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Terre-Neuve sera-t-elle rattachée au Canada

 

[Pour la source de cet article, voir la fin du texte.]

Les pourparlers en cours à Ottawa entre les représentants des gouvernements du Canada et de Terre-Neuve marquent une nouvelle et importante étape dans la vie politique de celle-ci. En étudiant les possibilités d'une incorporation de Terre-Neuve à la Confédération canadienne, ils doivent en effet préparer le futur statut politique de l'île. C'est la troisième fois que Terre-Neuve fait de telles propositions au Canada; précédemment, en 1867, à la création de la Confédération canadienne, et en 1895, les négociations n'avaient pas abouti, soit que Terre-Neuve manquât de confiance dans la Confédération ou que le Canada se montrât trop exigeant.

 

On sait que Terre-Neuve perdit en 1934 son statut de dominion pour redevenir colonie de la couronne, la plus ancienne d'ailleurs. Le gouvernement britannique suspendit à cette époque la Constitution Terre-Neuvienne et nomma une commission responsable devant le gouvernement de Londres, qui administra les affaires du pays. Mais l'an passé, sur la recommandation du gouvernement anglais, Terre-Neuve a élu une Convention nationale - sa première assemblée parlementaire depuis treize ans - en vue d'étudier la situation politique de l'île et de décider de son avenir constitutionnel. Cette assemblée de quarante-cinq (45) membres s'est efforcée depuis de rechercher quel système politique il conviendrait de donner prochainement à l'île. Il ne s'agit de rien de moins que de déterminer: si elle restera sous le régime actuel de la couronne; si elle recouvrera son ancien statut indépendant de dominion; ou, enfin, si elle sera incorporée au Canada en qualité de dixième province de la Confédération.

 

L'alternative d'une annexion aux État-Unis a été définitivement écartée, semble-t-il. Cependant, et ceci est important, c'est le peuple lui-même qui, instruit des travaux de la Convention nationale, fixera cet automne ses propres destinées par voie de referendum.

 

La Grande-Bretagne maintient sa créance sur le trésor de Terre-Neuve

Des représentants de la Convention ont engagé en mai dernier des négociations avec le gouvernement anglais. Mais les résultats ne semblent pas avoir répondu aux aspirations de Terre-Neuve, qui espérait trouver à Londres une solution à ses difficultés financières. Le déficit chronique du budget de l'île est inhérent à l'économie même du pays dont les sources de revenu sont très limités; les droits de douanes en constituent l'essentiel (54% des recettes budgétaires en 1946). Pays économiquement neuf, sa richesse dépend du niveau de son commerce extérieur. Pendant la deuxième guerre mondiale l'exploitation intensive de ses ressources et les grosses dépenses engagées par les État-Unis et le Canada sur son territoire dans la construction d'ouvrages militaires, ont eu pour corollaire un excédent budgétaire appréciable. Mais avec le retour à la paix les déficits réapparaissent, et le budget de cette année accuse déjà un solde négatif d'un million de dollars. On voit donc que le problème à résoudre pour Terre-Neuve est un problème à double aspect: celui des débouchés à ses exportations et celui du déficit de ses finances publiques.

 

Or Londres a laissé entendre clairement aux représentants de Terre-Neuve, qu'à cause de sa pénurie de dollars, l'Angleterre serait incapable d'offrir sous peu des marchés plus importants à ses ventes. D'un autre côté, la Grande-Bretagne ne continuera à garantir la dette publique et à secourir les finances de l'île que si celle-ci consent à conserver son statut de colonie; de toute façon, et contrairement aux espoirs des Terre-Neuviens, elle s'est refusée à abandonner sa créance contre le trésor de Terre-Neuve. Enfin, et ce n'est pas l'argument qui a le moins mécontenté la population, elle a laissé peu d'espoir à Terre-Neuve de la transformer en dominion.

