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L'indécision de Terre-Neuve

 

Les électeurs se trouvaient devant des formules plutôt vagues - Il faudra un nouveau plébiscite et peut-être de nouvelles négociations avec Ottawa - L'autonomie des provinces

 

[Pour la source de ce texte, voir la fin du document.]

Des résultats encore incomplets indiquent que le plébiscite de Terre-Neuve ne donnera pas une décision bien catégorique. Le retour au gouvernement responsable obtient jusqu'ici une pluralité, mais il reste possible bien qu'improbable que des rapports subséquents favorisent l'entrée dans la Confédération. Il est impossible que l'une ou l'autre de ces propositions reçoive une majorité absolue du vote.

 

D'ailleurs le plébiscite lui-même manquait de précision et les Terre-Neuviens ont dû choisir entre des projets assez vagues. La crise économique avait fait retomber Terre-Neuve au statut colonial. Après quinze ans d'administration par une commission anglaise, le gouvernement de Londres, qui cherche à limiter ses engagements financiers à l'extérieur, a suscité l'élection d'une convention dont le rôle devait être de proposer un nouveau régime de gouvernement.

 

La convention n'a pu se mettre d'accord, ses délibérations ont été souvent orageuses, et ses factions rivales se sont heurtées à propos de l'entrée du pays dans la Confédération canadienne. Finalement la convention a suggéré un référendum comportant deux choix : le maintien du gouvernement par commission et le retour au gouvernement responsable. Cela aurait permis d'avoir une décision claire, et en cas de victoire par les tenants du gouvernement responsable la porte serait restée ouverte pour des négociations avec Ottawa.

 

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À la suite d'une requête, Londres décida de poser une troisième question : l'entrée dans la Confédération. À première vue cela permettrait aux électeurs favorables à cette solution de donner un vote plus précis. Mais en fait la campagne du plébiscite n'y a pas gagné. Car le débat acerbe entre partisans et adversaires de la Confédération a passé de la convention aux assemblées populaires. D'un côté on a présenté les Canadiens comme des gens généreux qui allaient répandre dans le pays les bienfaits de la sécurité sociale; de l'autre, comme des étrangers qui convoitent les richesses du territoire terre-neuvien.

 

Une délégation avait poussé les négociations avec Ottawa assez loin, et le projet qui en est résulté était assez détaillé pour qu'on le présentât à la population concernée. Selon ce plan Ottawa pouvait compter toucher dans la nouvelle province un peu plus de $20 millions par année, et y débourser près de $26 millions. Ottawa assumerait en outre une bonne partie de la dette qui est de $76 millions. Le marché paraît assez avantageux pour Terre-Neuve. D'autre part il représenterait pour le Canada un complément normal du territoire.

 

Mais ce n'est pas ainsi que la question s'est posée au plébiscite. Les partisans de l'union au Canada, harcelés par les adversaires qui veulent le maintien de l'indépendance, ont voulu améliorer leurs chances. Ils ont donc présenté le projet préliminaire négocié avec Ottawa comme un minimum insuffisant, une base pour des négociations ultérieures, en vue d'obtenir des avantages plus considérables d'Ottawa. Même si le plébiscite leur avait donné une faible majorité absolue, ils auraient été embarrassés pour accepter les offres fédérales. Et le Canada pourrait-il aller plus loin dans la voie des concessions.

 

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L'on ne peut donc pas dire que les Terre-Neuviens qui ont voté pour l'entrée dans la Confédération se sont prononcés pour quelque chose de précis; ils ont plutôt indiqué ine préférence, à condition d'obtenir plus que les offres actuelles. Mais ceux qui ont voté pour le retour au gouvernement responsable d'avant la crise ne représentent pas une opinion plus claire. Au contraire ce groupe est encore moins homogène que le premier.

