essaya de ridiculiser cette oeuvre, en disant qu'elle ne contenait rien de romain, et que ce n'était que la rédaction en articles du droit déjà en force. Les commissaires revendiquèrent l'importance de leur travail, en disant que ce qui paraissait un défaut pouvait être une précieuse qualité. La loi d'un pays n'est, pas seulement le résultat de l'arbitraire, et ne se forme pas par caprice, elle est le résultat de l'habitude du peuple, appliquée à tous les actes de la vie pour les régler. Notre droit a les mêmes origines que le droit actuel français, et il a été puisé aux mêmes sources. II est tiré en grande partie du droit romain, qui est regardé par tous ceux qui l'étudient, comme supérieur à tout ce qui a pu être produit par les autres peuples. Les Romains étaient remarquables par leur esprit d'économie et positif; les grecs avaient plus d'imagination et ont excellé surtout en politique; leurs publicistes n'ont pu être surpassés; mais les lois romaines ont gardé le premier rang. Lerminier, professeur de droit à Paris, disait que le plus beau livre, après l'Écriture Sainte, était le droit romain. La coutume de Paris forme aussi une des sources de notre droit. Oh sait qu'entre toutes les coutumes de France, celle de Paris était remarquable par la sagesse de ses dispositions. Les divisions peuvent manquer d'ordre et le style en être obscur; mais on ne peut n'en pas remarquer la concision et l'énergie. Du reste le parlement de Paris a toujours été composé des avocats et des hommes de loi les plus distingués de la France.

 

Je dois dire maintenant un mot de nos statuts. Chaque peuple a une loi indigène, un droit particulier, résultant de sa position et de ses besoins particuliers. Depuis que le Canada est devenu une colonie anglaise, nous avons fait entrer dans notre droit plusieurs dispositions nouvelles, qui devaient faire partie du Code. Le Code civil sera suivi d'un Code de commerce. Les commissaires ont adopté à ce sujet la division du Code Napoléon. Les trois premiers livres se composent des mêmes matières et le quatrième livre traitera des contrats commerciaux en particulier, comme les lettres de change, etc.

 

A la Louisiane, après que le Code civil fut promulgué. on songea au Code de commerce; mais le premier était si complet, qu'on s'aperçut qu'un nouveau Code serait inutile, et que toutes les dispositions, dont pourrait se composer le Code de Commerce, se trouvaient déjà dans le Code civil.

 

Il avait été résolu, dès le commencement du travail des commissaires, qu'aussitôt qu'un rapport important serait prêt, il serait adressé aux juges, afin qu'ils fissent leurs commentaires et présentassent leurs objections. Cette résolution a été accomplie à la lettre de la part des commissaires; mais il n'y a qu'un seul juge qui ait répondu à l'attente du gouvernement à cet égard, et qui ait envoyé ses observations, l'Honorable juge Winter. Le Code a eu très peu de publicité jusqu'à présent, et cependant il a déjà rendu de grands services aux avocats et aux juges; c'est la meilleure preuve de sa grande utilité dans l'avenir. Chacun connaît les graves difficultés qu'eut à surmonter la France, avant d'en venir à la réalisation du projet du Code qui fait aujourd'hui l'admiration du monde entier. Il ne serait pas juste cependant de laisser toute la gloire de cette entreprise à notre siècle. Louis XIV, Louis XV, Colbert, Lamoignon, D'Aguesseau ont l'honneur d'avoir conçu ce projet que diverses circonstances les ont empêchés de mettre à exécution. Mais c'est à Napoléon I que revient la plus grande part de la gloire, et on peut dire avec lord Brougham qu'il pourra se présenter à la postérité avec son Code à la main. Louis XIV, aidé des conseils de Lamoignon, avait résolu de codifier les coutumes de France; les grandes coutumes étaient alors au nombre de 60 et les petites étaient au nombre de plus de   qui faisait dire à Voltaire qu'en France, on changeait de loi chaque fois qu'on changeait de chevaux de poste. Louis XIV, après avoir établi l'unité de la monarchie sur les ruines de la féodalité, fit organiser par Lamoignon, une commission qui s'occupa pendant deux ans de la codification, mais sans produire d'autre résultat qu'un ouvrage de la plus grande utilité, les arrêtés de Lamoignon. Voyant que son projet ne pouvait être exécuté, Louis XIV publia ses ordonnances si connues de 1667, 1673, 1681, et autres, qui ont servi de base au Code Napoléon. Depuis cette époque, la codification ne cessa de progresser sous différentes formes, jusqu'à la Constituante qui décréta l'uniformité des lois de la France. L'Assemblée Législative et la Convention se succédèrent, sans mettre à exécution le projet de la Constituante. Sous la Constituante cependant, Cambacérès présenta un projet de code qui fut rejeté, parce qu'on ne le trouvait pas assez révolutionnaire; il s'était guidé dans son travail sur la coutume de Paris, sur le droit romain et sur les ordonnances. Le travail fut repris par le premier consul, et après quatre mois de travail, la commission qu'il avait nommée présenta son rapport, qui n'était en grande partie que la reproduction du travail de Cambacérès, ce qui explique pourquoi il fut fait en si peu de temps. Il fut promulgué en 1804.

