Newfoundland
History

Home
Essay Guide
Québec History
Civilisation Occidentale
About Claude Bélanger

Le Labrador québécois

 

 

[Ce texte par Frédéric Dorion fut publié dans l'Action nationale en 1981. Il est tiré des débats de la Chambre des Communes, à Ottawa, en date du 6 février 1948. Le discours de Dorion fut prononcé à l'occasion du débat sur les offres faites par le Gouvernement du Canada à Terre-Neuve pour que la colonie se joigne au Canada. Au moment du discours, Dorion était député fédéral de la circonscription de Charlevoix-Saguenay.

 

[Pour la citation complète de la source du document, voir la fin du texte.]

   

J'aimerais profiter du présent débat pour exprimer mes vues personnelles sur une question de toute première importance pour la population du pays et, en particulier pour la province de Québec; il s'agit de la pro­priété du territoire du Labrador. J'ai étudié la question; elle m'intéresse particulièrement parce que j'ai l'honneur de représenter la seule circonscription électorale du Dominion qui touche au territoire du Labrador.

 

Lorsque les délégués de Terre-Neuve sont venus à Ottawa l'été dernier rencontrer les représentants du gouvernement canadien, en vue d'étudier la possibilité d'incorporer Terre-Neuve dans la confédération canadienne, je me suis efforcé de suivre aussi étroitement que possible les pourparlers qui se sont alors déroulés. Les comptes rendus parus dans les journaux ne nous mettaient pas parfaitement au courant des pourparlers et, lorsqu'on nous a convoqués pour la présente session, j'ai été heureux d'avoir l'occasion de lire le rapport que le Gouvernement a publié en deux volumes intitulés: "Compte rendu des séances tenues entre les délégués de la convention nationale de Terre-Neuve et les représentants du Gouvernement du Canada".

 

Il m'a également intéressé de lire la lettre écrite par le premier ministre (M. Mackenzie King), le 29 octobre 1947, au gouverneur de Terre-Neuve, ainsi que le « projet d'entente en vue de l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération », annexé à la lettre et publié sous forme de brochure distincte sous la rubrique: « Conditions que l'on croit constituer une base juste et équitable à l'union de Terre-Neuve avec le Canada, advenant le cas où la population de Terre-Neuve désirerait faire partie de la Confédération. »

 

En dépit du vote donné à la Convention nationale de Terre-Neuve, il y a quelques jours, je suis sûr que la question en jeu n'est pas réglée; nous pouvons tenir pour certain que, dans un avenir rapproché, la question de l'entrée de Terre-Neuve dans notre confédération sera l'objet de nouveaux pourparlers. Voilà pourquoi j'estime qu'il est de notre devoir d'étudier aussi attentivement que possible les conditions auxquelles le gouvernement canadien trouverait bon d'accepter cette nouvelle province dans notre confédération.

 

Il ne faut pas oublier non plus que le règlement de cette question semble intéresser au plus haut point nos voisins du sud; pas plus tard que jeudi dernier, le 29 janvier, les journaux publiaient une dépêche provenant de Washington et ainsi conçue:

 

On n'accorde que bien peu d'attention ici, ce matin, à une proposition « d'association plus étroite » avec les États-Unis qui, émanant de Terre-Neuve, n'a aucun caractère officiel et ne constitue qu'un sondage. Le projet exigerait une intervention de la part des États-Unis avant le plébiscite qu'on tiendra prochainement dans la colonie, sous la forme d'une promesse d'appui à l'égard d'un gouvernement indépendant et d'aide à l'établissement d'une industrie sidérurgique à Terre-Neuve et au Labrador, industrie qui, aux termes de cette proposition, éviterait aux États-Unis d'être obligés de compter un jour sur le Canada en matière d'approvisionnements de fer et d'acier.

 

Tout le monde sait que lorsqu'on parle de développer une industrie sidérurgique dans cette partie du continent, on songe bien plus au territoire appelé Labrador qu'à l'île de Terre-Neuve elle-même. C'est pourquoi il importe absolument de déterminer si ce territoire appartient vraiment à Terre-Neuve. Je chercherai à démontrer que, nonobstant le rapport présenté par le comité juridique du conseil privé au mois de mars 1927, ce territoire appartient toujours à la province de Québec. Remarquons que le conseil privé n'a pas prononcé un jugement proprement juridique; il a tout simplement présenté un rapport fondé sur un ordre de renvoi, qui, comme je vais le démontrer, était mal rédigé, mal présenté et incomplet, sans compter qu'on ne lui a jamais donné la suite qui s'imposait.