 

En effet, comme les avocats de l'entrée dans la Confédération faisaient miroiter la sécurité sociale et d'autres avantages d'ordre économique, les champions de l'autonomie complète n'ont pas voulu rester en état d'infériorité sur le terrain des promesses et un groupe s'est formé qui préconise l'union économique avec les États-Unis. Il a même obtenu un vague encouragement de la part d'un aspirant à la candidature présidentielle républicaine.

 

Il n'est donc pas exagéré de dire que le vote pour le gouvernement responsable unit superficiellement des groupes foncièrement opposés; d'une part ceux qui tiennent à l'autonomie la plus entière, et de l'autre ceux qui sont prêts à compromettre l'autonomie encore plus gravement peut-être que dans la Confédération canadienne, car l'union économique avec les États-Unis finirait par circonscrire fortement l'indépendance réelle de Terre-Neuve.

 

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En somme le seul choix qui représentait quelque chose de précis dans le plébiscite d'hier c'était le maintien du gouvernement par commission, et cela a été carrément écarté par la population, puisque sur 146,000 bulletins comptés, cette solution n'en a pas recueilli 21,000. D'ailleurs c'était un choix provisoire par définition, non seulement parce que ce régime a été institué pour faire face à des difficultés financières aiguës, mais aussi parce que le gouvernement de Londres ne l'accepterait pas comme système permanent. La preuve est faite en tout cas de son impopularité à Terre-Neuve même.

 

Des commentateurs prédisent qu'il faudra un autre plébiscite, cette fois en éliminant l'alternative du gouvernement par commission. Mais même si l'une des deux autres options remporterait une majorité absolue ce ne serait qu'une étape, et pas du tout une décision de caractère définitif.

 

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Il faut ajouter que du côté canadien la question n'est pas plus claire. Selon la Constitution de 1867, Ottawa avait le pouvoir d'admettre Terre-Neuve, et le gouvernement fédéral prétend exercer cette prérogative. Mais ce n'est pas du tout la situation qui se présente. Ottawa offre d'admettre Terre-Neuve aux conditions de l'accord provisoire qu'il a conclu avec sept des neuf provinces. Le pouvoir central a-t-il le droit d'aller plus loin?

 

S'il l'avait, cela voudrait dire qu'il peut se servir de cette autorisation bien spéciale et limitée de la Constitution pour accentuer la pression fiscale qu'il exerce contre Ontario et Québec, en prenant un territoire jusqu'ici étranger pour l'ajouter aux sept provinces qu'il a déjà subjuguées par ses octrois. Ontario et Québec, qui considèrent les propositions fédérales comme incompatibles avec l'autonomie provinciale, seraient lésées si l'offre fédérale à Terre-Neuve pouvait être réalisé sans consultation des provinces.

 

La campagne qui vient de se terminer et les résultats assez complexes du plébiscite, indiquent pourtant un facteur que ne devraient pas négliger les partisans de l'autonomie provinciale. Une forte partie de la population de Terre-Neuve est traditionnellement autonomiste, et ce sentiment subsiste même devant les offres alléchantes d'Ottawa. Advenant l'entrée de cette dixième province, il y aurait lieu de rechercher le concours de ces éléments contre les agressions des centralisateurs fédéraux.

 

La discussion va donc continuer, l'on peut prévoir non seulement un nouveau plébiscite, mais même de nouvelles négociations avec Ottawa dans l'intervalle. Ce serait peut-être le moment pour les provinces centrales d'entreprendre une contre-offensive, et de voir s'il n'y aurait pas moyen que les provinces s'entendent, sans sacrifier leur autonomie à Ottawa, pour rétablir entre elles une sorte de chambre de compensation, afin d'atténuer les trop grandes différences de ressources financières entre les deux groupes. Il est assez probable que la question de Terre-Neuve sera discutée, dans le cadre du problème des relations fédérales-provinciales, au cours de la prochaine campagne électorale dans notre province.

 

Source  : Paul SAURIOL, « L'indécision de Terre-Neuve », Le Devoir, 4 juin 1948, p. 1.

 

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© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College