 

On a dit que la commission du Bas Canada avait siégé longtemps. Voici ce qu'il y a de vrai à cet égard. La commission fut organisée en février, 1859, mais de suite le juge Day partit pour l'Europe, d'où il ne revint que dans l'été. Puis le juge Morin fut malade pendant près de six mois, et ce ne fut que vers le mois de juillet que les commissaires commencèrent leur travail, qui a ainsi duré quatre ans. Le Code de Procédure Civile est assez avancé, et il pourra prochainement être promulgué. Le code aujourd'hui devant les chambres est une oeuvre importante. Si le Canada veut grandir, s'il veut conserver son individualité et sa nationalité, rien ne sera plus capable de réaliser ses espérances que l'adoption d'un code de lois. Le peuple romain fut grand, surtout par ses lois; ses conquêtes sont séparées, son nom même est disparu, mais ses lois ont survécu à son anéantissement, et il a imposé ses lois à ses vainqueurs. Le nom de Napoléon sera plus célèbre par les lois qu'il a établies que par les conquêtes qu'il a faites. Il fut obligé d'abandonner son rôle de dominateur de l'Europe, mais son Code est resté, moins les dispositions sur le divorce et sur les substitutions au second degré.

 

Quand les lois du Bas Canada pourront être mieux connues, que l'étude et l'application en seront plus faciles, nos voisins du Haut Canada et des provinces du golfe nous l'emprunteront; et il aura son influence dans la confédération, si elle a lieu.

 

Le droit criminel reste intact. II tient de l'ordre public et l'on n'a pas cru avantageux d'y rien changer, et nous devons le conserver tel qu'il est promulgué en Angleterre. Possédant le droit criminel anglais et le droit civil romain, nous avons le meilleur système légal qu'aucun peuple puisse posséder. A propos du droit criminel, je ne puis ne pas faire mention d'un homme qui a contribué, pour une grande part, à faciliter son étude et son application dans notre pays. Je veux parler du juge Black, juge de l'amirauté, qui a proposé, en 1841, l'adoption des actes de sir Robert Peel, qui guident l'administration de la justice criminelle en ce pays, depuis cette époque. J'apprécie à une haute valeur les talents aussi grands que la modestie de l'honorable juge Black, et je les ai fait apprécier à mes amis. Je ne dois pas non plus oublier, en parlant de ceux qui ont contribué au progrès de la législation du pays, M. Wicksteed, qui a pris une si large part à la rédaction des statuts.

 

Le mode de promulgation du Code sera le même à peu prés que celui qu'on a suivi pour les statuts refondus. Le gouverneur signera un rôle du Code, qui sera aussi signé par les greffiers de l'assemblée législative et du conseil législatif. Les amendements rapportés par le comité, seront réunis en une cédule, laquelle sera soumise au parlement, et ses amendements seront incorporés dans le Code par les commissaires eux-mêmes. Puis Son Excellence fixera par proclamation le jour où le Code deviendra définitivement en force.

 

L'honorable procureur-général Cartier reprend son siège au milieu des applaudissements de toute la chambre.

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Source : Discours prononcé par George-Étienne Cartier à la législature du Parlement du Canada-Uni le 31 janvier 1865; tel que publié par La Minerve du 4 février 1865.

 

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College