 

En lisant le rapport de la conférence qui a eu lieu l'été dernier, j'ai constaté que la délégation de Terre-Neuve avait posé plusieurs questions tendant à préciser l'attitude des parties en cause relativement aux points soulevés. J'ai été étonné de lire, à la page 158 du second volume du rapport, la question suivante relative au Labrador:

 

Question : Si Terre-Neuve se joignait au Canada, le Labrador continuerait-il de faire partie de la province de Terre-Neuve?

 

Réponse: Le gouvernement canadien s'est toujours considéré lié par l'opinion que le comité judiciaire du Conseil privé a exprimée en 1927 relativement à la frontière du Labrador.

 

Le gouvernement canadien présume que si Terre-Neuve devenait une province du Canada, la partie du Labrador qui est rattachée à son territoire serait comprise dans cette province. L'article 3 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1871 pourrait aussi être consulté. II ressort clairement de cet article que le Parlement du Canada ne peut modifier les limites d'une province sans avoir préalablement obtenu le consentement de son assemblée législative.

 

En lisant cette question, j'ai songé que si les délégués de Terre-Neuve ont jugé opportun de la poser, c'était assurément parce qu'ils étaient loin d'être convaincus que ce point avait été définitivement réglé par le rapport du Conseil privé; autrement, je ne puis m'imaginer pourquoi ils auraient posé une telle question.

 

J'ai aussi été fort surpris de lire dans le projet de convention que le très honorable premier ministre a soumis au gouvernement de Terre-Neuve, le paragraphe suivant, que je relève à l'article 2, page 5 de la brochure:

 

La province de Terre-Neuve comprendra le territoire du Labrador défini en 1927 par la sentence arbitrale du comité judiciaire du Conseil privé comme appartenant à Terre-Neuve.

 

On peut faire remarquer de plus que cette déclaration figure au début même du projet de convention, comme s'il s'agissait de l'une des plus importantes questions à décider. De ce soin particulier et de cette considération spéciale qu'on accorde à la question de la frontière entre le Québec et Terre-Neuve, on peut conclure que la question n'a jamais été réglée et que les parties intéressées sont disposées à profiter de l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération pour y apporter une solution définitive. À mon avis cependant, le gouvernement canadien n'a ni le droit ni le pouvoir légal de disposer d'un territoire appartenant à la province de Québec et j'irai jusqu'à dire que, à supposer même que le Canada et Terre-Neuve s'entendent sur ce point, le Gouvernement outrepasserait ses pouvoirs et le problème lui-même ne serait pas réglé.

 

Puisque le gouvernement canadien s'en remet à ce qu'il appelle l'opinion du comité judiciaire du Conseil privé pour reconnaître les droits de Terre-Neuve sur le territoire du Labrador, je vais tenter d'expliquer et de prouver que rien n'a encore été définitivement décidé par ce rapport et que la province de Québec conserve sa com­pétence sur ce territoire.

 

Afin de saisir le mieux possible cet important problème, il faut nous rapporter aussi loin que 1763 et faire la revue des diverses lois adoptées tant par le gouvernement impérial que par le gouvernement canadien à ce sujet.

 

Chacun sait qu'en 1763, en vertu du traité de Paris, le gouvernement français cédait à Sa Majesté le roi d'Angleterre tous les territoires du continent nord­américain. La même année, par le moyen d'une commis­sion portant le grand sceau de Sa Majesté, le capitaine Graves était nommé « gouverneur et commissaire en chef de l'île de Terre-Neuve et de toutes les côtes du Labrador, depuis le détroit d'Hudson jusqu'à la rivière Saint-Jean ». Ce brevet donnait juridiction au gouverneur de Terre-Neuve sur la côte du Labrador même et sur une partie de la côte du golfe Saint-Laurent jusqu'à l'île d'Anticosti.

 

Au mois d'octobre 1763, le gouvernement anglais décidait de former quatre gouvernements distincts en Amérique du nord: Québec, la Floride orientale, la Floride occidentale et Grenade.

