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Terre-Neuve-Canada

(suite et fin)

 

 

[Pour la source de ce texte, voir la fin du document.]

LES ARRANGEMENTS, tels que proposés avant le 8 août, en vue de l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération, comportaient un seul article au sujet de l'instruction publique (la numérotation des clauses ou paragraphes est de nous)

 

ART. 19. - Instruction publique.

 

1° La Législature de la province de Terre-Neuve aura compétence exclusive pour légiférer en matière d'instruction publique dans les limites de la province. Toutefois,

 

2° La Législature n'aura pas le pouvoir d'édicter des lois portant atteinte aux droits ou privilèges d'écoles confessionnelles ou séparées dont jouirait légalement toute catégorie de personnes à la date de l'union;

 

3° D'autre part, la Législature pourra autoriser toutes dites catégories de personnes à fusionner ou unir leurs écoles et à recevoir, nonobstant ladite fusion ou union, leur part proportionnelle des deniers publics de Terre-Neuve, affectés à l'instruction publique.

 

Tout en félicitant le gouvernement du Canada pour la teneur générale de ces clauses, il convient aux citoyens de les étudier au mérite et de travailler de concert. avec leurs représentants officiels, en vue de l'arrangement le meilleur pour l'intérêt du pays.

 

La première clause est claire, précise. La seconde comme la première reproduit un passage de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. L'expérience a cependant démontré que, telle qu'exprimée, cette seconde clause offre une clarté insuffisante. En effet, on a vu longtemps en Ontario, malgré pareille clause, les subsides partiels accordés aux écoles élémentaires être refusés aux High Schools catholiques. De même en Colombie britannique, malgré l'existence d'un collège catholique de première valeur, on a refusé jusqu'à aujourd'hui à toute institution catholique d'accorder même le B. A.

 

La troisième clause est entièrement nouvelle.

 

Il est possible, certes, que dans certaines circonstances les non-catholiques veuillent librement fusionner leurs écoles sur une partie du territoire ou sur l'ensemble. Puisqu'il s'agit de fusion librement consentie, que le gouvernement ne fera qu'autoriser, c'est-à-dire reconnaître, cette clause spéciale n'était point nécessaire. En effet, dans le cas de l'acquiescement du gouvernement à la libre requête de parties intéressées, le gouvernement ne porte en rien atteinte au droit desdites parties. Il respecte la seconde clause et exerce les attributions qui lui sont reconnues dans la première.

 

A première vue, la raison d'être de cette troisième et toute nouvelle clause ne semble donc autre que de garantir clairement qu'advenant pareille libre fusion, lesdites catégories de personnes seront autorisées « ... à recevoir, nonobstant ladite fusion ou union, leur part proportionnelle des deniers publics de Terre-Neuve destinés à l'instruction publique ». Ces non-catholiques de Terre-Neuve sauraient donc se mêler de leurs affaires: ils prennent les précautions nécessaires, obtiennent une clause entièrement nouvelle qui garantisse clairement leurs droits fiscaux présents et futurs.

 

Par ailleurs, il existe à Terre-Neuve un groupe, peu nombreux mais très actif, placé aux postes stratégiques de la coulisse, qui travaille déjà pour la fusion générale de toutes les écoles en un unique système d'État non confessionnel - undenominational public school system - (voir le rapport de la Responsible Government League, p. 8, et, en annexe, la résolution des 15,000 orangistes de Terre-Neuve). II existe en même temps au Canada pareil groupe rêvant - même tout haut - pour Terre-Neuve de cette même évolution (voir The Freemason, cinq premières livraisons de cette année). Quelque qualificatif que mérite la poignée d'orangistes, ceux-ci savent se mêler des affaires qu'ils entreprennent: ils ont leurs penseurs, de l'argent, des secrétaires et comités permanents, se procurent et utilisent à temps les renseignements, influencent les intermédiaires du gouvernement. Ces gens - tous le saisissent facilement - trouveront dans la clause troisième un instrument qui les favorise. Pour répéter le coup de la fusion obligatoire réalisée jadis au Manitoba, ils auront dans la forme actuelle de cette troisième clause un excellent tremplin, puisqu'elle incorpore explicitement au pacte la question de fusion ou union des écoles. Ils manient assez de propagande pour connaître la valeur des instruments.