 

Le Canada favorable au rattachement de Terre-Neuve

Au Canada l'opinion est plutôt favorable dans l'ensemble au rattachement de Terre-Neuve à la Confédération: les résultats d'enquêtes menées par la presse en témoignent. En sa faveur, on fait valoir certaines considérations économiques. Les milieux d'affaires font remarquer que l'économie des deux pays a déjà des liens très étroits; de nombreuses compagnies commerciales canadiennes - bancaires entre autres - opèrent à Terre-Neuve. En outre, les échanges commerciaux avec l'île sont nombreux. Son incorporation au Canada, en supprimant les droits de douane d'entrée, ouvrirait la porte à des débouchés plus considérables pour les produits manufacturés canadiens. On ne manque pas non plus de mettre en relief les richesses inestimables de Terre-Neuve en bois et en minerai, en minerai de fer en particulier, et en énergie hydraulique de la partie du Labrador québécois, qui lui a été attribuée par un jugement du Conseil privé de Londres.

 

Mais ce sont les motifs d'ordre politique qui retiennent plus singulièrement l'attention. On ne manque pas de rappeler que géographiquement, Terre-Neuve fait partie du Canada au même titre que les provinces maritimes de l'est; située à l'estuaire du Saint-Laurent, elle est la gardienne naturelle de l'entrée du système de navigation intérieure qui s'étend sur plus de trois mille kilomètres, de l'Atlantique aux Grands-Lacs. On insiste d'autre part sur les avantages stratégiques que le cadre de la politique de défense du continent nord-américain. Aussi met-on en relief le fait que la sécurité de Terre-Neuve est la clef de la sécurité de toute l'Amérique du Nord.

 

Toutefois, l'opinion considère unanimement que la décision doit être prise par les Terre-Neuviens eux-mêmes et qu'il n'appartient pas au Canada de faire pression sur celle-ci.

 

Les adversaires du rattachement font surtout valoir les difficultés financières qu'il occasionnerait au gouvernement canadien. Il faudrait en effet amortir la dette et combler le déficit du budget. Déficit d'autant plus élevé que l'union avec le Canada supprimerait les revenus des droits de douane provenant des importations canadiennes. Or plus des deux tiers des approvisionnements extérieurs de l'île viennent du Canada. Se poseraient encore les questions de l'autonomie financière et des conditions de la participation de cette nouvelle province au programme fédéral de sécurité sociale. On devrait en effet la faire bénéficier d'une politique sociale qu'elle ignore encore et comprenant entre autres allocations familiales et pensions de vieillesse. C'est dire qu'il faudrait élever le standard de vie des Terre-Neuviens au même niveau que celui des Canadiens. Bien que louable en sol, c'est une politique onéreuse dont les incidences risqueraient de se répercuter sur le niveau de vie des Canadiens eux-mêmes. Ils estiment en définitive que le Canada perdrait plus qu'il n'y gagnerait. Ils font enfin remarquer qu'il a trop besoin de capitaux et de main-d'oeuvres afin de développer ses propres richesses naturelles pour se soucier d'acquisitions territoriales incapables de les lui fournir.

 

La parole est aux 300,000 habitants de l'île  

Quoi qu'il en soit la réponse viendra des 300,000 habitants de Terre-Neuve eux-mêmes comme nous l'avons noté plus haut. Leurs sentiments de souveraineté, de nationalité et d'indépendence prédomineront-ils assez pour vouloir revenir à leur ancien statut de dominion? Dans le passé une partie de l'opinion a toujours craint qu'une fusion avec le Canada n'aboutisse à la domination du faible par le fort. Devant l'esprit démocratique qui anime le gouvernement fédéral canadien cette attitude semble s'être dissipée en partie et avoir fait place à plus de confiance. En outre on considère à Terre-Neuve que le développement économique et la prospérité du Canada seraient capables d'apporter aide et securité. La population bénéficerait en particulier d'une baisse appréciable du coût de la vie. C'est sans doute dans les milieux d'affaires que l'opposition au rattachement reste la plus forte. Car avec la disparition des tarifs douaniers les industriels et les commerçants de l'île craignent la concurrence des producteurs canadiens. Il est probable d'ailleurs qu'étant donnés d'une part les développements actuels du programme de défense commune de l'Amérique du Nord, exécutés conjointement par le Canada et les État-Unis, et d'autre part l'évolution de la conjoncture internationale les considérations politiques tiennent une grande place dans les consultations actuelles d'Ottawa.

 

Source: Éditorial, "Terre-Neuve sera-t-elle rattachée au Canada?", article de Henry Mhun paru dans Le Monde reproduit dans Le Canada, le 30 octobre 1947, p.4. Article transcrit par Victor Esposito Jr. Révision par Claude Bélanger.

 

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© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College