 

Le gouvernement de Québec avait juridiction sur le territoire longeant le fleuve Saint-Laurent à partir de la rivière Saint-Jean. En 1774, toutefois, par l'Acte de Québec, il fut décrété que tous les territoires de la terre ferme feraient partie du gouvernement de Québec. Donc, en vertu de cet Acte, le gouverneur de Terre-Neuve perdait sa compétence sur tous les territoires compris dans la péninsule du Labrador.

 

Plus tard, en 1809, le gouvernement britannique adopta l'Acte de Terre-Neuve par lequel tous les territoires attribués en 1763 au gouvernement de Terre-Neuve étaient restitués à ce dernier.

 

Enfin en 1825, sous l'empire de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, 1825, il fut décidé que la portion de la côte du golfe Saint-Laurent qui s'étend de la rivière Saint-Jean à l'anse Sablon, dans le détroit de Belle-Isle, ferait partie de la province de Québec.

 

On constate qu'aucun desdits actes ne fait mention des territoires intérieurs; tous ont trait à la côte même.

 

Nous en arrivons à 1871, alors que le Gouvernement anglais adopta l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, 1871. Nous trouvons celui-ci au chapitre 28, 34 Victoria. Il est intitulé: Acte concernant l'établissement des Provinces dans la Puissance du Canada. L'article 3 de la loi prescrit ce qui suit:

 

Avec le consentement de toute province de ladite Puissance, le Parlement du Canada pourra de temps à autre augmenter, diminuer ou autrement modifier les limites de telle province, à tels termes et conditions qui pourront être acceptés par ladite législature, et il pourra de même avec son consentement établir les dispositions touchant l'effet et l'opération de cette augmentation, diminution ou modification de territoire de toute province qui devra la subir.

 

Je désire appeler l'attention du Gouvernement sur le principe clairement établi par cette loi et voulant que le Parlement ne puisse rien à l'égard des limites d'une province sans d'abord obtenir le consentement de la province intéressée. Le gouvernement actuel devrait se rappeler que ce statut reconnaît l'existence de gouvernements provinciaux et que, sur bien des sujets, il y a lieu de les consulter avant toute décision du Parlement cana­dien.

 

En vertu du même principe, la déclaration formulée par le très honorable premier ministre dans le projet d'entente au sujet du territoire du Labrador, - j'en ai donné lecture il y a quelques instants, - n'aurait jamais dû être faite sans le consentement de la province de Québec. Bien plus, le même principe est conforme à l'article 92, alinéa 5, de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867.

 

Non seulement voyons-nous l'application de ce principe dans l'acte de l'Amérique du Nord britannique de 1871, mais nous constatons que, lors de l'adoption, en 1898, sous l'empire du chapitre 3, 61 Victoria, des Statuts du Canada, d'une loi relative aux frontières nord-ouest, nord et nord-est de la province de Québec, le principe exigeant le consentement de la province intéressée dans toute question concernant la modification de ses frontières s'est appliqué.

 

En cette même année 1898, l'Assemblée législative de la province de Québec adoptait une loi semblable et, en conséquence, et en conformité du principe énoncé dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1871, le gouvernement canadien, du consentement de l'Assemblée législative québécoise, a décidé que les limites de la province de Québec seraient étendues jusqu'à la baie James et, de là, jusqu'à la rivière East-Main, puis le long du fleuve Hamilton jusqu'à Hamilton-Inlet, sur le littoral de l'Atlantique. Par cette loi, la frontière septentrionale de la province de Québec était donc placée sur le fleuve Hamilton qui, chacun le sait, se trouve dans ce territoire que l'on nomme Labrador.

 

En 1912, par le Chapitre 45 de 2, Georges V, le Parlement canadien a décidé d'étendre encore une fois le territoire de la province de Québec, en même temps que ceux du Manitoba et de l'Ontario. L'article 2 de ce chapitre décrétait que la province de Québec comprendrait dorénavant ce qu'on appelait alors le territoire d'Ungava et il était clairement entendu que les nouvelles frontières comprendraient la région située au nord du fleuve Hamilton, c'est-à-dire tout le territoire du Labrador.