 

Que conclure, sinon que les catholiques doivent aussi savoir se mêler habilement des affaires qu'ils ont le devoir de protéger ?

 

L'invitation en est faite dans la lettre d'envoi du projet d'arrangements (29 octobre 1947), où M. King déclarait que

« les questions à discuter sont d'une telle complexité et d'une telle importance, pour les deux pays, qu'il est essentiel d'obtenir une information complète... En particulier en matière d'éducation, le Canada... serait prêt à donner raisonnable considération à toute suggestion visant à ajouter aux arrangements proposés, ou à les modifier ».

 

Nous voyons trois garanties nécessaires à inclure au texte officiel.

 

Traitons en premier lieu de la seconde clause. Puisqu'il y a quatre confessions reconnues à Terre-Neuve et qu'elles possèdent chacune des écoles élémentaires et des high schools faisant partie du système de l'instruction publique, pourquoi ne pas incorporer clairement ces faits pour couper définitivement la route aux fanatiques que tout vrai Canadien, d'un bout à l'autre du pays, considère comme une plaie nationale ? De plus, Terre-Neuve n'a pas d'institution décernant le B. A. Chaque confession cependant dirige un ou plusieurs collèges destinés à se développer et à accorder normalement ce degré. Il existe de plus un autre collège dit gouvernemental, de fondation postérieure aux collèges confessionnels et ne décernant pas non plus le B. A. Réservera-t-on uniquement à cette institution neutre le privilège des degrés ? Sinon, pourquoi ne pas garantir clairement les droits acquis par les institutions confessionnelles aussi compétentes et plus anciennes ?

 

Terre-Neuve actuellement n'a pas non plus d'université. L'institution gouvernementale neutre précitée, appelée Memorial College University, n'accorde pas de titres universitaires. Les cours de « sciences et arts, économie domestique, éducation, pré-médecine, pré-génie, pré-agriculture » sont tous du niveau junior college. Il s'agit toujours de undergraduate work. En génie, le cours plus développé conduit après trois ans seulement à un certificat d'études reconnu par le Nova Scotia Technical College. Se prépare-t-on à donner à Terre-Neuve une université neutre, à l'encontre de la tradition terre-neuvienne ? Se prépare-t-on à refuser aux confessions religieuses tout droit d'organiser leur enseignement universitaire, réservant ce privilège exclusivement à ce collège neutre développé surtout depuis 1933 ? Sinon, pourquoi ne pas garantir clairement les droits ? Il est prouvé par la nouveauté de la troisième clause combien il est facile d'ajouter pour dire clairement, quand on le veut.

 

La seconde clause pour offrir les garanties suffisantes devrait alors se lire comme suit (l'italique signale la partie à ajouter):

 

2° La Législature n'aura pas le pouvoir d'édicter des lois portant atteinte aux droits ou privilèges d'écoles confessionnelles ou séparées dont jouirait légalement toute catégorie de personnes à la date de l'union; ces privilèges sont acquis aux confessions suivantes, anglicane, armée du salut, catholique romaine, église unie, pour les écoles élémentaires et high schools. De plus la province ne pourra refuser à aucune institution reconnue compétente, appartenant à une de ces quatre confessions, le droit de décerner le baccalauréat. On devra aussi respecter le droit desdites confessions à l'enseignement universitaire.