 

Ainsi que nous venons de le voir, les deux lois canadiennes accordant expressément à la province de Québec le territoire réclamé par Terre-Neuve ont été adoptées en 1898 et 1912, c'est-à-dire à des époques où le gouvernement impérial avait le droit d'opposer son veto à toute loi adoptée par le gouvernement canadien. Ces deux lois n'ayant jamais été l'objet d'une déclaration de nullité, il s'ensuit qu'elles restent pleinement valides, qu'elles conservent toute leur vigueur. On a prétendu qu'elles dépassaient la compétence du Canada. Dans ce cas, pourquoi les autorités de Terre-Neuve n'ont-elles pas demandé au gouvernement britannique de les déclarer nulles? Il faut donc conclure qu'elles ont été confirmées tacitement par le gouvernement britannique et tacitement approuvées par les autorités de Terre-Neuve. Voilà pourquoi je disais au début de mes observations que le territoire connu sous le nom de péninsule du Labrador ap­partient à la province de Québec.

 

En 1920, après que le gouvernement de Terre-Neuve et celui de la province de Québec eurent entamé des pourparlers au sujet d'un permis délivré par le gouvernement de Terre-Neuve à l'égard de la coupe de bois dans la région de la rivière Hamilton, le gouvernement du Canada demandait au Conseil Privé de rendre une décision con­cernant les frontières entre Québec et Terre-Neuve.

 

Le 11 novembre 1920, le Canada et Terre-Neuve signaient une première entente, qui fut plus tard modifiée et remplacée par un nouvel accord en date du 20 novembre 1922. Il y a lieu de signaler que les deux partis politiques qui existaient alors, - les partis libéral et conservateur, - n'ont pas hésité à violer successivement le principe consacré par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1871. Tout le monde sait qu'un gouvernement conservateur dirigeait les affaires du pays en 1920 et qu'un régime libéral était au pouvoir en 1922. Le premier accord a été signé en 1920 par M. Charles L. Doherty, au nom du gouvernement du Canada, et le second, en 1922, par sir Lomer Gouin, au nom du même gouvernement.

 

Il est intéressant de prendre connaissance de la première partie de l'entente, qui est conçue en ces termes:

 

En ce qui concerne la frontière entre le Dominion du Canada et la colonie de Terre-Neuve, dans la péninsule du Labrador:

 

 

Le Gouvernement du Canada et celui de la colonie de Terre-Neuve sont convenus de déférer la question suivante, par l'entremise de Sa Majesté, au comité judiciaire du Conseil privé de Sa Majesté, afin qu'il rende une décision:

 

« Quels sont, en vertu des statuts, décrets du conseil et proclamations, l'emplacement et la délimitation de la frontière entre le Canada et Terre-Neuve dans la péninsule du Labrador? »

 

Le document porte la signature du procureur général du Canada et du procureur général de Terre-Neuve.

 

Notons, cependant, qu'à vrai dire, le différend met en cause non le Gouvernement canadien et celui de Terre­Neuve, mais ce dernier et celui de la province de Québec. Comment se fait-il que la province de Québec n'ait pas été partie à la question déférée au Conseil privé? Le mémoire présenté au nom du Gouvernement canadien portait la signature de quatre procureurs généraux, entre autres, celle de M. Charles Lanctot qui, à l'époque en question, occupait ce poste dans la province de Québec; cette dernière, toutefois, ne figurait ni officiellement ni légalement dans la cause. Le Gouvernement canadien aurait pu au moins agir en conformité de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (1871) et présenter le projet d'accord à l'Assemblée législative de Québec afin d'obtenir son assentiment.

 

J'ajoute que le régime libéral, en signant cet accord en 1922, a mis au rancart l'engagement que son ancien chef, sir Wilfrid Laurier, avait pris en 1908 alors qu'il était premier ministre. On trouve en effet à la colonne 13434 des Débats de 1908 une déclaration que faisait sir Wilfrid Laurier en présentant, le 13 juillet de l'année en cause, une motion visant le projet de loi adopté en 1912. Il commentait le différend survenu entre Québec et Terre-Neuve dans les termes suivants:

 

Nous avons pris la précaution de demander à la province de Québec d'être partie à cet arbitrage, vu qu'elle est intéressée, quelle que soit la décision.

 

Il ajoutait:

 

En 1881, quand les frontières du Manitoba furent reculées jusqu'à la province d'Ontario, le Canada se désista du conflit et laissa débattre la question entre l'Ontario et le Manitoba. De même, si ce territoire est cédé à Québec, cette province deviendra intéressée dans la question. Ainsi, bien que nous conservions notre souveraineté, je considère que cette province a son mot à dire et doit être partie à l'affaire.

 

Malgré cette promesse, il apparaît que le régime libéral a signé en 1922 un deuxième engagement sans obtenir le consentement du gouvernement de Québec. Mais aujourd'hui le Gouvernement va plus loin. Il fait fi des directives de son ancien chef et n'hésite aucunement à disposer de façon définitive du même territoire sans demander l'avis de la province de Québec. J'affirme que pour ce motif, l'offre du gouvernement canadien à celui de Terre-Neuve ne vaut pas le papier sur lequel on l'a écrite et que, d'ailleurs, la province de Québec ne consentira jamais à un tel accord. Aussi le présent Gouvernement devrait-il s'abstenir d'offrir à Terre-neuve un territoire sur lequel il n'a aucune juridiction, afin de mettre fin à une regrettable mésentente qui pourrait susciter un véritable conflit entre le Gouvernement fédéral et une province.

 

Voyons maintenant ce que vaut le rapport du Conseil privé et assurons-nous s'il apporte la solution définitive à ce problème. La lecture du rapport même nous fait voir que Leurs Seigneuries indiquent sans détour que la question ne leur a pas été soumise dans son ensemble et comme il eût fallu. On lit, en effet, en page 2:

 

La fonction de la Commission ne consiste pas à déterminer où la frontière en question pourrait être tirée convenablement et sagement, mais seulement décider, d'après des pièces établissant les titres et qu'on leur a soumises, où cette frontière doit vraiment se trouver.

 

Plus loin, en page 11, le lord chancelier dit:

 

II ne s'agit pas de déterminer si Terre-Neuve possède des territoires dans la péninsule du Labrador mais d'indi­quer où se trouve la frontière intérieure de ce territoire. Faut-il définir cette frontière par une ligne tirée à un mille ou environ de la laisse de haute mer, épousant les sinuosités du rivage, ou bien par la ligne divisoire des eaux fluviales qui se jettent dans la mer le long de ce même rivage? Personne n'a soumis de troisième choix.

 

Puis à la page 14:

 

En exposant la cause du Canada, ses représentants ont reconnu qu'il pourrait être impraticable de tracer une telle ligne sur le terrain et, afin que ni l'une ni l'autre partie n'ait à souffrir de cette difficulté, ils ont recommandé de tracer une ligne le long de la côte à une distance d'un mille du point atteint par la marée haute; cependant, Leurs Seigneuries ne pensent pas qu'en adoptant cette proposition elles s'acquitteraient de la tâche que leur impose l'ordre de renvoi et qui consiste à déterminer la frontière "en vertu des lois, arrêtés en conseil et proclamations".

 

Passons maintenant aux conclusions du rapport, que je trouve à la page 23, et dont les derniers mots se lisent ainsi qu'il suit: « et elles aviseront humblement Sa Majesté en conséquence ». Ainsi, le rapport démontre non seulement qu'on n'a pas bien présenté la question au Conseil privé, mais aussi qu'aucune décision obligatoire n'a été rendue. De fait, il y a lieu de se demander à quelles mesures subséquentes ce rapport a donné lieu. Le gouvernement impérial, le gouvernement du Canada ou le gouvernement de Terre-Neuve ont-ils adopté quelque mesure législative à ce sujet? Aucune. A-t-on conclu un traité ou un accord renfermant les conclusions du Conseil privé? Pas davantage. J'ai donc raison, je crois, de soutenir que cette question en est encore au même point qu'après l'adoption des lois canadiennes de 1898 et de 1912.

 

Je soutiens en outre qu'on n'aurait jamais dû soumettre cette question au Conseil privé, tribunal d'une des parties au litige. Cependant, je déclare catégoriquement que je n'ai aucunement l'intention de porter atteinte à l'intégrité et à la sincérité des membres du Conseil privé; mais, à mon avis, il ne s'est jamais présenté un autre cas dans l'histoire du monde où une question de délimitation de frontières ait été soumise au tribunal d'une des parties en cause. On aurait dû soumettre cette question à un tribunal d'arbitrage international où toutes les parties, et plus particulièrement la province de Québec, auraient été représentées. Cette question n'est donc pas du tout réglée, et j'espère qu'on trouvera le moyen d'y apporter une solution définitive.

 

Source: Frédéric DORION, "Le Labrador Québécois", dans L'Action nationale , Volume LXX, Numéro 8 (avril 1981): 645-656.

 

Retour à la page des documents sur

l'opinion canadienne sur l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération

 


 

© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College