 

A son tour, la troisième clause (maintenant qu'elle existe) devrait garantir aussi clairement les droits de ceux qui ne voudront point de fusion, que les droits des partisans éventuels de cette fusion. La troisième clause deviendrait ainsi:

 

3° D'autre part, la Législature pourra autoriser toutes dites catégories de personnes à fusionner ou unir leurs écoles et à recevoir, nonobstant ladite fusion ou union, leur part proportionnelle des deniers publics de Terre-Neuve affectés à l'instruction publique. Même si cette libre fusion ou union entre les écoles de plusieurs confessions vient à être autorisée, ladite union ou fusion ne pourra, alors ou ultérieurement, être imposée contre son gré à l'une quelconque des quatre confessions précitées et aucune confession sur son refus de fusion ne pourra être privée de sa part proportionnelle des deniers publics de Terre-Neuve affectés à l'instruction publique.

 

En dernier lieu, la question du français devrait être incluse. En effet, outre les quelques milliers de Terre-Neuviens d'origine française, des centaines d'ouvriers du Québec travaillent déjà à Terre-Neuve et au Labrador depuis le début de la guerre aux entreprises les plus diverses, d'autres groupes proviennent des Maritimes, et le mouvement s'accentuera avec les développements auxquels le Canada s'attend comme compensation des déboursés qu'il assume. La question du français doit donc être incluse.

 

On ne devra pas cependant ajouter une nouvelle catégorie aux écoles de Terre-Neuve. Il faut éviter de multiplier les systèmes et de donner prétextes aux partisans de la fusion forcée. Laissant donc le système qui a fait ses preuves de bon fonctionnement continuer tel quel, à l'abri des attaques, la clause suivante suffirait:

 

Il sera loisible, aux autorités scolaires catholiques romaines d'organiser, selon les possibilités techniques et le désir des parents, des classes ou des écoles françaises et de recevoir pour elles une part proportionnelle des deniers publics de Terre-Neuve affectés à l'instruction publique.

 

Tel est en effet l'arrangement qui, depuis soixante-quinze ans, donne dans la province de Québec pleine satisfaction à la minorité catholique de langue an­glaise. A Terre-Neuve, la minorité catholique de langue française s'en remettrait cette fois à la largeur de vue de ses coreligionnaires de langue anglaise.

 

Des clauses claires en matière d'éducation, dès le début de la Confédération, eussent évité à toutes les provinces les divisions suscitées par la petite mais très active organisation orangiste, véritable et principal fac­teur de désunion canadienne.

 

Dans un autre ordre, mais connexe à l'instruction publique, un fait revêt une importance majeure.

 

Ce traité entre le Canada et Terre-Neuve est le traité d'un pays bilingue négociant l'entrée d'une nou­velle province dans ce pays bilingue. Donc, le pacte devra être rédigé dans les deux langues officielles du Canada.

 

Qu'on ne nous fasse pas l'affront d'une traduction posthume sans signatures officielles. On ne saurait non plus se contenter d'une copie française séparée, même signée. Les vrais Canadiens des deux langues en ont assez des pièces de traités exclusivement anglaises en montre aux salles publiques des Archives d'Ottawa, et les photostats de pages unilingues de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique distribués par elles aux chercheurs de tous pays.

 

Non seulement le Canada français tout entier, mais aussi la majorité des autres Canadiens bien pensants ont les yeux fixés sur le parti au pouvoir qui va réaliser ce traité. Il y a là un premier ministre canadien-français, six ministres de même origine et une majorité de députés d'origine française. En pareilles circonstances, l'impuissance ou l'oubli ne sauraient devant la population canadienne excuser ce qui serait grave négligence.

 

Il faudra donc pour ce traité de 1949, en plus de clauses parfaitement claires pour l'éducation, une digne et fière édition canadienne, à deux textes en regard sur la même feuille et ainsi tous deux signés du même coup. C'est en unissant ainsi dans la dignité du droit, que l'on réalisera de façon rapide et sûre l'unité canadienne.

 

Quel que soit le stade des négociations pour l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération, aucun citoyen du Canada ne doit, par sentiment ou par intérêt, fermer les yeux sur les clauses des arrangements. Reste à étudier les aspects économiques et constitutionnels du traité.

 

Source  : Paul-Émile BEAUDOIN, s.j., « Terre-Neuve-Canada », dans Relations, Vol. 8, No 96 (décembre 1948) : 351-353.

 

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© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College